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Israel Galván en babouches


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Photo Yohanne Lamoulère 


Entre théâtre, danse et « performance sociale », Israel et Mohamed déconcerte autant qu’il intrigue : scénographie datée, humour de cabaret, mais aussi une matière autobiographique forte où se rejouent les rapports père-fils, la filiation flamenca d’Israel Galván et le naturalisme poétique de Mohamed El Khatib, jusqu’à un final d’anthologie qui, à lui seul, vaut le déplacement.


Disons qu'Israel et Mohamed est une pièce. Une pièce de théâtre-danse, plutôt que de danse-théâtre. Car si, sur l'affiche, le nom du bailaor devance celui du comédien-dramaturge, c'est sans doute dû à sa notoriété et non au fait que la production se soit basée sur l'ordre alphabétique des prénoms de Galván et d'El Khatib. Peut-on dire qu'on ait assisté à un spectacle de danse, voire de "danse documentaire", comme indiqué par le programme ?C'est, si l'on veut, si l'on y tient, un peu comme celui de Carmen, dont compte a été rendu ici : un spectacle avec de la danse. Avec un peu plus de danse et plus de gags, de trouvailles et de réflexions sur l'art, somme toute, que dans celui de la Philharmonie. Ne serait-ce que le solo historique de Galván, en fin de soirée, qui redonne ou reconstitue celui lui ayant permis de prendre l'alternative de chorégraphe à Cordoue, en 1995 et qui vaut, à lui seul, le déplacement.


Le décor de la pièce justifie-t-il que les programmateurs du Centre Pompidou considèrent Mohamed El Khatib comme un "plasticien" ? Dramaturge, peut-être, comédien, sans doute, vidéaste, tout un chacun ne l'est-il pas, plus ou moins, de nos jours ? Pour le reste, le doute est permis, tant la scénographie est désuète, réduite à deux autels votifs en bois brut et à une méchante bâche en matière plastique bleue dissimulant jusqu'à la conclusion un élément architectural symbolique. Sans parler des éclairages approximatifs ou des tenues de scène discutables. Le spectacle, si c'en est un, n'a pas la "grande richesse artistique" annoncée. Ce qui ne veut pas dire que sa valeur "humaine" soit à mettre en doute. Les éléments autobiographiques des deux protagonistes nous en apprennent beaucoup sur eux et leur famille à la fin du siècle dernier. Après sa pièce de 2014, Finir en beauté, traitant de sa mère, Mohamed El Khatib a voulu analyser son rapport au père. Un passage comme celui où il lui apporte sa gamelle à l'usine métallurgique enfumée est éloquent et touchant. Galván confesse pour sa part avec humour qu'il ne supportait plus les cris des chanteurs de flamenco qu'il lui fallait se fader jusqu'à 4 heures du matin dans des tablaos comme "El Embrujo" de Séville où il se produisait, qui lui rappelaient les "Ay!" des Témoins de Jéhovah qu'il avait à subir les dimanches matins...


La forme théâtrale s'avère aussi à l'ancienne mode. S'y enchaînent des scènes ou des tableaux proches en fait des sektches de cabaretiers populistes des années 1960 comme Fernand Raynaud. Sauf que le seul en scène devient ici un "deux en scène". Malgré tout, les monologues brident les velléités de dialogues. Pour ce qui est de l'appellation "performance sociale", on peut s'interroger : Mohamed El Khatib s'inspire-t-il des idées théoriques d'un Pierre Bourdieu ou de l'art "sociologique" d'un Fred Forest ? Le naturalisme poétique qui l'anime lui permet d'échapper au "réalisme socialiste" d'antan. Il faut reconnaître que son texte ne manque ni de sensibilité ni d'esprit. Et, pour une fois, l'usage de la vidéo cosignée Zacharie Dutertre et Emmanuel Manzano est pertinent, qui donne la parole aux pères. Elle nous en apprend de belles, sur les uns et sur les autres. On pense à l'épisode de la calvitie d'Israel jusqu'à l'âge de dix ans qui n'est pas mentionné dans le récent documentaire que lui a consacré la télévision espagnole. Le gros plan sur José Galván, les yeux tournés vers la cour, joue le rôle de contrechamp au solo emblématique donné au même ce moment par son fils. Les animaux fétiches ont leur raison d'être : le chevreuil qui, faute de grive, remplace à l'occasion le mouton sacrificiel de l'Aïd el-Kébir et le perroquet qui prolonge les propos et insiste sur le bégaiement du danseur.


Last but not least, l'entame et le final d'Israel et Mohamed sont très réussis. La salle restant encore éclairée, l'échauffement ou entraînement des deux footeux prend allure chorégraphique. L'influence incontestable de Mario Maya sur la danse israélienne (si l'on peut se permettre cet adjectif) jugée un peu trop spéciale, voire un peu trop efféminée par un paternel attaché à la tradition (autant, à sa manière, que que celui de Mohamed), est évoquée par une archive en noir et blanc de 1974 montrant le duo dansé par le (futur) père de Belén Maya et Eduardo Serrano Iglesias (aka El Güito). La danse d'Israel en djellaba (vêtement devenu unisexe de nos jours) prouve, s'il le fallait, l'ouverture d'esprit du Sévillan. Celui-ci reprend la routine qui lui permit d'obtenir en 1995 le prix Vicente Escudero au concours national des arts du flamenco de Cordoue - rêve non réalisé par son père. Dans un numéro de zapateado avec Mohamed, pastiche et hommage à celui de Mario Maya avec El Güito, ils sont coiffés afro, façon Angela Davis, une mode suivie dans les seventies par les Gitans et par les footballeurs. Auparavant, Galván Jr nous gratifie d'un assourdissant taconeo, chaussé de babouches, amplifié par Pedro León.


Nicolas Villodre



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