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Reprendre la Crimée d’ici l’été (et autres nouvelles poutinophobes)


Un brin d’optimisme ne saurait nuire. « La Crimée nous sera rendue. Tout a commencé en Crimée en 2014, et tout s'arrêtera là », déclare dans une interview au Washington Post Kyrylo Budanov, le jeune chef des services de renseignements militaires ukrainiens. Objectif : « d’ici l’été ». Et à suivre, dans cette chronique d’en guerre : l’étrange décès du "soldat" kirghize Ayan Alisherov dans la bataille de Bakhmout, les peines de prison qui pleuvent en Russie pour "fausses nouvelles" ou "terrorisme", et la dénonciation d’un prestigieux musée pour non-conformité avec les "valeurs morales et spirituelles" récemment décrétées par Vladimir Poutine.


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Le général de division Kyrylo Budanov, 37 ans, est le chef des services de renseignements militaires ukrainiens. Vers la fin février, il était l’un des rares à être certain que la Russie était sur le point de mener une attaque massive, avec l’intention de prendre Kiev, alors que la plupart des autres responsables gouvernementaux et militaires ukrainiens s'attendaient à ce que l'invasion de la Russie soit limitée à la partie orientale du pays plutôt qu'à une attaque massive sur trois fronts. Dans les cercles politiques ukrainiens, il est respecté comme la seule personne - avec les services de renseignement américains et britanniques - qui a correctement averti des mois à l'avance de ce que la Russie préparait.

Dans une interview au Washington Post, Kyrylo Budanov vient de confier ses "prévisions" pour 2023. Selon lui, la Russie s'efforcera d'occuper davantage de territoires dans les régions orientales de Donetsk et de Louhansk. Une nouvelle offensive de ses forces stationnées au nord de l'Ukraine, en Biélorussie, lui semble peu probable. Et une nouvelle mobilisation russe ne l’effraie pas outre mesure. Selon lui, la Russie a épuisé plus de 90% de son stock de missiles à longue portée Kalibr…

Dans son bureau, Kyrylo Budanov, le jeune chef des services de renseignements militaires ukrainiens. Photo Dmytro Larin.


En revanche, après les attaques de drones en décembre sur la base aérienne russe d'Engels à Saratov, à plus de 370 miles de la frontière ukrainienne, sans confirmer que ses forces spéciales étaient à l'origine de ces frappes, Kyrylo Budanov affirme qu'il faut s'attendre à d'autres frappes et que l'Ukraine a des agents travaillant à l'intérieur de la Russie : « Tant que l'intégrité territoriale de l'Ukraine ne sera pas restaurée, il y aura des problèmes à l'intérieur de la Russie. » Au sein-même du Kremlin, ajoute-t-il, « il y a des gens qui comprennent que la Russie doit être différente. Et nous soutenons ces personnes ».

« Nous devons tout faire pour garantir le retour de la Crimée chez elle d'ici l'été », ajoute Kyrylo Budanov : « la Crimée nous sera rendue. Tout a commencé en Crimée en 2014, et tout s'arrêtera là ». Lorsqu'on lui demande si cette vocation à reprendre la Crimée pourrait inciter Vladimir Poutine à utiliser l’arme nucléaire, Budanov répond que « c'est une tactique de peur. (…) La Russie est un pays dont on peut attendre beaucoup de choses, mais pas une idiotie pure et simple. Effectuer une frappe nucléaire n'entraînera pas seulement une défaite militaire pour la Russie, mais l'effondrement de la Russie. Et ils le savent très bien. »


Soupçonné d’avoir organisé en 2016 l’assassinat en Crimée d’un lieutenant-colonel du FSB russe, Kyrylo Budanov est évidemment dans le collimateur du Kremlin, qui l’a encore désigné comme instigateur de l’explosion sur le pont de Crimée en octobre dernier. En 2019, une bombe a été placée sous sa voiture mais a explosé prématurément. C’était l’une de la dizaine de tentatives d'assassinat qui l’ont visé à ce jour. Aujourd’hui, il sort peu, et vit principalement dans son bureau, où de la musique classique est diffusée 24 heures sur 24. Par amour de la musique, ou pour brouiller d’éventuelles écoutes ?


L’annonce de la mort d’Ayan Alisherov dans la presse kirghize


Suite Wagner : Que faisait le soldat Ayan Alisherov en Ukraine ?


Les funérailles d’Ayan Alisherov, 30 ans, ont eu lieu le 23 janvier dans son village natal de Rakhmanzhan. Tué au combat près de Bakhmout le 24 novembre 2022.

Problème : Rakhmanzhan est au Kirghizstan, et Ayan Alisherov n’aurait jamais dû se trouver en Ukraine. Le ministère des affaires étrangères du Kirghizstan a déclaré à plusieurs reprises sa position neutre sur la guerre en Ukrainen et le code pénal kirghize prévoit une responsabilité pour la participation à des conflits armés, y compris en tant que mercenaire, sur le territoire d'autres États, ainsi que pour l'organisation, le financement ou le recrutement de personnes à ces fins. Auparavant, les autorités kirghizes avaient à plusieurs reprises exhorté leurs citoyens à ne pas prendre part à des conflits militaires sur le territoire d'autres pays.

Alors, quoi ? Ayan Alisherov était emprisonné en Russie depuis 2019, pour des délits d'"enlèvement" et d'"extorsion" qu’il contestait avoir commis. « Mon fils a été emprisonné sur la base de fausses accusations », indique sa mère, Rahatay Abdivaliyeva : « J'ai participé au procès. Lors de la dernière audience, il a plaidé non coupable et a demandé au tribunal de l'acquitter. Il a été condamné à sept ans d'emprisonnement dans une prison de Mordovie. On se parlait périodiquement au téléphone. Le 2 octobre, il m'a appelé et m'a dit qu'il retournait au Kirghizstan, qu'il serait libéré dans six mois, qu'il avait l'intention de se marier. Je ne comprends pas comment il est arrivé en Ukraine. »


Rahatay Abdivaliyeva a demandé à plusieurs reprises à l'ambassade du Kirghizstan en Russie l'extradition de son fils pour qu'il purge sa peine dans son pays d'origine. Selon Saltanat Mitieva, qui travaille comme interprète pour les procès de citoyens kirghizes en Russie, la décision avait été prise en juin 2022 d'extrader Ayana Alisherov vers le Kirghizstan. cette décision n’a jamais été mise en œuvre.

Ayana Alisherov a-t-il été alléché par la promesse d’une réduction de peine faite par Evgueni Prigojine, le patron de la milice Wagner ? Ou a-t-il été recruté de force ? En tout cas, ce n'est pas le premier cas d'un Kirghiz tué dans la guerre en Ukraine dans les rangs de l'armée russe. Deux citoyens kirghizes qui ont combattu en Ukraine aux côtés de l'armée russe sont enterrés au Kirghizstan, ainsi que plusieurs citoyens kirghizes qui avaient obtenu la citoyenneté russe. Par ailleurs, fin décembre, plusieurs combattants se sont évadés d’un camp d’entraînement de Wagner dans la région de Louhansk. Parmi eux, il y avait plusieurs ressortissants du Kirghizistan et de Biélorussie, et trois ouzbeks.

Pour Evgueni Prigojine, les combattants de Wagner ont un seul passeport : mercenaire.


A lire en complément : sur BFM TV, le témoignage d’Andreï Medvedev, un Russe de 26 ans réfugié en Norvège, après qu’il ait déserté les rangs de Wagner : « Tôt ou tard, la propagande en Russie cessera de fonctionner, le peuple se soulèvera et un nouveau dirigeant émergera ».


Case prison, et case prison

A gauche : Anatoly Marchenko, un dissident de l'ère soviétique mort au goulag en 1986.

A droite : Alexeï Navalny lors d’une audience au tribunal de Moscou, le 2 février 2021. Associated Press


Depuis la colonie pénitentiaire où on ne lui épargne aucune brimade (depuis sept mois déjà), l’opposant Alexeï Navalny compare le système carcéral russe au goulag soviétique, « mais avec une chapelle dans chaque zone ». Dans son dernier message transmis à l’extérieur, Navalny dit qu’il est frappé par les mémoires d'Anatoly Marchenko, un dissident de l'ère soviétique mort en 1986, à 48 ans, après une grève de la faim de 117 jours en faveur des prisonniers politiques en Russie (il a reçu le prix Sakharov à titre posthume en 1988). « À chaque page, je suis étonné non pas tant par les similitudes entre les deux systèmes, mais par le sentiment qu'il s'agit exactement du même système. » Au cours de ses sept mois dans la colonie pénitentiaire, Navalny n'a eu droit qu'à un seul appel téléphonique, un seul colis de l'extérieur et pas une seule visite d'un membre de sa famille. « Le système », ajoute Navalny, « vise à déshumaniser les détenus, à les maltraiter et à les exploiter en fonction des intérêts illégaux du régime. »


Alexander Nevzorov


Huit ans de prison pour "fausses nouvelles". Ce mercredi 1er février, un tribunal russe a condamné le journaliste (et ancien député à la Douma) Alexander Nevzorov à huit ans d'emprisonnement dans une colonie pénitentiaire, pour avoir diffusé des "fausses nouvelles" sur l'invasion de l'Ukraine. Les « fausses nouvelles » en question : l’armée russe a bombardé la maternité de Marioupol…

L'accusation a également demandé au tribunal d'interdire à Nevzorov de publier des contenus en ligne pendant quatre ans après avoir purgé sa peine de prison. Nevzorov a toujours critiqué le gouvernement de Poutine pour avoir déclenché la guerre. Il s'est également montré impitoyable envers la société russe, qu'il a accusée d'avoir été complice de l'invasion. Comme d'autres Russes qui contestent le monopole de l'État sur les faits relatifs à la guerre, Nevzorov a été accusé de désinformation en vertu de la nouvelle loi russe contre les "fake news" sur l'armée.

Mais le journaliste ne devrait pas purger sa peine : Alexander Nevzorov a quitté la Russie peu après le début de l'invasion. Il s’est réfugié avec son épouse en Ukraine et a obtenu en juin dernier la nationalité ukrainienne. Son site Web a évidemment été bloqué par le censeur russe Roskomnadzor.


"Terrorisme". Un tribunal du district autonome de Khanty-Mansi a condamné un homme de 20 ans, Vladislav Borisenko, à douze ans de prison pour terrorisme, pour avoir participé à un incendie criminel dans un bureau d'enrôlement militaire en mai, selon l'agence TASS. En compagnie d’un acolyte, Vladislav Borisenko avait jeté sept ou huit cocktails Molotov dans un bureau d'enrôlement militaire, provoquant un petit incendie. C'est la première fois en Russie qu'une personne est condamnée pour terrorisme pour avoir mis le feu à l'un de ces bureaux. (source : Meduza)

A propos de "terrorisme" : Vladimir Poutine vient de signer un décret qui simplifie la mise en œuvre des alertes à la menace terroriste dans les régions de Russie. La loi russe prévoit trois niveaux d'alerte au terrorisme qui confèrent aux autorités locales des pouvoirs d'urgence spécifiques, allant d'une alerte "bleue" modérée à un niveau d'alerte "rouge" critique. En vertu de la législation antérieure, les autorités pouvaient placer une région en état d'alerte terroriste pour une durée maximale de 15 jours. Désormais, une fois déclarée, une alerte restera en vigueur jusqu'à son annulation. Dans le passé, seule l'alerte "rouge" permettait aux autorités de fouiller les véhicules privés à la recherche d'armes et d'explosifs. En vertu de la nouvelle loi, cela deviendra possible dans le cadre du protocole d'alerte "jaune". Depuis l'invasion de l'Ukraine, plusieurs régions de Russie, dont celles de Belgorod, de Briansk et de Koursk, ainsi que certaines parties de la Crimée, ont eu recours à l'alerte terroriste "jaune".

Dans la région de Sverdlovsk, le FSB vient d’annoncer avoir arrêté trois jeunes gens qui, selon les services de renseignement, préparaient et menaient des attaques terroristes sur une voie ferrée "sur les instructions de radicaux ukrainiens"…


Apothéose de la guerre (1871), Un tableau de Vassili Verechtchaguine exposé à la Galerie Tretiakov.

Militaire, Vassili Verechtchaguine était connu comme peintre de batailles. Il a réalisé cette toile après son déplacement en Asie centrale.

L’idée a été inspirée par la légende sur le khan mongole Tamerlan, qui laissait prétendument de tels amas de cranes

sur les champs de bataille. « Dédié à tous les grands conquérants anciens, actuels et à venir », dit l’inscription.


Musée et valeurs traditionnelles


Le ministère russe de la Culture a ordonné à la Galerie Tretiakov de Moscou de mettre ses expositions "en conformité avec les valeurs morales et spirituelles [de la Russie]", a rapporté mardi le Moscow Times, citant une lettre adressée au musée par Natalia Chechel, fonctionnaire du ministère, en réponse à un rapport déposé par un visiteur du musée nommé Sergey Shadrin, qui s'est plaint que la Galerie Tretiakov ne respectait pas les « valeurs traditionnelles » décrites dans le décret signé par Poutine le 9 novembre dernier, et comprenait "des œuvres contenant des signes d'une idéologie destructrice" ainsi que des expositions qui produisent "un profond pessimisme" et "des sentiments de vide et de désespoir". Il a également noté que certaines peintures de la seconde moitié du 20e siècle représentent "l'alcoolisme" et "des funérailles [...] en présence d'éléments sociaux marginalisés", et s'est en outre plaint que dans une série de peintures représentant La Cène, "il est impossible de dire quelle personne est Judas."


Cette lettre de dénonciation a d’ores et déjà comparée à un fameux discours de Nikita Khrouchtchev, alors premier secrétaire du Comité central du PCUS, lors d'une exposition au Manège en 1962. Il avait qualifié les peintures qu'il avait vues de "merde" et de "bavures", ordonnant de "tout interdire" et de "mettre fin à cet outrage".

La galerie d'État Tretiakov est un musée de Moscou, fondé en 1856, qui possède l'une des plus importantes collections au monde : plus de 140 000 pièces de collection, dont 15 000 tableaux, la majorité œuvres d'artistes russes, 4 500 icônes et sculptures, et une centaine de milliers de dessins et divers documents graphiques.


Par ailleurs, le site internet du Musée de l’Ermitage, à Saint-Pétersbourg, a été hacké le 29 janvier. L’écran d’accueil du site s’est mis à afficher des informations sur le massacre de Boutcha, que la Russie continue à présenter comme « fausses d’informations ». Le site de l’Ermitage a été promptement désactivé. Rappelons que le directeur de ce prestigieux musée, Mikhaïl Piotrovski, soutient sans réserve la guerre en Ukraine (voir article publié le 3 juillet 2022 par les humanités)


L’IMAGE DU JOUR (en tête d’article)

Les funérailles d'Oleksandr Korovniy, un soldat ukrainien tué dans la bataille de Bakhmut, lundi à Sloviansk. Photo Yasuyoshi Chiba/Agence France-Presse.


Une pensée pour tous ceux qui ont déjà perdu la vie dans une guerre qui n’aurait jamais dû être. Et une pensée pour toutes celles et tous ceux qui, laissant au vestiaire leur vie "ordinaire", civile, ont rejoint les forces ukrainiennes dès le début de l’invasion russe, depuis bientôt un an.


Jean-Marc Adolphe


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