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Survivre à Nagasaki

Dernière mise à jour : 25 sept.

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Masque représentant Peter Townsend, créé par Kôkun Ôtsuki pour Le facteur de Nagasaki, spectacle

de Nô contemporain qui sera présenté du 9 au 11 octobre 2025 à la Maison de la Culture du Japon à Paris.

Photo Yamazaki Kenji


240.000 habitants, 74.000 morts. Il y a 80 ans, trois jours après Hiroshima, une seconde bombe atomique (au plutonium) faisait de Nagasaki un désert de cendres. Et après la bombe, les hibakusha – atomisés survivants – n'eurent pas vraiment la vie facile. Le récit de l'un d'eux, Sumiteru Taniguchi, jeune facteur lors de l'explosion, est entré dans l'Histoire avec un livre de l'écrivain Peter Townsend. Ce sera, avec film documentaire et spectacle de Nô contemporain, le fil conducteur d'un événement présenté début octobre par la Maison de la culture du Japon à Paris. Se souvenir de Nagasaki : un devoir de mémoire qui reste d'une brûlante actualité.


C’était il y a 80 ans. Au Japon, l’été devint soudain crépusculaire. Trois jours après Hiroshima, le 9 août 1945 à 11 h 02, une nouvelle bombe atomique, cette fois-ci au plutonium, baptisée "Fat Man", fut larguée sur Nagasaki par le bombardier B-29 américain Bockscar. L’explosion fit naître un soleil artificiel, brûlant tout sur son passage, et emporta près de 74.000 vies (sur les 240.000 habitants que comptait alors Nagasaki) dans les volutes d’un champignon atomique qui monta si haut dans l’atmosphère qu’il sembla vouloir rivaliser avec l’aube.

 

Au sortir de la guerre, le Japon refusait la capitulation sans conditions exigée par les Alliés lors de la conférence de Potsdam, espérant un accord négocié qui sauvegarderait au moins la dignité de l’empereur. Mais la volonté politique et militaire américaine – intransigeante, pressée d’en finir et de signifier au monde la puissance nouvelle de l’atome – précipita le lancement de deux bombes, à Hiroshima puis Nagasaki.

 

« La bombe avait anéanti sa cible, "la zone urbaine de Nagasaki", plus complètement encore que Truman et ses planificateurs militaires n’avaient pu l’espérer », écrit Peter Townsend dans Le Facteur de Nagasaki, un ouvrage initialement paru en 1984, réédité en mars dernier aux Belles Lettres, et qui constitue le fil conducteur d’un événement présenté début octobre par la Maison de la Culture du Japon à Paris.


« Elle avait transformé sur toute sa longueur la vallée de l’Urakami en vallée de la mort », poursuit Peter Townsend. « Cette plaisante contrée que la nature avait généreusement dotée en fleurs, en arbres et en animaux, animée par la vie et l’industrie des hommes, était devenue en un instant, dans un éclair aveuglant, un sinistre désert de cendres et de ruines en flammes, jonché de cadavres carbonisés et mutilés. Les êtres vivants, tous ceux qui pouvaient encore marcher ou même ramper, fuirent cet enfer en direction des eaux fraîches du fleuve. Bientôt l’Urakami fut rempli de cadavres que le courant emportait vers le port, de défunts dont les esprits, privés de la fête de l’Obon ce mois d’août, ne seraient pas accompagnés par les habituels adieux enjoués de leurs proches au moment de partir pour leur résidence lointaine de l’autre côté de la mer. Ils ne formaient plus qu’une masse anonyme d’âmes jetées sans cérémonie dans l’oubli. »

 

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Minoru Moriuchi et Kumiko Arakawa, deux hibakusha, survivants de la bombe atomique à Nagasaki,

photographiés en 2017 par Haruka Sakaguchi dans le cadre du projet 1945.


Au cœur du chaos, des récits ont pu surnager, insistants comme le bourdonnement du matin gris qui suivit la déflagration. Ils parlent de la lumière aveuglante, de la chaleur qui les chassa hors d’eux-mêmes, de la souffrance qui devint leur lot quotidien. Les témoignages des hibakusha – atomisés survivants – se sont peu à peu mués en héritage de douleur et de dignité, tissés dans la mémoire collective du Japon. En 2017, la photographe Haruka Sakaguchi a rencontré une cinquantaine de ces 50 hibakusha, joignant à leurs portraits lettres et témoignages destinés aux générations futures. Intitulé 1945 (voir ICI), le projet a d’abord été exposé au Centre Nobel de la paix à Oslo de 2017 à 2018 ; l’an dernier, il a été adapté en programme pédagogique par le Centre Nobel de la Paix.

 

Pour les hibakusha, la vie d’après fut marquée par la maladie, les stigmates physiques, la solitude et une discrimination tenace. Les pathologies irradiantes, les cancers et la honte sociale rongeaient les corps et les cœurs. A Hiroshima, ce n’est qu’en 1956 qu’un hôpital leur fut dédié, et l’assistance médicale instaurée au Japon, à condition de produire des preuves souvent impossibles, parfois des témoins d’un instant que la mort avait balayés. Aujourd’hui encore, la bataille des survivants se poursuit – non seulement pour exister et faire entendre leur voix, mais aussi pour pérenniser le message de paix que leur mémoire porte.

 

Au-delà des souffrances individuelles, ces survivants ont fait corps — militant pour la paix, pour l’abolition des armes nucléaires, pour que leur histoire serve d’avertissement. Se souvenir de Nagasaki, ce n’est pas seulement rappeler la date d’une explosion ; c’est tenir la main d’un passé qui demande à être entendu, c’est écouter le chuchotement des villes rasées qui, par la mémoire de ceux qui restent, refusent de se muer en simple leçon d’histoire. La bombe a marqué des corps et des terres ; la réponse humaine, elle, se mesure dans la voix de ceux qui s’efforcent de transformer la blessure en engagement pour que jamais plus la science ne serve d’ultime verdict contre l’humanité.

 

Sumiteru Taniguchi, "le facteur de Nagasaki", était l’un de ces survivants emblématiques, celui dont Peter Townsend a recueilli le témoignage. Ardent défenseur du désarmement nucléaire, il était devenu en 2010 coprésident de "Nihon Hidankyo", la Confédération japonaise des survivants des bombardements atomiques, qui a reçu le Prix Nobel de la Paix en 2024. Une récompense tardive que Sumiteru Taniguchi, décédé des suites d’un cancer le 30 août 2017 à l’âge de 88 ans à Nagasaki, n’aura pas pu célébrer, mais qui prouve que son travail de mémoire et son engagement n’auront pas été vains. 80 ans après Hiroshima et Nagasaki, le « vibrant plaidoyer pour la paix » dont la Maison de la culture du Japon à Paris se fait l’écho, reste d’une brûlante actualité.


J-M. A


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  • Cet article est le premier d'une série de publications consacrée à l'événement "Se souvenir de Nagasaki", du 7 au 11 octobre 2025, dans le cadre d'un partenariat éditorial entre les humanités et la Maison de la culture du Japon à Paris, avec :

    - Le facteur de Nagasaki, documentaire de Mika Kawase et Isabelle Townsend, projection-rencontre le 7 octobre à 19 h (6 €, tarif réduit 3 €),

    - Le Facteur de Nagasaki, spectacle de Nô contemporain, les 9 et 10 octobre à 20 h, le 11 octobre à 15 h (20 €, tarif réduit 18 h).

    Maison de la culture du Japon à Paris, 101 bis quai Jacques Chirac, 75015 Paris.

    www.mcjp.fr






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