Masterclass ukrainienne contre les bombardiers de Poutine
- Jean-Marc Adolphe
- il y a 5 jours
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Dernière mise à jour : il y a 2 jours

Sept milliards de dollars envolés, des bombardiers nucléaires transformés en ferraille, et des drones planqués dans des caisses en bois : l’opération "Toile d’araignée", menée en plein territoire russe, inflige à Vladimir Poutine l’une de ses plus cinglantes défaites. Pendant que le Kremlin continue d’embrigader des enfants pour sa future armée, l’Ukraine démontre qu’avec un peu d’ingéniosité et beaucoup de courage, David peut ridiculiser Goliath — même à 4.000 kilomètres du front.
L’opération a été préparée pendant un an et demi, et les services de renseignement russes n’ont rien vu venir. Pour Poutine, ce n’est pas la moindre des déconfitures, et le Führer du Kremlin aimant très modérément ce genre d’humiliation, il est probable que certaines têtes ne vont pas tarder à tomber dans le haut-commandement de "l’opération militaire spéciale". Hier, 7 milliards de dollars (selon une évaluation ukrainienne) sont partis en fumée sur les bases aériennes de Diaguilevo, d’Olenia, de Diaguilevo, d’Ivanovo Severny, de Voskressensk, et de Belaïa, près du lac Baïkal, à 4.000 km du front. La base sous-marine de Mourmansk a également été touchée. Adieu Beriev A-50 (avions de détection et de commandement aéroportés, essentiels pour la surveillance radar et la coordination des opérations aériennes), Tupolev Tu-95 (bombardiers stratégiques à long rayon d'action, capables de transporter des missiles de croisière nucléaires) et autres bombardiers supersoniques : une quarantaine de ces engins de mort auraient été détruits ou rendus inutilisables.
L’opération Toile d’araignée ("Spider’s Web", en ukrainien : Операція "Павутина") a mobilisé des drones explosifs de type FPV (First Person View), dissimulés dans des conteneurs en bois montés sur des camions, introduits clandestinement en Russie, et stationnés à proximité des bases aériennes ciblées. Ce type de drones peuvent être pilotés à distance à l’aide d’un casque vidéo ou d’un écran qui affiche en temps réel ce que voit une caméra embarquée. Souvent très rapides et agiles, ce qui les rend difficiles à intercepter, ils peuvent être fabriqués à partir de composants bon marché, rendant leur production accessible à grande échelle. Pour préparer au mieux l’attaque, et toucher les cibles avec précision, les services ukrainiens ont entraîné des systèmes de téléguidage assisté par l’IA après avoir modélisé en 3D des avions de l’époque soviétique exposés au Musée de l’Aviation de Poltava (au centre-est de l’Ukraine).
Volodymyr Zelensky avec le chef du Service de sécurité ukrainien (SBU), Vasyl Malyuk
« Nous ne pouvons pas tout dévoiler pour l'instant, mais ces actions ukrainiennes figureront sans aucun doute dans les livres d'histoire », a commenté Volodomyr Zelensky, qui aurait personnellement supervisé l’opération. L’attaque coordonnée du 1er juin vient en tout cas "consacrer" le rôle dévolu aux drones dans la guerre imposée par Poutine à l’Ukraine. Face au Goliath russe, le David ukrainien a sans doute une longueur d’avance en termes de technologie et d’ingéniosité. Et les attaques ukrainiennes sont judicieusement ciblées, quand la Russie, alimentée à jet continu par la Chine, l’Iran et la Corée du Nord, procède par essaims massifs dont le seul objectif est de semer la terreur. Dans la nuit du 31 mai au 1er juin (avant l’opération Toile d’araignée), près de 500 drones ont encore "arrosé" les régions de Kharkiv, Sumy, Odessa, Donetsk, Dnipropetrovsk et Zaporijjia. Parmi les destructions : des immeubles d’habitation, des bâtiments administratifs, et… un centre de loisirs en construction. L’opération Toile d’araignée a sans doute considérablement affaibli la force de frappe russe, et l’Ukraine a une fois de plus montré que la dictature poutinienne n’est ni infaillible, ni invincible, mais sa capacité de nuisance est encore loin d’être annihilée.
Et les drones ne peuvent pas tout. Car sur le terrain, les combats se poursuivent d’arrache-pied. Selon le média indépendant russe Mediazona, qui compile en collaboration avec la BBC les décès confirmés par des sources ouvertes (nécrologies, médias locaux, réseaux sociaux), 76.852 soldats russes ont déjà trouvé la mort sur le font ukrainien depuis février 2022. L'état-major ukrainien affirme de son côté que la Russie aurait subi environ 1 million de pertes (soldats tués, blessés, capturés ou portés disparus) depuis le début de l'invasion. Les gradés russes qui font de leurs hommes une chair à canon sont décorés. En Ukraine, le général Mykhailo Drapatiy, commandant des forces terrestres, vient de présenter sa démission suite à une attaque de missile russe sur un centre d'entraînement au nord de Dnipro, qui a causé la mort de 12 soldats et en a blessé plus de 60.

Le général ukrainien Mykhailo Drapatiy, commandant des forces terrestres, qui vient de présenter sa démission.
« Il s'agit d'une décision mûrement réfléchie, dictée par mon sens des responsabilités face à la tragédie qui vient de se produire », a-t-il écrit hier sur les réseaux sociaux. « Le comportement des soldats est important, mais la responsabilité première incombe toujours au commandement. Ce sont les commandants qui fixent les règles, prennent les décisions et sont responsables des conséquences. (…) Une armée dans laquelle les commandants assument la responsabilité personnelle de la vie de leurs troupes est vivante. Une armée où personne n'est responsable des pertes meurt de l'intérieur. (…) Nous ne gagnerons pas cette guerre si nous ne construisons pas une armée où l'honneur n'est pas seulement un mot, mais une action. Où la responsabilité n'est pas une punition, mais le fondement de la confiance. Où chaque commandant est responsable – de chaque ordre, de chaque décision, de chaque personne – chaque jour. » On a du mal à imaginer semblable déclaration dans la bouche d’un haut gradé russe !
Dans les territoires occupés et en Russie, 136 centres de formation de la future "chair à canon" de l'armée russe
L’armée russe a déjà commencé à incorporer des adolescents déportés d’Ukraine et prépare ses nouveaux bataillons. On sait que Donald Trump a mis fin aux travaux des chercheurs de l’Université de Yale qui enquêtaient sur ces déportations d’enfants. Mais d’autres prennent la relève. En février 2024, l'Ukraine et le Canada avaient lancé la Coalition internationale pour le retour des enfants ukrainiens, visant à coordonner les efforts internationaux pour ramener les enfants déplacés de force. Cette coalition, qui compte aujourd’hui 41 États membres et le Conseil de l'Europe, se concentre sur la coordination des efforts, le partage d'informations et l'alignement des ressources pour faciliter le retour des enfants. Et le gouvernement canadien a, a lui seul, accordé une subvention de 2 millions de dollars à Hala Systems, une entreprise technologique basée à Lisbonne, pour soutenir l'ONG ukrainienne Save Ukraine dans ses efforts de sauvetage d'enfants.
En utilisant des images satellites, des données de téléphonie mobile et des renseignements en sources ouvertes, Hala Systems a pu identifier 136 sites en Russie et dans les territoires ukrainiens occupés où des enfants, parfois âgés de seulement huit ans, seraient détenus. Sans surprise, au moins six de ces centres sont des bases de la Yunarmiya, ce mouvement de jeunesse patriotico-militaire dont nous avons déjà parlé à, plusieurs reprises sur les humanités (1), où des garçons ukrainiens, outre la propagande anti-ukrainienne à laquelle ils sont soumis, sont formés au maniement des armes à feu et aux tactiques militaires. Ce réseau de centres de détention d’enfants ukrainiens, que Mykola Kuleba, directeur de Save Ukraine, qualifie de « goulag moderne », s'étend du sud et de l'est de l'Ukraine occupée jusqu'à Novossibirsk en Sibérie, à plus de 3.300 kilomètres de la frontière ukrainienne.

Des enfants embrigadés par le mouvement patriotique russe Yunarmiya assistent à l'exposition consacrée à l'anniversaire
de la naissance de Mikhaïl Kalachnikov, l'inventeur russe du fusil d'assaut AK-47, à Moscou, le 24 septembre 2019.
Ashley Jordana, directrice du département Droit, politique et droits humains de Hala Systems, indique que ces enfants, dont les plus jeunes ont 8 ans, reçoivent un entraînement militaire quotidien. Réveillés à 6 h du matin, après un petit-déjeuner sommaire, ils sont formés au maniement des armes à feu, au déminage et aux tactiques militaires. L'après-midi, ils participent souvent à des exercices de combat simulé. Une image satellite d’une base de la Yunarmiya à Melitopol (ville occupée) montre des tranchées destinées à cet "entraînement". Les travaux d'aménagement de ce camp d'entraînement auraient commencé en mars 2022, au lendemain de l'invasion à grande échelle.
Pour mémoire, outre les enfants déportés en Ukraine, dont on ignore toujours le nombre exact tout autant que leur localisation ; il y a aujourd’hui, dans les territoires occupés en Ukraine, 1,6 million d’enfants sous contrôle russe. C’est à leur intention toute spéciale, pour former la future chair à canon dont aura besoin l’insatiable machine de guerre russe, que Vladimir Poutine vient de doubler le financement alloué à la Yunarmiya, avec 12,3 millions de dollars pour 2025. Des drones judicieusement calibrés peuvent certes enrayer cette effrayante machine de guerre, qui embrigade dès les plus jeune âge comme aucun autre pays au monde. Mais seule la défaite totale de Poutine et de sa clique pourra lui mettre un terme.
Jean-Marc Adolphe
(1). Voir notamment "Comment russifier les enfants ukrainiens ?, mode d'emploi génocidaire", publié le 24 octobre 2024 : ICI.
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