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Méga fuites d'eau



L'eau vient à manquer, et ce n'est sans doute qu'un début. Mais pourquoi l'eau manque-t-elle ? Parce que trop nous tirons la chasse (d'eau) ou trop arrosons nos poireaux ? Et d'ailleurs, l'eau manque-t-elle vraiment ? Cette enquête sur la disparition de l'eau explore nos abysses, à la découverte de sources invisibles mais non moins réelles.


Le sujet est entendu : il n'y a plus d'eau nulle part. La cause est connue, évidente, répétée : c'est nous, rien que nous, avec nos poireaux à arroser, nos pelouses à tondre, nos toilettes quotidiennes, jusqu'à l'eau des toilettes et de la machine à laver. Les autorités vont réagir : il y aura des incitations, des SMS, des amendes, des indignations médiatisées, puis le préfet coupera le robinet. On rouspétera, et puis on fera de notre mieux, car l'heure est grave et le souci réel. Sans eau, nous ne sommes rien.


Mais avant que tout cela n'arrive, et que l'urgence impose de fermer les cerveaux et d'empêcher les investigations, voilà une petite enquête sur le sujet...


Je vis en Bretagne, au cœur du Cap Sizun, ma terre est sèche, plus personne ne sait où sont les sources qui étaient pourtant religieusement gardées et indiquées depuis des siècles. En Bretagne, le mot "terre", douar, veut aussi dire "la boue". De chaque source naissait un village...


Eau verte et eau bleue


Précisons... Lorsqu'on dit que l'eau manque, il ne s'agit pas de toute l'eau de la terre, mais de l'eau accessible. L'humanité s'est toujours rapprochée des sources en eau, son histoire est celle des cours d'eau, des sources, des fleuves, des rivières. La facilité de l'accès à l'eau, grâce aux aqueducs, aux canaux, aux canalisations, nous a permis de nous éloigner peu à peu des sources et des rivières. Puis l'eau s'est éloignée de nous et les sources se sont taries...


Stop ! Qu'est ce que c'est que cette histoire ? On nous éloigne de quelque chose pour le faire disparaître ? Fouillons un peu. Depuis 1995, l'hydrologue suédoise Malin Falkenmark distingue l'eau verte de l'eau bleu. Qu'est-ce que l'eau verte ? Selon la définition de l'INRA, c'est l'eau « stockée dans le sol et la biomasse, qui est évaporée ou absorbée et évapotranspirée par les plantes et retourne directement à l’atmosphère ». L'essentiel de l'eau n'est pas ce qui est visible (l'eau "bleue"), mais l'eau "verte ", c'est à dire celle qui est invisible : l'eau de la rosée, des herbes, extraite ou transpirée par les racines, etc., et elle représente près de 2/3 de l'ensemble ! L'alerte commence en avril 2022 : le Stockholm Resilience Centre qui étudie en Suède les 9 limites planétaires à ne pas dépasser, inclut cette année-là l'eau verte dans son calcul de la limite concernant la ressource en eau : cette masse d'eau oubliée, et très peu étudiée, est en forte diminution. C'est le choc : une limite vitale est soudainement fortement dépassée, nous manquons globalement d'eau. Pour faire simple, l'eau bleue, c'est celle du cycle de l'eau des manuels scolaires, dans ce schéma, l'eau n'est jamais perdue, elle profite à d'autres, mais elle revient tôt ou tard dans le cycle. L'eau verte, elle, se perd... et la terre sèche, pas seulement chez moi, en Bretagne, mais partout...


Si on suit la logique des articles de presse sur le manque d'eau, il faut regarder en l'air, puisque c'est la forte chaleur, donc l'évaporation, qui entraîne cette disparition. Et en effet, une petite partie de cette eau verte évaporée se transforme en hydrogène, 20 litres par seconde. Cette "fuite par le haut" est insignifiante, mais comme nous transformons notre terre en cocotte minute, il y a tout de même de quoi s'inquiéter. Pour l'instant, la réponse de notre chère humanité a été d'envisager de faire soi même ce tour de magie qui consiste à transformer notre eau en gaz (donc en or), et de le vendre sous forme d'un hydrogène écologiquement parfait (avec par exemple la New York State Highway Initiative qui met 10 millions de dollars sur la table pour ce formidable projet, lire ICI)...


Cette fuite "par le haut" ne permet pas d'expliquer la dureté de ma terre, et la raréfaction de l'eau sur l'ensemble du globe. Réfléchissons un peu, de manière émotive, donc humaine. 60% de l'eau douce est invisible, et l'eau est essentielle à l'agro-industrie, à l'industrie, aux mines, à tout ce qui rapporte. Rendre visible l'invisible, c'est une idée tentante, non ? Quand on accumule de l'eau dans une gigantesque retenue, ou une méga bassine, c'est aussi une façon de transformer l'eau verte, qui se serait évaporée dans la nature, en eau bleue, qui s'évapore bien plus lentement (seulement à la surface). Est-ce que l'eau pompée dans ces bassines est de l'eau verte ? Les nappes phréatiques se remplissent en partie de l'eau qui s'est infiltrée, et de l'eau de pluie, c'est à dire l'eau qui s'est évaporée. C'est l'eau invisible qui est remise en circulation : la canaliser, la contrôler dans des bassines, est donc une manière de diminuer la part de l'eau verte, et de se l'approprier. Le pompage de l'eau souterraine a pris une dimension qu'il est difficile d'imaginer. Une étude de Yoshihide Wada en 2010 (Global Depletion of Groundwater Ressources) a calculé qu'entre 1993 et 2010, 2.150 gigatonnes d'eau ont été pompées. On pense tout de suite aux Shadoks, car une autre étude, sidérante, de Ki Weon Séo a réussi à prouver que cette masse d'eau pompée d'un endroit à une autre du globe aurait contribué à une dérive du pôle ! L'essentiel de l'eau s'est retrouvée dans le nord ouest des Amériques et de l'Inde, et l'axe de terre a changé... Mais revenons à notre enquête, car cette eau, détournée, déplacée, contrôlée, est utilisée en grande partie par l'agriculture intensive, elle revient donc tôt ou tard, chargée de pesticides, dans la terre, pour refaire partie du cycle. Comme on ne la retrouve pas, c'est donc qu'il y a aussi une fuite par le bas, et même une très grosse fuite.


L'eau, quand elle ne s'évapore pas, suit les lois de la gravité, donc elle coule vers le bas, dans les sols. Ce qui retient l'eau en surface, c'est qu'il y a de l'argile, du granit, des roches dures... Mais justement qu'est-ce qui se passe dans ces endroits là, que sait-on du sous sol ? Si je prends l'exemple des sites miniers abandonnés de la Meuse, on découvre l'ampleur du problème : les mines sont inondées, et cette eau qui s'engouffre dans les cavités dévie l'ensemble des cours d'eau. Ce sont des masses d'eau immenses qu'il faut traiter, récupérer, à coup de pompes et de camions citernes. Les réservoirs miniers ennoyés représentent un volume de plusieurs centaines de millions de m³ d’eau, trop riche en sulfates pour être propre à la consommation. Si on imagine la quantité de ces mines sur l'ensemble du globe, on ressent un vertige. Une cartographie des zones minières dans le monde (2020), étude menée par Victor Maus et Stefan Giljum, chercheurs de l'Université d'économie et de commerce de Vienne, dévoile l'ampleur du problème.


Ce n'est encore rien à côté de ce qui nous attend, car il se passe actuellement une quantité de choses sous nos pieds : ça perfore, ça creuse, ça s'emballe... Et quelle en est la raison ? La transition écologique ! En effet, depuis qu'en haut lieu on s'intéresse à l'avenir du vivant, on prend les choses en mains : la production de minerais, graphite, lithium, cobalt, devra augmenter de 500% vers 2050, afin de combler les demandes des "énergies vertes". La Banque Mondiale estime que 3 billions de tonnes de ces minéraux sont nécessaires pour nous permettre un futur sous les 2°C.... (World Bank's 2017 report, “The Growing Role of Minerals and Metals for a Low Carbon Future”). Bien sur tout cela sera fait de façon équitable et écolo, propre, impeccable, dans un souci de développement, et de redistribution des richesses mondiales, et une écoute infinie des doléances des autochtones impactés, etc... Sauf que partout où les mines sont creusées, il y a des perturbations du réseau hydrographique et souvent un détournement des cours d'eau qui peut priver d'accès à l'eau les populations. Enfin, sauf quand les sociétés minières, qui sont tout de mêmes humaines, leur apportent l'eau en citerne.... Car il y a de l'eau, et même beaucoup d'eau dans et près des mines mais elle est détournée et bien sur très fortement polluée. Qu'à cela ne tienne, dans les rapports des sociétés minières, cela est vu en terme d'opportunité, à charge à la société qui remporte la marché de dépolluer cette eau en récupérant ainsi les minerais qu'elle contient (c'est toujours ça de gagné) et de fournir l'eau en surplus, tout cela avec des subventions, des aides, des soutiens et l'immense reconnaissance de la population.


C'est à ce moment de mon enquête que je me suis souvenu de l'étonnant Docteur Riess. Homme de terrain, celui-ci avait constaté que les mines étaient inondées d'une eau qui ne venait pas que d'en haut, et qu'elle était à forte pression. Par la suite il est connu pour avoir découvert près 800 gisements d'eau improbable, et s'être mis à dos toute la communauté des hydrologues et autres spécialistes. Et en cherchant un peu sur web je tombe sur la découverte scientifique qui confirme en 2017 ses intuitions ! J. Tse de l'université de Saskatchewan, et ses collègues de Dublin ont reproduit les conditions correspondant à la profondeur de 600 m, et du quartz a surgi une goutte d'eau ! Depuis, il est admis que l'eau ne provient pas seulement du ciel, comme on l'apprend à l'école, mais aussi des gouffres de l'enfer, c'est à dire très profondément dans le sol. Riess, qui n'avait pu le démontrer, avait constaté que cette eau remontait sous forme gazeuse par de sortes de failles (dykes), souvent dans ces endroits montagneux, où le pli du manteau terrestre rend le magma plus proche de la surface. Cette eau des profondeurs alimenterait notre globe et renouvellerait l'eau que nous ne cessons de souiller et de polluer depuis des siècles.


"Dépolluer" l'eau ?


Dans notre sol transformé en gruyère, que devient cette eau là ? Les mines abandonnées et nouvelles, comme jadis les nappes phréatiques, s'ennoient de cette eau, et c'est autant d'eau en moins qui ne vient pas jusqu'à mon petit jardin... Bref l'eau ne manque pas, mais les quantités ont beau être immenses, gigantesques, une aussi immense partie est de plus en plus détournée dans des poches de plus en plus profondes. Et ces poches-là appartiennent à des gens qui n'ont pas toujours très clairement le sens du bien commun ! En résumé, l'eau qui disparaît à nos yeux est celle qui est invisible, et elle disparaît certainement là où personne ne regarde, car ce n'est pas seulement les mines (ce serait trop facile), mais c'est l'ensemble de l'extraction, ainsi que l'accumulation des fracturations des roches dures qui rebat les cartes du parcours invisible de l'eau et donc de son accès. La terre est sèche, les sources sont taries. Un peu comme si l'eau, qui était invisible, au lieu de venir à nous par le miracle des choses, se retrouvait cachée dans une multitude de coffres forts enfouis profondément dans le sol, dont seuls les experts détiendraient la clé pour la rendre visible.


Ce sont précisément les mots du rapport de l'UNESCO de 2022 sur les eaux souterraines (ICI), dont le slogan est : "making the invisible visible" (rendre l'invisible visible). Avec cet intéressant avis : « L'industrie minière devrait collecter des données essentielles sur l'emplacement et l'extension des aquifères et leurs propriétés et le rendre publiquement disponible aux hydro-écologistes, aux gouvernements et aux fournisseurs d'eau ». En d'autres termes, n'en parlez pas à la population locale, elle risquerait de mal le prendre, l'eau c'est notre affaire.


Afin de compléter le tableau, l'eau de surface qui nous reste, peut-être moins renouvelée, est de plus en plus polluée, malgré les traitements dont elle est l'objet. On sait que le tritium, issu des essais nucléaires (notamment ceux des années 1960), s'y trouve toujours. L'eau est la mémoire de nos excès, qui ne cessent patiemment de s'accumuler. Le traitement de l'eau, préconisé comme seule et unique solution par l'Unesco en 2017, ne prend pas en compte ce qu'on appelle les « pollutions éternelles ». L'eau ne s'invente pas, ne se lave pas ; ce qui nous sauve c'est qu'elle se dilue. Je laisse aux pessimistes le soin de dresser notre avenir à base d'eau en bouteilles, d'eaux retraitées imbuvables et de sources taries...


Ma petite enquête serait parfaite si je pouvais fournir des chiffres, quantifier la masse d'eau contenue dans les cavités artificielles de la terre ! J'obtiendrais certainement des points de récompenses, comme l'intelligence artificielle que je suis très tenté d'interroger sur ce sujet. Celle ci est en effet conçue précisément pour traiter une telle masse de données, en faisant chauffer les turbines d'ailleurs, mais c'est un autre sujet... Mais, elle-même, interrogée, avoue n'avoir pas accès à ces données, elle reconnaît que l'eau emprisonnée dans les mines profondes est une menace pour l'humanité, la végétation, les sols, l'héritage culturel, etc... Tout en ajoutant le ronron technocratique compilé qui justifie l'extraction à tout va.


Peut-être est-ce pour le bien de notre santé mentale que l'industrie minière et de forage se garde bien de dévoiler ses données... C'est un peu comme la crise financière de 2008, la chose est tellement colossale qu'on aidera nécessairement le coupable pour rattraper les choses et l'industrie minière sera la banque Lehman Brothers de demain.... Cela sera d'ailleurs très pratique car l'eau, ainsi "dépolluée", restera au service de ses plus gros utilisateurs, à savoir l'industrie et l'agro industrie, sans oublier l'industrie minière elle-même très consommatrice d'eau ! Quant aux citoyens ? Qui vit encore près des sources pures des montagnes ? Qui seulement sait qu'une grande partie des eaux de consommation du bassin parisien vient de ses sources ? Du moment que l'eau coule du robinet, comme l'argent sort du distributeur, tout va bien.


Il sera totalement impossible de ressouder les roches facturées, de combler les cavités de matériaux non poreux : on ne remettra pas du fer dans les anciennes mines de la Meuse... Tout au plus pourrait-on espérer un moratoire sur l'extraction, auquel il faudrait ajouter un moratoire sur l'urbanisation, l'autre menace sur l'eau verte, étouffée par le bitume, ce miroir rampant qui brûle, chauffe et dévégétalise. Ce n'est pas impossible, preuve en est le récent accord mondial sur la préservation de la haute mer....


Cela impose de changer notre regard sur "l'environnement". Les zones humides, les prairies naturelles, les friches impénétrables sont de précieuses gardiennes des eaux vertes en surface, et dans le sol, l'eau des racines reste dans le cycle quand elle est captée par les nappes phréatique qui la ramène à la surface dans un parcours subtil qui permet de l'enrichir, de la filtrer et de la répartir à nouveau dans le sol. L'invisible eau verte des racines devrait de temps en temps pouvoir encore circuler via les nappes phréatiques sans être systématiquement pompée pour devenir l'eau des toilettes ou une réserve d'eau pour quelques uns (estimation des prélèvements en nappe en France : 6 milliards de mètres cubes selon Bnpe.eaufrance.fr !). Et c'est très simple à faire, puisque la nature l'a déjà fait pour nous. Mais pour cela il faudrait réapprendre à aimer l'invisible. Cela me fait penser à ce curieux mélange de simplicité et de sacré des traditions amérindiennes, comme de nos propres traditions liées aux sources et aux fontaines, pour lesquelles la terre est sacrée, y compris dans son sol, dans ce qu'on ne voit pas, mais qu'on protège quand même.


Texte et photographies : Olivier Schneider


Compléments de lecture


L'eau et l'activité minière dans le bassin ferrifère de la Meuse :


L'impact environnemental et socio-économique du rainage minier acide :


Cartographie des zones minières dans le monde (2020), étude menée par Victor Maus et Stefan Giljum, chercheurs de l'Université d'économie et de commerce de Vienne


La planète Terre fabrique son eau dans les profondeurs du manteau (janvier 2017), en anglais :


Eau verte / eau bleue, nouveau paradigme défini en 2006 par Malin Falkenmark et Johan Rockström, du Stockholm Environment Institute :


Rapport mondial des Nations Unies sur la mise en valeur des ressources en eau 2017: Les eaux usées, une ressource inexploitée :


Quatre milliards de personnes confrontées à une grave pénurie d'eau (2016), en anglais :


COP26 : l'eau est en première ligne du changement climatique et constitue une priorité absolue en matière d'adaptation :


La pollution par les pesticides :


Les différentes pollutions de l'eau :


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