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Philippe Souaille

Poutine, quelle mafia !


Journaliste d'investigation britannique, longtemps correspondante du Financial Times à Moscou, Catherine Belton est l’auteure de Les hommes de Poutine. Comment le KGB s’est emparé de la Russie avant de s’attaquer à l’Occident. Le journaliste, cinéaste et politologue franco-suisse Philippe Souaille commente cette enquête édifiante qui raconte la montée au pouvoir de Vladimir Poutine et d’un petit groupe d’hommes du KGB.


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Quelle mouche a bien pu piquer Poutine pour qu’il commette cette folie, renvoyant la Russie au temps du goulag et les Russes au ban des nations ? Pour Catherine Belton, c’est en fait tout le KGB qui préparait sa revanche depuis près de 40 ans. Poutine n’en aurait été que le catalyseur, faute de mieux. Un instrument passablement déficient, tant les choses étaient mal emmanchées au départ. Elles ont hélas encore plus mal tourné par la suite, pour le malheur du monde entier, mais de l’Ukraine et de la Russie en particulier. D’une volonté de revanche et de reconstruction nationale face à l’arrogance américaine, qui aurait pu prendre la forme d’une saine concurrence, comme pour l’Allemagne ou le Japon en leur temps, il a extrait l’énergie, détournée à son profit pour bâtir un Empire de la corruption… qui mène tout le pays à la ruine. En endossant consciemment le rôle du méchant de James Bond, Poutine s’est en fait enfermé dans celui du Dr Folamour. Pour nous fournir les clés du puzzle, Catherine Belton a réuni des dizaines de témoignages, jusque tout en haut de la hiérarchie russe, passée et présente. Tout commence en 1985 à Dresde, où Poutine est le N°2 d’une antenne locale du KGB qui sert d’interface entre l’est et l’ouest. C’est là que convergent les flux finançant les réseaux soviétiques en occident. Le schéma est encore simpliste : l’URSS vend au prix soviétique (très bas) d’énormes quantités de matières premières à des hommes d’affaires (ou des truands) russes passés à l’ouest, mais liés au KGB. Qui revendent ensuite au prix du marché occidental, beaucoup plus élevé. Les centaines de millions de dollars de l’époque de bénéfice sont réinjectés dans les réseaux prosoviétiques ou pacifistes, mais aussi, plus discrètement, anti-nucléaires et même, déjà, nationalistes. L’argent paie aussi l’achat en contrebande de technologies militaires et « sensibles » occidentales qui transitent par Dresde, ville modeste et discrète, loin du Berlin-Est gavé d’espions occidentaux. L’embargo est contourné en utilisant les canaux de grosses sociétés allemandes ayant des clients ou des filiales à l’est, comme Siemens. Poutine surveille la sécurité et la loyauté de tous ces prête-noms, qui gèrent des sommes considérables pour le compte du KGB. Plusieurs deviendront ses alliés les plus proches comme Timotchenko et certains se retrouveront cadres hauts placés de la Deutsche Bank, impliquée jusqu’au cou dans ces transferts, y compris le scandale Trump. Une autre partie de l’argent est aussi thésaurisé et investi à l’ouest, car les têtes du KGB « extérieur » ont compris que le retard technologique et le déficit de prospérité nés du communisme ne pouvaient que s’aggraver. L’argent est donc mis à l’abri pour aider à redresser la Russie après sa chute inéluctable. Les attaché-case russes remplis de billets sont alors monnaie courante à Genève, jusqu’à ce que le Procureur général Bernard Bertossa s’en émeuve. Ce que ne dit pas Catherine Belton, c’est que le KGB copie le modèle allemand : dès 1943, des cadres allemands (issus du renseignement ou des milieux industriels plutôt que du parti nazi) avaient mis de l’argent de côté, qui fut utilisé après-guerre par Adenauer pour relancer l’activité politique et la machine industrielle. On pense aussi aux réseaux Gladio de la CIA, implantés préventivement en Europe en cas d’invasion soviétique. . A Dresde, l’argent sert aussi à financer les opérations clandestines au moyen orient et en Amérique latine ainsi que le terrorisme international, en direct ou par le biais de la STASI. Des gauchistes de la Rote Armee Fraktion et du FPLP pro-palestinien de Carlos ont rencontré Poutine. Certains d’entre eux finiront à l’extrême-droite 40 ans plus tard, mais il est vrai que leurs instructeurs de la STASI étaient souvent d’anciens nazis. Les gens que Poutine côtoie à Dresde font des affaires avec le monde entier : de la crème du KGB (comme Evgeni Primakov) aux dictateurs d’Afrique et du Moyen Orient en passant par les maffieux russes de New York qui, dès cette époque, utilisent Trump pour blanchir leur argent. Qui est donc, aussi, un peu celui du KGB. . Plus tard, à Saint-Pétersbourg, Poutine utilise ces liens et ce savoir-faire, en y ajoutant des connexions étroites avec la pègre locale, qu’il avait déjà un peu fréquentée à l’adolescence. Le port de commerce, principale activité économique de la ville, est mis en coupe réglée. Des chantiers navals travaillant pour la défense nationale aux cargos de minerais en passant par les chargements de cocaïne, l’argent noir coule à flots. C’est la clé du pouvoir et Poutine commence à en accumuler, mais de manière collégiale, pour l’organisation. Promu à Moscou, il passe à la vitesse supérieure et son don réel pour la duplicité – cultivé à l’école du KGB – fait des miracles. Il parvient à convaincre tout le monde qu’il va faire A quand en réalité il prépare B. Les proches d’Eltsine qui l’ont mis en selle pour empêcher le retour des vieux guébistes communistes qui soutenaient Primakov s’en mordent depuis longtemps les doigts. C’est désormais l’économie de la Russie toute entière qui tombe entre les mains de sa clique d’anciens cadres intermédiaires du KGB revanchards et avides de pouvoir. Les Occidentaux n’y voient que du feu, achetés ou simplement attirés par les flots d’argent qui s’écoulent de la Russie vers l’Ouest. Poutine et son gang ruinent le pays mais à leurs yeux, c’est pour la bonne cause, à savoir la revanche sur l’occident. Ce qui ne les empêche jamais, bien sûr de prendre leurs dîmes généreuses au passage. Mais quand d’aucuns parlent de 200 milliards d’avoirs en mains de Poutine, qui est le chiffre réaliste de la fortune accumulée, ils oublient qu’une bonne part s’est envolée en pots de vins divers, achats de technologies clandestines ou de complicités inavouables. Ceci dit, Poutine et son gang ont tellement pillé qu’ils ne peuvent plus s’arrêter. Se retirer fortune faite tient du vœu pieu quand vous avez escroqué un pays entier. Des hordes de jeunes siloviki affamés veulent en croquer à leur tour. Soit vous les nourrissez (et quoi de mieux pour cela que la conquête) soit vous serez la proie. Ce n’est pas par hasard que Setchine, l’âme damnée de Poutine veut placer son fils à la tête des Républiques du Donbass… La pieuvre maffieuse a aujourd’hui étendu ses tentacules jusqu’aux plus profondes entrailles de nos mondes, à l’image de premiers ministres, d’anciens chanceliers et même d’un Président des États-Unis en exercice. Trump fut un coup de maître. Cela fait plus de trente ans que ses casinos et ses «Trump Tower » servent à grande échelle de blanchisserie à la mafia russe, directement connectée au Kremlin. Pourtant, il passe entre les gouttes et l’argent russe avec lui. Les Occidentaux gagnent de l’argent en Russie et Poutine apparait comme le garant de la stabilité du pays. Pourquoi s’en priver ? Poutine et les siens y ont gagné un sentiment d’impunité renforcé d’une double certitude : 1) L’Occident est trop mou et dégénéré pour réagir 2) Avarice et corruption nous empêcheront de couper vraiment les ponts, ce qui reste leur hantise.

Depuis six mois, le Kremlin doit commencer à comprendre qu’il s’est trompé, mais il est trop tard. Sauver le régime au prix du sacrifice de Poutine serait envisageable, mais tant que personne ne pourra être certain que le complot ne sera pas rapporté au "tsar", cela reste très improbable. Lecture donc vivement recommandée pour en connaître les détails : Les Hommes de Poutine de Catherine Belton, en français chez Talent Éditions (titre original : Poutine's People: How the KGB Took Russia and Then Took On the West, publié en 2020.


Philippe Souaille


Producteur de fictions et de documentaires pour le cinéma et la télévision (http://www.adavi.ch/), Philippe Souaille a notamment travaillé pour la Tribune de Genève, Radio Lac et la Télévision Suisse Romande.


(Le titre de cet article est de la rédaction des humanités)


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