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Pérou : une "campagne d'extermination" contre des peuples non connectés

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Sur une photo récemment publiée, on aperçoit depuis les airs une maloca (maison communautaire) d’un peuple non contacté.

Photo AIDESEP/Survival International


En rejetant la création de la réserve Yavarí Mirim, le Pérou tourne le dos à ses peuples les plus vulnérables. Un million d’hectares d’Amazonie livrés aux appétits économiques : la forêt et ses derniers gardiens paient le prix fort. Et pendant ce temps, le gouvernement péruvien, conduit par un Premier ministre d'extrême-droite, déclare l'état d'urgence à Lima où, là aussi, la Gen Z manifeste sa colère...


L’Amazonie péruvienne a perdu une bataille décisive. Le Congrès de Lima a rejeté début septembre la création de la réserve indigène Yavarí Mirim, un territoire de plus d’un million d’hectares à la frontière du Brésil destiné à protéger plusieurs peuples vivant en isolement volontaire. Cette décision, dénoncée par les organisations autochtones et environnementales, illustre la dérive d’un État incapable de concilier ses promesses écologiques et ses ambitions économiques.


Le projet de réserve, initié il y a plus de vingt ans par l’Organisation régionale des peuples indigènes de l’Oriente (Orpio) et soutenu par l’AIDESEP, visait à garantir un espace de vie pour les Matsés, Matis, Korubo, Kulina-Pano et Flecheiro — des communautés qui ont choisi de fuir tout contact avec le monde extérieur après des décennies de violences et d’épidémies. Leur isolement volontaire est leur seule protection. Or, en refusant la reconnaissance légale du territoire, le Parlement péruvien ouvre la voie à de nouvelles concessions forestières et minières dans une région déjà infiltrée par le narcotrafic et l’exploitation illégale du bois.


Le vote a immédiatement suscité une vague d’indignation. « C’est un coup porté à notre existence même », a déclaré Beltrán Sandi, président de l’Orpio. Pour les défenseurs des droits des peuples autochtones, la décision du Congrès équivaut à une violation directe de la loi PIACI, qui impose la protection des Indiens en isolement et en premier contact. Selon Mongabay, plusieurs élus auraient ignoré les avis du ministère de la Culture et les mises en garde scientifiques attestant de la présence avérée de ces groupes dans la zone.


Les ONG rappellent qu’un contact involontaire peut être fatal : l’introduction d’un simple virus ou d’une bactérie pourrait décimer des communautés entières. Dans le sillage du rejet parlementaire, les organisations comme Survival International et Amazon Conservation Team ont publié des communiqués alarmants dénonçant une « décision cynique dictée par le lobby des hydrocarbures ». Elles redoutent une intensification rapide de la déforestation dans un espace stratégique pour la régulation climatique du bassin amazonien.


Ce revers révèle les contradictions d’un Pérou tiraillé entre son image de pays vert et la réalité d’une Amazonie sacrifiée à la recherche de profits immédiats. Pour les peuples invisibles de Yavarí Mirim, ce vote n’est pas un simple échec politique : c’est la promesse d’un silence définitif. Car dans la forêt, quand les machines arrivent, même la mémoire des peuples s’efface.


Et ce n'est pas fini : le projet de loi déposé par un député ultra-conservateur, Jorge Luis Flores Ancachi (impliqué en 2023 dans un scandale de corruption), vise à ouvrir toutes les aires naturelles protégées du Pérou à l’exploitation pétrolière et gazière, en annulant une loi antérieure sur la protection des peuples indigènes en isolement volontaire. Les associations autochtones et écologistes y voient une tentative de « génocide légal » des communautés les plus vulnérables, et qualifient cette démarche de « projet de loi sur l’extermination ».


Sources : Survival International (29 septembre 2025), Amazon Conservation Team (10 septembre 2025), Courthouse News (9 septembre 2025) et Mongabay (7 septembre 2025).

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Un manifestant brandit un drapeau péruvien tandis qu'une poupée en carton brûle devant le Congrès lors d'une manifestation

contre le nouveau président Jose Jeri à Lima, au Pérou, le mercredi 15 octobre 2025. Photo Martin Mejia / AP


En complément : au Pérou aussi, la Gen Z


À Lima, des manifestations — initiées par la génération Z et relayées sur TikTok — ont dégénéré en affrontements violents, faisant au moins un mort et une centaine de blessés, dont plusieurs journalistes. La victime, Eduardo Ruíz, un rappeur de 32 ans, a été tuée par balle lors d’un rassemblement massif. Le parquet péruvien a ouvert une enquête pour « graves violations des droits humains », alors que les vidéos montrent un homme tirant en pleine rue après avoir été accusé d’être un policier infiltré.


Au départ centrées sur les revendications économiques — salaires, retraites et emploi des jeunes —, les manifestations se sont élargies à une dénonciation générale de la corruption, de l’impunité politique et de l’incompétence gouvernementale. La nomination d’Ernesto Álvarez, un juge d’extrême droite actif sur les réseaux sociaux, au poste de Premier ministre a attisé la colère. Il avait qualifié les jeunes manifestants de « bande voulant s’emparer de la démocratie ». Les protestataires accusent également le président Jeri, récemment élu après la destitution de Dina Boluarte, d’avoir soutenu des lois favorables aux réseaux criminels et d’avoir été impliqué dans une affaire de viol — classée sans suite mais toujours controversée. Lors des marches, les slogans « El violador es Jeri » (« Le violeur, c’est Jeri ») ont résonné dans les rues de la capitale.


Au Pérou, depuis le 10 octobre dernier, le président de la République est José Jeri, qui assure la présidence par intérim jusqu’en juillet 2026, à la suite de la destitution de Dina Boluarte pour « incapacité morale permanente ».

José Jeri, ancien président du Congrès péruvien, a prêté serment pour former un gouvernement de transition dont la mission principale est de stabiliser un pays miné par la montée du crime organisé et les manifestations sociales. Ce nouveau chapitre politique s’inscrit dans une décennie d’instabilité : le Pérou a vu sept présidents se succéder en moins de dix ans, la plupart écartés par destitution ou scandales de corruption.


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