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Thierry Malandain, danse au diapason

Dernière mise à jour : il y a 51 minutes

"Minuit et demi ou le cœur mystérieux", chorégraphie de Thierry Malandain. Photo Stéphane Bellocq.

 

Danser pour transfigurer la nuit ? Pour sceller le renouvellement d'une convention entre la Centre chorégraphique de Biarritz, dont il se prépare à quitter la direction, et le Teatro Victoria Eugenia de Donostia, au pays basque espagnol, Thierry Malandain a offert un double programme, accordé aux musiques de Chopin et Saint-Saëns.


Avec la reprise d’une de ses pièces des années antérieures, Nocturnes (2014), et une création livrée en primeur, Minuit et demi ou le cœur mystérieux, le chorégraphe Thierry Malandain a régalé le public et la critique le 16 mai 2025 au Teatro Victoria Eugenia de Donostia (le nom basque officiel de la ville connue en espagnol sous le nom de San Sebastián). Et a prouvé qu’il en gardait sous le coude, au cas où, au moment où arrive pour lui l’âge d’une retraite forcée (1).

 

Après que les maires de Biarritz et de Donostia-San Sebastián et les représentants du Malandain Ballet Biarritz et du Teatro Victoria Eugenia ont renouvelé la convention d’objectifs pour une durée de trois ans, les choses sérieuses ont pu commencer.

 

Le succès éclatant de la soirée de gala à laquelle nous avons assisté tend à prouver que la relève ne sera pas évidente après le départ du directeur de la compagnie qui porte (encore ?) son nom. Mais venons-en aux faits. Pour l’Espagne, dix-neuf heures trente, début des débats considéré comme tardif dans le reste de l’Europe, n’est pas exactement un "horaire de nuit" – c’est encore l’après-midi. C’est pourtant le moment choisi par les organisateurs pour lancer les festivités avec l’opus Nocturnes sur vingt et un thèmes romantiques regroupés sous ce même mot, composés par Frédéric Chopin entre 1827 et 1846.


Patricia Velazquez et Loan Frantz, dans "Nocturnes", chorégraphie de Thierry Malandain, avec Thomas Valverde au piano.

Photo Stéphane Bellocq.

 

Côté jardin, le pianiste Thomas Valverde les a admirablement joués live sur le piano à queue du lieu. La pureté mélodique s’accordait à celle de la danse. Une danse se dispensant de couleur et de décor. Pour toute scénographie, la pénombre graduée ce qu’il faut, quand il faut, comme il faut par Jean-Claude Asquié qui, seule ou presque, permettait de faire briller la troupe dans son ensemble et quelques-uns en duo ou en solo. Les corps opalins des danseurs, les silhouettes blêmes des petits rats ; le geste – ou la geste – chorégraphique

s’inscrivent ainsi nettement sur fond neutre.

 

Retour donc à la case départ. Autrement dit à l’abstraction classique balanchinienne qui se passait de tout élément de décor – sinon de costumes et autres accessoires. Les entrées des danseurs – qui permettent aux spécialistes d’identifier, voire de restituer certaines danses du répertoire baroque – et leurs sorties incessantes, comme dans Les Quatre tempéraments récemment repris par les Ballets de Monte-Carlo (Lire ICI) – sont-elles en elles-mêmes matière chorégraphique ?

 

Thierry Malandain ne se contente pas de les faire se succéder suivant le tempo de chaque morceau musical. Il s’inspire de ce qui a inspiré le compositeur ; il traite sensoriellement, pianistiquement, la danse ; il enrichit l’interprétation de Thomas Valverde. Il respecte l’esprit, la rythmique, le phrasé de chaque nocturne mais évite la monotonie en alternant variations, pas de deux et pas de plus – si affinités. Tout coule, tout passe, tout glisse. Littéralement, physiquement. Le jeu avec les lignes du corps de ballet semble essentiel. D’où l’importance du rôle de la meneuse de troupe, cheftaine des chorus lines, tenu ici par l’excellente Irma Hoffren. Grâce à quoi les états d’âme sont mis à nu et les nocturnes deviennent diurnes.


"Minuit et demi ou le cœur mystérieux", chorégraphie de Thierry Malandain. Photo Stéphane Bellocq.

 

Minuit et demi ou le cœur mystérieux, c’est autre chose. Et pourtant la même chose. La fresque, le songe d’une éternelle mélancolie, pour reprendre les mots du chorégraphe. Le but étant, en partant de la musique romantique ou postromantique de Camille Saint-Saëns, de transfigurer la nuit. Les lumières de François Menou rayonnent ; la toile de fond ou cyclo passe de la valeur à la couleur ; les somptueux costumes de Jorge Gallardo, réalisés par Véronique Murat et Charlotte Margnous, teints et peints par Léa Murat, du deuil virent au bleu, un bleu clair, zébré de blanc, à peine ennuagé – non au bleu roi de Marie-Antoinette (voir ICI) : à un bleu layette.

 

Les manteaux longs morbides à la Sergio Leone, les capes et les traînes malsaines façon Harald Kreutzberg, les impers de satyres ayant fait leur office, arrive le dévoilement, le tout nu ou presque, l’innocence édénique. Aux gestes convenus, académiques, s’ajoutent alors ceux venus d’ailleurs : le swing, le flegme, le dandinement, le déhanchement, la decouflerie. Une décontraction bien loin de la déconstruction. Brille de nouveau la rousse Irma et également, comme à son habitude, l’incomparable Claire Lognchampt.

 

On connaissait les evergreens de Camille Saint-Saëns : Le Cygne, sur lequel Fokine chorégraphia un magnifique solo pour Pavlova, L’Aquarium, devenu le jingle du festival de Cannes avant toute projection d’un film en compétition – deux des pièces du Carnaval des animaux. On sait que Saint-Saëns écrivit, au temps du muet, la première musique pour « pièce cinématographique » pour le film d’Art L’Assassinat du duc de Guise (1908). Malandain s’appuie également sur les mélodies tirées des Nuits persanes d’Armand Renaud, conservées à la BnF, dont Alpha Classics réalisa un album en 2017 à partir de 19 d’entre elles.


La Danse macabre, inspirée à Saint-Saëns par un poème d’Henri Cazalis, popularisée, entre autres, par Walt Disney dans The Skeleton Dance (1929) inaugure Minuit et demi ou le cœur mystérieux. Sa version chantée dans le style opératique par Tassis Christoyannis, conclut le ballet :

 

« Zig et zig et zig, la mort en cadence

Frappant une tombe avec son talon,

La mort à minuit joue un air de danse,

Zig et zig et zag, sur son violon.

Le vent d'hiver souffle, et la nuit est sombre,

Des gémissements sortent des tilleuls ;

Les squelettes blancs vont à travers l'ombre

Courant et sautant sous leurs grands linceuls,

Zig et zig et zig, chacun se trémousse,

On entend claquer les os des danseurs,

Mais psit ! Tout à coup on quitte la ronde,

On se pousse, on fuit, le coq a chanté

Oh ! La belle nuit pour le pauvre monde !

Et vivent la mort et l'égalité ! »


Nicolas Villodre


NOTES


(1). Thierry Malandain dirige le Centre chorégraphique national de Biarritz depuis sa création en 1998. Son départ est annoncé au 31 décembre 2026. Le CCN Malandain Ballet Biarritz a lancé un appel à candidatures pour recruter sa future direction.


(2). Harald Kreutzberg (1902–1968) fut une figure majeure de la danse expressionniste allemande (Ausdruckstanz), reconnu pour son style théâtral, ses costumes inventifs et son influence durable sur la danse moderne.

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