Trente-cinq ans après Tchernobyl, la catastrophe reste inscrite dans la chair de la mémoire. Dans La Supplication, « chronique du monde après l’apocalypse », Svetlana Alexievitch a recueilli la parole de nombreux témoins de l’accident. « L’Appel du 26 avril », initié par le metteur en scène Bruno Boussagol, Yumi Célia et André Larivière, fédère dans tout l’Hexagone et même au-delà, une centaine de lectures interventions. Un chœur aux voix multiples.
Le 26 avril 1986, à 1h23 (heure locale), deux déflagrations secouent la centrale nucléaire de Tchernobyl, à 120 kilomètres au nord de Kiev, en Ukraine, et à 16 kilomètres de la frontière biélorusse.
Elles provoquent le plus grave accident de l’histoire du nucléaire civil. L’explosion du cœur du réacteur numéro 4 répand dans l'atmosphère l’équivalent d’une centaine de bombes atomiques d’Hiroshima. Les techniciens de la centrale et les équipes de pompiers interviennent sur le site au plus vite, sacrifiant leur vie sans le savoir encore.
Le lendemain, les 45 000 habitants de la ville de Pripiat, située à trois kilomètres, sont évacués à la hâte. Ils ne reviendront jamais chez eux. En 1986, 116 000 personnes au total seront contraintes de quitter la zone, puis 230 000 au cours des années suivantes.
Pendant les 10 années qui ont suivi la catastrophe, la journaliste et romancière Svetlana Alexievitch (prix Nobel de littérature en 2015) a rencontré plus de cinq cents témoins de l'accident dont des liquidateurs, des politiciens, des médecins, des physiciens, des citoyens ordinaires. Faisant sillon d’écriture à partir de cette collecte de témoignages, Svetlana Alexievitch a publié en 1997 « La Supplication : Tchernobyl, chronique du monde après l'apocalypse » (en russe : Чернобыльская молитва. Хроника будущего). Pour le sociologue Jean Rossiaud, Svetlana Alexievitch « entraîne le lecteur à travailler sur la mémoire collective des conséquences humaines et sociales de la catastrophe de Tchernobyl. La diffusion du livre d'Alexievitch est une « nécessité éthique » qui contribuera à ce travail de mémoire. »
"Devoir de réponse"
Bruno Boussagol, metteur en scène, a créé au début des années 1990 la compagnie Brut de béton. En 1998, il découvre le livre de Svetlana Alexievitch, "une semaine après sa publication en France. Cela a été un choc extraordinaire. Il traitait d’un univers réel et était structuré comme une pièce de théâtre avec un prologue, des monologues, un épilogue… J’ai rapidement rencontré l’auteure qui m’a fait découvrir les pays de l’Est, leur organisation politique, la contamination en Biélorussie, les enfants contaminés… J’ai monté une première mise en scène en 2002, sous le nom de "Tchernobyl Now". Le concept était de s’adresser directement au public, un théâtre où les acteurs ne se répondent pas, comme une sorte de tribunal. En 2002, j’ai créé un festival à Gomel (Biélorussie) qui m’a permis de "cacher" le spectacle aux autorités et de donner des représentations devant les élèves d’une classe de français. Des journalistes étaient cachés dans la troupe et ont ainsi pu monter des reportages pour France Culture et Arte. (...) Je suis resté à Minsk où j’ai trouvé une troupe qui a été d’accord pour jouer le spectacle en russe et en biélorusse. Elle joue toujours et tourne en Pologne, en Russie… Ils sont les seuls à la jouer, le texte étant introuvable en Biélorussie." (Lire la suite de cet entretien ICI).
Une écriture des plus contemporaines : la question de la catastrophe ?
Le premier travail de Bruno Boussagol dans un centre psychiatrique l'a mis en lien avec l’écriture de la psychose, la folie dans sa dimension la plus structurante. La plupart des malades sont portés par une question que la société est incapable de résoudre. Ils développent alors quelque chose de particulier : une écriture des plus contemporaines, la question de la catastrophe ?
35 ans après Tchernobyl, Bruno Boussagol avec Yumi Célia et André Larivière ont lancé un appel : que le 26 avril 2021, des femmes se saisissent de la lecture du Prologue de La Supplication, et fassent résonner par leurs voix solidaires Une Voix Solitaire : à lire ici.
Le Festival des Humanités reprend le cours des choses en ce 26 avril, ce n'est pas un hasard, et peut ainsi mettre l'accent sur cet appel et sur les manifestations qui auront lieu ce jour (et qui ont commencé hier déjà, 25 avril). Parmi la centaine de lectures répertoriées à ce jour, Elisabeth Marie, Marion Grandjean, Geneviève Koechlin et Marie Wacker filmeront leur déambulation entre Fessenheim et les trois frontières suisse, allemande et française, entre 14 h et 20 h (voir ici). A Tulle, Marie-Pierre Bésanger sera à 11 h à la libraire Préférences ; à Lyon, huit lectrices (Pascale Paugam, Valérie Guillon-Brun, Maryline Andia-Dastor, Charlotte Ledoux, Maëlenn Dano, Isabelle Favre, Maëva Perrochon et Virginie Dano) seront à 16 h 30 à la Galerie La Rage ; à Hérisson, près de Montluçon, Anne de Broca, Valérie Schwarcz et Messaouda Sekkal donnent rendez-vous à 17 h 30. Et à Cennes-Monestiés, Marie Letellier-Froment a réuni plus de trente habitantes du village : "nous allons lire par groupes de six disséminés dans le dit village... les cloches de l'église sonneront à 10h45 pour nous avertir de nous réunir et au onzième coup de 11h la lecture commencera simultanément dans les groupes ... C'est comme cela en raison des restrictions sanitaires sinon on aurait fait un chœur de femmes unique... À la fin de la lecture les cloches carillonneront à nouveau et comme nous aurons pris soin d'apporter une bouteille et six verres (par groupe) nous nous tournerons vers le nord-est, vers la Biélorussie, vers Tchernobyl et nous lèverons nos verres en l'honneur des gens de là-bas..."
Hors Hexagone, d'autres lectures auront lieu en Allemagne, Belgique, Biélorussie, Espagne, aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, Portugal, Roumanie, Russie, Suisse, Turquie... Et c'est la lointaine Bolivie qui fermera la ronde, avec Marcela Mendez, Reichell Campaña & Rosse Valery Campaña, de la Compañia Artística Vertigo Teatro, à 16 heures (en Bolivie, 23 h en Europe).
La liste totale des lectures et événements est à retrouver ici : https://april26appeal.noblogs.org/
Comme l'écrit Bruno Boussagol, à l'initiative de ce vaste rassemblement de voix : "Nous faisons tout cela parce que dans un coin du monde entre Ukraine, Biélorussie et Russie vivent 6 à 7 millions d'enfants, de femmes et d'hommes dans un environnement radioactif mortifère depuis 35 ans et pour des siècles.
Et qu'une femme s'est immergée il y a 30 ans dans ce monde inimaginable. Svetlana Alexievitch a mis des mots sur cette plaie de notre histoire contemporaine.
Nous serons la voix des jamais nés, des morts et aussi des vivants.
La vie est plus forte que la mort.
L’amour est plus fort que la mort inacceptable.
C’est ce que raconte simplement Elena, cette "voix solitaire".
Lien vers le texte de Svetlana Alexievitch
Pour aller plus loin :
-En accès libre le 26 avril 2021
Nous mettons à votre disposition le film « Mon Troupeau Irradié : témoignages d’éleveurs de vaches de Fukushima » que vous pourrez visionner mais seulement pour la journée du 26 avril prochain, pour le triste anniversaire de l’accident de Tchernobyl.
Le mot de passe sera activé à 0h00 le 26 avril et reste accessible jusqu’à minuit.
Pour le lien et le mot de passe, merci de visiter notre site web/ Agenda.
- Les enfants de Tchernobyl - Organisation non gouvernementale (ONG)
@lesenfantsdetchernobyl · https://www.facebook.com/lesenfantsdetchernobyl
- La Supplication: Tchernobyl, chroniques du monde après l'apocalypse (Lattès, 1998) traduction Galia Ackermann
- En podcast : https://www.franceculture.fr/emissions/archives-des-fictions-de-france-culture/la-supplication-de-svetlana-alexievitch
- "Chernobyl" : mini série (docufiction - Drame historique) https://fr.wikipedia.org/wiki/Chernobyl_(mini-s%C3%A9rie
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