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Loi immigration et chant des vivants



Ce 1er février, le conseil des ministres devrait adopter un nouveau projet de loi sur l’immigration, basé sur une « immigration choisie », dans la continuité d’une logique discriminatoire qui rogne chaque fois davantage le droit d’asile, et ignore la complexité et la violence des chemins de l’exil. Des trajets de vie dont l’expérience est mise en images et en voix par Cécile Allegra, dans un film empreint, malgré la dureté des souvenirs à fleur de peau, d’une bouleversante douceur.


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« Nous voulons une immigration choisie ». Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, n’a aucun scrupule à le dire. C’est du Sarkozy, mot pour mot, quand l’ex-Président de la République affirmait, en 2007, que la France « doit accueillir des étrangers auxquels [elle] peut donner un travail, qui ont besoin de se former en France ou qui répondent à ses besoins économiques. »

Le projet de loi sur l’immigration, présenté en Conseil des ministres ce 1er février (le second sous la présidence d’Emmanuel Macron, après la loi dite « Collomb » de 2018), entend créer un nouveau titre de séjour d’un an dit « travail dans des métiers en tension ». Il serait délivré « de plein droit » aux sans-papiers évoluant dans les secteurs en pénurie de main-d’œuvre, dès lors qu’ils présentent huit fiches de paie et trois ans de présence en France. Le texte prévoit en outre de créer une carte « talent » spécifique pour faciliter la venue de médecins, pharmaciens, dentistes et sages-femmes.


Ce projet de loi vient entériner une logique discriminatoire, qui réduit encore un peu plus l’effectivité du droit d’asile. « Souligner l’utilité économique de certaines catégories d’immigrés permet d’accréditer l’idée selon laquelle d’autres seraient au contraire d’une utilité moindre », écrivaient en 2015 Jean-Philippe Foegle et Estreya de Toledo dans la revue Plein Droit. « Cette catégorisation se pare ainsi des atours d’une rationalité économique supposée infaillible. En somme, le recours au concept d’immigration « choisie » ou « intelligente » relève de l’artifice : la recherche de l’effectivité juridique des dispositifs d’accueil des « talents étrangers » ne semble pas être l’objectif principal poursuivi par ses promoteurs. »


Pour Patrick Weil, interviewé dans L’Express, « la loi immigration est une couverture pour ne pas parler de ce qui ne va pas ». Le directeur de recherche au CNRS, spécialiste du droit des immigrés, estime que le texte du projet de loi « donne l’impression d’une politique migratoire sans vision d’ensemble. Comme si le regroupement au ministère de l’Intérieur de toutes les dimensions de cette politique – police, asile, travail, éducation, affaires étrangères et européennes - opérée par Nicolas Sarkozy était un échec. »


Survivant.e.s de l'exil


Et surtout, à ne raisonner qu’en termes de catégories (« métiers en tension », « talents »…), on a l’impression que jamais les migrants ne sont considérés en tant que personnes, avec une histoire, un vécu, des droits et, certes, des devoirs. A ce titre, il n’est pas trop tard pour aller voir Le Chant des vivants, remarquable film de Cécile Allegra, sorti le 18 janvier mais encore visible dans une trentaine de salles en France (dont l’Espace Saint-Michel à Paris)

Cécile Allegra, qui avait remporté le prix Albert Londres en 2016 pour Voyage en barbarie, un film qui dénonçait les tortures systématiques et massives dont font l’objet les hommes et les femmes tombés aux mains des trafiquants d’êtres humains dans le Sinaï, donne la parole, dans Le Chant des vivants, à plusieurs personnes qui ont survécu à l’exil. Venues de plusieurs pays d’Afrique, toutes ont fui la guerre, les persécutions ou la torture. Survivant.e.s de cette longue route de l’exil, des jeunes filles et des jeunes hommes arrivent à Conques, au cœur de l’Aveyron dans un village, sur un chemin de pèlerinage. Au pied de la magnifique abbatiale romane, au milieu des collines, une toute jeune association, LIMBO, entourée d’habitants accueillants, permettent au groupe de se poser un temps. Ces jeunes sont issus d’Érythrée, du Soudan, de Somalie, de Guinée, de République Démocratique du Congo. A Conques, ils marchent, discutent, respirent, mais ne se défont pas du souvenir de la mort qui hante leur mémoire. Elle les rattrape au détour d’un chemin, au creux de la nuit, au gré d’un échange avec les autres à table, au réfectoire. Alors un jour surgit une idée un peu folle. Comme une expérience collective. L’histoire commence à l’automne dans ce petit bout de France et se termine en juillet, dans l’éclat d’un été, au bord de la rivière du Dourdou, qui coule au fond de la vallée. De toutes leurs épreuves, ils feront une chanson avec le concours de Mathias Duplessy, musicien virtuose et protéiforme, grand connaisseur des musiques du monde et des instruments ethniques (chansons du film à découvrir ICI).


« L’expérience dont ce documentaire rend témoignage est bouleversante », en disait Acanthe sur son blog Mediapart. « Bouleversante, aussi du fait que la douceur est le maître mot du film, alors que les maux endurés auraient pu ne créer qu’aspérités et tranchants. Douceur incroyable des traits, et même des gestes de ces réfugiés, si bien qu’une immense beauté infiniment touchante émane de chacun d’eux. Douceur presque caressante de leur diction. Douceur des entretiens qui, à pas prudents et feutrés, essayent de les conduire à accoucher de l’horreur. »

« Je suis une réalisatrice engagée », disait Cécile Allegra lors d’une avant-première du film en Aveyron. « Depuis dix ans, j’interroge et filme sans relâche la fabrication d’un monstre, d’une machine à broyer les êtres. Mes films sont une manière de rendre chair et âme à ceux qui lui survivent, de les pousser vers la lumière. Pour que celui qui regarde ne puisse pas détourner le regard. Pour que celui qui est filmé soit rendu à sa dignité. L’urgence m’habite, celle de filmer, encore et encore, ces déportations, ceux qui ont survécu, et dire l’immensité du crime en cours. »


Isabelle Favre et Nadia Mevel

Photo en tête d'article : photogramme issu du Chant des vivants.



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