top of page
Photo du rédacteurJean-Marc Adolphe

Colombie. Au ministère de la Culture, une femme d’engagements



Elle fut chargée de la culture au sein de l’Union patriotique, un parti politique de gauche dont plusieurs milliers de militants furent assassinés dans les années 1980. Patricia Ariza, cofondatrice du très actif théâtre de la Candelaria, sera la prochaine ministre de la Culture en Colombie.


Cet article vous est offert par la rédaction des humanités, média alter-actif. Pour persévérer, explorer, aller voir plus loin, raconter, votre soutien est très précieux. Abonnements ou souscriptions ICI


« Plus d’argent pour la culture, moins pour la guerre », a réagi Julio César Herrera Neira, acteur connu pour ses rôles au cinéma et dans des telenovelas, à la nomination de Patricia Ariza au ministère colombien de la Culture. Gustavo Petro, le candidat de gauche élu le 19 juin, et qui prendra officiellement ses fonctions le 7 août prochain, annonce au fur et à mesure les membres de son futur gouvernement. Il a d’abord nommé au ministère des Finances José Antonio Ocampo Gaviria, membre du Parti libéral colombien (de centre gauche), ex-secrétaire général adjoint des Nations unies et ancien membre des gouvernements de César Gaviria et d'Ernesto Samper, puis a choisi pour le ministère des Affaires étrangères Álvaro Leyva Durán, un politicien membre du parti conservateur mais opposé à l’uribisme, et engagé de longue date dans le processus de paix en Colombie. Ces deux premières nominations visaient de toute évidence à rassurer les milieux économiques, mais aussi à donner des gages à de futures alliances parlementaires : le Pacte historique, la coalition dont Gustavo Petro a pris la tête pour l’élection présidentielle, ne dispose en effet pas de majorité à la Chambre des représentants ni davantage au Sénat.

Ces premiers « marqueurs » étant posés, le nouveau président colombien peut se donner du champ. Après les Finances et les Affaires étrangères, la troisième nomination annoncée concerne le ministère de la Culture. Tout un symbole, tant ce ministère, en Colombie, a été jusqu’ici quasi inexistant, essentiellement focalisé sur les bibliothèques et le « tourisme culturel ». Cela risque fort de changer avec Patricia Ariza. Gustavo Petro a en tout cas promis « une flambée de culture dans toute la Colombie pour la paix et la coexistence », et pour « dynamiser la diversité de l'identité colombienne ».

Ci-contre : Patricia Ariza, dans les années 1980.


Née en 1946, Patricia Ariza est à la fois poète et dramaturge, cofondatrice avec Santiago García de La Candelaria, à la fois collectif d’acteurs et un petit théâtre très actif de Bogota, fondé en 1966, qui a su éveiller l’intérêt pour un « nouveau théâtre » ancré dans la réalité sociale et politique de la Colombie. Issue d’une famille gaitaniste qui a dû fuir la violence politique, elle-même rescapée du génocide de l’Union patriotique [Plusieurs milliers de ses militants ont été assassinés dans les années 1980 par des agents de l’État, des milices d’extrême droite et des narcotrafiquants. Lire sur Wikipedia], Patricia Ariza est une femme d’engagements, qu’elle a su restituer de façon sensible dans des œuvres telles que Antigone (2006), Mujeres en la Plaza (2009) ou Somma Mnémosyne (2013). En 2019, alors qu’elle présentait Memoria aux Rencontres poétiques de Roldsanillo, elle évoquait la nécessité de réaliser « un acte de mémoire. La possibilité de parler des femmes en exil. De comment nous sommes capables de transformer la douleur en force. C'est parler du déplacement, de l'exil du non-lieu, mais aussi de la valeur du souvenir, de la mémoire. Quand les gens partent, ils doivent peut-être quitter la terre, mais ils ne quittent pas leurs chansons. J'ai entendu un jour une femme déplacée dire que ce qui lui donnait de la force dans sa fuite, c'était de se souvenir d'une chanson. » Et elle ajoutait, évoquant le long processus qui a abouti à la signature de l’Accord de paix entre l’État colombien et les FARC en décembre 2016, elle ajoutait : « Je pense qu'il manque quelque chose dans la politique de paix. On ne parle pratiquement pas d'art. Je crois que nous pouvons faire partie de l'histoire. Ce pays a besoin que l'histoire de ce qui nous est arrivé soit racontée par de nombreuses voix et langues. C'est ce que nous avons fait toute notre vie. Et si cela n'est pas fait massivement, si nous ne racontons pas l'épopée de la guerre, mais toute l'épopée, y compris les victimes, les insurgés et les soldats, si nous ne le faisons pas, nous ne pourrons pas construire la paix depuis les profondeurs de la Colombie. »


Documentaire (en espagnol) : « Patricia Ariza: Una vida polifónica” (mars 2019, 43’)


Au ministère de la Culture, Patricia Ariza sera notamment accompagnée par le chef d’orchestre Jorge Zorro, qui aura pour mission de développer l’éducation musicale dans les collèges et lycées, par une spécialiste du patrimoine, Maria Eugenia Martínez, et par Santiago Trujillo, conseiller culturel à Bogota, où il a mis sur pied le projet de Cinémathèque..


De gauche à droite : Cecilia López Montaño, Carolina Corcho et Susana Muhamad.


Parmi les autres nominations d’ores et déjà annoncées par Gustavo Petro, trois autres femmes seront également à des postes clés : Cecilia López Montaño, économiste et membre du Parti libéral, à l’Agriculture, Susana Muhamad, politologue, à l’Environnement et Carolina Corcho, psychiatre, à la Santé, où il y aura fort à faire pour réduire les criantes inégalités d’accès aux soins. Autre poste très sensible, celui de l’Éducation n’est pas encore pourvu


Jean-Marc Adolphe


121 vues0 commentaire

Comments


bottom of page