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Quand le "Rêve géorgien" tourne vinaigre


A Tbilissi, un projet de loi visant à désigner ONG et médias comme "agents de l'étranger", sur le modèle russe, met le feu aux poudres. Un projet anti-démocratique promu par le parti au pouvoir, "Rêve géorgien", mais inspiré par Bidzina Ivanichvili, un puissant oligarque qui tient à conserver ses privilèges et ses bonnes relations avec le Kremlin. Hier soir, 50.000 personnes ont encerclé le parlement géorgien. Contre leur désir de démocratie et d'Europe : déluge de canons à eau et de gaz lacrymogènes.


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DERNIERE MINUTE :

Postérieurement à l'écriture de cet article, ce matin du jeudi 9 mars, le parti au pouvoir en Géorgie a annoncé le retrait du projet de loi controversé visant ONG et médias : « En tant que parti de gouvernement responsable envers chaque membre de la société, nous avons décidé de retirer de façon inconditionnelle ce projet de loi que nous soutenions », a déclaré le parti du Rêve géorgien, dans un communiqué publié sur son site. Pour l'heure, la démocratie triomphe donc. Restons vigilants...


Un regard d'aigle. Tel est, bien souvent, le signe distinctif des prédateurs.

Depuis la luxueuse résidence de verre (évaluée à 50 millions de dollars, conçue par l'architecte japonais Shin Takamatsu) qui surplombe Tbilissi, Bidzina Ivanichvili est aux aguets. Du centre de la capitale géorgienne remontent des effluves de gaz lacrymogènes.


L'oligarque Bidzina Ivanichvili, dans sa luxueuse propriété en surplomb de Tbilissi.

De gauche à droite : photos DR, Justyna Mielnikiewicz /New York Times et Daro Sulakauri / New York Times


Officiellement retiré de la vie politique géorgienne, après en avoir été Premier ministre d'octobre 2012 à novembre 2013, Ivanichvili avait précédemment créé une coalition, le Rêve géorgien, qui est encore aujourd'hui majoritaire au sein du Parlement. Ça aussi, c'est un des signes distinctifs des prédateurs : corrompre jusqu'aux mots les plus prometteurs. Celui de "rêve", par exemple. Aujourd'hui, le "Rêve géorgien" tourne vinaigre, et celui qui tire les ficelles de ce funeste scénario n'est autre que Bidzina Ivanichvili, comme le rapporte Emmanuel Gryndzpan dans Le Monde. Un temps, il a fait mine de promouvoir la démocratie, tant que cela profitait à son business. Aujourd'hui, la démocratie l'importune, et il a les moyens de lui tordre le cou. Cet ex-diplômé de l'Institut des chemins de fer de Moscou a fait fortune dans l'industrie métallurgique après l'effondrement de l'Union soviétique. La banque qu'il a ensuite créée, Rossiysky Kredit (qu'il a vendue en 2012 pour 352 millions de dollars) lui a permis d'atteindre le statut convoité d'oligarque. Dans des proportions qui défient l'entendement : sa fortune, évaluée à 4,8 milliards de dollars par le magazine Forbes, représente... un quart du PIB géorgien. Un cas unique au monde.


L'actuel Premier ministre géorgien, Irakli Garibachvili, qui a été et reste un employé de Bidzina Ivanichvili (il a dirigé la fondation caritative du milliardaire et travaillé dans sa banque, ainsi que pour la maison de disque de son fils) applique sans broncher les consignes données par le boss, dont la “résistance à la pression occidentale” reçoit les éloges du Kremlin. De quelle "pression occidentale" parle-t-on ? En mars 2022, de son propre chef, la Géorgie a déposé sa demande d'adhésion à l'Union européenne, sous la pression d'une opinion publique qui n'a que très modérément le désir de retourner le giron ex-soviétique, et encore moins depuis le début de la guerre en Ukraine.

Lors des manifestations à Tbilissi, les 7 et 8 mars 2023


Mais voilà que le bât blesse. Car on n'entre pas dans l'Union européenne comme dans un moulin. Il faut montrer patte blanche, ou plus exactement apporter certaines garanties, notamment en termes de lutte contre la corruption, ou encore de transparence de la vie politique. Et ça, ça n'arrange pas du tout les affaires de M. Ivanichvili. Il a beau vivre dans un palais de verre, la transparence, c'est pas son fort.

Pas question pour autant de retirer, un an après l'avoir déposée, la demande d'adhésion à l'Union européenne. La ruse, c'est que l'Union européenne ferme d'elle-même la porte à la Géorgie. D'où un projet de loi sorti de façon apparemment impromptue du chapeau législatif du "Rêve géorgien". « L’objectif de Bidzina Ivanichvili est de faire en sorte que l’UE rejette le statut de candidat de la Géorgie, explique ainsi au Monde Giorgi Badridze, expert en relations internationales et ancien diplomate. Il pouvait prétendre mener une politique pro-occidentale tant qu’il n’y avait pas beaucoup d’exigences en matière de réformes. Mais la demande du statut de pays candidat a été le moment de vérité : l’UE a dû examiner les antécédents de la Géorgie et poser des conditions préalables spécifiques pour s’assurer que le pays était éligible. »


Inspirée par l'exemple russe, la loi en débat au parlement vise à ce que toutes les organisations dont plus de 20 % du financement proviennent de l’étranger s’enregistrent en tant qu’« agents étrangers », sous peine de se voir infliger de lourdes amendes. Un projet répressif qui ressemble comme deux gouttes d'eau à la loi russe adoptée en 2012, ensuite utilisée par le Kremlin pour saper le pouvoir de la société civile, bâillonner les médias indépendants et anéantir toute opposition.


« Vous êtes des traîtres prorusses », s'est indignée à la tribune du parlement géorgien la députée Ana Tsitlidze en désignant les membres de la majorité.

Pour intimider les opposants, le parti à pouvoir à dégainer propagande et délation, avec des affiches collées dans les rues de Tbilissi (ci-contre) qui montrent dix personnalités désignées comme « espions diffamant l’Église ». Curieux comme, dans le même registre qui prévaut en Russie, les "valeurs traditionnelles" sont érigées par ceux qui veulent se débarrasser de la démocratie...

La liste du programme populiste-conservateur comprend ainsi l'interdiction des "déclarations offensant les sentiments religieux" et l'imposition d'amendes aux médias et aux arts pour avoir publié de la "propagande homosexuelle". Un air de déjà vu...


Le peuple géorgien n'est pas dupe de l'entourloupe. Après une première manifestation dans le centre de Tibilissi mardi soir, 50.000 personnes se sont rassemblées hier, 8 mars, autour du parlement géorgien. Au bout de quelques heures, les manifestants ont été chassés sans ménagements à coups de canons à eau et avec un usage massif de gaz lacrymogènes. La partie est loin d'être finie.


Jean-Marc Adolphe

Le 8 mars au soir, autour du parlement, à Tbilissi


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