Des régions rurales laissées pour compte par la défaillance de l’État colombien, qui plus est abîmées par 50 ans de conflit armé. Avec des Programmes de développement à vocation territoriale, l'Accord de Paix signé voici cinq avec les FARC avait pour ambition de réparer la dette historique supportée par ces territoires et leurs populations. La mise en œuvre de ces programmes s'avère chaotique. A dessein ?
En pleine mer des Caraïbes, l’île colombienne de la Providence est un petit paradis. Sauf que le 16 novembre 2020, en quelques heures, l’ouragan Iota a quasiment tout dévasté sur son passage, détruisant 98% des habitations. Bravache, le président Ivan Duque s’était précipité au chevet du désastre pour annoncer que tout serait reconstruit en 100 jours. Cela ne semblait pas hors de portée, pour les 17 kilomètres carrés de l’île et ses 5.000 habitants ; d’autant que l’aide internationale est venue en renfort, le gouvernement colombien recevant notamment 600.000 dollars de la Chine et 100.000 dollars des États-Unis.
Sur l'île de la Providence, en novembre 2020, après le passage de l'ouragan Iota.
Un an plus tard, la Providence est encore loin du compte. En juin dernier, sept mois après la catastrophe, seules deux des 1.134 maisons impactées avaient été reconstruites. Aujourd’hui encore, des centaines de personnes dorment toujours sous des tentes d’urgence. Même l’hôpital n’a pas été reconstruit.
Zully Archbold, 53 ans, agricultrice (après avoir fait des études de tourisme aux États-Unis), leadere communautaire au sein du service d’action communale, est particulièrement remontée : « le gouvernement a fait venir des gens qui ne savaient rien. C'est pourquoi nous avons eu tant de problèmes avec l'évaluation des dommages, de l'analyse et des besoins. Ils nous ont fait perdre du temps avec des réunions de concertation, qu'ils ont ensuite ignorées pour faire ce qu'ils voulaient ». Outre les besoins de logement, Zully Archbold est intervenue sur les difficultés d'accès à l'eau, l'évacuation des débris qui ont attiré les rongeurs et aussi la récupération des mangroves et des forêts qui ont été touchées par l’ouragan. « Notre plus grand effort », ajoute-t-elle, « a été d'engager des discussions avec la Direction de la reconstruction, l'Unité nationale de gestion des risques de catastrophes concernant les besoins de la communauté. A peine 5 % des besoins ont été satisfaits… »
Comment expliquer une telle incurie gouvernementale ? Un zeste de corruption ajouté à des lourdeurs bureaucratiques savamment entretenues ? Sans doute. Mais il y a plus. Pour le président Ivan Duque, au fond, les habitants de l’île de la Providence sont des citoyens de seconde zone. D’abord, ils sont pauvres, et plus grave encore, ils sont majoritairement Noirs. Raizales, plus exactement, descendants d’esclaves africains, qui se distinguent par leur culture, leur langue (créole), leurs croyances religieuses (église baptiste) et leur passé historique similaire à celui des peuples antillais de Jamaïque et d’Haïti. Pour l’élite dirigeante, un bon Colombien est un Colombien riche, blanc et catholique. On caricature à peine.
S’il faut plus d’un an pour reconstruire 17 kilomètres carrés, combien de temps faut-il pour restaurer des territoires entiers qui ont été endommagés et laissés à l’abandon pendant 50 ans de conflit armé ? 15 ans, fut-il dit après la signature de l’Accord de Paix, signé en novembre 2016 à la Havane entre l’État colombien et la guérilla des FARC. Pour y pourvoir, ont été conçus des Programmes de développement à vocation territoriale, ciblés sur 24 régions et 170 municipalités parmi celles qui ont été le plus affectées par le conflit armé. Mais la guérilla n’explique pas tout. Ces territoires ruraux, peuplés en grande partie par des communautés indigènes et afro-colombiennes, ont été consciencieusement délaissés par l’État : manque de routes et d’infrastructures, de services publics, etc. Là encore, des citoyens de seconde zone.
Dans l’esprit de l’Accord de Paix, ces Programmes de développement à vocation territoriale devaient venir réparer une dette historique à l’égard de ces territoires et de leurs populations. Comme pour d’autres volets de l’Accord de Paix, cinq ans après sa signature, l’enquête de Verdad Abierta montre que sa mise en œuvre laisse pour le moins à désirer. Et comme pour l’île de la Providence, on peut s’interroger : ce retard est-il dû à une somme d’incompétences, de lourdeurs bureaucratiques et de corruption (voici peu, Karen Abudinen, la ministre uribiste des communications, a été contrainte à la démission après que la presse ait révélé qu’elle avait signé un contrat de 70 milliards de pesos -154 millions d’euros- et versé l’argent à une société dirigée par des mafieux notoires, prétendument pour amener des connexions internet à des communautés rurales dans le nord du pays. Ces 154 millions d’euros se sont intégralement évaporés, sans que le moindre équipement ait été réalisé), où n’est-il pas plutôt révélateur d’une politique délibérée de sabotage de l’Accord de Paix, auquel étaient opposés Ivan Duque et son mentor, Alvaro Uribe ?
Cet Accord de Paix ayant été inscrit dans la Constitution colombienne, l’actuel Président est bien obligé de faire semblant de le mettre en œuvre. Mais semblant, seulement semblant. Ne serait-ce que pour donner des gages à la communauté internationale, États-Unis, Union européenne et ONU en tête, qui abondent chacun des programmes. L’extraordinaire cynisme politique d’Ivan Duque est patent. A qui fera-t-on croire que ladite communauté internationale est dupe d’un tel grand écart entre effets d’annonce et réalité ?
Jean-Marc Adolphe
Les Cinq ans après de l’Accord de Paix / articles déjà parus :
01 / Sur de bons rails ? Le chemin tortueux de la paix en Colombie. Lire ICI
02 / Juger le passé. La Juridiction pour la Paix. Lire ICI
03 / Savoir et comprendre. Face au miroir de la vérité. Lire ICI
04 / Francisco de Roux : « La vérité est un combat ». Lire ICI
05 / Un travail de fourmi. La recherche des personnes disparues. Lire ICI
06 / Genre et paix. Avec les femmes et la communauté LGBTI, un processus inachevé. Lire ICI
07 / L’oubli indigène. Le chapitre ethnique, confiné sur le papier. Lire ICI
08 / Risques et périls. La mise en œuvre de l'Accord de Paix a été fatale pour les leaders sociaux. Lire ICI
09 et 10 / Sortir de la guérilla. Sécurité des ex-combattants : une « garantie » qui a coûté la vie à 290 personnes, et Réincorporation : le chemin escarpé du retour à la vie légale. Lire ICI
11 / Éradiquer la coca ? Substitution des cultures illicites : un programme exécuté au compte-gouttes. Lire ICI
Les 24 régions et 170 municipalités concernées par les Programmes de développement à vocation territoriale.
ENQUÊTE DE VERDAD ABIERTA
12. Les Programmes de développement à vocation territoriale n'ont pas réussi à étancher la soif de bien-être rural.
Photo Verdad abierta.
Le non-financement des aménagements de base et la marginalisation des communautés qui ont participé aux phases de construction des Programmes de développement à vocation territoriale mettent en péril l'avenir de cette initiative, qui devait permettre aux régions les plus touchées par le conflit armé de rattraper leur retard socio-économique.
« Aidez-nous autant que possible à diffuser cette information, et qu’elle puisse avoir le plus grand impact possible », déclare sous couvert d’anonymat, pour des raisons de sécurité, un leader social, affligé par la désillusion que ressentent les communautés afro-colombiennes de la région du Centre-Pacifique [dans le Cauca et le Valle del Cauca – NdR], qui espéraient une amélioration de leurs conditions de vie, que devait leur apporter la mise en œuvre des Programmes de développement à vocation territoriale (PDET, en espagnol, Programas de Desarrollo con Enfoque Territorial) contenus dans l’Accord de Paix. Les institutions en charge des Programmes de développement à vocation territoriale, poursuit ce leader afrocolombien, trompent le reste de la société colombienne et aussi la communauté internationale : « les rapports officiels prétendent que des millions de pesos sont investis ici, mais au final, rien ne se passe. »
Avec le départ l’ancienne guérilla des FARC des territoires où elles étaient présentes depuis plusieurs décennies, est apparu avec plus de clarté l’immense état d’abandon de cette « autre Colombie » contrainte de survivre au jour le jour, en marge de l'accès aux droits fondamentaux, et sans présence effective et efficace des services étatiques. Ainsi, au sud du département de Meta, dans les villages de Caño Amarillo et Albania, au sein de la municipalité de Vista Hermosa, il y a cinq ruisseaux qui n'ont toujours pas de pont. Les jours de pluie, ils se gonflent et personne ne peut se déplacer entre les villages, et encore moins transporter la récolte. Plusieurs communautés de la région sont condamnées à l'obscurité quand le jour s'éteint, en attendant un projet d'électrification.
Afin de combler le fossé entre la campagne et la ville et d'apporter du bien-être aux communautés rurales, les Programmes de développement à vocation territoriale font partie de la Réforme rurale intégrale et ont été créés par un décret de mars 2017. L'investissement social devait atteindre 170 municipalités du pays considérées comme les plus durement touchées historiquement par le conflit armé. Quatre ans après, on est encore loin du compte et, dans plusieurs régions, faute de voir des résultats concrets, les habitants expriment leur découragement et leur agacement.
Dans certaines régions, l’état des « routes » laisse à désirer…
C’est ainsi le cas du village isolé de Gaviotas, dans la municipalité d'Uribe (département de Meta), qu'il faut plus de quatre heures pour atteindre via une voie caillouteuse. Là-bas, les gens disent que l’impulsion économique n’est toujours pas arrivée. En raison des difficultés rencontrées pour les acheminer vers des marchés urbains, les cultures ne sont pas rentables. « Nous semons, mais ensuite, comment fait-on ? », demande un paysan : « Quand il y avait de la coca, certaines personnes coupaient un hectare, semaient, puis emportaient la récolte à pied. Mais si on a un hectare de banane, il faut trouver un moyen de transport. Avec le Programme de développement territorial, nous nous attendions à des routes. » Dans tout le pays émanent des témoignages similaires, alors qu’Emilio Archila, le conseiller présidentiel chargé de la mise en œuvre de ce programme, répète à l’envi que le gouvernement remplit les objectifs.
170 municipalités prioritaires
Rattachée à la présidence de la République, l'Agence de réactivation territoriale (ART) a vu le jour le 1er janvier 2017. Cette agence est chargée de coordonner l'intervention des entités nationales et territoriales dans les zones rurales touchées par le conflit. Dans le cadre de cet objectif, elle anime la coordination des Programmes de développement à vocation territoriale.
Le processus de consultation des habitants pour déterminer les besoins et planifier les tâches de mise en œuvre s'est déroulé dans le cadre d'un vaste exercice participatif que le président de l'époque, Juan Manuel Santos (2010-2018), avait alors qualifié de « plus grand dialogue social du monde ».
Les besoins des communautés ont été définis dans les plans d'action pour la transformation territoriale (PATR), dont l'élaboration s'est achevée au premier trimestre 2019 et a impliqué la participation de plus de 200.000 personnes, dont 65.000 femmes, et a concerné 715 conseils indigènes et 517 conseils communautaires de communautés noires. Ce processus de consultation a permis de recueillir les besoins de plus de 11.000 villages dans 170 municipalités prioritaires, regroupées en 16 sous-régions classées comme les plus touchées par le conflit armé, la pauvreté, les économies illicites et la faiblesse des institutions.
Ce dialogue diversifié a débouché sur 32.808 initiatives –dont 4.606 initiatives avec indicateur de genre en faveur des femmes rurales, 8.381 initiatives ethniques et 619 initiatives ethniques et de genre– à mettre en œuvre dans un délai de 15 ans. Ces initiatives répondent aux besoins de ces populations dans le cadre de huit domaines-clés: réglementation sociale de la propriété rurale et de l'utilisation des terres ; infrastructures et adaptation des terres ; santé ; éducation et petite enfance ; logement, eau potable et assainissement de base ; réactivation économique et production agricole ; système de garantie progressive du droit à l'alimentation ; et réconciliation, coexistence et consolidation de la paix.
Mesurer les progrès des Programmes de développement à vocation territoriale, qui sont projetés sur 15 ans, n'est pas une tâche facile. (…) Selon le bilan de l'Agence de réactivation territoriale, au 10 septembre 2021, 8.594 initiatives avaient un parcours de mise en œuvre actif, c'est-à-dire associé à des projets et des actions favorisant leur réalisation : sur ces 8 594 initiatives, 9,82 % sont associées à l'aménagement du territoire ; 12,83 % aux infrastructures ; 8,46 % à la santé ; 25,04 % à l'éducation ; 7,30 % au logement, à l'eau potable et à l'assainissement de base ; 21,53 % à la réactivation économique ; 5,32 % au droit à l'alimentation ; et 9,70 % à la réconciliation et à la paix.
L'Agence a observé des situations qui génèrent des risques associés à la phase d'exécution des projets, comme des retards dans les calendriers pour diverses raisons, des pénuries de matières premières dues à la pandémie, des situations climatiques, les effets des blocages de routes pendant la grève nationale au printemps 2021, l'invasion des terrains où les travaux sont exécutés, et certains cas de réajustement des prix. Pour un défenseur des droits de l'homme de la sous-région de l'Alto Patía et du Nord Cauca (qui préfère garder l’anonymat pour des raisons de sécurité), le plus grand problème dans la mise en œuvre des Programmes de développement à vocation territoriale est lié au rôle-même de l'Agence de réactivation territoriale : « Face aux attentes des communautés, les responsables de cette agence nous répondent : "Nous sommes une entité de coordination, de facilitation et d'accompagnement ; nous cherchons des sources de financement, mais nous ne sommes pas responsables de l'exécution des plans d’action". »
Aménagement de la route entre El Paujil et Cartagena del Chairá, dans le département de Caquetá
Défauts de paiements
Les Programmes de développement à vocation territoriale sont mis en œuvre grâce à trois sources de financement : l'Organe collégial d'administration et de décision (OCAD Paz, instance gouvernementale), qui gère les ressources des redevances ; Obras por impuesto [l’équivalent d’une taxe professionnelle – NdR] ; le Fonds Colombia en Paz [un service administratif de la Présidence de la République – NdR] ; et les aides internationales.
Le 23 novembre dernier, un jour avant le cinquième anniversaire de la signature de l'accord de paix, l'Agence de développement rural a indiqué que le gouvernement avait investi à ce jour 11,44 milliards de pesos (25,2 millions d’euros) dans les 170 municipalités concernées. Selon les informations communiquées, l’origine de ces fonds est la suivante :
- OCAD Paz, 6,23 milliards de pesos (13,8 millions d’euros)
- Obras por impuesto, 607,4 millions de pesos (135.000 euros)
- Fonds Colombia in Paz, un milliard de pesos (2,2 millions d’euros)
- budget général de la Nation, 3,10 milliards de pesos (6,8 millions d’euros)
- aides internationales, 428 millions de pesos (95.000 euros). (…)
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D’après les informations fournies par cette agence sur les travaux réalisés, un projet d'amélioration d’une route allant de la municipalité d'El Paujil à Cartagena del Chairá, dans le département de Caquetá, apparaît comme "terminé". Les journalistes de Verdad abierta ont pourtant constaté que plusieurs tronçons de cette route restaient inachevés, ce qui affecte la mobilité dans la région. En réponse, l'Agence de réactivation territoriale affirme qu’elle communique des informations sur la foi de sources extérieures qu’elle ne peut vérifier ! Ce qui est inquiétant, dans cette « clarification », c'est que l'agence chargée de mettre en œuvre le programme n'a pas de certitude sur son exécution effective...
Les Programmes de développement à vocation territoriale prévoyaient la réalisation de « travaux à petite échelle et à exécution rapide », tels que des salles de classe ou des terrains de jeux, qui avaient fait l’objet de consultations avec des communautés locales et régionales.
Dans la région du Centre-Pacifique, qui comprend les municipalités de Guapi, López de Micay et Timbiquí, dans le département du Cauca, et de la municipalité de Buenaventura, dans le Valle del Cauca, l'exécution d'au moins dix de ces petits travaux pour chacune de ces municipalités a été convenue, et le plan d'action pour la transformation territoriale a été signé le 23 février 2019, mais à ce jour, aucun de ces « petits équipements » n’a encore n'a été livré.
Le Consortium EGA, formé par la Corporation Escuela Galán pour le Développement de la Démocratie et Asfaltart S.A., est l'opérateur de ces travaux. À ce jour, à Buenaventura, l'ouvrage le plus avancé est un parc pour enfants ; cependant, le contrat signé entre Le Consortium EGA et cette communauté afro est en vigueur depuis plus de trois mois et le premier acompte n'a toujours pas été versé.
Le village de San Antonio de Guajui
Dans la municipalité de Guapi, sur la côte pacifique du Cauca, un parc public a été achevé dans le village de San Antonio de Guajui, mais le conseil communautaire de la rivière Guajui affirme ne pas avoir reçu les 221 millions de pesos (49.000 euros) qui avaient été convenus pour ces travaux. À Timbiquí et López de Micay, les premiers travaux n'ont toujours pas commencé.
Le porte-parole du Consortium EGA, Sergio Párraga, a déclaré à Verdad abierta que certains travaux qui présentent un plus grand degré de complexité sont en cours de validation, mais que les travaux simples, comme les aires de jeux pour enfants, n’ont pas besoin de ce type de validation. Selon lui, c’est d’abord à l’État de respecter ses engagements : « Au jour d'aujourd'hui [novembre 2021], on nous a attribué 14 millions de pesos (31.000 euros) alors que nous avons signé le contrat Pacifique-Centre en décembre 2019 », affirme-t-il. « Nous n'avons pas l'obligation contractuelle de financer les travaux, c'est au Fonds Colombia en Paz [qui dépend de la Présidence de la République -NdR] de payer. A ce jour, le Fonds ne nous a pas transféré les ressources et nous avons dû assumer de nombreux coûts administratifs. » Il précise que le Consortium a dû demander des prêts pour commencer à effectuer les premiers petits travaux. « Pour être juste », ajoute-t-il, « il faut dire que les processus avec le Fonds ont commencé à avancer voici deux mois et que, par ailleurs, la crise sanitaire causée par Covid-19 a affecté l'exécution des travaux, en termes de délais et de coûts : les matériaux ont beaucoup augmenté, notamment les prix de l'acier. »
En ce qui concerne les ressources de l'OCAD Paz, les communautés du Pacifique-Centre soulignent qu'aucun projet n'a été soutenu par ce fonds. « Aucun conseil communautaire n'est assez fort pour porter des projets de ce type », souligne le leader afro-colombien cité en début d’article, qui préfère rester anonyme. « La formulation elle-même se fait à travers les mairies, mais si c'est déjà difficile pour les mairies parce qu'elles n'ont ni budget défini ni le personnel nécessaire à cet effet, c’est mission impossible pour les conseils communautaires ! » De fait, les travaux engagés dans le cadre du Programmes de développement à vocation territoriale sont beaucoup moins nombreux ici, où vivent essentiellement des communautés afro-colombiennes, que dans d’autres parties du pays. « C'est odieux. Cela montre, de la part des dirigeants de ce pays, une attitude qui reste profondément raciste et discriminatoire. Ils se disent : "ce sont des communautés noires et indigènes, on ne va rien leur donner". »
Photo Carlos Mayorga Alejo.
Des feuilles de route à la réalité
Dans les régions d'Alto Patía et du Nord Cauca, un des territoires les plus touchés par le conflit armé, la pauvreté, les économies illicites et les faiblesses institutionnelles, les associations de défense des droits de l'homme se sont regroupées (au sein de l'Articulation régionale pour la paix) afin d’assurer de manière autonome le suivi régional et municipal de la mise en œuvre des Programmes de développement à vocation territoriale dans 24 municipalités des départements du Valle del Cauca, du Cauca et de Nariño. Ils ont pris cette initiative après avoir estimé que les membres de l'organe de surveillance du Programme n’avaient pas été formés pour suivre sa mise en œuvre et qu’ils « sont juste utilisés pour valider des décisions auxquelles on n'est pas associés ». (…)
Les activités les plus récentes menées par les membres du groupe de pilotage dans chaque sous-région ont été de valider des feuilles de route, un outil qui permet d'organiser la mise en œuvre des Programmes de développement à vocation territoriale, en articulant les plans nationaux et territoriaux en cours d'élaboration dans chaque territoire. Ce document précise les délais d'exécution, les responsabilités et le financement, en plus d'établir des mécanismes de suivi.
Onze feuilles de route ont été publiées sur le site internet de l'Agence de rénovation territoriale. Celles du Pacifique moyen, de Macarena-Guaviare, d'Arauca et Alto Patía et du Nord Cauca sont encore en attente. Dans le cas de ce dernier, le défenseur des droits de l'homme de l'Espace régional de paix du Cauca explique qu'ils sont encore en train d'ajuster le document afin de mieux répondre mieux à la réalité de la région, et d’inclure les droits de l'homme et les aspects environnementaux. « Après la validation de cette feuille de route », ajoute-t-il, « certaines initiatives seront priorisées, mais trouver les sources de financement et arriver à la mise en œuvre reste un processus assez long. »
Absence de résultats
Le plan d'action pour la transformation territoriale de la région Pacifique porte les signatures des communautés ethniques (conseils communautaires et organisations autochtones), des maires et des gouverneurs des municipalités ; il s'agit, selon les termes des dirigeants, d'un « Programme de développement à vocation territoriale ethnique ».
Dans le cas de la sous-région du Pacifique Centre, afin de poursuivre la participation des communautés aux initiatives du chapitre Réconciliation, coexistence et consolidation de la paix, il a été convenu de créer une table ronde pour suivre et accompagner la mise en œuvre du Programme de développement à vocation territoriale, et d’un espace de négociation supplémentaire pour aborder les questions qui ne relèvent pas de la compétence de ce programme, telles que les besoins organisationnels des communautés noires, le rôle possible des communautés autochtones en tant qu'autorités environnementales ou les modifications de la division maritime de la région. Cependant, aucune de ces initiatives ne s'est développée comme prévu.
« Nous, les communautés, avons dû former de notre propre chef la table ronde du Programme de développement à vocation territoriale pour le Pacifique Centre », déclare le représentant d’une organisation de droits de l'homme. Depuis le 29 août, ils ont décidé de cesser les réunions avec les institutions de l'État jusqu'à ce que trois demandes aient été satisfaites.
Lors d'une réunion de présentation d'un Programme de développement à vocation territoriale.
La première de ces revendications porte sur la création d'une coordination spécifique pour le Pacifique Centre, qui est géré par la coordination de l'Alto Patía et du Nord Cauca : « le fait que cette coordination n'ait pas été créée explique dans une large mesure l’absence de résultats dans notre région. »
La seconde demande vise la reconnaissance du comité de suivi qu'ils ont créé en tant que communauté, et la troisième a pour objet de résoudre le déficit de cette région en termes de définition, de viabilité et de financement des projets, afin que les 629 initiatives recensées puissent être réalisées dans les délais prévus.
Ils ont demandé à l'Agence de réactivation territoriale un espace de négociation pour aborder ces différents points avec les responsables de l'Agence de réactivation, du Conseil Présidentiel pour la Stabilisation et la Consolidation, ainsi qu’avec des observateurs nationaux et internationaux. Une rencontre a finalement été organisée le 13 octobre dernier, mais elle ne s’est pas déroulée comme les communautés l'avaient espéré : « il y avait les mêmes personnes avec lesquelles nous avons toujours discuté et avec lesquelles aucun résultat n'a été obtenu jusqu’à présent. Et nous n’avons toujours pas reçu de réponse [à la date du 22 novembre] de la part de l’ART. »
Outre ces obstacles bureaucratiques, une atmosphère d'hostilité entoure parfois ceux qui, depuis les communautés, veillent au respect des programmes contenus dans l’Accord de Paix. Plusieurs défenseurs des droits de l'homme à travers le pays s'accordent à dire qu'ils craignent pour leur vie.
L'une de ces régions est le Cauca, qui est redevenu, année après année depuis la signature de l'Accord de Paix, la région avec les taux les plus élevés de violence meurtrière contre les leaders ethniques et sociaux. Dans cette région sont présents au moins six groupes dissidents de l'ancienne guérilla des FARC.
Selon un leader social du Cauca, « les personnes qui se sont engagées dans l’élaboration du Programmes de développement à vocation territoriale, et qui exigent aujourd’hui le respect de sa mise en œuvre, s’exposent et prennent des risques, du fait de la présence de groupes armés, mais aussi parce que les gens sont tentés de faire porter aux mouvements sociaux et communautaires la responsabilité du non-respect des programmes de l’Accord de Paix. » Ce leader social demande donc aux institutions de l'État « d'éviter la stigmatisation, de soutenir le rôle et d'insister sur la défense de l'intégrité des leaders sociaux qui croient encore à l'Accord de Paix et défendent à fond son application comme moyen de réparer les communautés de tant de décennies de violence et de marginalisation. »
Pour lire in extenso l’article de Verdad abierta
En espagnol : ICI
En anglais : ICI
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