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19 décembre. En plein dans le mille ! (tout de go)


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Peter Stuart Wright, originaire d'Écosse, lance une fléchette lors d'un match du premier tour du championnat du monde de fléchettes à l'Alexandra Palace de Londres, le 15 décembre 2025. Photo Kin Cheung / AP


Philosopher à l'arc ? Du vacarme bariolé des Mondiaux de fléchettes à l’abstraction silencieuse du jeu de go, ce 19 décembre fait dialoguer jeux d’adresse et coups du destin, anniversaires de naissance et trajectoires cabossées. C’est aussi le jour où l’on exhume d'une archive - sac à malices, le script inédit d'une rencontre entre Jean Genet et Édith Piaf, nés tous deux un 19 décembre, pour mieux interroger ce que la littérature et la chanson doivent aux vaincus, aux coupables et aux survivants.

 J-13 : DONS DÉFISCALISABLES JUSQU'AU 31/12/2025  

Compte à rebours : Il nous reste 13 jours pour espérer réunir d'ici le 31 décembre 4.000 € -un chiffre rond-, de façon a améliorer le site et son référencement et pouvoir salarier un.e premier.e journaliste, conditions exigées pour pouvoir espérer (enfin !) de possibles aides publiques en 2026. On se rapproche, mais pas encore au bout du bout : depuis le lancement de cette campagne (le 31 octobre), quarante-et-un donateurs, 2.725 € (hier, chou blanc).

Pour mémoire, nous avons fait le choix d'un site entièrement gratuit, sans publicité, qui ne dépend que de l'engagement de nos lecteurs. Jusqu'au 31/12/2025, les dons sont défiscalisables (à hauteur de 66% du montant du don). Un don de 25 € ne revient ainsi qu'à 8,50 € (17 € pour un don de 50 €, 34 € pour un don de 100 €, 85 € pour un don de 250 €). Dons ou abonnements ICI


 L'IMAGE DU JOUR


En tête de publication. Simple omission ou censure délibérée ? On n'est pas complotiste pour deux sous, mais on est quand même en droit de se poser des questions. En tout cas, force est de constater que la presse hexagonale a totalement passé sous silence un événement planétaire, qui se déroule à Londres, à l'Alexandra Palace. Il est encore temps de se rattraper, la finale est prévue le 6 janvier. Nous voulons parler du championnat du monde de fléchettes, organisé par la Professional Darts Corporation (PDC). 125.000 spectateurs, venus voir se disputer le titre une centaine joueurs venus du monde entier. A 18 ans, le tenant du titre, le jeune britannique Luke Littler, alias "The Nuke" (la bombe atomique), conservera-t-il son trophée ? Les paris en ligne sont ouverts, et ils vont bon train.


Plutôt que de parler de Bardella tous les quatre matins, la presse ferait mieux de s'intéresser à ces Mondiaux de fléchettes, d'autant que l'ambiance y est plutôt colorée : supporters costumés (super‑héros, personnages pop, déguisements de Noël, etc.), chants, pancartes, consommation d’alcool et atmosphère de fête de fin d’année... Voir photo reportage ICI.


Pour information, l’expression « en plein dans le mille », qui signifie, au sens figuré, « tomber juste », « réussir exactement son coup, vient d’un vieux jeu d’adresse, le jeu de tonneau. Dans le jeu de tonneau, un palet devait tomber dans une ouverture particulière (souvent figurée par une grenouille) qui rapportait 1000 points, le score maximal : mettre le palet là, c’était « faire mille ». De là est née, au XIXᵉ siècle, l’expression « dans le mille », puis « en plein dans le mille », pour dire qu’on a atteint la cible parfaitement, d’abord au sens propre, puis dans tous les domaines (remarque juste, décision efficace, diagnostic précis, etc.).


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Dans un registre voisin, on ne saurait que trop recommander la lecture de Philosopher à l’arc, bref récit philosophique de Jean‑Paul Curnier, où l’expérience du tir (à l’arc) devient dispositif de pensée sur le sujet, l’animalité et la disparition de soi. Publié d’abord aux Éditions Châtelet‑Voltaire (2014), puis repris aux Éditions Lignes / Nouvelles Lignes (2016), le texte se présente comme un « récit philosophique » plutôt qu’un traité académique.

Le point de départ : chasser à l’arc impose de s’approcher très près des bêtes, de connaître leurs comportements et, pour ainsi dire, de devenir presque invisible pour elles.  À force de « disparaître » comme sujet distinct pour approcher l’animal, le chasseur cesse partiellement d’être lui‑même et devient, en partie, ce qu’il traque ; Jean-Paul Curnier en fait une méditation sur notre propre animalité, la frontière humain/non‑humain, et la mise en abyme du sujet. Philosopher à l’arc, c’est laisser se développer les pensées qu’appelle cette expérience à la fois archaïque, physique et mentale, et interroger la manière dont la pratique concrète transforme la pensée elle‑même.

 

Pensée décapante et enjouée : philosophe et écrivain français (né et mort prématurément à Arles, en 2017, à 66 ans, Jean-Paul Curnier est l’auteur d’une œuvre importante mêlant essais politiques, esthétiques et récits, parmi lesquels La Piraterie dans l’âme, Prospérités du désastre et Philosopher à l’arc.

  • Hommage rendu par Jean-Marc Adolphe sur son blog Mediapart, le 8 août 2017, ICI.

  • Marie Herbreteau, autrice, éditrice et collaboratrice de Jean‑Paul Curnier autour de Philosopher à l’arc, a mis en ligne plusieurs archives autour de Jean-Paul Curnier : https://marieherbreteau.com/jean-paul-curnier/, ainsi qu’un site entièrement dédié au philosophe : https://jeanpaulcurnier.com/ 

  • A voir sur YouTube : "L’actualité du jour", conférence musicale avec le tromboniste Yves Robert, 14 octobre 2011, et "Là où l'arc nous emmène" - Conférence de Jean-Paul Curnier au Festival ActOral à Marseille, 11 octobre 2014 (ICI).


 LA CITATION DU JOUR


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 ÉPHÉMÉRIDE


Sans Mileva, peut-être que E n'aurait jamais égalé mc2


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Ci-contre : Mileva Marić, devenue Marić-Einstein en 2003


On connaît la phrase de Marie Curie à qui lui demandait ce que ça fait de vivre à côté d’un génie : « Demandez à mon mari », répondit-elle…

Les hommes, toujours les hommes. Ce ne serait pourtant rien retirer au génie d’Albert Einstein que de pleinement reconnaître la part qu’y prit Mileva, morte à Zurich en 1948 dans l’oubli et la pauvreté. D’elle, pourtant, Albert Einstein disait : elle est « une créature qui est mon égale ». Née il y a tout juste 150 ans, le 19 décembre 1875 à Titel (aujourd’hui en Serbie), Mileva Marić fait partie des toutes premières femmes admises en section maths‑physique à l’École polytechnique de Zurich, où elle rencontre le futur grand Albert. Ils se marièrent et eurent trois enfants : une fille, Lieserl (née hors mariage, dont le destin reste incertain) puis deux fils, Hans Albert et Eduard, après leur mariage en 1903. Pendant les années décisives d’Einstein (période du brevet de Berne et des articles de 1905), Mileva dut renoncer à sa propre carrière : il faiit bien faire la tambouille et s’occuper des marmots, et Einstein préférait la physique au partage des tâches ménagères. Pour remercier Mileva, Albert Einstein jeta son dévolu sur sa cousine, Elsa. Albert et Mileva se séparèrent en 1914, avant de divorcer en 1919. Jusqu’à sa mort, Mileva s’est occupé seule de leur fils Eduard, atteint de schizophrénie… Albert Einstein n’a certes jamais visé le prix Nobel de la paternalité. Qu’il nous soit cependant permis, pour le 150e anniversaire de sa naissance, d’honorer ici la mémoire de Mileva Marić.


Tout de go


On ignore si Minoru Kitani (木谷 実) fut exemplaire dans sa vie personnelle, mais on saluera aussi ce jour, pour le quarantième anniversaire de sa disparition, le grand joueur et pédagogue du go japonais qu’il fut.

Né le 25 janvier 1909 à Kobe 5, il devient professionnel très jeune, est promu 1 dan en 1924 et atteindra le grade de 9 dan en 1956. Surnommé « le grand Kitani », il est d’abord un prodige : en 1928, il remporte un tournoi à élimination directe en battant huit adversaires d’affilée. Dans les années 1930, il forme avec Go Seigen le duo à l’origine du shin-fuseki (« nouvelle ouverture »), révolution des schémas d’ouverture fondée sur l’influence et les hoshi (points étoilés), qui bouleverse le go classique. Leur célèbre match de Kamakura (jubango de 1939) est un tournant : Kitani y subit une lourde défaite contre Go Seigen, et sa carrière purement compétitive en sera durablement affectée, d’autant qu’il souffre de problèmes cardiaques. Mais il remporte tout de même ensuite la NHK Cup (1960) et le titre Asahi Top Position (1957, 1958).


La célèbre partie de go entre Go Seigen et Kitani Minoru, reconstituée dans le film The Go Master (2006, réal. Tian Zhuangzhuang)


Le « Kitani dōjō » et l’héritage pédagogique. Après-guerre, il fonde chez lui, à la campagne, le fameux « Kitani dōjō », considéré comme la plus importante « pépinière » de pros de l’histoire moderne du go : plus de 60 élèves, dont environ 40 deviendront professionnels, pour un total cumulé de plus de 250 dan. Parmi ses élèves et héritiers : Kato Masao, Cho Chikun, Rin Kaiho, Kobayashi Koichi (qui épousera sa fille Reiko, joueuse 6 dan), et sa petite‑fille Izumi Kobayashi, figure majeure du go féminin japonais.


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Pour la fin, on a gardé la cerise sur le gâteau. Cela aurait pu faire un biopic à succès sur Netflix, mais on a préféré en garder l'exclusivité.


Ce 19 décembre 2025, Édith Giovanna Gassion, plus connue sous le nom de Édith Piaf, aurait eu pile poil 110 ans (née le 19 décembre 1915). Et Jean Genet, de cinq ans son aîné (né le 19 décembre 1910) aurait 115 ans.

Les biographes de l'un et de l'autre prétendent qu'ils ne se sont jamais rencontrés. Or, nous avons retrouvé au fond d'un sac à malices, les notes prises par un certain Joseph Quidam (appelons-le ainsi). Le dialogue qui suit a été reconstitué à partir de ces notes fragmentaires.

La scène se déroule à la terrasse d'un café parisien, en 1945 (les notes n'indiquent pas de date plus précise).


La terrasse sent le tabac froid et le café brûlé. Paris sort à peine des ténèbres, mais les chaises en fer sont de nouveau dehors. Un homme maigre, au regard fiévreux, corrige des phrases dans un cahier taché d’encre. Une petite femme s’avance, silhouette vive, foulard serré autour du cou. 

 

— Vous êtes bien Jean Genet ? 

 

L’homme lève la tête, intrigué. 

— Parfois, oui. Ça dépend de qui demande. 

 

— C’est Édith Piaf qui demande. On m’a dit que vous écriviez des choses qu’on ne met pas dans les chansons. 

 

Un sourire traverse le visage de Genet. 

— On m’a dit que vous chantiez des choses qu’on n’ose pas écrire. On dirait que nous avons un problème commun avec la bienséance. 

 

Elle s’assoit sans attendre qu’on l’y invite. 

— La bienséance, je ne l’ai jamais croisée dans les bals musette. J’ai surtout rencontré la misère et les types qui rentrent tard. 

 

— Moi, je l’ai croisée en prison, la misère. Elle y avait une autre odeur, mais la même voix. 

 

Piaf le fixe, intéressée. 

— Prison et trottoirs, ça fait une drôle de paire. On aurait pu se croiser avant, vous et moi. 

 

— Peut‑être qu’on s’est croisés sans le savoir, répond Genet. Dans les regards qu’on évite. 

 

Le serveur pose deux cafés. Piaf allume une cigarette, lui tend le paquet. 

 — Vous écrivez sur eux, les gars des bas‑fonds ? 

 

— Je n’écris que sur eux. Les voleurs, les matelots, les traîtres, les condamnés. Ceux qu’on ne veut pas voir sur les affiches ni dans les journaux. 

 

— Moi, ce sont eux qui viennent m’écouter, dans les salles. Les types qui ont dormi sous les ponts, les filles qui ont tout perdu. Ils me regardent comme si j’étais la dernière chance de comprendre leur vie. 

 

Genet hoche la tête. 

— Vous leur donnez une voix. Moi, j’essaie de leur donner une beauté. Une beauté sale, dangereuse, mais une beauté quand même. 

 

— On se ressemble un peu, alors, lâche Piaf. On fait de l’or avec des poubelles. 

 

Genet éclate d’un rire bref. 

— Non, on montre que les poubelles brillent déjà. C’est ça qui scandalise le plus. 

 

Elle souffle la fumée sur le côté, comme pour chasser un souvenir. 

— Depuis la Libération, on veut des héros propres, des résistants impeccables. Mais les vrais, ceux qui reviennent de loin, ils ne sont pas si beaux. 

 

— Je n’ai jamais cru aux héros, dit Genet. Je crois aux maudits. À ceux qui ne seront jamais pardonnés, même quand ils n’ont rien fait de pire que survivre. 

 

— Vous croyez qu’on pourrait mettre ça dans une chanson ? 

 

— Si vous le chantez, tout passera. Vous pourriez faire pleurer la police, Édith. 

 

Elle rit, cette fois franchement.  

— J’en ai déjà fait pleurer quelques‑uns. Mais on me demande toujours la même chose : l’amour, la peine, le destin. Jamais la honte. 

 

— La honte, c’est mon territoire, répond Genet. J’en fais des couronnes pour ceux qui n’ont jamais eu de gloire. 

 

Piaf le regarde avec une curiosité grave. 

— Écrivez‑moi quelque chose, alors. Pas une belle histoire. Une histoire de perdants qui se tiennent debout quand même. 

 

— Vous seriez prête à chanter pour les voleurs, les renégats, les traîtres ? 

 

— Je chante déjà pour eux. Simplement, on ne le dit pas sur l’affiche. 

 

Genet tire son cahier vers lui. 

— Très bien. Je pourrais écrire une chanson où la femme n’est ni victime ni sainte. Où elle choisit son enfer. 


— Ça, ça me parle, murmure Piaf. On me préfère martyre, mais je me sens plutôt coupable. 

 

— Coupable de quoi ? 

 

— De survivre quand d’autres sont restés sous les bombes. De continuer à chanter quand il n’y a plus rien à dire. 

 

Genet la fixe, silencieux. 

 — Vous êtes exactement mon genre de personnage, Édith. Une sainte au casier judiciaire moral. 

 

Elle se lève, termine son café d’un trait. 

— Alors mettez‑moi dans vos pages, mais ne me nettoyez pas. Gardez les taches. 

 

— Je ne sais pas faire autrement, répond Genet. Et si vous chantez mes mots, ils vous iront comme un manteau volé. Un peu trop grand, mais impossible à rendre. 

 

Elle esquisse un sourire fatigué. 

— On dira que, ce jour‑là, au moins, la misère et la poésie ont payé ensemble leur addition. 

 

— Non, corrige Genet, ce jour‑là, elles ont comploté. 

 

Elle s’éloigne dans le brouhaha, petite silhouette sombre qui disparaît dans la lumière sale de la rue. Genet rouvre son cahier et note : « Voix de graine de pavé. Lui écrire une prière pour les damnés. »


pour copie conforme : Tzozil Trema, pour les humanités



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