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Michel Strulovici, colporteur de l’humain


Toute une époque, faite d’engagements. Dans Évanouissements, Michel Strulovici raconte sa jeunesse, dans une famille de juifs résistants communistes, son activisme contre la guerre d’Algérie, son adhésion au Parti communiste, puis ses années de journalisme, à L’Humanité et enfin à la télévision publique, où il a été un ardent défenseur de la place de la culture. Une autobiographie qui est tout autant roman de vie que livre d’histoire.


Voici quelques jours, sur Facebook, Michel Strulovici publiait un commentaire sur un extrait du journal de France 2 consacré à Éric Zemmour : «Sujet: les finances de Z. Pour ce deuxième "reportage" en quatre jours, identique quant au thème, aucune mention n'est faite du banquier d'extrême droite Charles Gave qui, de notoriété publique, finance le pétainiste Z. Ce silence n'est plus un oubli, c'est une volonté affirmée de ne pas informer les téléspectateurs. France 2 soutient donc Z.» Expéditif, sans doute. Mais une colère justifiée, venant d’un journaliste, aujourd’hui retraité, qui connait bien France 2 pour y avoir été, entre autres, rédacteur en chef du service culture.

Dans Évanouissements, l’autobiographie que Michel Strulovici vient de publier aux éditions du Croquant, les pages consacrées à ces années de télévision publique sont sidérantes. Militant communiste, journaliste à L’Humanité puis à La Nouvelle Critique, Michel Strulovici fut engagé par France 2 (à l’époque, Antenne 2) en 1982, peu après la victoire de Mitterrand à l’élection présidentielle, avec une poignée d’autres journalistes communistes, frappés jusqu’alors d’interdit professionnel à la télévision. C’était une époque où Internet et le numérique n’existaient pas encore : « Le reportage s'apparentait au tournage d'un film. Nous utilisions des bobines de pellicule pour réaliser notre travail. Il nous fallait donc développer les rushs et interrompre, au mieux, deux heures et demie à l'avance notre réalisation pour être présent au journal suivant. » Il est d’abord affecté au service de politique étrangère, après avoir été, pour L’Humanité, envoyé spécial permanent au Vietnam, entre 1975 et 1977, alors que fuitent les premiers soupçons sur les exactions des Khmers rouges de Pol Pot au Cambodge voisin : Michel Strulovici raconte cela sans fard.

A la télévision, le récit, savoureux, que fait Michel Strulovici de certains reportages plus ou moins épiques, se double de commentaires éclairants sur la fabrique de l’information télévisuelle, le rôle des présentateurs ou présentatrices (notamment l’époque Ockrent – Poivre d’Arvor), des chefs de services et de la rédaction. La starisation des présentateurs fut, aux yeux de Michel Strulovici, « la première étape de la confiscation du débat démocratique au sein des rédactions. » Il porte un regard particulièrement acide sur le tandem formé par Olivier Mazerolle (nommé directeur de l’information en mars 2001) et le présentateur David Pujadas, avec « l’arrivée d’une équipe partisane d’une information fondée sur le presque rien où le fait divers prit de plus en plus d’importance. » Une ligne éditoriale porteuse selon Michel Strulovici d’une « idéologie cachée » qui a contribué à la banalisation de l’extrême-droite et à la présence de Le Pen au second tour de l’élection présidentielle de 2002.

Une époque, convient-il d’ajouter, où la part de la culture a été réduite à sa plus simple expression : elle n’entrait pas dans la « ligne populiste » alors défendue. Or, même si son nom est aussi attaché à la création d’émissions généralistes (comme Envoyé spécial), la culture aura été le grand combat de Michel Strulovici à la télévision publique. En lisant les souvenirs qu’il rapporte dans Évanouissements, on se laisse gagner par une certaine ferveur, à l’évocation de certains moment marquants : un hommage à René Char, quasiment improvisé, le jour de sa disparition ; les répétitions d’un spectacle de Luc Bondy avec Bulle Ogier et Michel Piccoli ; les premiers directs depuis le Festival d’Avignon ; une interview avec Antoine Vitez et Jeanne Moreau, etc, etc. C’est encore à Michel Strulovici que l’on doit, très largement, une attention soutenue à la danse contemporaine. Et on mesure, en le lisant, l’opiniâtreté qui fut nécessaire pour que la culture, parfois considérée comme du « jus de crâne », puisse exister sur le petit écran. Un âge d’or, si on le compare à la situation actuelle, affligeante.

Il notait en 1975, dans un article alors co-écrit avec Serge Goffard dans La Nouvelle Critique : « La télévision n’est pas seulement le plus formidable des quotidiens d’information, elle est aussi le plus puissant des supports à la diffusion de la culture dans notre pays. » Relire cela, quarante-cinq ans plus tard, donne la mesure de ces « évanouissements » dont Michel Strulovici a fait titre pour les 630 pages d’une autobiographie qui ne se limite bien évidemment pas à ces seules années de télévision.

« Fifi gars du maquis », bande dessinée publiée par le journal communiste Vaillant.


Évanouissements ? Le livre aurait tout aussi bien pu s’intituler « Engagements », tant ceux-ci constituent le fil conducteur d’une vie : d’une histoire de vie autant que d’une vie dans l’Histoire. Né de parents juifs, résistants communistes, c’est avec eux que Michel Strulovici débute son récit. La mémoire de son oncle, arrêté et fusillé au Mont Valérien, le 4 juin 1942, reste particulièrement vive : « Je pensais souvent à ses derniers instants, ces quelques heures qui vous séparent d’une disparition certaine, au courage qu’il faut pour affronter cet inéluctable néant. L’enfant que je fus absorba, comme une éponge, la violence de l’époque. » Et après-guerre, c’est encore le souvenir de la Résistance qui s’impose, par exemple à travers une bande dessinée, « Fifi le gars du maquis », que publiait alors Vaillant, le journal pour enfants du PCF.

Un tel environnement familial façonnera naturellement, aurait-on envie de dire, une conscience anti-fasciste, puis une adhésion précoce, à 14 ans, aux Jeunesses communistes, alors que la France vivait le tout début de la guerre d’Algérie : « Dans mon quartier, les travailleurs algériens étaient en nombre. En face de chez moi, rue Marcadet et rue des Poissonniers, deux hôtels où ils s’entassaient les accueillaient. Et cette proximité rendait encore plus palpable cette guerre dont il était interdit de prononcer le nom. » Michel Strulovici ne se pose pas en tant qu’historien, mais le témoignage qu’il livre de ces années-là, entremêlé de souvenirs familiaux et personnels, est intéressant à plus d’un titre. Distribution de tracts, vente de L’Humanité-Dimanche, collage d’affiches, au risque d’être pourchassés par la police ou des milices d’extrême-droite. L’époque était loin d’être tranquille. Qui se souvient ainsi de l’attaque menée par 3.000 nervis, le 7 novembre 1956, contre le siège du PCF (alors sur les Grands Boulevards) qui fit trois morts dont deux militants communistes, et de nombreux blessés ? Et puis, bien sûr, il y eut la terrible répression qui s’abattit contre les manifestations algériens la nuit du 17 octobre 1961, que Michel Strulovici qualifie de « Saint-Barthélemy moderne ».


Auberge de Jeunesse à Peyreleau, dans les Gorges du Tarn.


Conciliant tant bien que mal ses études lycéennes avec un militantisme assidu (qu’il partage alors avec sa « fiancée », Lydie), Michel Strulovici évoque aussi de premières vacances à Peyreleau, dans les Gorges du Tarn, dans une Auberge de Jeunesse : « Les Auberges avaient été créées au moment du Front populaire. Elles étaient encore dépositaires de cet esprit de partage et d’espoir. Et le prix de leur nuitée était dérisoire. Bien sûr, n’ayant que peu de moyens financiers, nous avions voyagé en stop… » Et aussi, à Paris, les fêtes de quartier qu’organisait la cellule communiste, « au coin des rues Marcadet, Labat et des Poissonniers » : « Il est difficile d’imaginer aujourd’hui, époque de cérémonies, certes nécessaires, mais oh combien empesées, le rôle inclusif, d’intégration pour tous, dans notre société, son histoire, sa morale, ses valeurs, que jouaient alors les communistes. »

Georges Marchais, aux côtés de François Mitterrand et de Robert Fabre

lors d'une manifestation du Comité national d'action laïque, le 9 décembre 1972, à Paris,

quelques mois après la signature du Programme commun. Photo AFP


Cette époque-là est bel et bien évanouie. Le rappel qu’en fait Michel Strulovici, non exempt d’une certaine nostalgie, demeure pourtant d’une énergie combative. La petite histoire, celle de ces engagements quotidiens, de son lot de rencontres et d’amitiés, n’est pas souvent narrée de façon aussi vivante. Elle se double, dans Évanouissements, d’un regard lucide sur l’évolution du Parti communiste. Sans y avoir été directement mêlé, Michel Strulovici en a été quand même été un observateur (engagé) de premier plan, en tant que journaliste à L’Humanité, puis au sein du comité de rédaction de La Nouvelle Critique, une revue dont le rayonnement intellectuel, tout au long des années 1970, fut considérable. Là encore, ce qu’il rapporte des déchirements au sein du Parti communiste, entre tenants d’une orthodoxie « stalinienne » et, d’autre part, d’un « eurocommunisme » notamment porté par l’Italien Enrico Berlinguer, jusqu’à l’éclatement (sciemment provoqué par Georges Marchais) du programme commun de gouvernement en 1974, est particulièrement instructif, y compris pour éclairer la genèse de l’époque contemporaine.


En 1984, 25 ans après y avoir adhéré, Michel Strulovici démissionnait du Parti communiste, rejoignant ainsi, écrit-il, « la longue cohorte des ex-communistes que l'on se plaisait à définir comme le premier parti de France. Mais tout au long de cet éloignement, jusqu'à aujourd'hui, je suis resté fidèle à certains de mes engagements de jeunesse dont la lutte contre les racismes, les ségrégations, les injustices et les inégalités sociales. Je me sens pour toujours lié aux démunis et à la nécessaire transformation de ce système. Tout en rejetant ce qui se pratiqua en mon nom dans les pays de supposées démocraties populaires, je n'ai pas dérivé comme beaucoup de mes amis vers les rives du néo-conservatisme. »

La fibre de cet engagement court de la première à la dernière ligne d’Évanouissements, livre de colporteur : «Face à la montée de la barbarie, j’ai voulu, modestement, devenir un colporteur de l’humain.» Respect, camarade Strulovici !


Jean-Marc Adolphe


Michel Strulovici, Évanouissements,

éditions du Croquant, 630 pages, 24 €.

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