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Lionel Sabatté, ambivalences organiques



Une meute de loups réalisés à partir de moutons de poussière : cette œuvre, présentée voici 10 ans à la FIAC, a fait connaître Lionel Sabatté. Avec Éclosion, le Musée d’Art Moderne et Contemporain de Saint Étienne lui offre aujourd’hui une carte blanche. Entre ruine et construction, le « répertoire des matières » de l’artiste s’étend des fragments de peaux mortes et des rognures d'ongles, au métal oxydé, en passant par des souches d'arbres ou des bois brûlés.



Peintre, sculpteur, dessinateur, Lionel Sabatté qui expose pendant encore un mois - jusqu’au lundi 2 janvier 2022 - au Musée d’Art Moderne et Contemporain de Saint Étienne, est aussi poète. Pour s’en convaincre, il n’est qu’à lire les titres qu’il donne à ses expositions. Citons par exemple La Constance des alizés, (2014, Île Maurice), Charbons fertiles (2016, Châteauneuf-le-Rouge en terre provençale), Catwalk, Please do not enter (2017, Los Angeles, USA), La morsure de l'air (2018, Paris) ou encore Qui sait combien de fleurs ont dû tomber (2019, Lyon).

Certains titres plus abstraits ou secrets témoignent d’une pensée concrète en mouvement pour explorer la profondeur des océans (La Fabrique des profondeurs à l’Aquarium du Trocadéro à Paris en 2014) et observer ses créatures vivantes ou disparues, tels les arthropodes à corps « mou » (Marellomorpha à Paris en 2016 ou Marella Spendens à Paris en 2012).


Le mot Échafaudage cache un questionnement presque philosophique : il fait retour dans le titre d’une exposition à Saint Gratien (Val d’Oise) en 2021, après Échafaudage d'un printemps (à Pékin en 2015) ou Échafaudage sur le ressac à La Rochelle (parcours dans la ville sur le thème de l’eau et des ressources naturelles, voir ICI). Et en 2016, Échafaudage d'une éclosion (en Mayenne) annonce l’actuelle exposition stéphanoise : Éclosion. Sur plus de 600 m², Lionel Sabatté nous entraîne dans son univers, dans un mouvement poétique au fil des salles et au gré d’une cinquantaine d’œuvres, entre sculptures, peintures, oxydations sur plaques, installations et dessins. La diversité des supports et des matériaux utilisés contribue à l’enchantement de la visite, comme la variété de dimensions des œuvres qui tantôt nous dominent, tantôt nous obligent à nous pencher pour les regarder de plus près (visages esquissés délicatement sur papier).


S’il ne fait que regarder sans lire les cartels, le visiteur non averti aura du mal à imaginer qu’un grand tissu carré à l’aspect diaphane dans ses couleurs roses et grisées est le fruit de la patiente collecte de milliers de peaux, provenant de la desquamation de nos corps humains, de nos pieds.

L’artiste affectionne la matière organique au plus proche de notre vie, ces traces que nous laissons sans en avoir forcément conscience ou en voulant les faire disparaître en « bonnes ménagères » un peu à courte vue. Comme ces moutons de poussière à partir desquels Lionel Sabatté a réalisé, non sans humour, La Meute (de loups) devenue une œuvre emblématique de son travail pour la FIAC hors les murs en 2011, Jardin des Plantes, Paris.

Oxydation sur plaque de métal (2021). Vue d’exposition, salle « Les morsures de l’air ». Photo Isabelle Favre.


Récemment, l’utilisation du métal oxydé offre un écho troublant au travail sur ces matières infimes. Notre sens du toucher (avec la peau des mains, du corps) est requis, le tact de notre présence devant des œuvres qui manifestent le temps qui passe et son effet sur la matière. Mais cet effet, par un jeu de couleurs chatoyantes, n’a rien de morbide.

Rouille et poussière animent le travail de l’artiste comme en témoignent les titres de deux expositions récentes : Ashes to rust, (2021 à Singapour) ou Chimères de rouille et de poussière (en 2020 à Bages dans l’Aude). On retrouve dans Eclosion un sens du « vivant », de l’évolution, de la vie en mouvement qui s’affirme d’œuvre en œuvre, tout en exigeant du visiteur qu’il se situe, interroge sa condition et la place qu’il occupe dans son milieu de vie, condition et place partagées avec d’autres milieux de vie (animale, végétale et même minérale). C’était aussi le sens de l’exposition au Musée de la Chasse et de la Nature à Paris en 2017, intitulée La sélection de parentèle (voir ICI) : cette expression désigne l'apparition, au cours de l'évolution, d'un comportement altruiste chez des organismes vis-à-vis d'autres organismes (les instincts altruistes augmenteraient avec l'apparentement sous l'effet de la sélection naturelle).

Paroi des ouvertures (réalisation in situ), 2021.

Fer à béton, ciment, filasse, pigments (900 x 2500 cm).

Photo Aurélien Mole / MAMC+, Adagp, Paris 2021


Avec cette Éclosion de créations produites spécifiquement pour le Musée d’Art Moderne et Contemporain de Saint Étienne, Lionel Sabatté désigne des réalités troublantes mais il fait aussi l’Eloge de la métamorphose (2018, Paris) : une métamorphose qui allège le poids de notre métabolisme, en qualifiant la transformation constante de la vie organique, ses constantes et son mouvement.« En cultivant les choses, donc en leur donnant une valeur qui dépasse leur nature, nous nous cultivons à notre tour : et ce don, émanant de nous et revenant à nous, saisit la nature hors de nous aussi bien que la nature en nous », écrivait en 1900 Georg Simmel, dans son volumineux essai Philosophie de l’argent.

Dans ce rapport entre nature et nous, qui n’est pas sans évoquer les engendrements réciproques suggérés par le géographe Augustin Berque (voir entretiens et textes dont les humanités font feuilleton, voir ICI, et Recouvrance. Retour à la terre et cosmicité en Asie orientale, ouvrage à paraître aux éditions Éoliennes à Bastia), les œuvres de Lionel Sabatté entretiennent, entre ruine et construction, une ambivalence qui précipite les cycles du vivant vers de surprenants agencements.


Isabelle Favre


Illustration en tête d’article : Printemps (réalisation in situ), 2021. Châtaigner, peaux mortes, colle et vernis (600 x 450 x 300 cm). Photo Cyril Cauvet / MAMC+, Adagp, Paris 2021.


VIDEO. Rencontre avec Lionel Sabatté, à l'occasion de son exposition "Éclosion" au Musée d'art moderne et contemporain de Saint-Étienne Métropole.


Lionel Sabatté, ÉCLOSION, au Musée d’Art Moderne et Contemporain de Saint Étienne, jusqu’au 2 janvier 2022. https://mamc.saint-etienne.fr/fr/expositions/lionel-sabatte

(Le catalogue d’exposition comprend des textes d’Éric Chevillard, Chris Sharp et un entretien de l’artiste par Aurélie Voltz, Commissaire de l’exposition, Directrice du Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Étienne Métropole.)


Site internet de Lionel Sabatté : https://lionelsabatte.org/




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