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Le plan de paix "Trump" s'effondre sous les bandes sonores


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Les révélations de deux bandes sonores, publiées à quelques heures d’intervalle, ne laissent plus place au doute : le « plan de paix américain » n’était qu’un texte soufflé depuis Moscou. Derrière l’habillage diplomatique, c’est tout l’appareil trumpien qui apparaît comme le relais involontaire – ou complaisant – de l’agenda du Kremlin. Mais à force de scruter la géopolitique contemporaine, on découvre moins un ordre mondial qu’un théâtre d’ombres : celui où les récits importés supplantent les faits, où les influences étrangères sculptent nos perceptions, et où le tropisme de Donald Trump pour la Russie poutinienne révèle une mécanique d’ingérence bien plus vaste. Reste à savoir combien de temps encore nos démocraties accepteront de laisser leurs choix se modeler par des narrations venues d’ailleurs.


CHRONIQUES, PAR RUDY DEMOTTE


Le rebondissement que personne n’attendait - sauf Moscou.


Décidément, je ne me lasserai jamais de m’étonner devant ce que le pouvoir trumpien parvient à déguiser en diplomatie : un mélange d’improvisation satisfaite, de crédulité stratégique et de certitude inoxydable. Et voici que deux bandes sonores, publiées par Bloomberg en l’espace de quarante-huit heures, pulvérisent l’illusion d’un « plan de paix américain ». Le récit se retourne. Le texte cesse d’être une proposition, il devient une traduction.

La première bande, diffusée le 25 novembre, enregistre l’appel du 14 octobre entre Steve Witkoff et Iouri Ouchakov, l’un des plus anciens conseillers diplomatiques de Vladimir Poutine.


Witkoff y souffle les répliques comme un répétiteur trop zélé :

« Félicitez le président… dites qu’il est un homme de paix »

(« say he’s a man of peace »).

Puis, en apôtre désinvolte, il propose lui-même les concessions territoriales :

« Donetsk et peut-être un échange de territoires »

(« Donetsk and maybe a land swap »).


La seconde bande, publiée le 26 novembre, dévoile l’appel du 29 octobre entre Ouchakov et Kirill Dmitriev, patron du fonds souverain russe, figure discrète mais influente du dispositif poutinien.

Dmitriev ne s’embarrasse pas :

« Nous allons rédiger le document selon notre position »

(« according to our position »).

Et pour dissiper toute crainte d’une adaptation américaine :

« Je le transmettrai mot pour mot »

(« word for word »).


Ce rebondissement ne repose pas uniquement sur Bloomberg.

Des sources russes, elles aussi, confirment l’existence de l’appel et la nature du document. Plusieurs médias proches de Moscou évoquent une « fuite » et dénoncent une « attaque informationnelle ». Reuters rapporte les propos d’un responsable russe directement cité : « Ces fuites constituent une opération hostile » (Reuters, 26 novembre 2025). Un site russophone relayé à l’international parle d’une « note interne destinée à préparer l’interlocution avec Washington » (Webdo, 25 novembre 2025). Aucun de ces organes ne publie la transcription complète, mais tous reconnaissent la matérialité du document et l’existence des conversations.


À Washington, la gêne devient aveu. Marco Rubio, interrogé par les sénateurs, lâche la phrase qui clôt le débat : « Ce n’est pas une recommandation américaine… c’est une proposition reçue » (« a proposal received »).


Ainsi donc :

un plan prétendument américain, écrit à Moscou ;

un émissaire américain qui aide à le rendre acceptable ;

et une Maison-Blanche qui persiste à lui donner le label diplomatique que les faits lui refusent.


Ce texte n’a rien d’une architecture de paix.

Il consacre, ligne après ligne, l’agenda géopolitique de l’agresseur.

Il neutralise l’Ukraine, contourne le droit, réaménage l’Europe à l’avantage de Moscou, et demande ensuite aux Européens d’en supporter le coût.


On voulait un rebondissement.

Le voici :

la paix que Trump prétend offrir est un texte dicté par deux seconds couteaux du Kremlin, relayé par son propre émissaire, et désormais confirmé par des sources russes elles-mêmes.


Le décor vient de se fracasser.

Et il révèle exactement ce que Moscou espérait y dissimuler. Le Roi Trump est donc nu.

Reste à déterminer quelles sont les raisons de la cécité (volontaire ?) de Trump et les origines de sa complaisance envers le régime de Poutine. Peut-être en avez-vous une idée ?


Rudy Demotte

(texte repris de sa page Facebook : https://www.facebook.com/rudy.demotte)


02 / LES FILS QUI TIENNENT TRUMP - ET QUI ENSERRRENT LE COU DES DÉMOCRATIES



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Je me dis de plus en plus souvent que la géopolitique actuelle se fond dans une architecture de faux-semblants, un espace où les apparences s’agitent avec une intensité qui ferait presque pâlir les faits eux-mêmes.


Cela est porté au pavois depuis près d’une décennie, par une étrangeté persistante : Donald Trump attiré par la Russie poutinienne comme un astre secondaire qui aurait décidé de changer de soleil.


Ce n’est pas une alliance stratégique, encore moins une doctrine ; c’est une inclinaison presque irrépressible, un tropisme qui défie la logique, comme si un récit importé avait trouvé dans son tempérament un terreau d’une fertilité déconcertante.


J’aimerais remonter avec vous un peu le temps. Cela commence avant l’élection de 2016. Antoine Vitkine, spécialiste de la géopolitique et des mécanismes de propagande observe la marée numérique russe qui envahit les réseaux sociaux américains. Il relève des faits très intéressants.


Ainsi, le rapport du Senate Intelligence Committee (2019) établit que les contenus fabriqués par l’Internet Research Agency, l’usine à désinformation créée par l’oligarque Evgueni Prigojine, ont touché 126 millions d’Américains sur Facebook, sans compter les vagues sur Instagram et Twitter.


Le New York Times (18 décembre 2016) rappelle même que des théories délirantes comme le Pizzagate furent amplifiées par ces réseaux russes. Il faut rappeler ce que fut ce Pizzagate : une fable complotiste prétendant que Hillary Clinton dirigeait un réseau pédocriminel dans les sous-sols d’une pizzeria de Washington - fable qui poussa un homme armé à se rendre sur place pour « sauver » des enfants imaginaires.


Ces années-là ont façonné un espace public saturé d’échos déformants, où la moindre absurdité se voyait accueillie comme une révélation, pendant que la réalité trébuchait derrière, haletante et presque inaudible. Dans ce climat d’illusions -si méthodiquement instillées -, Donald Trump prospère et accède au pouvoir. Une fois président, la nature de sa relation avec Moscou ne fait plus semblant de se cacher. John Brennan, directeur de la CIA à l’époque, dira plus tard que lorsque les services expliquaient à Trump comment les opérations d’ingérence russes étaient structurées, celui-ci se préoccupait moins du danger que de l’identité des informateurs. Comme si le contenu importait moins que la chasse aux noms. Brennan, désabusé, le formula ainsi : « Je n’ai jamais compris pourquoi Trump cherchait nos sources plutôt que nos conclusions. »


Un directeur de la CIA qui dit cela, publiquement, est déjà un symptôme. Mais John Bolton, ancien conseiller à la Sécurité nationale, réputé pour sa ligne dure en matière de politique étrangère, va plus loin dans ses mémoires (The Room Where It Happened, 2020) : « Il croyait Poutine plus qu’il ne croyait les services américains. » Il faut mesurer cette phrase, tant elle paraît invraisemblable. Qu’un président américain choisisse de croire un dirigeant étranger plutôt que son propre appareil de renseignement n’est pas une anomalie. C’est une capitulation cognitive. Et c’est là une litote. L’affaire Hunter Biden en 2020 en témoigne.


Dès octobre de cette année-là, le Washington Post rapporte que les services s’inquiètent d’une possible opération d’influence russe autour de ce dossier. Le témoignage d’Elvis Chan, agent spécial du FBI, devant le Congrès (2023), évoque même « un risque tangible de recyclage d’actifs russes ». Trump, lui, ignore ces mises en garde et adopte la version amplifiée par les canaux pro-Kremlin, avec l’empressement d’un homme qui préfère toujours le récit venu de loin à la vérité qui se trouve sous ses yeux. Surtout quant il peut opportunément s’en saisir.


Mais c’est dans le second mandat que la mécanique se dévoile vraiment, avec une ampleur presque baroque. L’historien David Colon, spécialiste des propagandes, décrit une transformation institutionnelle si déroutante que l’on pourrait croire à une fable : les États-Unis ont retiré leurs propres serrures tout en prétendant renforcer leur sécurité.


La première étape porte la signature de Pam Bondi, nouvelle ministre de la Justice. Politico (12 mars 2025) révèle qu’elle supprime la Foreign Influence Task Force du FBI, dédiée à la surveillance des ingérences étrangères, et réduit l’usage du Foreign Agents Registration Act, pourtant indispensable pour suivre les réseaux russes. Le New York Times (4 avril 2025) note que jamais, depuis un demi-siècle, le ministère de la Justice n’avait autant affaibli ses mécanismes de protection. On croirait voir un médecin arracher les défenses immunitaires de son patient au moment précis où l’infection se répand.


Puis Trump nomme Tulsi Gabbard, ancienne élue démocrate devenue figure “anti-système”, à la tête de la communauté du renseignement américain (DNI). Le Washington Post (7 mai 2025) rapporte qu’elle dissout le Foreign Malign Influence Center, organe pourtant essentiel pour surveiller les ingérences étrangères. La télévision d’État russe salue la nouvelle avec une joie à peine contenue. Vladimir Soloviev, le principal propagandiste du Kremlin, la surnomme en direct « la fiancée de la Russie ». Peu importe le mauvais goût de la formule : elle dit ce que Moscou voit, ce qu’il espère, et ce qu’il obtient. Enfin, Pete Hegseth, ancien présentateur de Fox News sans expérience stratégique, est propulsé secrétaire à la Défense.


Le Defense Intelligence Journal (septembre 2025) documente la suspension de plusieurs programmes de contre-ingérence numérique et l’interruption d’analyses sur les opérations russes. Il est rare qu’une administration désarme ses propres radars. Il est encore plus rare qu’elle s’en félicite.


C’est dans ce climat qu’émerge le désormais fameux plan en 28 points, dont j’ai détaillé les ressorts dans mes billets précédents. J’ai déjà suffisamment documenté et sourcé. J’ajoute une dernière information. Le National Security Institute (20 novembre 2025) identifie même dans le document des phrases traduites directement du russe, comme si la version américaine avait conservé des traces de son ADN primitif.


Bon. Rien de tout cela, pourtant, n’est une singularité américaine. Ce que l’on voit se déployer à Washington n’est que la partie la plus spectaculaire d’un phénomène plus vaste, qui traverse aujourd’hui l’ensemble du continent européen. Les méthodes d’influence utilisées par Moscou circulent d’un pays à l’autre comme des courants souterrains : elles s’enracinent dans les États baltes, remontent la chaîne des Balkans, s’infiltrent en Europe centrale, et gagnent jusqu’à l’Italie, l’Espagne, l’Allemagne. Même sur le flanc ouest du continent, là où l’on se croyait longtemps immunisé, certains partis politiques et des segments entiers de l’opinion publique répercutent les narrations du Kremlin avec une régularité presque scolaire, comme s’ils avaient adopté un catéchisme venu d’ailleurs.


La guerre informationnelle n’est plus une hypothèse académique. Elle s’exerce chaque jour, avec une efficacité parfois désarmante, façonnant des perceptions, attisant des colères, distordant les priorités collectives. Les forges numériques russes ne fabriquent pas seulement des contenus : elles fabriquent des climats. Dans ce paysage continental, la France apparaît comme un exemple particulièrement parlant. Non parce qu’elle serait plus vulnérable qu’un autre pays, mais parce que, forte de son arsenal nucléaire et de son rôle central dans l’architecture européenne, elle représente une cible dont l’influence dépasse largement ses frontières. Lorsqu’un État doté de la dissuasion devient perméable aux récits hostiles, ce n’est pas seulement son propre destin qui se déforme : c’est l’équilibre stratégique de toute l’Europe qui en ressent la secousse.


L’ensemble dessine une machinerie d’influence complexe, dont la particularité est de ne plus agir seulement depuis l’extérieur. Elle se glisse dans les interstices internes de nos démocraties, emprunte les failles, se greffe sur les colères, les incertitudes, les ambitions personnelles. On chemine alors dans un paysage mental saturé de reflets truqués, où chaque narration semble légèrement déplacée, légèrement altérée, comme si le réel passait par une lentille étrangère. Dès lors, la question n’est plus de savoir si l’influence russe existe ni qui en est le vecteur. La seule interrogation qui mérite encore d’être posée, sans emphase et sans tremblement, est celle-ci :

Combien de temps encore laisserons-nous des récits venus d’ailleurs peser plus lourd dans nos choix collectifs que les principes qui fondent nos démocraties ?


Rudy Demotte


Rudy Demotte est un homme politique belge francophone du Parti socialiste, ancien ministre fédéral et ex‑ministre-président de la Wallonie et de la Fédération Wallonie‑Bruxelles.

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