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Kamianka, en Ukraine, rime avec Guernica



Le lundi 26 avril 1937, pendant un jour de marché, la petite ville basque de Guernica était bombardée par des avions allemands et italiens : un massacre voulu par Hitler, allié du général Franco dans la guerre civile espagnole, pour terroriser la population civile. Avec des moyens différents, la façon dont se comporte l'armée russe en Ukraine n'est guère différente. « Ils bombardent la population civile, détruisent les maisons privées, de sorte que les gens n'ont nulle part où vivre », et « ce qu'ils ne peuvent pas prendre, ils le détruisent tout simplement. » Reportage du New York Times dans le village de Kamianka et d'autres localités proches de Kharkiv récemment reprises par les forces ukrainiennes.


Cet article traduit du New York Times vous est offert par les humanités, média alter-actif et engageant.

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KAMIANKA, Ukraine - Peu de choses bougent dans le village de Kamianka, à l'exception d'un chat qui s'élance de sous les décombres d'une maison détruite et d'une toiture métallique qui résonne au vent.

Serhii, un éleveur de bétail, est assis, affalé, à côté des ruines brûlées de sa maison. « Je suis venu ici au cas où je trouverais quelque chose et pour nettoyer un peu », dit-il. « Mais il n'y a rien », ajoute-t-il, en faisant un geste du bras vers les décombres.

L'ampleur de la destruction est stupéfiante dans les centaines de villes et de villages récemment évacués par les troupes russes dans la région de Kharkiv, dans l'est de l'Ukraine. Les quelques habitants qui sont retournés dans la zone de guerre pour vérifier leurs biens, comme Serhii et sa femme, Iryna, restent souvent muets de consternation devant la dévastation.

Dans toute l'Ukraine, la guerre a détruit ou endommagé environ 120.000 maisons et 16.000 immeubles d’habitation à la fin du mois de septembre, selon l'École d'économie de Kiev, qui a estimé l'ensemble des dégâts matériels à 127 milliards de dollars. La Banque mondiale, l'Union européenne et le gouvernement ukrainien ont estimé les coûts de reconstruction à environ 350 milliards de dollars.


Pendant des mois, Kamianka, qui se trouve sur une route principale, a marqué la ligne de front entre les forces russes et ukrainiennes, et pas un seul bâtiment du village n'a échappé aux dommages. Les troupes russes se sont retirées le mois dernier face à une contre-offensive ukrainienne, laissant le village jonché d'obus et de mines russes inutilisés, son église en bois réduite en cendres, son école avec des trous béants dans ses murs.

Un gymnase endommagé qui avait été utilisé comme base par les forces russes à Kamianka, dans la région de Kharkiv.

Les forces russes ont laissé derrière elles des boîtes de munitions et des obus d'artillerie éparpillés

autour d'une position de tir dans le village de Kamianka.


Les services d'urgence ukrainiens venaient de recueillir les dépouilles de deux civils - le voisin de Serhii, tué dans l'explosion d'un obus en mars, et un autre homme écrasé dans sa voiture par un char russe sur la route principale à peu près au même moment. Les troupes russes qui occupaient le village depuis le mois d'avril n'avaient pas pris la peine d'enterrer les Ukrainiens morts, déclare Serhii. Un voisin, Oleksandr, 66 ans, s'est arrêté dans sa voiture et a dit qu'un autre civil gisait mort dans une cave à l'extrémité du village. Les ingénieurs ukrainiens n'ayant pas encore déminé le village, personne n'a encore pu récupérer le corps, a-t-il ajouté.


Pour les autorités ukrainiennes chargées de rétablir le gouvernement local, la tâche est à la fois immense et toujours dangereuse. Les troupes et les civils ukrainiens ont été victimes de mines, et les avions à réaction et l'artillerie russes continuent de bombarder les villes après s'en être retirés. Des missiles russes S-300 ont frappé la ville de Koupiansk, une importante plate-forme de transport, à plusieurs reprises après que les troupes ukrainiennes l'ont reprise fin septembre. Trois missiles ont frappé une rangée de maisons en bordure de Koupiansk au début du mois, le 10 octobre, démolissant deux maisons et creusant des cratères de plusieurs mètres de large dans un jardin et dans la rue.

« C'était une énorme explosion de fragments métalliques », déclare Elena, 63 ans, une femme handicapée dont la maison a brûlé. Elle s'est échappée, entraînant sa voisine, Anna, 87 ans et aveugle, dans les escaliers pour se réfugier dans une grange. « Nous avons tout perdu, tous nos meubles, tous nos vêtements, tout ce que nous possédions », dit-elle.

Un homme récupère du bois de chauffage dans les décombres fumants d'une frappe de missile russe à Koupiansk,

une ville de la région de Kharkiv.

Anna, 87 ans, pleure en se rappelant qu'elle a survécu à un tir de missile russe

qui a frappé la maison voisine et détruit sa maison à Koupiansk.


Les missiles visaient peut-être les troupes ukrainiennes qui s'étaient brièvement installées dans la maison voisine, mais le résultat a été de punir la population civile et la nouvelle administration. Pour le nouveau maire de Koupiansk, Andriy Besedin, 39 ans, les attaques étaient le résultat d'une vengeance des forces russes après avoir été contraintes de céder une vaste étendue de territoire. « L’attitude de l'ennemi dépasse le bon sens », dit-il. « Ce qu'ils ne peuvent pas prendre, ils le détruisent tout simplement ». Mais il ajoute que les frappes s'inscrivaient également dans le cadre d'une campagne menée par Moscou à l'échelle du pays pour cibler les approvisionnements en énergie et la vie civile, afin de saper le gouvernement ukrainien et de tester le soutien à la guerre : « Ils bombardent la population civile, détruisent les maisons privées, de sorte que les gens n'ont nulle part où vivre. »

Les responsables ukrainiens sont conscients de la nécessité d'apporter des services vitaux aux zones détruites où les gens ont survécu avec peu de nourriture, d'aide médicale, d'eau, de gaz ou d'électricité. Ils ont également affaire à une population parfois hostile qui, pendant six mois, a été alimentée par une propagande pro-russe qui n'a cessé de rendre l'Ukraine responsable des tirs d'artillerie et des difficultés qu'elle a subies.

Les gens se bousculent pour recevoir une aide alimentaire tandis que d'autres

utilisent un satellite Starlink pour se connecter à Internet à Koupiansk.

Une affiche du président russe Vladimir Poutine sur le sol d'un poste de police utilisé par les forces russes à Koupiansk,

où la population a été abreuvée de propagande pro-russe pendant près de six mois.


Dans la ville de Staryi Saltiv, des femmes versent de la soupe à la louche dans des récipients pour une file d'habitants tandis que d'autres volontaires font fonctionner un générateur pour que les gens puissent recharger leurs téléphones portables. La ville est privée d'électricité et d'eau courante depuis le mois d'avril, et rien ne laisse présager un retour des services, explique Lyudmyla, 52 ans. Elle travaillait comme infirmière dans le lycée local avant la guerre et a ouvert la soupe populaire à son retour dans la ville il y a quelques semaines parce que, selon elle, les gens avaient faim. La ville a été isolée par les combats pendant des mois, dit-elle, et les habitants n'ont survécu que grâce à leur habitude de l'autosuffisance et à la conservation de réserves de nourriture dans leurs caves. « Certaines personnes avaient des poulets et des lapins », ajoute-t-elle. « Les gens partageaient beaucoup. »

Mais même si les routes ont été ouvertes et que l'aide alimentaire commence à arriver, elle dit craindre que les gens ne puissent pas survivre à l'hiver sans services publics, en particulier les résidents des tours d'habitation en bordure de la ville. Les responsables de la région répondent presque tous par un seul mot pour décrire leur plus grand défi : « l'hiver ».

Selon les autorités et les travailleurs humanitaires, il sera particulièrement difficile pour les personnes vivant dans des immeubles

comme celui-ci à Staryi Saltiv de survivre à l'hiver sans services publics.

Un employé municipal effectue des réparations sur une route endommagée à Staryi Saltiv.


Dans la ville d'Izioum, où 18.000 habitants ont vécu pendant l'occupation russe et les combats, l'administration a réussi à rebrancher l'électricité et l'eau dans la plupart des quartiers, déclare le maire, Valerii Marchenko. Il a prévenu la population que le gouvernement ne pourrait réparer le chauffage central que dans un tiers des complexes d'appartements de la ville. Pourtant, la plupart des résidents, dont beaucoup de personnes âgées qui étaient restées pendant toute la guerre, refusent toujours de partir, dit-il : « Ils comprennent qu'ils n'auront plus de chauffage. Mais ils ne veulent pas évacuer, même si nous leur en offrons la possibilité. » La ville travaille sur une solution pour installer des poêles à bois ou des chauffages électriques afin que les résidents puissent au moins chauffer une pièce de leurs appartements.

Les habitants qui ont survécu à la guerre en s'abritant dans leurs sous-sols et leurs caves font preuve d'une ténacité qui frise l'obstination. « L'ambiance est bonne », déclare Yegor, 16 ans, en avalant son repas dans une soupe populaire. « Il n'y a pas de bombardements - l'électricité et le gaz sont de retour », dit-il. « Tout ce dont nous avons besoin, c'est d'internet. » Lui et son ami Denys, 15 ans, se promenaient dans la ville en utilisant des bornes Internet temporaires fournies par des bénévoles et, au passage, avaient rejoint la file d'attente pour le déjeuner dans une rue latérale.

À quelques rues de là, un groupe de voisins discute sur des bancs dans la cour de leur appartement, à côté d'une collection de poêles à bois de fortune fabriqués à partir de seaux rouillés et de petites grilles. Ce n'était que le troisième jour, après six mois, qu'ils n'avaient pas à cuisiner sur les poêles extérieurs, grâce au rétablissement de l'électricité, se réjouit l'une des femmes, Svetlana. « Pendant deux mois, nous n'avons pas eu une miette », confie sa voisine, Lyudmyla, emmitouflée dans un manteau bordé de fourrure et des gants. Les soldats russes leur donnaient du pain et des rations deux fois par semaine, sinon ils n'auraient pas survécu, dit-elle.


Enseignante à la retraite, Lyudmyla ne critique pas la Russie mais réserve ses plus grandes plaintes au maire ukrainien et à ses fonctionnaires qui, selon elle, ont évacué la ville en mars et laissé les habitants restants sans recours. Le maire, Valerii Marchenko, déclare qu'il est bien conscient des plaintes : « Beaucoup de gens ne se sont pas remis de la propagande russe. Les Russes disaient que l'Ukraine les a abandonnés et que le gouvernement s'est enfui sans apporter aucune aide alors qu'en fait, ce sont les Russes qui ont refusé un corridor humanitaire. » La solution, dit-il, est de fournir des services à la population plus rapidement et mieux que les Russes. « Tout ce que nous pouvons faire, c'est montrer que l'Ukraine est meilleure. »


Carlotta Gall et Ivor Prickett (photos) pour The New York Times.

Traduction : Dominique Vernis pour les humanités.


Photo en tête d'article : Un homme devant un bâtiment gravement endommagé à Izioum, une ville reprise par les forces ukrainiennes après des mois d'occupation russe. Photo Ivor Prickett


Des personnes traversent le réservoir de Staryi Saltiv en bateau, à côté d'un pont

qui a été détruit au début de la guerre pour ralentir l'avancée des Russes.


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