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A Bilbao, l’art contemporain contre la biodiversité

Dernière mise à jour : 7 juin

Le musée Guggenheim de Bilbao, inauguré en 1997.


Sous couvert de rayonnement culturel, un projet d’extension du Guggenheim au Pays basque espagnol menace l’un des écosystèmes les plus précieux d’Europe. Réserve de biosphère, zone humide protégée, sanctuaire pour les oiseaux migrateurs : tout cela pourrait céder face aux bulldozers d’un art devenu vitrine économique.


Alerte Rouge. L'Alliance Méditerranéenne pour les Zones Humides, qui regroupe 30 associations de protection de l’environnement, vient de lancer une puissante campagne de plaidoyer auprès de l’Unesco, de la Convention relative aux zones humides de Ramsar (1) et du gouvernement espagnol. Un territoire menacé ? Celui de l’estuaire d’Urdaibai, en Biscaye, au Pays basque espagnol, où la Fondation Guggehneim projette de construire une extension du célèbre musée de Bilbao.

 

Le projet du Guggenheim à Urdaibai, entre Guernica et Murueta, n’est pas nouveau. Il remonte à 2008. Pour répondre au manque d’espace du musée de Bilbao (24.000 m² de surface (dont 9.000 m² dédiés aux expositions) lors des grands événements, la Fondation Guggenheim décide de construire deux annexes : une à Guernica (5.000 m² sur deux étages, avec billetterie, auditorium, résidence d’artistes, etc.) et une à Murueta (3.000 m² d’exposition, restaurant, café), reliées par un sentier de 6 km, pour un coût total estimé de 130 millions d’euros. Problème : cette implantation se ferait en pleine zone protégée. Urdaibai est un complexe de zones humides côtières situé près de l'embouchure et du cours inférieur de la rivière Oka, au Pays basque espagnol, une zone cruciale pour la biodiversité. Ce delta étonnant est reconnu internationalement par ses multiples désignations : Réserve de biosphère de l'UNESCO, site Natura 2000, site Ramsar, zone importante pour la conservation des oiseaux, zone clé pour la biodiversité. Il abrite une flore et une faune très variées, ce qui en fait un habitat vital pour de nombreuses espèces, en particulier les oiseaux d'eau qui utilisent le site pour la nidification, les haltes migratoires ou l'hivernage.


En 1984, l'estuaire et la vallée de Mundaka-Gernika étaient déclarés réserve de la biosphère d'Urdaibai par l'UNESCO.

L’estuaire est le cœur de la réserve de la biosphère d’Urdaibai, qui s'étend sur une surface de 23 000 hectares

et représente10 % de la province de Biscaye du Pays Basque espagnol. Elle est traversée par le fleuve Oka

et se transforme en estuaire à Mundaka. Urdaibai abrite une faune et une flore d’exception car de nombreuses espèces d'oiseaux

l'utilisent comme lieu de repos lors de leurs voyages migrateurs et de leurs périodes de reproduction.

 

Dès le début, le projet a suscité une forte opposition locale et environnementale, notamment de la part de la plateforme "Guggenheim Urdaibai Stop" et de grandes ONG écologistes (Greenpeace, SEO Birdlife, WWF, etc.), qui dénoncent les risques pour la biodiversité, la destruction de sites industriels historiques, la réduction de la protection du domaine public maritime-terrestre, et le risque de surtourisme dans une zone fragile. Des mobilisations citoyennes et des manifestations importantes ont eu lieu, notamment à Guernica en octobre 2024. Le projet a été mis en pause à plusieurs reprises, notamment de 2009 à 2012, alors que le gouvernement de Patxi López (Parti socialiste d'Euskadi) dirigeait la communauté autonome du Pays basque. Mais le projet a été relancé en 2020, sous la présidence d’Iñigo Urkullu (Parti nationaliste basque).

 

Les opposants ne désarment pas. « Nous sommes de plus en plus conscients de ce que le changement climatique et la perte de biodiversité impliquent. Si nous voulons éviter les pires scénarios du changement climatique, nous avons besoin d’écosystèmes sains qui nous aident à atténuer ces impacts. [...] L’extension ne peut pas passer par la destruction d’un espace aussi précieux », déclare ainsi Lorea Flores, porte-parole des écologistes d’Euskadi.

 

Alors que des recours juridiques sont encore en cours, la Fondation Guggenheim aujourd’hui présidée par J. Tomilson Hill, un financier américain qui a fait fortune dans les fonds spéculatifs au sein du groupe Blackstone (2), n’entend pas renoncer à son projet. La biodiversité ? Ça ne rapporte tien, d’ailleurs ça ne s’expose même pas !

 

Le musée Guggenheim a certes fortement contribué, depuis son inauguration en 1997, au « rayonnement » de Bilbao, mais pourquoi vouloir toujours plus, plus grand, plus fort, plus pharaonique ? (3). « La population locale a besoin d’une stratégie de développement alignée avec le merveilleux environnement naturel d’Urdaibai et une culture pour tous et toutes mais sans détruire la nature. On ne peut pas miser sur des projets qui répondent à des intérêts privés, mais financés par des fonds publics, sans participation citoyenne et qui vont à l’encontre de la population, comme c’est le cas ici », indique encore Lorea Flores.


Image du festival Árbola, du 11 au 15 juin en Navarre.


Un festival d'art contemporain qui compose avec la nature


Non loin de l’estuaire d’Urdaibai et du Pays basque espagnol, en Navarre, un festival d’art contemporain ne prévoit pas d’attirer 140.000 visiteurs. Il n’en a pas moins de valeur. Et ce festival respecte la nature environnante. Mieux : il compose avec elle. On a déjà parler, ici, de ce festival étonnant dont le titre, Árbola (féminisation du mot espagnol árbol, « arbre) « devient » le symbole d'une nouvelle culture guidée par des valeurs telles que la régénération, le soin, la protection, la fertilité et l'interdépendance, et il est de plus en plus perçu comme un patrimoine étroitement lié à notre santé, à notre bien-être, voire à notre survie. Dans ce contexte, une alliance entre l'art et la science qui rapproche la société du monde des arbres, en donnant une plus grande visibilité à leur nature multidimensionnelle et à leur importance géostratégique, est de plus en plus pertinente » (voir ICI entretien réalisé en 2023 avec sa directrice, Isabel Ferreira).

 

La troisième édition d’Árbola a déjà commencé, dans la région de Pampelune, par une série d’ateliers, de rencontres, de résidences. Le festival lui-même se déroule du 11 au 15 juin. On y revendra.

 

Jean-Marc Adolphe

 

NOTES


(1). Convention relative aux zones humides d’importance internationale, particulièrement comme habitats des oiseaux d’eau, adoptée en 1971 dans la ville iranienne de Ramsar. C’est le seul traité mondial dédié à la protection d’un seul type d’écosystème : les zones humides.

 

(2). Le groupe Blackstone est l'une des plus grandes sociétés de gestion d’actifs alternatifs au monde, spécialisée dans l’investissement dans le capital-investissement (private equity), l’immobilier, le crédit, les fonds spéculatifs (hedge funds) et les solutions d’assurance.

 

(3). La Fondation Guggenheim a débuté son « expansion » dans les années 1990 sous la présidence de Thomas Krens, critiqué pour sa gestion financière et son approche commerciale du musée. En 2005, le mécène Peter Lewis a démissionné du conseil d’administration, dénonçant une expansion jugée excessive et un manque de rigueur budgétaire. Certains ont qualifié son modèle de « McGuggenheim », en référence à une stratégie de « franchisation » culturelle. Dernier projet en date (outre l’extension du musée de Bilbao, l’ouverture prévue cette année du Guggenheim Abu Dhabi, conçu par l'architecte Frank Gehry, sur l'île de Saadiyat. Le musée s'étendra sur environ 42.000 m².


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