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Jour historique en Colombie pour le droit à l'avortement


Des collectifs féministes devant le bâtiment de la Cour constitutionnelle colombienne, lundi. Photo Carlos Ortega.


"Une décision atroce". Peu prompt à s'émouvoir ou à réagir (voire rester indifférent) aux assassinats de leaders sociaux tout comme aux féminicides (encore plus de 500 cas en 2021), c'est ainsi que le président Ivan Duque a commenté la décision de la Cour constitutionnelle (par 5 voix contre 4) d'autoriser l'avortement en Colombie, jusqu'à 24 semaines de grossesse. Alors que 24 Colombiennes sont actuellement en prison pour avoir avorté en dehors de la loi, et sont passibles d’une peine de 16 à 54 mois d’emprisonnement, cette décision de la Cour constitutionnelle était vivement attendue par les mouvements féministes. Les humanités reprennent un texte d'Olga L. Gonzalez, sociologue colombienne vivant en France, issu de son blog Mediapart.


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En Colombie, la Cour constitutionnelle vient d’émettre un avis favorable à l’avortement. Avec une très fragile majorité (cinq magistrats pour, quatre contre), la Cour autorise le recours à l’IVG jusqu’à la 24ème semaine de grossesse. Ainsi, après Cuba, l’Uruguay, le Porto Rico, l’Argentine, de nombreux États du Mexique, le Surinam, la Guyana et bientôt le Chili, voici le troisième pays le plus peuplé de l’Amérique latine (après le Brésil et le Mexique) adopter le droit à l’avortement. Le verdict était attendu depuis deux ans. Dans les bureaux de la Cour constitutionnelle attendent de très nombreuses demandes sous la forme de « tutelas », un recours constitutionnel interposé par les citoyens en cas d’atteintes à leurs droits fondamentaux et perçue très souvent comme le meilleur moyen, sinon le seul, permettant de résoudre nombre de problèmes qui se posent au quotidien. L’une de ces tutelas émanait de la plateforme féministe Causa Justa, laquelle arguait que l’état des choses actuel (avortement autorisé en trois cas de figure : s’il y a un risque vital pour la femme enceinte, s’il y a une malformation du fœtus, ou en cas de viol), n’était pas respecté. Afin d’éviter que les « barrières du système » (obstacles du système de santé, objections de conscience des médecins, etc) n’obstruent le recours à l’avortement thérapeutique, disaient ces féministes, il fallait statuer à nouveau. Et pour respecter le droit à leur autonomie, la demande allait dans le sens de dépénaliser l’avortement. Une seconde « tutela », introduite en 2020 par un juriste, allait dans le même sens. La Cour a mis quasiment deux ans à se prononcer sur ces tutelas. Des raisons de procédure ont entraîné le report de la décision. Entre autres : la Cour avait-elle, oui ou non, le droit de se prononcer, vu qu’il existait un jugement préalable de cette même Cour sur le même sujet ? Par ailleurs, des magistrats ont été écartés (par exemple, parce que l’un avait déclaré dans un média que ce sujet était une « patate chaude »). Ces derniers jours, l’intrigue consistait à savoir comment un des neuf magistrats, croyant et conservateur, mais en voie de transformation idéologique, allait finalement se prononcer. Les journalistes ont été enquêter sur ses lectures. Il semblerait qu’il lisait un ouvrage d’Umberto Eco sur l’éthique des non croyants… Tel était le climat dans les hautes cours en ce mois de février 2022. Enfin, après une intense campagne sur les réseaux sociaux et des manifestations de chacun des deux camps à côté du tribunal, la Cour s’est prononcée le 21 février.

Photo Daniel Romero/Long Visual Press


Cette décision est historique. Elle va modifier la vie de centaines de milliers de femmes, qui avortent chaque année dans l’illégalité. Un certain nombre d’entre elles, particulièrement les plus pauvres et les plus éloignées des grands centres urbains, sont même dénoncées devant les autorités et traduites en justice : tous les ans il y a environ 400 plaintes contre des femmes ayant tenté d'avorter, et la plupart des plaignants appartiennent au corps médical et sanitaire. D’après la Mesa por la Vida y la Salud de las Mujeres, 25% des condamnés sont des mineures.


Depuis la promulgation de la Constitution de 1991, la Cour constitutionnelle a été la garante de nombreux droits, qui n’avaient aucune chance de passer au Congrès

Cette décision de la Cour constitutionnelle s’inscrit dans une tradition de défense des droits qu’il faut expliciter : depuis la promulgation de la Constitution de 1991, la Cour a été la garante de nombreux droits, qui n’avaient aucune chance de passer au Congrès. Depuis de longues années, celui-ci est devenu, pour les Colombiens, le symbole de la corruption. Majoritairement de droite, son travail principal consiste à s’enrichir en détournant les lois dans des intérêts strictement privés. Le débat d’idées y est pratiquement inexistant. Tous les partis de droite ont des représentants des églises (hommes et femmes pasteurs évangéliques) : ceux-ci sont recherchés en raison de leur discipline au moment des élections. En raison de ce contexte, entre 2006 et aujourd’hui, aucune initiative pour avancer vers une dépénalisation de l’avortement n’a pu aboutir. En Colombie, les principaux changements relatifs aux droits LGBT ont été obtenus par la voie de la Cour Constitutionnelle. C’est suite à des décisions des magistrats ou en utilisant les principes généraux contenus dans la Constitution, et après des recours interposés par les citoyens (à nouveau les tutelas), que de nombreux droits ont été obtenus, dont le droit relatif à l’adoption pour les couples de même sexe (2015) et le droit relatif au mariage entre personnes de même sexe (2016).

Jusqu’au 21 février 2022, les discussions relatives à l’avortement étaient surtout confinées à des discussions entre groupes de féministes, ou à des ONG qui ont produit des rapports de qualité sur les inégalités face à l'avortement. La mobilisation collective et les manifestations de rue n’ont pas été déterminantes dans la décision de la Cour, comme cela a pu être le cas en Argentine ces dernières années. Étant donné la tournure extrêmement technique des discussions au sein de la Cour, c’est l’action des juristes eux-mêmes qui a finalement joué un rôle important. Or nous sommes à un moment clé : les élections nationales auront lieu très prochainement (13 mars : élections au Congrès et primaires pour départager les candidats à la présidentielle ; 29 mai : élection présidentielle) et les candidats ne pourront plus éluder le débat. Car dès le lendemain de la décision de la Cour, de nombreuses voix, dans la droite et l’extrême droite, s’élèvent contre elle, annoncent des demandes de nullité, parlent d’un référendum pour revenir sur la question et sortent l’arsenal médiatique (l’avis des prêtres et des curés est sollicité à tout vent, etc). De son côté, le candidat qui est en tête dans les enquêtes pour le premier tour des présidentielles, Gustavo Petro, devra désormais intégrer cet élément au débat et assumer publiquement sa position. Cet ancien guérilléro et ancien maire de Bogotá, à la tête d’une coalition qui regroupe beaucoup de militants de gauche, mais qui compte aussi un candidat évangéliste chrétien, évitait de rentrer dans ce terrain (par exemple, un de ses slogans était « zéro avortement »). Ce ne sera plus possible d’éluder la question, le thème de l’avortement sera au cœur de la campagne politique.

Historiquement, les Colombiens sont influencés par la longue domination des églises (catholique, et de plus en plus, évangéliste). Cependant, d’autres facteurs modifient les mentalités : les mouvements féministes et des revendications LGBT, les mobilisations pour les droits humains, pour la paix, pour l’environnement. Aujourd’hui, et c’est probablement une première sociologique, les opposants à l’avortement ne sont plus majoritaires. Globalement, il y a 40% de personnes ouvertement favorables à l’IVG, et autant d’opposantes farouches, le reste étant indécis. Il en est de même sur d’autres terrains auparavant sensibles : les Colombiens, et surtout les jeunes, se déclarent à 60% indifférents au fait que leur candidat à la présidence soit croyant (ou pas). Il reste que les opposants à l’avortement disposent de puissants moyens financiers et symboliques, et que la croisade contre la disposition de la Cour constitutionnelle sera féroce. La défense des droits des femmes et de la laïcité de l’État colombien est un des grands enjeux du débat.


Olga L. Gonzalez,

texte reproduit avec son aimable autorisation, initialement publié sur son blog Mediapart.


VIDEO


Compléments

Le foulard vert (pañuelo verde), symbole des luttes féministes en Amérique latine.


Autour du cou, noué à une bretelle du sac à dos, accroché au rétroviseur, le foulard vert est d’abord apparu en Argentine en 2017 et s'est imposé comme le symbole de la lutte pour le droit à l'avortement. « Nous, les féministes, nous voulions une marque distinctive qui nous permette de nous reconnaître et associer cette lutte aux droits de l'homme, l'avortement comme un droit de l'homme des femmes », disait ainsi Victoria Tesoriero, membre de la Campagne pour le droit à l'avortement en sécurité, légal et gratuit.

Le foulard vert a été créé en 2003 (Lire ICI), mais ce n'est qu'en 2018 qu'il s'est popularisé. Vert ? « C'était une couleur qui n'était utilisée par personne, et il avait comme point positif de représenter la vie », dit-elle.


Les foulards verts ont commencé à être plus visibles au cours de l'année 2017, lors de manifestations du mouvement féministe #NiUnaMenos (Pas une de moins), mobilisé contre les violences faites aux femmes et pour l'égalité salariale homme-femme.

« C'est impressionnant la quantité de foulards dans la rue, il y a comme une prise de conscience pour la défense de nos droits et une plus grande solidarité », estimait en 2018 Angeles Justo, une étudiante de 24 ans, le foulard accroché au sac à main. Pour Alejandra Ksiakez, une fonctionnaire de 49 ans, porter le foulard, cela fait la différence. « C'est important qu'il soit visible dans la rue, dit-elle, c'est le symbole pour toutes celles qui sont en faveur du droit à l'avortement ».


Tout comme la chanson de la Mexicaine Vivir Quintana, Cancion sin miedo, ou encore la performance du collectif chilien Les Tesis, Un violador en tu camino, le port du foulzared vert est devenu viral dans toute l’Amérique latine, pour le droit à l’avortement et, au-delà, pour les droits des femmes.

La vidéo de cette performance (plus de 1,3 millions de vues sur YouTube) est devenue virale au Chili et dans toute l’Amérique latine, y compris en Colombie.




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