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Un tombeau pour André Wilms/ 04. Un dévoreur de plateau


Un tombeau pour André Wilms / 04. Non pas une nécrologie, mais parce qu'il le mérite amplement, un recueil d'hommages sensibles pour saluer l'immense acteur qu'a été André Wilms, et pas seulement : l'homme, tout aussi bien, dans son vivant lieu d'être. André Wilms, un comédien/acteur « bouffeur de plateau » comme rarement dans l’histoire de nos arts respectifs, entre théâtre et cinéma. Un homme absolument dévolu à son art. Avec, en prime, une évocation des années strasbourgeoises avec Michel Deutsch et Philippe Lacoue-Labarthe.



Cette série d'hommages à André Wilms vous est offerte par les humanités, média alter-actif. Pour persévérer, explorer, aller voir plus loin, raconter, votre soutien est très précieux. Abonnements ou souscriptions ICI.


Tonitruants mots, tonitruant verbe.
Être au théâtre, être au monde …

Voilà, une révérence de plus dans le flot continu des disparaissants …


Mais ici, en l’espèce, le poisson qui s’échappe, et nous occupe ici est énorme. L’un des plus gros dans un souvenir de pêcheur de sens et de mots ; pêcheur d’émotions.

Ce poisson/monstre-là … était un homme issu d’un singulier océan, à la fois du théâtre et du cinéma ainsi que tant d’ailleurs. Un océan de présence et d’immanence. Un être parfaitement confondu dans son état d’acteur/comédien et d’être … là … devant nous ! Une immensité fragile toujours déjà debout et fière … et incommensurablement incontrôlable, au fond. Incontrôlable par essence !


Un comédien/acteur « bouffeur de plateau » comme rarement dans l’histoire de nos arts respectifs, entre théâtre et cinéma. Un homme absolument dévolu à son art.


Tentons, dans nos souvenirs majeurs, de retrouver un fil de choses ça et là rassemblées, qui le caractérise un peu, mais si peu tant il était multiple …

Tout ceci, pour lui dire, au fond dans ce moment où il nous quitte, dire à cet « animal précieux », que je l’ai aimé comme un père de théâtre et considéré comme tel … ce qu’il m’a toujours refusé d’être … Grand bien lui fasse. Grand bien me fasse en retour, après tant d’années … Au fond, être père légitime, était déjà bien assez complexe pour lui-même. Mais tellement aimant pour ces enfants … merveilleusement.


Car ‘Wilms’ [Philippe Lacoue-Labarthe l’appelait toujours ainsi] était un véritable enfant assis en scène, mais, dans ses hauteurs majestueuses, un géant quand il était debout sur le plateau. C’était une petite routine de jeu d’acteur que se réduire, puis s’élever … Il semble que personne n’avait jamais à ce point, autant pu considérer les extraordinaires perspectives dans lesquelles lui-même avait trouvé racine en cet art si singulier et notamment dans ses collaborations de ses productions communes avec Heiner Goebbels.

Debout, il était un maître absolu des enjeux d’un plateau. Un carnassier absolu. Tant du point de vue du verbe que du geste, car il émanait toujours de son « état-en-scène », une complexe et cohérente transfiguration de son « personnage » en tous lieux et en tous points. Il est si rare de trouver acteurs et comédiens, qui pour exister dans leurs rôles, « mangent », ainsi littéralement la scène ! C’est-à-dire qu’ils ont cette capacité à intégrer, transformer et retransmettre immédiatement, tous les enjeux d’un moment de théâtre, quel qu’il fût …

André était un monstre de plateau, un dévoreur de plateau … Jamais repu ! C’était d’ailleurs un jeu de reconnaissance du plateau. À qui ai ’je l’honneur de donner réplique et présence !


Tant de souvenirs en scène, tant d’émotions absolument inégalées.

Tant de souvenirs personnels.


En avril 2016, pour de raisons professionnelles, je me rends à Helsinki.

Je vais, comme il se doit, retrouver dans un bar mes amis et collègues de Cirko [Centre de développement pour les Arts du Cirque en Finlande]. Le bar des initiés.

Et je tombe littéralement sur un géant.

André était là, me soufflant très directement et très haut dans le coffre : « Qu’est-ce-que tu fous là ? Toi ? » … Je n’ai pas eu le temps de répondre, que la discussion allait s’accélérer …

Car l’oiseau était curieux de tout, donc une nuit s’échappe à moi, à nous …

Et là s’ouvrent toutes les indicibles paroles :


....



Jean-Charles Herrmann

Philosophe, co-fondateur des humanités.


Compléments
André Wilms, Michel Deutsch et Philippe Lacoue-Labarthe

Vous avez dit être devenu comédien par hasard. N'y avait-il pas malgré tout une prédisposition ? André Wilms - Ce n'était pas une vocation. Ce qui a primé, c'est le plaisir d'être dans des groupes, dans une troupe, une communauté. J'ai toujours pensé que le véritable luxe de ce métier c'était de rencontrer des gens qu'on ne pouvait pas rencontrer ailleurs. Travailler avec des penseurs comme Jean-Luc Nancy et Philippe Lacoue-Labarthe, cela a été mon université.

(Télérama, 21 décembre 2011)


Quelques dates

1977

Hölderlin : l’Antigone de Sophocle, Traduction Philippe Lacoue-Labarthe d'après Sophocle. Miseen scène Michel Deutsch et Philippe Lacoue-Labarthe, avec Michèle Foucher (Antigone), Martine Schambacher (Ismène), Jean-François Lapalus (Chœur), Jean Schmitt (Chœur), André Wilms (Créon), Bernard Freyd (Le messager), Dominique Muller (Hémon), Claude Bouchery (Tirésias), Margot Lefevre (Eurydice), Alain Rimoux (Hölderlin), Guy Naigeon (Zimmer), Mathieu Bauer, Jean Haas, Francis Haas, Emmanuel Lacoue-Labarthe, Jean-Luc Nancy, Thomas Pitre, Laurence Mayor. Sénographie Jean Haas. Lumières André Diot. Musique originale Georges Aperghis. (Création en juin 1977 à l’Arsenal de Strasbourg).


1980

Carte blanche à Philippe Lacoue-Labarthe et Michel Deutsch (15 mars au Centre Pompidou).


1991 Aujourd’hui, chantier animé par Michel Deutsch pour les 20 ans de Théâtre Ouvert 20 et 21 juillet à la Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon.


1997 Michel Deutsch participe à la Carte blanche à André Wilms. Théâtre Ouvert, 4 et 5 octobre


Le travail artistique, entamé par le Théâtre national de Strasbourg dans la France de 1968, puis le nouveau théâtre où règne l'effervescence de jeunes metteurs en scène, comme Patrice Chéreau, Ariane Mnouchkine, Vincent Jourdheuil, Georges Lavaudant, Jérôme Savary, sont en résonnance avec l'amitié et la réflexion radicale de Michel Deutsch et Philippe Lacoue-Labarthe, à propos de la possibilité du théâtre.

Que veut le théâtre ? Que peut le théâtre ? Après 1968 la plupart des certitudes s'étant effondrées, il nous incombait d'interroger à nouveaux frais ce que fut en France la « volonté d'art » du théâtre. « Volonté d'art » qui, bien sûr, s'inscrivait dans la suite des idées et des desseins de rénovation dramatique qui, de Copeau à Brecht, avaient animé les grands réformateurs de la scène.

(Michel Deutsch, Souvenirs épars, Bourgois, 2018)











Voyage à Tübingen (extrait), un portrait de Philippe Lacoue-Labarthe réalisé par Michel Deutsch,

Seppia & France3, 2013.


Philippe Lacoue-Labarthe

Connu d'abord comme philosophe, Philippe Lacoue-Labarthe était aussi écrivain, traducteur et metteur en scène. Passionné de littérature et très tôt de Hölderlin, il se forme auprès de Gérard Genette, Gérard Granel et Jean-Marie Pontévia, avant d'être nommé en 1967 à la Faculté de philosophie de Strasbourg où il rencontre Jean-Luc Nancy. Ils y enseignent l'un et l'autre jusqu'en 2002 (dont près de quinze ans de cours à deux) en créant une émulation intense rythmée par des échanges réguliers avec Jacques Derrida, Jean-François Lyotard... et y fondent Le carrefour des littératures européennes puis le Parlement des écrivains. Ils publient ensemble leur premier livre Le titre de la lettre (1973) et cosignent L'absolu littéraire (1978), ouvrage de référence sur le Romantisme allemand. Parallèlement, Philippe Lacoue-Labarthe déploie une œuvre tout entière articulée autour du concept de mimésis qui lui permet d'interroger l'art (Portrait de l'artiste en général, 1978), la question politique (La fiction du politique, 1987) comme la tradition philosophique (Le sujet de la philosophie, 1979 ; L'imitation des modernes, 1986). Tout son effort est porté par une explication intransigeante avec l'œuvre de Heidegger et son interprétation de Hölderlin (Heidegger, la politique du poème, 2002). Il se confronte directement au théâtre et signe avec Michel Deutsch plusieurs mises en scène. Il mène une importante œuvre de traducteur (Benjamin, Heidegger, Hölderlin et Nietzsche, mais aussi Euripide, Foix et Caproni). Éditeur, il codirige la revue puis la collection Première Livraison (Bourgois) ainsi que les collections La philosophie en effet (Flammarion puis Galilée) et Détroits (Bourgois). En retrait, Philippe Lacoue-Labarthe publie ponctuellement des textes proches du poème, dont il ne se décide que très tard à faire un livre (Phrase, 2000).

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