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Au Chili, Jeannette tient la corde

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Manifestation à Santiago, au Chili, en juillet 2023, en hommage aux Chiliens qui ont été détenus ou ont disparu pendant la dictature de Pinochet. Photo Ivan Alvarado/Reuters


Présidentielle à venir. Élu en 2021 pour tourner la page de l’ère Pinochet, Gabriel Boric aura tenté d’incarner un "chemin d’espérance". Mais entre blocages institutionnels, échec de la réforme constitutionnelle et montée d’une insécurité exploitée par l’extrême droite, le Chili se cherche. La gauche unie mise désormais sur la communiste Jeannette Jara pour prolonger l’élan social


Le Chili résistera-t-il au populisme ambiant ? Élu à la tête du pays en décembre 2021, Gabriel Boric voulait ouvrir un "chemin d'espérance" (voir ICI et ICI). Non sans mal, ne disposant pas de majorité au Parlement, et ayant échoué à deux reprises à faire approuver une réforme de la Constitution héritée de la dictature de Pinochet, Gabriel Boric laisse un bilan en demi-teintes. En janvier dernier, son gouvernement a pu faire passer une réforme des retraites (avec, pour les retraités modestes, une hausse des pensions estimée entre 14% et 35%). Son gouvernement a aussi réduit la semaine de travail à 40 heures, et augmenté le salaire minimum.


Le niveau de popularité de Gabriel Boric a chuté, au cours de son mandat, de 50% à 35%, ce qui reste très largement supérieur aux 7% d'opinions favorables laissés par son prédécesseur de droite, Sebastián Piñera. Malgré les avancées sociales, le niveau toujours proccupant de la criminalité au Chili risque de peser fort dans la balance du procgain scrutin. Le nombre d'homicides au Chili reste pourtant faible par rapport à d'autres pays d'Amérique latine, avec 6 homicides pour 100.000 habitants en 2023, selon la Banque mondiale. Cependant, ces dernières années, le Chili a connu une augmentation des enlèvements, des extorsions, des meurtres commandités et des vols de téléphones portables « liés au crime organisé transnational ». Près de 40 % des foyers ont été attaqués l'année dernière et près de 30 % des personnes ont été victimes d'un crime quelconque, selon les données officielles. Aujourd'hui, selon un rapport publié en octobre par le groupe de réflexion Fundación Paz Ciudadana, près de 24 % des Chiliens pensent qu'ils risquent d'être victimes d'un homicide au cours des 12 prochains mois ! Certains Chiliens ont recours à un garde qui les accompagne lorsqu'ils accompagnent leurs enfants à l'école ou achètent une voiture blindée, même si ces services restent prohibitifs pour beaucoup. Au Chili, le secteur de la sécurité privée a connu une croissance de 350 % au cours de la dernière décennie, selon une étude publiée en décembre 2024 par la Chambre nationale du commerce (CNC). Pour faire lonter ce sentiment d'insécurité (et augmenter leur chiffre d'affaires), certaines de ces sociétés privées n'hésiteraient pas à organiser certains délits, en "défrayant" quelques petits voyous. Du pain bénit pour l'extrême-droite, qui affûte ses couteaux. « Nous allons rétablir l'ordre, la sécurité, le pouvoir et l'autorité de l'État », fanfaronne ainsi José Antonio Kast, possible vaiqueur de la prochaine élection présidentielle.


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La candidate communiste à la présidentielle chilienne Jeannette Jara (au centre) en campagne dans la commune de Peñalolen, dans la métropole de Santiago, le 25 septembre 2025.  Photo Jesús Martínez/Sipa USA/Sipa


La constitution chilienne interdit au président sortant de briguer un second mandat consécutif. Exit, donc, Gabriel Boric.


Sans lien de parenté, elle porte le même nom que le chanteur et guitariste Victor Jara, assassiné en 1973 par les tortionnaires du régime de Pinochet -avant de le tuer, ils lui avaient coupé les mains pour qu’il ne puisse plus jamais jouer de la guitare (écouter la Lettre à Kissinger de Julos Beaucarne, ICI). Sous la bannière « Unité pour le Chili », une coalition qui rassemble neuf partis politiques allant du Parti communiste chilien jusqu’au centre-gauche modéré, a élu lors d’une primaire, en juin dernier, la communiste Jeannette Jara. A 51 ans, elle a été sous-secrétaire à la Prévoyance sociale entre 2016 et 2018, sous la présidence de Michelle Bachelet, et est depuis mars 2022 ministre du Travail et de la Protection sociale au sein du gouvernement Boric. Si elle a piloté certaines réformes sociales majeures, elle n’entend pas délaisser pour autant le thème de la sécurité.

« Je viens d’un quartier pauvre et je sais les dégâts liés à la drogue. Je sais aussi la frustration des parents quand ils ne peuvent pas sortir leurs enfants de là », déclare cette fille d’un père ouvrier et d’une mère au foyer. « Je n’ai aucun complexe avec la sécurité. Et j’ai la main bien ferme », ajoute-t-elle. Elle souhaite que l’État soit davantage présent dans les quartiers pauvres du pays, tant financièrement que socialement. Membre du PC chilien depuis ses 25 ans (avant neuf ans de militance au sein des jeunesses communistes, Jeannette Jara mise sur des investissements plus importants pour améliorer la qualité de vie des personnes qui vivent dans ces quartiers, mais aussi sur l’augmentation de la présence policière pour rassurer les populations. « Au Chili, le crime organisé s’est installé là où l’État était absent », souligne-t-elle.


L'extrême droite en embuscade


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José Antonio Kast : "Si Pinochet était encore vivant, il voterait pour moi"


Tout ça, c’est du bullshit, pour l’extrême droite en embuscade. Face à la candidate de la gauche unie, il y a trois candidats de droite extrême ou d’extrême droite, tous d’origine allemande, ce qui n’est guère étonnant vu le nombre de collaborateurs ou dignitaires nazis qui ont trouvé refuge au Chili à la fin de la Seconde guerre mondiale, notamment dans des régions comme Valdivia, Osorno et Llanquihue, où les colons allemands étaient déjà présents depuis longtemps, à partir d'une loi chilienne d'immigration sélective de 1845 qui encourageait la colonisation de ces régions par des Européens.

 

José Antonio Kast, qui avait déjà été en lice au second tour de la dernière élection présidentielle, est le fils de Michael Kast, officier de la Wehrmacht et zélé militant du parti nazi (NSDAP). Tel père, tel fils : aujourd’hui, José Antonio Kast se réclame explicitement de l'héritage du général Pinochet et dit partager son projet politique. Appuyé par les milieux catholiques de l’Opus Deï et une partie des milieux d’affaires, il soutient tout ce que Pinochet a accompli, estimant que le coup d'État militaire était « quelque chose qui devait être fait » (lire ICI). Il se réclame encore du soutien de Donald Trump, et on l’a vu en février dernier aux côtés du président américain lors de la Conservative Political Action Conference (CPAC) : présent à cette assemblée, même Jordan Bardella avait jugé préférable de s’éclipser après que Steve Bannon, l’un des principaux conseillers de Trump, ait ostensiblement fait le salut nazi. José Antonio Kast, lui, est resté : il est où le problème ?

 

Dans les sondages, Jeannette Jara arrive en tête des intentions de vote au premier tour, mais "seulement" à 30%, et la gauche n’aura a priori aucune réserve de voix pour le second tour, quatre semaines plus tard. Il n’y a donc pas trop lieu de pavoiser. Comme on dit en espagnol : "estamos lejos de haber salido del lío" (équivalent de “on n’est pas sortis de l’auberge").

 

Victoria Luz

correspondante des humanités au Chili.

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