Nagasaki, de l'Histoire au présent
- Nicolas Villodre
- il y a 3 jours
- 4 min de lecture

Photo Pierre Grosbois
Inspiré du récit poignant de Sumiteru Taniguchi, survivant du bombardement de Nagasaki, Le Facteur de Nagasaki revisite le théâtre nô à la lumière de l’histoire moderne. Présentée à la Maison de la culture du Japon à Paris, cette création mêle tradition et mémoire, esthétisme ancestral et émotion contemporaine.
La Maison du Japon vient de présenter Le Facteur de Nagasaki, une pièce de théâtre nô inspirée du livre The Postman of Nagasaki/Le Facteur de Nagasaki (1984) de Peter Townsend et du film éponyme de Mika Kawase et d’Isabelle Townsend (ICI) retraçant l’histoire de Sumiteru Taniguchi, un hibakusha ou survivant du bombardement atomique américain de Nagasaki le 9 août 1945 qui a suivi celui d’Hiroshima.
L’œuvre est mise en avant comme un « nô contemporain », plus en raison de son thème que de la forme utilisée, laquelle n’a rien d’expérimental. Le récit évoque un événement historique relativement récent, qui date certes du siècle dernier mais non de ceux qui le précèdent qui ont fixé les lois du genre. Pour la première fois, ainsi que l’a signalé Jean-Marc Adolphe (ICI), le masque d’un des deux protagonistes de la pièce, créé par le maître Kôkun Ôtsuk, représente l’auteur du livre, Peter Townsend – il ne s’agit pas du guitariste du groupe rock The Who mais de l’écrivain et ex pilote de chasse de la Royal Air Force. Ce par quoi la pièce relève de l’autofiction et de la docufiction.
La modularité de la salle boisée de la Maison du Japon permet qu’y soient programmés tous types de spectacle, toutes sortes de disciplines artistiques et scéniques. Pour Le Facteur de Nagasaki, le public est réparti bi-frontalement. Pour changer, nous avons opté pour une vue de profil, nous plaçant côté jardin par rapport à la toile du fond figurant un pin noueux taillé niwaki, de couleur pétante, pas loin du rideau quasiment arc-en-ciel dissimulant la coulisse et d’une passerelle étroite qu’on nomme hashigakari, de celles qu’empruntent les acteurs du nô mais également ceux du kabuki. Comme il se doit, la scène est carrée, balisée par quatre pilastres de cèdre.
Photos Pierre Grosbois
De bois aussi sont composés les masques représentant auteur et facteur. De hinoki ou cyprès, plus précisément, lustré, ciré, patiné un très long temps par les couches de vernis et de teintes, comme le sont de nos jours certains souliers de luxe, sur-mesure, cousus main – rappelons que le bottier Alessandro Berluti, à l’instar de Gepetto, fut ébéniste à ses débuts. Les tenues de scène sont somptueuses, confectionnées dans les matières les plus nobles. Une costumière les déploie, en ôte une couche, si besoin est, les transforme littéralement, en change les couleurs qui ont certainement valeur symbolique – le rouge d’une parure signifiant la blessure, l’échaudure, la brûlure.
La musique de cet opéra du genre « monde rêvé » (mugen-nô) est minimaliste, à base de notes suraiguës à la flûte (nōkan), de tapes sèches avec deux ou trois phalanges sur de petits tambours (kotsuzumi) par deux percussionnistes marquant le coup en émettant de gutturales interjections, de rythmes et contre-rythmes à la baguette du tambour major (ôtsuzumi) de Shonosuke Okura, auteur du livret dont les vers sont chantés par un chœur (ji-ta) de l’école Hôshô. Les artistes méritent tous d’être cités : Reijirô Tsumura, Masayuki Fujii, Masaru Hara, Hiroaki Ogasawara, Shônosuke Ôkura, Yukihiko Yokoyama, Shinya Ueda, Toshihiko Katô, Mami Itamoto, Aoi Takabatake, Shuga Fujii, Yoshihiro Ueno, Satoko Kashiwayama, Defaux Franck-Olivier. La danse, car danse il y a au finale, est d’une remarquable sobriété. Ralentie au maximum. Des mouvements simples, amples, majestueux qui en imposent. Ils sont la marque même sinon de la contemporanéité, du moins de la modernité de l’œuvre.
Nicolas Villodre

Le spectacle de nô Le Facteur de Nagasaki a été présenté à la Maison de la culture du Japon à Paris du 9 au 11 octobre, en clôture de l'événement "Se souvenir de Nagasaki", en partenariat avec les humanités. Nous avons accompagné ce "temps fort" par une série d'articles et d'entretiens.
A suivre à la Maison de la culture du Japon à Paris : Exposition Isao Takahata, pionnier du dessin animé contemporain, de l’après-guerre au Studio Ghibli, du 15 octobre au 24 janvier 2026 ; Kitty, mise en scène de Satoko Ichihara (Festival d'automne à Paris), du 6 au 8 novembre ; et à l’occasion du 80e anniversaire de la fin la Seconde Guerre mondiale, seront projetés deux films traitant de la bombe atomique de manière radicalement différente : La Harpe de Birmanie, de Kon ichikawa (1956, version restaurée), le 19 novembre à 19 h ; et La Princesse errante, de Kinuyo Tanaka (1960, version restaurée), le 17 décembre à 19 h.
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