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Ukraine : quand Poutine contraint à l’exil les survivants de l’Holocauste


Galina Ploschenko. Photo Lena Mucha pour The New York Times.


Conséquence inattendue de la guerre de « dénazification » lancée par Vladimir Poutine en Ukraine : comme Galina Ploschenko, 90 ans, rencontrée à Hanovre par une journaliste du New York Times, plusieurs survivants de l’Holocauste sont évacués hors d’Ukraine vers l’Allemagne.


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Leurs premiers souvenirs sont ceux d'avoir fui les bombes ou d'avoir entendu des chuchotements sur les massacres d'autres Juifs, y compris de leurs proches. Protégés par l'Union soviétique, ils ont survécu. Aujourd'hui âgés et fragiles, les survivants ukrainiens de l'Holocauste fuient à nouveau la guerre, dans un voyage qui bouleverse le monde qu'ils connaissaient : ils cherchent la sécurité en Allemagne.

Pour Galina Ploschenko, 90 ans, cette décision n'a pas été prise sans appréhension. « Ils m'ont dit que l'Allemagne était ma meilleure option. Je leur ai dit : 'J'espère que vous avez raison' », déclare-t-elle. Elle est l’une des bénéficiaires d'une mission de sauvetage organisée par des associations juives, qui tentent de sortir les survivants de l'Holocauste de la guerre provoquée par l'invasion de l'Ukraine par la Russie.

Sortir ces nonagénaires d'une zone de guerre en ambulance est un travail dangereux, empreint d'une ironie historique : non seulement les survivants de l'Holocauste sont conduits en Allemagne, mais l'attaque vient maintenant de Russie - un pays qu'ils considéraient comme leur libérateur des nazis.


Voici une semaine, Mme Ploschenko était encore dans son lit d’une maison de retraite de Dnipro, sa ville natale dans le centre de l'Ukraine, alors que les frappes d'artillerie tonnaient et que les sirènes de raid aérien hurlaient. Les infirmières et les retraités qui pouvaient marcher s'étaient réfugiés au sous-sol. Elle a été contrainte de rester allongée dans sa chambre du troisième étage, seule avec une femme sourde et un homme muet, grabataires comme elle. Après un voyage de trois jours, elle est aujourd’hui accueillie dans un centre de soins pour personnes âgées à Hanovre, dans le nord-ouest de l'Allemagne.

À ce jour, 78 des plus fragiles survivants de l'Holocauste en Ukraine, qui sont au nombre de 10.000, ont été évacués. Une seule évacuation nécessite jusqu'à 50 personnes, qui se coordonnent sur trois continents et dans cinq pays. Pour les deux groupes qui coordonnent les sauvetages - la Jewish Claims Conference et l'American Joint Distribution Committee - il n'est pas facile de convaincre des survivants comme Galina Ploschenko de partir.

La plupart des survivants les plus fragiles et les plus âgés ont refusé de quitter leur foyer. Ceux qui étaient prêts à partir avaient une myriade de questions : Qu'en est-il de leurs médicaments ? Y aura-t-il des personnes parlant russe ou ukrainien ? Pouvaient-ils amener leur chat ? Puis il y a eu la question la plus embarrassante de toutes : Pourquoi l'Allemagne ? « L'un d'eux nous a dit : Je ne veux pas être évacué vers l'Allemagne. Je veux bien être évacué, mais pas en Allemagne », déclare Rüdiger Mahlo, de la Claims Conference, qui travaille avec des fonctionnaires allemands à Berlin pour organiser les sauvetages. Fondée pour négocier les restitutions de l'Holocauste avec le gouvernement allemand, la Claims Conference tient une liste détaillée des survivants qui, dans des circonstances normales, est utilisée pour distribuer des pensions et des soins de santé, mais qui sert maintenant à identifier les personnes à évacuer.

Galina Ploschenko se dit aujourd’hui reconnaissante envers l'Allemagne, bien qu'elle se souvienne encore de "tout" de la dernière guerre à laquelle elle a survécu - du foulard que sa mère enroulait autour de son corps, à un moment donné son seul vêtement, au bulletin radio qui lui annonçait que des milliers de Juifs, dont une tante et deux cousins, avaient été tués dans des wagons à gaz mobiles que les habitants appelaient "dushegubka", tueur d'âmes. Son père, parti combattre dans l'armée soviétique, a disparu sans laisser de traces. « Je n'avais pas peur de l'Allemagne », dit-elle. « Je ne pouvais juste pas m'empêcher de penser : Papa est mort dans cette guerre. Mes cousins sont morts dans cette guerre. »


L'album photos de Galina Ploschenko. Photo Lena Mucha


Elle pense qu'elle, sa mère et cinq de ses tantes ont survécu en chantant, que ce soit en travaillant dans les champs de coton au Kazakhstan, où elles ont trouvé un refuge temporaire, ou en se blottissant sous des parapluies dans un appartement sans toit après la guerre. « On chantait en même temps que la radio », se souvient-elle en souriant. « C'est ce qui nous a sauvés. On chantait tout, tout ce qui passait - de l'opéra, des chansons populaires. J'ai vraiment envie de chanter, mais je ne sais pas si je peux encore le faire. Je n'ai pas la voix pour ça. Alors à la place, je me souviens juste de toutes les fois où j'ai chanté. »


Des évacuations compliquées


« Dans le contexte de toute cette horreur, 70 personnes, ce n’est pas beaucoup », commente Gideon Taylor, président de la Claims Conference. « Mais ce qu'il faut pour amener ces personnes en sécurité en Allemagne, une par une, ambulance par ambulance, est très compliqué ». Ces évacuations sont inévitablement marquées par des problèmes logistiques et des moments de tension. Des ambulances ont été renvoyées des points de contrôle lorsque les combats ont éclaté. D'autres ont été confisquées par les soldats, pour être utilisées pour leurs propres blessés. Confrontés à des routes détruites, les chauffeurs ont fait passer leurs ambulances par des forêts.

La plupart des problèmes logistiques sont gérés à 3.000 km de là, où Pini Miretski, le chef de l'équipe d'évacuation médicale, est assis dans une salle de réunion du Joint Distribution Committee à Jérusalem. Le J.D.C., une organisation humanitaire, a une longue histoire d'évacuations, y compris le passage des Juifs hors d'Europe pendant la Seconde Guerre mondiale. Au cours des trente dernières années, ses bénévoles se sont efforcés de faire revivre la vie juive dans les anciens pays soviétiques, dont l'Ukraine. Pini Miretski et d'autres coordonnent leur action avec les sauveteurs à l'intérieur de l'Ukraine : il a fallu ainsi les aider à atteindre un survivant grelottant dans un appartement dont la température était de 14 degrés, ses fenêtres ayant été brisées par des explosions. Dans un autre cas, ils ont aidé les sauveteurs qui ont passé une semaine à évacuer un survivant dans un village entouré de combats acharnés.


Pour Pini Miretski, cette opération revêt un caractère personnel : Juif ukrainien émigré en Israël, ses arrière-grands-parents ont été tués à Babyn Yar, également connu sous le nom de Babi Yar, le ravin de Kiev où des dizaines de milliers de personnes ont été poussées à la mort après avoir été déshabillées et abattues à la mitrailleuse entre 1941 et 1943. Le mémorial de ces massacres à Kiev a été frappé par des missiles russes aux premiers jours de son invasion. « Je comprends la douleur de ces gens, je sais qui ils sont », déclare-t-il. Au moins deux survivants de l'Holocauste sont morts depuis le début de la guerre en Ukraine. La semaine dernière, Vanda Obiedkova, 91 ans, est morte dans une cave de Marioupol assiégée. En 1941, elle avait survécu en se cachant dans une cave pour échapper aux nazis qui avaient raflé et exécuté 10.000 Juifs dans cette même ville.


Pour Vladimir Peskov, 87 ans, évacué de Zaporijjia la semaine dernière et vivant maintenant au bout du couloir de Galina Ploschenko dans la maison de retraite de Hanovre, le sentiment que cette deuxième guerre a donné à sa vie est démoralisant : « Je ressens une sorte de désespoir, parce que j'ai l'impression que l'histoire se répète », confie-t-il, courbé dans un fauteuil roulant, en caressant une tasse ayant appartenu à sa mère - l'un des rares souvenirs qu'il a apportés en Allemagne.

Juste à l'extérieur de sa chambre, un groupe de survivants récemment arrivés de la ville orientale de Kramatorsk est assis autour d'une table dans la cuisine ensoleillée. Ils se lamentaient bruyamment à l'idée d’avoir à nouveau dû fuir la guerre. Mais ils ont refusé de partager leurs pensées avec une journaliste occidentale : « Vous ne direz pas la vérité », a dit un homme en détournant le regard. Leur hésitation reflète l'une des parties les plus douloureuses de ce second exil, en particulier pour ceux qui viennent des régions russophones de l'est de l'Ukraine : reconsidérer sa vision de l'Allemagne est une chose, reconnaître la Russie comme un agresseur en est une autre.


« Mes rêves d'enfant étaient d'acheter un vélo et un piano, et de me rendre à Moscou pour voir Staline », confie Galina Ploschenko. « Moscou était la capitale de ma patrie. J'adorais la chanson "Mon Moscou, mon pays". J'ai du mal à croire que ce pays est maintenant mon ennemi. » En feuilletant un livre de photos, elle montre des images de sa jeunesse, posant en maillot de bain sur la plage de Sotchi, les vagues s'écrasant autour d'elle. « Parfois, je me réveille et j'oublie que je suis en Allemagne », dit-elle. « Je me réveille, et je me retrouve en voyage d'affaires en Moldavie, ou en Ouzbékistan. Je suis de retour en Union soviétique. » Mais l'Allemagne sera son pays pour le reste de ses jours. C'est une idée avec laquelle elle s'est faite, dit-elle : « Je n'ai nulle part ailleurs où aller. »


Reportage d’ Erika Solomon pour The New York Times (version originale ICI),

traduit par la rédaction des humanités.

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