top of page

Lecornu et la valse des fusibles : la macronie en court-circuit

ree

Dans l'attente d'un nouveau Premier ministre. Photo DR


Le « moine soldat » devait sauver la fin du quinquennat, il n’aura tenu qu’un tour de piste. Après la démission express de Sébastien Lecornu, Emmanuel Macron gagne du temps, faute d’en avoir encore une vision. Pendant que l’Élysée rafistole, Retailleau flirte avec l’extrême droite, sous la bénédiction de Bolloré et Stérin. Peut-on encore compter sur Jupiter pour changer de cap et réparer la panne démocratique avant le probable échouage en 2027 ?


Sébastien Lecornu devait être le Premier ministre de la dernière chance. Après la dissolution de l’Assemblée nationale et les élections législatives qui ont suivi, après les éphémères prestations de Michel Barnier et François Bayrou, le « moine soldat » est le troisième fusible de la macronie à sauter, en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Donc, ça disjoncte pas mal, mais à l’Élysée, le « maître des horloges » a donné 48 h de plus au démissionnaire pour rétablir le courant. C’est en bonne voie, qu’il a annoncé hier soir au « 20 heures » de France 2. Et c’est reparti pour un nouveau tour de piste de 48 h, le temps de panthéoniser Robert Badinter et de faire mijoter la marmite pour que vendredi soir au plus tard, croix de bois, croix de fer, si je mens je vais en enfer, la fumée blanche sorte de la tuyauterie élyséenne. Ni démission, ni dissolution, il y aura donc (sous réserve de surprise, avec Jupiter on ne sait jamais) un nouveau nouveau Premier ministre.


Mais pour faire quoi ? On voit mal Emmanuel Macron, malgré l’isolement où il s’est enferré (même l’un de ses anciens chambellans, Edouard Philippe, a appelé à une présidentielle anticipée), renier la politique qu’il a jusqu’à présent menée bec et ongles. Sans doute est-il conscient, pour maintenir l’illusion d’un pouvoir sérieusement effrité, qu’il faudra lâcher un peu de lest. Seulement un peu. Pas question, semble-t-il, d’adouber la « taxe Zucman », ou alors dans une version très très édulcorée.  Selon toute vraisemblance, le mistigri porterait sur la réforme des retraites. Le terrain a été préparé par Élisabeth Borne, celle-là même qui avait fait passer en 2023, à coups de 49.3, une réforme qu’elle appelle aujourd’hui à suspendre. Hier soir sur France 2, Sébastien Lecornu n’a pas repris à son compte ce souhait d’une « suspension », mais concède-t-il, c’est « un vrai point de blocage », il faudra « trouver un chemin pour que le débat ait lieu sur la réforme ». En d’autres termes : yaka, mon capitaine.


Pas question, pour Les Républicains de monsieur Retailleau-taïaut-taïaut, de revenir ne serait-ce que d’un iota sur ladite réforme. Les socialistes de monsieur Faure ont fait savoir, a contrario, que ce serait une condition sine qua non pour qu’ils acceptent de ne point censurer le gouvernement. Tout cela est connu. Une certaine logique voudrait qu’Emmanuel Macron nomme enfin à Matignon une personnalité de gauche, qui serait évidemment rejetée par les 138 députés lepénistes et ciottistes et les 50 « Républicains », mais qui pourrait, à condition de ne pas entreprendre de réformes trop « radicales », compter sur une certaine mansuétude de la part de ce qui reste du « bloc central ». Mais l’hypothèse est peu probable : Jupiter répugne à la cohabitation, et dans sa dernière allocution, Sébastien Lecornu a préconisé, pour lui succéder, une équipe « complètement déconnectée des ambitions présidentielles ». Raymond Barre est totalement « déconnecté » d’une telle ambition, mais il n’est plus disponible. Alors qui ? La France cherche-t-elle son Mario Draghi ?

 

En Italie, le gouvernement conduit par l’ancien président de la Banque centrale européenne et de la Banque d'Italie a tenu huit mois, de février 2021 à octobre 2022. Qualifié d’ « homme de la Providence » , Mario Draghi a certes été salué pour le « sérieux » de son action gouvernementale, et sans doute a-t-il contribué à redresser la barre économique de son pays, mais avec une gestion « néolibérale » jugée trop favorable au patronat et au système bancaire, qui a provoqué de nombreuses « tensions sociales », notamment autour de la réforme des retraites (là aussi) et du revenu de citoyenneté. A la chute du gouvernement Draghi, la coalition de droite menée par Giorgia Meloni avec son parti Fratelli d’Italia (qui obtenait à lui seul 26% des suffrages), la Ligue et Forza Italia, remportait les élections législatives et décrochait la majorité absolue dans les deux chambres du Parlement.

 

Emmanuel Macron pourrait méditer la leçon italienne, mais c’est sans doute trop lui demander. Peu chaut à Jupiter, semble-t-il, d’imaginer ce qui lui succèdera et de s’employer, s’il est encore temps, à en contrarier le présage. Seul lui importe de tenir, vaille que vaille, contre vents et marées, jusqu’au terme de son second quinquennat. « Je ne veux pas donner les clés du pouvoir à l’extrême droite en 2027 », déclarait-il entre les deux tours des élections législatives. Un brin de lucidité l’obligerait aujourd’hui à constater que la méthode choisie ne se révèle guère efficace.


De n’avoir cessé de cajoler dans le sens du poil Les Républicains (5,4% des suffrages exprimés au premier tour des législatives) n’a pas produit l’effet escompté. Le Prince a, paraît-il, ressenti quelque aigreur à la dernière « retaillade » en date, qui semble avoir précipité la démission expresse de Lecornu. Avant d’en être dissuadé, il aurait, d’après Le Monde, d’abord envisagé une seconde dissolution « pour rendre la monnaie de leur pièce aux Républicains de Bruno Retailleau ». Pense-t-il sérieusement pouvoir rabibocher ces réfractaires, et à quel prix ?

 

Dans la séquence que l’on vient de vivre, un épisode, loin d’être anecdotique, pourrait donner le la de la partition à venir. A Montauban, l’inéligibilité prononcée à l’encontre de Brigitte Barèges, sanctionnée pour financement illicite de campagne (1), a conduit à une législative partielle. Au premier tour, le 5 octobre, le ciottiste Pierre-Henri Carbonnel (soutenu par le Rassemblement national) est arrivé en tête avec 29,5% des voix, suivi de Cathie Bourdoncle (Parti socialiste) avec 24,3%. Bernard Pécou, candidat des Républicains, a obtenu 17,6%, insuffisant, compte tenu du faible taux de participation (34,3 %), pour participer au second tour. Chez Vincent Bolloré, c’est-à-dire sur Europe1-CNews, mardi 7 octobre, Bruno Retailleau n’a pas appelé à faire barrage à l’extrême droite, tout au contraire : « Aucune voix ne doit aller à la gauche », a-t-il proféré. Lui, il sait « rendre la pièce » : en juillet 2024, Brigitte Barèges avait remporté la première circonscription du Tarn-et-Garonne (51,25%) face à la candidate socialiste du Nouveau Front Populaire, grâce au soutien appuyé du Rassemblement national.

 

Il n’est pas sûr que le soutien tacite de Retailleau à l’extrême-droite, dans le Tarn-et-Garonne, fasse l’unanimité dans son propre camp, mais la tambouille semble passer sans trop d’aigreurs d’estomacs. C’est qu’en se rapprochant ainsi du Rassemblement national, suivant peu ou prou la voie du « traître » Éric Ciotti, Bruno Retailleau pense sans doute à une stratégie de survie du parti qu’il préside aujourd’hui. En cas de dissolution et de nouvelles élections législatives, les sondeurs ne donnent pas cher des circonscriptions actuellement détenues par Les Républicains. Et les gages donnés par Emmanuel Macron sont à double tranchant : ils ont certes permis à monsieur Retailleau et à certains de ses amis d’occuper des fonctions ministérielles, et non des moindres, mais les voilà du coup associés à une politique qui est loin d’enchanter les chaumières françaises.

 

Le 15 avril dernier, sur CNews (encore !), dans le contexte d’une discussion sur les alliances possibles entre la droite classique (Les Républicains, etc.) et le Rassemblement national, Bruno Retailleau estimait que le RN était « très à gauche », notamment sur des sujets économiques. Pendant la décennie 2010–2020, alors qu’il était chef du groupe LR au Sénat, Bruno Retailleau a maintes fois expliqué que la droite devait rester fidèle à ses valeurs pour justifier son refus de donner des consignes de vote en faveur du FN. Sa famille politique, disait-il alors, devait se distinguer du Front national en restant fidèle à la République, à l’État de droit et à une vision libérale-conservatrice. Mais ça, c’était avant. Les convictions, c’est un peu comme les girouettes, ça change d’orientation selon le sens du vent…

 

Pendant ce temps, derrière les murs fortifiés de la Villa Montmorency, son gîte dans 16e arrondissement de Paris, Vincent Bolloré a déjà mis le champagne au frais ; et depuis son exil fiscal en Belgique, son ami Pierre-Édouard Stérin (2) boit du petit lait. Comme larrons en foire, les deux milliardaires ont récemment co-organisé, en juin dernier à Paris, le « sommet des libertés », rassemblant des figures de la droite, de l’extrême droite et de la mouvance ultralibérale-conservatrice. On y est presque. On a déjà parlé, à propos de « l’affaire Thomas Legrand – Patrick Cohen », du « Projet Périclès », en partie calqué sur le Projet 2025 de la Heritage Foundation qui a conduit Trump au pouvoir, avec lequel Pierre-Édouard Stérin avance ses pions (Lire ICI).

 

Sans surprise, le « Fonds du bien commun », cheval de Troie prétendument philanthropique de la galaxie Stérin, soutient financièrement certaines initiatives de Bruno Retailleau, et prodigue de façon naturellement désintéressée conseils en stratégie et en communication. Au sein même de la forteresse Beauvau, Jean-Baptiste Doat, ancien coordinateur national des Jeunes pour la France, l’organisation de jeunesse de Philippe de Villiers, mais aussi ex-secrétaire général adjoint de l’évêque de Luçon, fait aujourd’hui office de conseiller en communication au ministère de l’Intérieur. Courant 2024, ce même Jean-Baptiste Doat a conseillé Pierre-Édouard Stérin pour gérer son image, au moment où il commençait à faire parler de lui dans la presse.

 

Jupiter ne peut ignorer ces intrigues d’officines en vue de 2027. La comédie gouvernementale à laquelle on assiste ressemble pour le moment à un jeu de qui perd gagne. Une nouvelle dissolution n’aurait arrangé ni Emmanuel Macron, qui se serait vraisemblablement retrouvé avec une Assemblée encore plus ingouvernable ; ni Bruno Retailleau, car tous les détails d’une possible alliance avec le Rassemblement national ne sont sans doute pas encore fixés, et l’annonce précipitée d’une telle alliance risquait de réveiller le nerf d’un « front républicain » pourtant bien moribond.

 

Alors en attendant, quoi ? Un nouveau et énième rafistolage censé permettre à l’Hermione élyséenne de terminer la traversée quinquennale ? Ou un vrai changement de cap avant l’échouage démocratique qui s’annonce pour 2027 ? A cette heure, rien ne semble augurer que cette dernière option soit sur la table. Plus dur sera le réveil…

 

Jean-Marc Adolphe

 

(1). Deux collaborateurs de la mairie de Montauban ont participé activement à l’organisation de sa campagne électorale, non seulement sur leurs temps de congés, comme elle l’affirmait, mais aussi sur leurs heures de service en tant qu’agents publics et sans suspension de leur contrat de travail.


Les humanités, ce n'est pas pareil. Nous avons fait le choix d'un site entièrement gratuit, sans publicité, qui ne dépend que de l'engagement de nos lecteurs. Dons (défiscalisables) ou abonnements ICI

Et pour recevoir notre infolettre : https://www.leshumanites-media.com/info-lettre


Commentaires


nos  thématiques  et  mots-clés

Conception du site :

Jean-Charles Herrmann  / Art + Culture + Développement (2021),

Malena Hurtado Desgoutte (2024)

bottom of page