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Gilles Elie-Dit-Cosaque : "la blesse" ou l'art de la suture


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Gilles Elie-Dit-Cosaque, extrait de la série Lambeaux, dans l'exposition La Blesse à Château-Thierry (vue d'exposition)


A Château-Thierry, le festival C'est comme ça ! débute cette semaine. Dans le voisinage des spectacles de danse qui y seront présentés, des expositions méritent grandement le détour. A côté de Barthélémy Toguo, on découvre le travail d'un artiste martiniquais, Gilles Elie-Dit-Cosaque, qui détourne toute une imagerie coloniale et compose à partir de la mémoire antillaise de saisissants assemblages. Portfolio en prime.


Il y a plein de bonnes raisons en cette mi-septembre et jusqu’au 11 octobre, de se rendre à Château-Thierry, au sud de l’Aisne et en bord de Marne, où l’Échangeur, Centre de développement chorégraphique national, propose une excellente programmation pour une nouvelle édition du festival C’est comme ça !, avec des spectacles de danse qui sont loin d’être parmi les plus hexagonalement diffusés.  On retrouverai ainsi, le 25 septembre, dans une soirée partagée avec le danseur-chorégraphe burkinabé, le solo Sian de l’ivoirienne Tatiana Gueria Nade, qui nous avait fort impressionné lors d’une précédente édition du festival, en 2022 (Lire ICI). Ces deux artistes africains ont en commun de s’être formés auprès d’Irène Tassembedo, habituée de l’Échangeur et de son festival. La "danseuse d’ébène", selon le titre du documentaire que lui a consacré Seydou Boro (1), présentera samedi 27 septembre sa dernière création, Des_espoirs, animée par les aspirations « d’une jeunesse du Sahel aux prises de crises politiques et sociales constantes ».


Barthélémy Toguo, Animal comedy (vue d'exposition)


A Château-Thierry, l’ancienne biscuiterie LU abrite désormais les activités du centre développement chorégraphique (avec une salle de spectacles et des studios de répétition) mais aussi une salle de concerts et un lieu d’expositions, le Silo, que l’Échangeur investit tout le temps du festival. Dans l’une des salles, Barthélémy Toguo a accroché la série Animal comedy, créée en 2021 pendant la pandémie de COVID-19, alors que Barthélémy Toguo était en résidence à l'Atelier Calder à Saché. Inspiré par le travail de Calder sur les animaux, Barthélémy Toguo anthropomorphise ses créatures, les représentant masquées. Cette façon de célébrer l'interdépendance de tous les êtres vivants serait aussi, dit-on un clin d’œil à La Comédie humaine de Balzac. A Château-Thierry, ville natale de la Fontaine, on pourrait tout autant y voir une référence espiègle à l’auteur des Fables


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Barthélémy Toguo, Les Pleureuses (fragment, vue d'exposition)


Face aux créatures hybrides de Animal comedy, se tiennent Les Pleureuses, une vaste fresque de 10 mètres, réalisée en 2024 par Barthélémy Toguo. Les représentations égyptiennes anciennes de pleureuses dans les temples ont ici été la source d’inspiration. Liées par des motifs végétaux qui symbolisent l'interconnexion profonde entre l'humanité et la nature, mêlant les thèmes de la mort, du renouveau et de la bienveillance, les pleureuses de Barthélémy Toguo, hommes et femmes, deviennent une voix collective qui s'élève contre l'injustice, la discrimination et la dégradation de l'environnement, incarnant le désir de guérir et de nourrir le monde (2).


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Gilles Elie-Dit-Cosaque, extrait de la série Madones et Cathédrales,

dans l'exposition La Blesse à Château-Thierry (vue d'exposition)


Exposé en 2000 à la Biennale de Lyon puis au Centre Pompidou en 2005 et à la Biennale de Venise en 2015, Barthélémy Toguo est aujourd’hui un artiste justement consacré. Ne bénéficiant pas encore d’une telle reconnaissance, on découvre, dans l’exposition du festival C’est comme ça !, le travail remarquable d’un artiste martiniquais, Gilles Elie-Dit-Cosaque, qui semble n’avoir été exposé en France (métropolitaine) qu’en de rares occasions, à Beauvais, Bordeaux et Douarnenez. On peut cependant le connaître en tant que cinéaste et documentariste (3). Mais à côté de ses films et de la structure de production, La Maison Garage, qu’il a fondée en 2003, Gilles Elie-Dit-Cosaque développe depuis 2009 un travail pictural basé sur le dessin et le collage-photo. Cet assemblage d’objets personnels ou anonymes, liés à l'histoire, l'identité et l’oubli peut faire penser à Christian Boltanski, ici en version créole.

 

Corps et visages, souvent issus de toute une imagerie coloniale, sont insérés dans la trame de documents d’archives, livrets scolaires, documents administratifs, fragments de journaux, etc.  Le noir et blanc, parfois virant au bistre, est hérissé de couleurs ajoutées, avec dominante du rouge dans la série Lambeaux, « journal en mouvement où les pages apparaissent et disparaissent au gré des présentations et où les messages se nichent davantage dans l’espace entre chaque page que dans celles-ci ». Une autre série, Madones et cathédrales, fait davantage ressortir des figures qui, découpées et fragmentées, parlent silencieusement « de plaies et d’espérance, des plaies ouvertes, recousues, vues, entr’aperçues ou retenues ». A Château-Thierry, ces deux séries sont réunies sous un titre commun, La Blesse. Cette expression, notamment popularisée par Raphaël Confiant dans son Dictionnaire du créole martiniquais (éditions Ibis rouge, 2007), désigne un syndrome propre à la culture antillaise, difficile à traduire dans les termes médicaux occidentaux : à la fois une blessure physique, souvent liée à un traumatisme (coup, chute, effort) mais aussi une fatigue générale ou un mal existentiel. Dans la littérature caribéenne, l’expression est investie d’une portée symbolique et fait référence à une blessure existentielle et sociale marquée par l’héritage de l’esclavage et de la colonisation (lire ICI). Depuis cette blesse, les compositions de Gilles Elie-Dit-Cosaque font témoignage et réparation. Les fils (rouges, le plus souvent) qui parcourent ses œuvres sont le tracé d’une suture mémorielle, nécessaire au devenir des identités composites.

 

Jean-Marc Adolphe


NOTES


(1). Ce documentaire est projeté dans le cadre du festival C’est comme ça, avec deux films réalisés par Irène Tassembedo, Un jeudi au quartier (court-métrage) et La Traversée (long-métrage).  Irène Tassembedo participera en outre, le 25 septembre à 19 h, à une table ronde, « Héritages en mouvement », aux côtés de trois chorégraphes qu’elle a formé au sein de son école de danse, au Burkina Faso. Enfin, les humanités ont déjà consacré plusieurs publications à Iréne Tassembedo. A lire notamment : "on a besoin de se réveiller", entretien, septembre 2021 (ICI).

 

(2). Consacré depuis un quart de siècle sur la scène internationale, Barthélémy Toguo a ouvert en 2008 sur les hauts plateaux de l’ouest du Cameroun, à 3 km de la ville de Bafoussam, à 300 km de Douala et Yaoundé, un lieu d’art écoresponsable, Bandjoun Station, où la partie résidence et exposition se complète d’un important volet agricole pour promouvoir un commerce équitable (voir ICI).

 

(3). Il a notamment réalisé Outre-mer Outre-tombe (2006), un documentaire sur les rites funéraires et les traditions d'accompagnement du défunt aux Antilles ; Zétwal (2008), portrait d’un Martiniquais, grand admirateur d’Aimé Césaire qui au milieu des années 1970 avait comme ambition d’être le premier Français dans l’espace ; La liste des courses (2011), qui  revient sur le mouvement de grèves de 2009 en Martinique, prenant comme point de départ une revendication des grévistes : l’établissement d’une liste de produits de première nécessité ; et Je nous sommes vus (2016), portraits d’accros aux télénovelas, variantes d’origine sud-américaine des soap operas américains. Ces films ont tous été diffusés sur France Ô, le réseau Outremer Première, et pour certains Arte. Gilles Elie-Dit-Cosaque a en outre participé à la création de l'émission littéraire Tropismes sur France Ô animée par Daniel Picouly puis Laure Adler, et dont il a assuré la réalisation (2004-2007), notamment les émissions consacrées à Edouard Glissant et Zahia Rahmani.


PORTFOLIO


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Gilles Elie-Dit-Cosaque, extrait de la série Madones et Cathédrales,

dans l'exposition La Blesse à Château-Thierry (vue d'exposition)


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Gilles Elie-Dit-Cosaque, extrait de la série Madones et Cathédrales,

dans l'exposition La Blesse à Château-Thierry (vue d'exposition)


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Gilles Elie-Dit-Cosaque, extrait de la série Madones et Cathédrales,

dans l'exposition La Blesse à Château-Thierry (vue d'exposition)


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Gilles Elie-Dit-Cosaque, extrait de la série Madones et Cathédrales,

dans l'exposition La Blesse à Château-Thierry (vue d'exposition)


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Gilles Elie-Dit-Cosaque, extrait de la série Madones et Cathédrales,

dans l'exposition La Blesse à Château-Thierry (vue d'exposition)


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Gilles Elie-Dit-Cosaque, extrait de la série Lambeaux, dans l'exposition La Blesse à Château-Thierry (vue d'exposition)


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Gilles Elie-Dit-Cosaque, extrait de la série Lambeaux, dans l'exposition La Blesse à Château-Thierry (vue d'exposition)


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Gilles Elie-Dit-Cosaque, extrait de la série Lambeaux, dans l'exposition La Blesse à Château-Thierry (vue d'exposition)


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Gilles Elie-Dit-Cosaque, extrait de la série Lambeaux, dans l'exposition La Blesse à Château-Thierry (vue d'exposition)


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Gilles Elie-Dit-Cosaque, extrait de la série Lambeaux, dans l'exposition La Blesse à Château-Thierry (vue d'exposition)


BONUS

Un épisode de la série "L’œil du lézard", créée par l’Aica (Association internationale des critiques d'art) Caraïbe du Sud, et initiée par Dominique Brebion, consacrée à Gilles Elie-Dit-Cosaque, juin 2015.



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