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18 décembre : les migrants sentent le bouc (émissaire). Texte inédit de Voltaire


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Dans un parc public de Pékin, en Chine, le mardi 16 décembre 2025. Photo Andy Wong / AP


En cette Journée internationale des migrants, depuis le Panthéon où il repose pour l'éternité, Voltaire nous adresse un texte forcément inédit : « Le migrant rappelle, par son simple pas en avant, l’échec d’un monde qui produit des déplacements forcés comme il produit des marchandises ». Et en éphéméride, dans notre Panthéon du jour, outre l'indépendance du Qatar et du Nigeria, on salue comme il se doit Paul Klee, Pierre Desgraupes, André S. Labarthe, le poète canadien Gatien Lapointe, Robert Bresson, Václav Havel, et le grand écrivain et journaliste vietnamien Bùi Ngọc Tấn.

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 L'IMAGE DU JOUR


En tête de publication. Dans un parc public de Pékin, en Chine, le mardi 16 décembre 2025, des habitants entament une danse pour se réchauffer (Photo Andy Wong / AP). Bulletin météo. À Pékin ce 18 décembre, il fait froid et sec, avec un temps hivernal typique. Les températures tournent autour de 3 °C en journée et descendent vers −6 °C la nuit, avec une impression ressentie proche de −7 °C en raison du vent. L’air reste plutôt sec, avec une humidité autour de 45–50%, un faible risque de précipitations et un ciel souvent dégagé à part quelques passages nuageux. Une doudoune, gants, écharpe et bonnet sont recommandés, surtout pour les sorties matinales et en soirée.

Chine et migrants. Pour les migrants, la Chine n'est pas vraiment la destination souhaitée. Le recensement 2020 comptait environ 1,4 million de personnes nées à l’étranger ou venues de Hong Kong, Macao et Taïwan, et à peine 12.000 titulaires d’une résidence permanente. Après l’effondrement des présences étrangères pendant le Covid, les entrées ont fortement rebondi : plus de 14,6 millions de ressortissants étrangers sont entrés en Chine au premier semestre 2024, dont 8,5 millions sans visa, à la faveur de nouvelles exemptions et facilités d’entrée. En matière de réfugiés, le pays a ratifié la Convention de 1951 mais laisse le HCR gérer seul la reconnaissance du statut, que Pékin accepte formellement tout en refusant l’intégration locale durable de ces personnes. Les réfugiés reconnus par le HCR n’ont pas le droit de travailler légalement, dépendent d’une aide internationale pour vivre et restent pour la plupart dans l’attente d’une réinstallation dans un pays tiers, sur fond de forte sensibilité politique autour de la question migratoire

La Chine est d’abord un pays de migrants internes : près de 300 millions de travailleurs vivent et travaillent loin de leur lieu d’enregistrement administratif. Ils constituent l’ossature de l’industrialisation et de l’urbanisation chinoises, mais restent cantonnés à un statut de citoyens de seconde zone, avec des emplois peu protégés et un accès restreint à l’école, à la santé ou aux retraites pour leurs familles, à cause du système de hukou : un registre de résidence qui classe chaque citoyen chinois selon un lieu et un statut (urbain ou rural), héritage d’un dispositif de contrôle instauré à l’époque maoïste. Ce système fonctionne comme un « passeport intérieur » qui conditionne l’accès à l’école, à la santé, au logement subventionné ou aux protections sociales dans la ville où le hukou est enregistré.


 LA CITATION DU JOUR


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Reproduction d'un portrait non daté de Voltaire.


Voltaire, texte inédit

« Le migrant rappelle, par son simple pas en avant, l’échec d’un monde qui produit des déplacements forcés comme il produit des marchandises »


Le migrant est né, comme chacun, d’une mère, d’un père, et d’un hasard géographique. Il est venu au monde dans un pays sans pétrole, sans banques ou sans clémence climatique, ce qui, aux yeux des puissants, constitue déjà un crime de naissance. À force de bombardements, de sécheresses ou de salaires de misère, il s’est mis en marche, traînant derrière lui une valise, quelques souvenirs et beaucoup de reproches qu’on ne tarderait pas à lui adresser.

Car il faut bien un coupable aux malheurs du siècle. Lorsque les banques se jouent des peuples, on accuse la complexité des marchés. Lorsque les actionnaires ferment les usines, on invoque la main invisible. Lorsque des gouvernements sous-dotent l’hôpital, on parle de « contraintes budgétaires ». Mais que le migrant apparaisse, trempé, hagard, à la frontière, et soudain tout devient limpide : c’est lui, évidemment, qui vole les emplois qu’on a délocalisés, les logements qu’on n’a pas construits, les lits d’hôpitaux qu’on a supprimés.

Les anciens sacrifiaient des boucs pour apaiser leurs dieux irrités ; les modernes sacrifient des étrangers pour flatter leurs électeurs inquiets. On frappait autrefois un animal innocent pour laver la communauté de ses fautes ; on frappe aujourd’hui le migrant pour laver les gouvernants de leurs mensonges. Rien ne ressemble plus à un rite religieux que ces campagnes où l’on promet d’ériger des murs, d’affréter des charters, d’installer des barges-prisons au large, comme si l’élévation de la vertu nationale dépendait du nombre de personnes repoussées à la mer.

On accuse le migrant d’importer l’insécurité, comme si celle-ci n’avait pas prospéré avant lui dans les quartiers abandonnés aux trafics et à la misère. On l’accuse de menacer l’identité, comme si cette identité n’était pas assez solide pour supporter la rencontre de quelques visages nouveaux. On l’accuse d’abuser des aides sociales, quand le fisc pardonne si volontiers les acrobaties des grandes fortunes, et que les paradis fiscaux, ces vrais migrants de l’argent, voyagent sans visa d’un écran à l’autre.

Le plus admirable, dans cette comédie, est la gravité avec laquelle on érige en danger existentiel un homme qui n’a souvent pas même une paire de chaussures sèches. Il faudrait des volumes savants pour expliquer comment un enfant qui franchit une frontière devient, par cette seule enjambée, une menace pour la civilisation. On lui refuse une couverture, mais on lui prête une puissance renversante : celle de détruire la culture, la langue, la nation tout entière, rien qu’en frappant à la porte d’un foyer.

On parle de « flux » comme on parlerait d’inondations, de « vagues » comme si les êtres humains étaient des paquets d’écume, de « pression migratoire » comme si leur simple présence pesait sur les digues de notre confort. Ce vocabulaire n’est pas innocent : il permet de ne plus voir des visages, mais des masses ; non plus des histoires, mais des chiffres ; non plus des vies, mais des risques. Quiconque perd le visage perd aussitôt le droit à la compassion.

Cependant, il n’est de bouc émissaire que parce qu’il est faible. On ne chasse jamais en meute le banquier, le marchand d’armes, le spéculateur : ils sont trop bien gardés. On se console avec l’illusion de puissance qu’offre le spectacle d’un homme plus démuni que soi, pourvu qu’il ait traversé une mer. L’essentiel, pour le citoyen apeuré, n’est pas d’être en sécurité, mais de se savoir au-dessus de quelqu’un. Le migrant est cette marche supplémentaire sur laquelle on croit pouvoir monter pour oublier que l’escalier se fissure tout entier.

Qu’arriverait-il si, par impossible, on parvenait à renvoyer tous ces importuns vers leurs ruines d’origine ? Les salaires remonteraient-ils sous l’effet magique des frontières fermées ? Les hôpitaux retrouveraient-ils du personnel, les écoles des budgets, les campagnes des services publics ? Les fortunes planquées reviendraient-elles, repentantes, irriguer la patrie ? On verrait alors que l’étranger n’était que la statue de sel à qui l’on imputait les tempêtes, et que les véritables orages venaient d’ailleurs.

Le migrant n’est pas un saint : il porte, comme nous, ses faiblesses et ses contradictions. Mais s’il est devenu le nouveau bouc émissaire, c’est parce qu’il rappelle, par son simple pas en avant, l’échec d’un monde qui produit des déplacements forcés comme il produit des marchandises. On l’accuse de déranger l’ordre ; en réalité, il révèle le désordre. Et c’est peut-être là son crime le plus impardonnable : tenir un miroir à des sociétés qui préfèrent toujours briser le miroir plutôt que se regarder en face.


Voltaire, postface à Zadig, le Panthéon, Paris, 18 décembre 2025

(pour copie conforme, Tzotzil Trema pour les humanités)


 ÉPHÉMÉRIDE


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Paul Klee, Actor's Mask (Schauspielermaske), 1924. New York, Museum of Modern Art (MoMA).


Bien sûr, il eut été possible, ce 18 décembre, de commémorer, par ordre d'apparition, le peintre Paul Klee, né il y a 146 ans, le 18 décembre 1879 ; du journaliste et homme de télévision Pierre Desgraupes, né il y a 107 ans, le 18 décembre 1918, qui ne reconnaîtrait pas, s'il revenait aujourd'hui, le service public pour lequel il a tant œuvré, lui qui souhaitait faire du téléspectateur un citoyen et non un consommateur (voir ICI) ; du critique de cinéma, producteur, réalisateur et scénariste André S. Labarthe, né il y a 94 ans († 2018), le 18 décembre 1931, qui avait « la passion du désordre » (voir ICI) ; et de l'écrivain et poète canadien Gatien Lapointe, né à Sainte-Justine-de-Dorchester (Chaudière-Appalaches) ce même 18 décembre 1931 († 1983), figure marquante de la poésie québécoise de la Révolution tranquille, qui est notamment l’auteur de L’Ode au Saint-Laurent (1963), vaste chant lyrique dédié au fleuve (voir ICI) ; et aussi, par ordre de disparition, le cinéaste Robert Bresson, mort à 98 ans, il y a 26 ans, le 18 décembre 1999 ; du dramaturge, essayiste, dissident puis homme d'État Václav Havel, mort à 75 ans, le 18 décembre 2011 ; ou encore du grand écrivain et journaliste vietnamien Bùi Ngọc Tấn, mort à 70 ans, le 18 décembre 2014 : militant de la résistance anticoloniale puis reporter, il commence à écrire pour la presse et la littérature dans les années 1950, avant d’être arrêté à la fin des années 1960 et emprisonné plusieurs années dans le cadre des purges politiques menées contre les intellectuels. Cette expérience carcérale et la répression dont il est victime nourrissent son œuvre, en particulier Chuyện kể năm 2000 ("Récit de l’an 2000"), roman‑témoignage devenu un texte majeur de la littérature vietnamienne d’après-Đổi Mới, longtemps frappé de censure au Vietnam. Traduit en français chez L’Aube, il avait reçu en 2008 le Grand Prix de littérature d’Asie décerné à Paris, consacrant une écriture à la fois sobre, ironique et profondément empathique envers les « vaincus » de l’histoire.


Pour l'histoire, il eut en outre été possible de se souvenir qu'il y a tout juste 100 ans, le 18 décembre1925, lors du XIVe Congrès du PCUS, Staline faisait triompher la thèse du « socialisme dans un seul pays », sur celle de la révolution mondiale défendue par Léon Trotski ; et qu'il y a tout juste 160 ans, le 18 décembre 1865, l'esclavage était enfin aboli aux États-Unis pas encore trumpisés, par la proclamation du XIIIe amendement de la Constitution fédérale.


Il eut enfin été possible, et sans doute souhaitable, de faire broderie autour de la Journée mondiale pour la langue arabe et de la fête d'indépendance au Qatar (où 85 à 90% de la population est étrangère, soit autour de 2,4 à 2,7 millions de personnes. Ces migrants représentent près de 95% de la main‑d’œuvre du pays, principalement des travailleurs originaires d’Inde, du Népal, du Bangladesh, des Philippines, d’Égypte et d’autres pays d’Asie et d’Afrique); et aussi d'une autre fête d'indépendance, au Nigeria (où, à l'inverse du Qatar, les estimations de l’ONU situent le "stock de migrants" internationaux à environ 1,4 million de personnes en 2024, soit autour de 0,6% de la population nigériane. La plupart de ces migrants viennent de pays voisins d’Afrique de l’Ouest (Bénin, Ghana, Niger, Togo, Mali), dans un contexte de mobilité régionale ancienne et relativement intense. 


En lieu et place, si l'on s'est permis de réveiller Voltaire de son long sommeil dispersé (ses restes ont été transférés en 1791 au Panthéon, mais son cœur et son cerveau, prélevés avant le transfert, sont conservés séparément (cœur à la BnF, cerveau à la Comédie‑Française), c'est que ce 18 décembre est Journée internationale des migrants, instituée en 2000 par l’Assemblée générale des Nations unies, en lien avec l’adoption, dix ans plus tôt, de la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille. Il y a peu de chance que cette information majeure fasse la Une ni même la sous-Une des gazettes et des écrans hexagonaux, et on ne parle pas uniquzment des titres du giron bolloréen. Il n'y a d'ailleurs aucun événement officiel prévu à cette occasion en France sous emprise du barde-est-là et de la clique des fâcheux du Rassemblement nationaliste. On pourra tout de même se rendre porte Dorée à Paris, où la Cité de l’histoire de l’immigration à Paris met la musique au cœur du dialogue interculturel, en partenariat avec l’Agence française de développement et l’ONG Pax Musica (*) : concert (gratuit, sur réservation) à 20 h 30, avec des artistes venus d’Ukraine, de Russie, d’Arménie, de Turquie, d’Iran et d’ailleurs, qui interprètent des œuvres classiques et contemporaines, aux côtés de musiciens de renom comme Julie Sevilla-Fraysse, Guillaume Berceau, Artyom Minasyan, Yona Zékri, Dana Ciocarlie, Oussama Mhanna et Anousha Nazari. Ensemble, ils tissent un récit musical émouvant où se mêlent œuvres classiques et contemporaines, récits de parcours et voix de l’exil, dans une soirée qui célèbre la rencontre et la richesse des cultures en mouvement (voir ICI).


(*). Fondée en 2024 par Hélène Daccord, chercheuse mélomane et entrepreneure sociale, Pax Musica est conçue comme une académie de musique sans frontières qui accompagne des musiciens réfugiés dans la poursuite de leur carrière artistique en France. L’association propose un programme d’excellence mêlant compagnonnage musical, masterclasses, résidences artistiques et concerts-témoignages. https://paxmusica.fr/ et sur Instagram https://www.instagram.com/pax_musica_academie/


DANS LE RÉTROVISEUR


Pour se mettre au diapason de cette Journée internationale, nous avons reprêché dans l'archive des humanités, parmi 176 "contenus ressources" où apparaît le mot "migrants" (voir ICI), trois pièces maîtresses.


  1. Un portfolio

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Photographie de Laurent Purm, issue d'un portfolio publié par les humanités le 23 janvier 2022


"En direct des jungles (de Grande Synthe et Calais)", photographies de Laurent Purm, publié le 23 janvier 2022.

« Les migrants », c’est anonyme. Avec eux, parmi eux, à fleur d’histoires, à fleur de regard, depuis Calais et Grande Synthe, Laurent Prum partage leur quotidien et en témoigne sur son blog. Dans ces « jungles » qu’il qualifie de « camps », il dit photographier « comme on ferme les yeux en embrassant quelqu'un ». Et celles et ceux qu’il embrasse du regard «portent la lumière de ceux qui luttent pour leur vie ».


  1. Un texte-poème

"Le maire, le ministre et ses migrants", un texte inédit de Patrick Beurard-Valdoye, publié le 6 février 2022.

« comme ceux des sylves deviennent enfoule

les policiers se lèvent à l'aube armés

de courage et d'équipement

pour virer tentes et arbacs

faire du nettoyage comme disent

les kalebucks

refouler la vague migratoire

gazer l'eau potable en bidons

convertir en déchets les effets faisant »


  1. Un texte de la philosophe Marie-José Mondzain

« En l'honneur du premier venu », publié le 26 mai 2022.

Pour la philosophe Marie-José Mondzain, « dans l’exercice de l’hospitalité, et lui seul, nous construisons notre appartenance à l’histoire d’un même monde. » Et la question de l’hospitalité est « un enjeu politique car il en va de la résistance radicale à la déshumanisation du monde ». Une leçon d’hospitalité qui voyage dans l’étymologie grecque et latine et puise aussi dans le récit de l’Odyssée pour se tenir à hauteur de présent, dans la puissance d’agir qu’ouvre l’accueil de l’étrange étranger.

  • Texte issu d’une intervention de Marie-José Mondzain au cours de la soirée de solidarité « Terre d’humanité – un chœur pour Mimmo » - Théâtre de l’Échangeur de Bagnolet - 26 février 2022, en partenariat avec les humanités. Vidéo ICI.

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