Engagée dans un bataillon sanitaire, Katya, 21 ans, a ému le monde entier en chantant dans l’enfer assiégé d’Azovstal. Capturée le 17 mai dernier, avec les derniers soldats encore présents dans le complexe métallurgique de Marioupol, elle n’a donné depuis aucune nouvelle, tout comme les combattants d’Azovstal. Et les Russes font la sourde oreille aux demandes de visite de la Croix-Rouge. La mère de Katya, elle, se tient prête à enfourner un gâteau au chocolat et des beignets aux cerises, pour son retour.
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Il y a eu Fifi Brindacier. Née après 1945 de l’imagination de la romancière suédoise Astrid Lindgren, cette petite fille de 9 ans, héroïne de romans pour enfants (ensuite adaptés pour la télévision), a contribué à lutter contre les représentations stéréotypées et sexistes des enfants dans les livres pour la jeunesse. A l’époque, ce n’était pas en rien -même si l’adaptation parue en France fut considérablement expurgée du côté « rebelle » de Fifi. De toute façon, c’était de la fiction.
En Ukraine, aujourd’hui, Katya oiseau d’acier, c’est pour de vrai.
Une bouille, un regard, un sourire, qui ont fait irruption début mai dans une vidéo tournée à Marioupol, parmi les ultimes combattants qui s’étaient retranchés au sein de l’usine Azovstal à Marioupol. Dans l’obscurité du bunker, elle chantait des airs patriotiques ukrainiens. Une voix-luciole qui dévisageait le désastre. A l’époque, on savait déjà que tôt ou tard, les combattants d’Azovstal, privés de vivres et de munitions, seraient vaincus.
Sur les réseaux sociaux, dans des médias du monde entier, la vidéo est rapidement devenue virale. Sans que son nom ne soit dévoilé, de premières informations ont permis de savoir qui était Katya. Des proches, qui ignoraient qu’elle était à Marioupol, ni davantage qu’elle s’était engagée comme volontaire, l’ont reconnue. A commencer par Bohdan Mayuk, le directeur du Studio-Théâtre de Ternopil (une ville de 220.000 habitants, où la totalité de la population juive a été exterminée entre 1942 et 1943), dont elle a été l’élève : « Ses poèmes ont été publiés par la presse locale et dans des recueils de poésie. C’est une actrice brillante et une personnalité exceptionnellement créative. En plus, c’est une merveilleuse chanteuse. »
Katya a 21 ans. Jusqu’à preuve du contraire, elle ne participait pas aux combats. On sait aujourd’hui qu’elle avait commencé une formation médicale, et c’est à ce titre qu’elle s’est engagée comme auxiliaire médicale, en 2021, plusieurs mois avant le début de l’offensive russe, comme secouriste dans un bataillon sanitaire (« Hospitalleri ») fondé en 2014 par Jana Zinkevich, une urgentiste ukraine, dont le slogan est « Pour le bien de la vie ». Elle a visité des orphelinats, a travaillé pour l’hôpital militaire de Kiev… Début mars, Katya a été affectée à l’hôpital-maternité de Marioupol. Lorsque cet hôpital a été bombardé, elle a rejoint avec d’autres secouristes et ambulanciers, l’usine Azovstal.
Le 17 mai dernier, elle a quitté le complexe sidérurgique avec les derniers combattants. Sur une vidéo de l’armée russe, on la voit brièvement, avec deux autres jeunes femmes, remettre ses effets. Ce sont les dernières nouvelles de Katya. « Le sort des combattants ukrainiens de l’aciérie d’Azovstal est plus incertain que jamais, après qu’ils ont quitté volontairement le dernier bastion de la résistance ukrainienne dans la ville de Marioupol », écrivait Emmanuel Grynszpan le 2 juin dans Le Monde. Un « tribunal » de la république auto-proclamée de Donetsk a condamné à mort trois soldats étrangers engagés dans l’armée ukrainienne, qualifiés de « mercenaires ». D’autres devraient être jugés pour « crimes de guerre », en totale violation du droit international. Selon Kateryna Prokopenko, épouse du commandant du régiment Azov, cofondatrice de l’association Femmes d’acier, les soldats qui sont rendus à Azovstal sont détenus dans la colonie pénitentiaire d’Olenivka, qui se situe dans la région de Donetsk à tout juste 15 km du front. C’est sans doute là que se trouve Katya. Les autorises russes refusent toujours que la Croix-Rouge puisse rendre visite à ces prisonniers, alors que des rumeurs insistantes font état de tortures physiques et morales.
Svetlana, la mère de Katya, interviewée par Radio Free Europe
La mère de Katya, Svetlana, n’a aucune nouvelle de sa fille. C’est ce qu’elle a confié à Halyna Tereshchuk, journaliste pour Radio Free Europe. Elle dit regarder chaque jour les photos de sa fille et écouter ce qu’elle chantait à Azvostal.
« Katya [qu’elle appelle Katrusia] ne savait pas encore parler qu’elle chantait déjà très bien », raconte-t-elle. « Quand elle était petite, on allait se coucher et je lui chantais des chansons ukrainiennes. A 9 ans, elle est entrée à l’école de musique de Ternopil. Ensuite, elle est allée au Collège des arts, dont elle est sortie avec les honneurs. A 18 ans, elle a décidé d’aller à Kiev. Elle était très motivée, elle a préparé ses examens d’amission sans aucune aide. Bien sûr, j’étais un peu triste qu’elle parte, mais je lui ai toujours dit qu’elle devrait faire sa vie par elle-même. Ensuite, elle m’a dit qu’elle avait commencé des études des médecine. Elle m’a alors dit qu’elle travaillait dans une école de moto, que c’était pour pouvoir secourir des blessés… Et puis, au cours de l’été 2021, Katrusya s'est portée volontaire comme médecin dans la région de Donetsk. Elle avait sa propre équipe et elle fournissait une assistance médicale au personnel militaire. Elle n'a pas signé de contrat avec l’armée, elle intervenait comme volontaire. »
« Je savais qu'elle était à Marioupol au début du mois de mars, contrairement à ce qu’ont les dit les médias », poursuit la mère de Katya. « Nous n'avions pas de secrets. Mais elle ne m'a rien dit qui aurait pu m’inquiéter ou me faire pleurer. Il y a eu cette photo, postée sur les réseaux sociaux, qui prétendait que Katrusia avait été torturée. C’était une fausse information. Quand ma fille l'a appris, elle m'a envoyé un message vocal. Le contact était très faible et elle n'avait pas beaucoup de temps. Mais elle m’a rassurée. »
Au cours d'une autre conversation, alors que Katya était à Azovstal depuis deux mois, où elle aidait les blessés et les malades, sa mère lui a demandé ce qu'elle avait mangé ce jour-là et si elle avait de la nourriture. Quand elle a répondu, Svitlana n'a pas versé une larme. « Katya a commencé à parler du pain, qu'elle n'avait mangé qu'un morceau de pain " Borodinsky " pendant cette période. "Comme c'est bien, maman, que tu nous aies appris à aimer le pain"... Ma grand-mère m'a appris un jour que si un morceau de pain tombait, je devais le ramasser, le respirer, l'embrasser et le mettre sur la table. C'est comme ça que j'ai appris à mes enfants qu'il faut donner un pourboire pour le pain. Probablement, à partir de si petites attentions, de chansons ukrainiennes, tout naît et commence. Et Katrusia aime tellement l'Ukraine. Le matin du jour où elle a dû quitter Azovstal, elle m’a appelée le matin, elle m'a dit qu'elle ne serait pas en contact pendant un long moment, m'a demandé d'être patiente, de l'attendre, de croire, de l'aimer. Depuis, je n'ai aucune information. »
Katya a demandé à sa mère de lui préparer des beignets aux cerises et un gâteau au chocolat et au sirop. Le sirop est toujours dans le réfrigérateur, et un bocal de cerises attend dans le garde-manger. « Pouvoir cuisiner à tout moment de la journée. Il y aura donc un gâteau au chocolat avec des beignets aux cerises pour ma fille lorsqu’elle rentrera », dit la mère de Katya Oiseau d’acier
Mais au fait, pourquoi « oiseau d’acier » ? Acier fait bien sûr référence à l’usine métallurgique d’Azovstal. Oiseau (ou petit oiseau, « Ptaska ») vient d’un tableau qu’avait peint Katya pour un concours, à 14 ans. Un trident ukrainien, une boule de neige, et… un oiseau, qui avait stupéfié tout le monde. Depuis, ce surnom de "Ptaska" lui est resté. Ce même oiseau, peut-être, un oiseau de liberté qui chantait à travers la voix de Katya dans un les sous-sols d’Azovstal.
Les Russes n’entendent rien au chant des oiseaux. D’ailleurs, dans une ville qu’ils occupent dans le Donbass, ils se vantent d’avoir fait fuir les oiseaux qui, paraît-il, importunaient les habitants. Contre Katya, ils auront du mal à trouver de quel « crime de guerre » elle se serait rendue coupable. Mais avec de tels malfrats sans foi ni loi, on peut toujours craindre le pire. Sans parler des conditions de détention de Katya, dont on ne sait rien.
Les cerises et le sirop attendent. Nous aussi.
Jean-Marc Adolphe
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