Cinédanse : Mov'in Cannes, bis repetita
- Nicolas Villodre
- il y a 3 heures
- 4 min de lecture

The Deepest Dance (2023) d'André Musgrove avec la danseuse aquatique Ariadna Hafez
Dans le cadre du festival de danse de Cannes, biennale créée en 1985, devenue manifestation annuelle cette année, a été créée en 2023 par Didier Deschamps, son directeur artistique et par le chorégraphe-réalisateur Éric Oberdorff, une section "cinédanse" intitulée Mov'in Cannes, une compétition de films courts provenant des "quatre coins de la planète".
Nous avons eu le plaisir d'assister au Cineum de Cannes la Bocca à la cérémonie officielle de remise des prix de cette deuxième édition après avoir assisté durant l'après-midi à la projection des vingt films présélectionnés parmi les 134 reçus. Le jury était cette année composé de la danseuse Marion Barbeau, de Nancy Berthier, directrice de la Casa Velázquez, de Laure Cayla, directrice de la Cité des entreprises et des studios de production Cannes Bastide rouge, de Cynthia Odier, directrice de la fondation suisse Fluxum et de Sjón, scénariste danois. Avant la cérémonie, nous avons eu droit à une performance de la très talentueuse danseuse espagnole Lorena Nogal qui a conçu une "capsule" chorégraphique d'une dizaine de minutes autour du thème de la diva, un sujet particulièrement cinématographique. Elle a épaté la galerie avec un solo mêlant subtilement humour, danse, pantomime et contorsion, rythmé par un système d'éclairage personnel, à la fois net et précis.
Au prix du jury s'ajoutent ceux décernés par le ministère de la Culture, par un panel d'étudiants et par les spectateurs qui pouvaient voter en direct sur internet. Le prix du public est revenu à The Deepest Dance (2023) d'André Musgrove avec la remarquable danseuse aquatique Ariadna Hafez. Un film de 4 minutes qui a demandé 11 jours de tournage et un an et demi de montage (sans doute pas à plein temps). La danseuse, plongée à 20 m de profondeur au large des Bahamas, dans le cadre fantastique d'une épave, a dû reprendre son souffle entre deux prises grâce à des bouteilles d'oxygène hors champ. Elle est vêtue d'une robe virginale, comme dans le ballet blanc. Le style de danse rappelle celui d'une Esther Williams. Les ralentis sont obtenus naturellement grâce à l'effet d'apesanteur de la natation sous-marine et, apparemment aussi, en post-production.

The Ends (2024) de Cailin Manning et Nojus Setkauskas avec Kyra Mills
Les étudiants ont récompensé The Ends (2024) de Cailin Manning et Nojus Setkauskas avec Kyra Mills. Le ministère de la Culture a distingué deux films : il a primé Sunkern Works/Don't Bite (2024) de Ghaliah Conroy et, à la caméra, C.J. Rosas et a attribué une mention à Bigger (2023) d'Élise Gaiardo avec Sofiane Chalal. Certains de ces choix sont, naturellement, discutables. La chorégraphie, quand chorégraphie il y a, est reléguée au second plan au profit de la note de bonnes intentions. Un regard critique (= censément anticolonialiste) porté sur la danse des bananes de Joséphine Baker, sans le moindre effort chorégraphique, sans l'humour ni la poésie d'un Mark Tompkins ou d'une Germaine Acogny, semble suffire de nos jours. Les malheurs d'un coursier livreur de fast-food éveillé à la danse par la musique de Vivaldi (L'Été), comme au bon vieux temps du hip-hop apparié à la musique baroque par Hervieu-Montalvo, mélo sur l'uberisation nous semble moins convaincant que le film de Ken Loach Sorry We Missed You (2019)...
Trailer de la vidéo Tat;Ray (2024) de Tzipi Nir et Tai Morris
Sont passés à l'as des films dignes d'intérêt comme My Name is the Sound I Use to Introduce Myself (2023) d'Albert Rask, dans une atmosphère rappelant celle des cinédanses de David Hinton et des captations de la compagnie britannique DV8. La structure du film est idéale, la danse de couples d'hommes, comme au temps de la naissance du tango, est rythmée par le bris de boules ou bulles de verre interdisant tout baiser. La bande-son est efficace, qui se passe de musique anecdotique. Le film en trois chapitres ou parties Tat;Ray (2024) de Tzipi Nir et Tai Morris, présente un rituel de nonnes vouées à l'art de Terpsichore qui font songer aux protagonistes un peu masos sur les bords de Martha Graham, Pina Bausch ou Anne Teresa De Keersmaeker. Cosmopol (2014), d'Ola Maciejewska et, à la prise de vues, Ieva Kabsinskaite et Ville Pippo, se réfère clairement à The Very Eye of Night (1959) de Maya Deren. Le film n'a pas vieilli et on comprend qu'il ait été inclus dans un programme de courts datant de 1923-24.
Last but not least, la projection de la bande-annonce du festival nous a régalé avec la prestation du danseur de hip-hop virtuose Rachid Aziki, qui a fait partie des spectacles de Montalvo-Hervieu mais également de la chorégraphie multimédia de Mourad Merzouki, Pixel (2014). Le clip a été découpé et réalisé aux petits oignons par Éric Oberdorff, avec des raccords dans le mouvement dignes d'un autre film de Deren, A Study in Choreography for Camera (1945). Comme l'a observé le conseiller à la culture, Jean-Michel Arnaud, dans sa présentation de la soirée, outre les prouesses techniques et artistiques du danseur Rachid Aziki, tout un chacun aura pu découvrir à travers ce trailer de la manifestation différents endroits et centres d'intérêt de Cannes qui valent à eux seuls le déplacement.
Nicolas Villodre
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