Israel Galván fait sa Carmen
- Nicolas Villodre
- 4 nov.
- 4 min de lecture

Photographie Félix Vázquez
Carmen en version originale : sévillanité ou universalité ? A la Philharmonie de Paris, Israel Galván, "l'homme qui ne voulait pas danser", a mis ses pas dans ceux de Prosper Mérimée, de Georges Bizet et de Carmencita, l'ouvrière sévillane la Cigarería. Avec des velléités contestataires, parsemées de scènes burlesques, il met en cause la version originelle... sans entièrement convaincre.
Galván, comme, du reste, Nouvel, ne réussit pas tout ce qu’il entreprend. C’est le cas avec cette Carmen, sa Carmen. Sans doute, parce qu’il n’en a pas eu, ou cherché à avoir, la direction artistique de l’œuvre. Ni le choix des passages à garder (l’opéra de Bizet tiré de la nouvelle de Mérimée fait à lui seul 2h40), ni le nombre de personnages indispensables, ni celui de la mise en scène, en espace, en mouvement des musiciens. Est-ce dû à la résistance des syndicats de ceux-ci, plus puissants, actifs et réactifs que ceux des danseurs ? Au nombre de répétitions qu’aurait exigé un travail chorégraphique les englobant ? Car, malgré la dramaturgie de Charles Chemin, la chorégraphie réduite aux acquêts – aux interventions furtives et à quelques routines sur la portion congrue du gigantesque théâtre circulaire à l’avant-scène, peu de spectateurs ont pu se faire une idée précise de l’opus, celui-ci étant frontal (pour salle à l’italienne), présentant les artistes de dos jusqu’au moment des saluts.
Des Carmen, on en a vu d’autres. La dernière en date, interprétée en juillet par les Voix des Outre-mer à l’amphithéâtre de l’Opéra Bastille, dosait habilement musique et danse, exploitait tout le plateau et s’appropriait l’œuvre par la chorégraphie et par l’usage de la langue créole. L’an dernier, Julien Lestel avait distribué au Théâtre libre six danseurs évoluant sur un mix de Bizet et des compositions contemporaines. La Carmen de Roland Petit ne nous rajeunit pas puisqu’elle date de 1949, mais privilégiait la danse – et le new-look, le chorégraphe ayant demandé à Monsieur Antoine, visionnaire question art capillaire, de couper ultra courts les cheveux de Zizi Jeanmaire au moment où Rita Hayworth redevenait Carmen (son véritable prénom) en laissant pousser sa rousse chevelure pour incarner au 7e Art la cigarière sévillane. Depuis, nous avons admiré la Carmen Jones du film de 1954 de Preminger, celle avec Gades de Saura, sortie en 1983 et celle de Mark Dornford-May, tournée en Afrique du sud, U-Carmen e-Khayelitsha (2004).
Dans le spectacle Carmen/Israel Galván, présenté les 1er et novembre à la Philharmonie de Paris (dans le cadre d'un « focus Israel Galván » programmé par le Théâtre de la Ville), la jeune tocaora-cantaora María Marín nous a paru un peu tendre par rapport aux musiciens de l’orchestre Divertimento et aux chanteurs aguerris, de très haut niveau, éminemment dirigés par Zahia Ziouani. Deepa Johnny, dans le rôle-titre, Robert Lewis (Don José) et Jean-Christophe Lanièce (Escamillo) ont été extrêmement brillants. Comme si la soirée n’avait pas assez duré ayant dépassé l’heure quarante annoncée, la chanteuse-guitariste nous a gratifié de plusieurs coplas commentant ironiquement le livret de l'opéra, de quelques rasgueos, du paso-doble El Gato montés (1916) de Manuel Penella et d’un pot-pourri final des principaux thèmes faisant pour nous doublon avec le prélude instrumental bizétien. Tandis qu’on s’apprêtait à signer le livre des réclamations, n’ayant pas encore ouï le chœur masculin finlandais Mieskuoro Huutajat, celui-ci s’est mis à hurler, gueuler, brailler du haut du balcon nous faisant face.
Nous suivons le réformateur de la danse masculine flamenca depuis les années qui ont suivi son spectacle emblématique ¡Mira! Los zapatos rojos (1998), conseillé à l'époque par Pedro G. Romero et accompagné par Manuel Soler. Nous avons goûté à ses trouvailles et à sa manière dans des pièces comme Arena (2004), vu à Pleyel en 2009, La Curva (2010), hommage rendu à Vicente Escudero et son éphémère cabaret parisien, Lo Real (2012), présenté l'année suivante au Théâtre de la Ville, Fla-co-men (2014), où il exploitait sa vis comica, El Amor brujo, programmé en 2019 par Annie Bozzini à Charleroi, où Israel se travestit en femme, La Consegración de la primavera, présenté par le Théâtre de la Ville au 13e Art en 2020, chef d'œuvre au carré, Israel en danseur solitaire, accompagné aux pianos par les virtuoses Sylvie Courvoisier et Cory Smythe, Gatomanía (2020) où le bailaor dansait avec sa sœur Pastora et avec les chats savants du Cirque Romanès, 8 solos 8 (2022), extraordinaire performance de Galván à la chapelle Saint-Louis de la Pitié-Salpêtrière dans le cadre du festival d'Automne, etc. Sans parler de sa récente variation aux côtés des Mellis de Huelva salle Sarah Bernhardt et sa prestation dans le court métrage Maestro de barra (2023), produit par le Joyce Theater de New York, tourné au bar Rodríguez, place saint Antoine de Padoue à Séville.
Retour à Séville, ville natale du clan Galván, dans laquelle Mérimée situa le drame hispaniste de sa Carmencita, ouvrière à la Cigarería. La chorégraphie d'Israel a des velléités contestataires, mettant en cause la version originale ou, plutôt, originelle, jugée sans doute trop romantique et un tantinet masculiniste. Le fait est que, si l'on retrouve le style, la touche, le toucher galvanisant et quelque gag produisant de l'effet ici et là - son entrée, grimé en duègne andalouse endeuillée, un soir d'Halloween ; la grosse fleur tenue à la main ostensiblement façon Kazuo Ôno qui, garni d'une fléchette, vient se planter sur l'estrade destinée au taconeo, côté jardin ; le haut de forme comme celui de Fred Astaire dans Top Hat (1935) ou de Marlène Dietrich dans Morocco (1930), duquel dépassent deux cornes de taureau ou de cocu ; le lourd jupon qui tient du rideau à chaînettes constellé de pièces de monnaie ; le solo de claquettes pieds nus et celui, insolite effectué sur les genoux -, nous avons peu de grain à moudre dans cette récente production. Et peu de surprises pour ceux qui ont vu les répétitions de Carmen dans le documentaire Israel Galván : el hombre que no quería bailar (2025) d’Arantxa Vela Buendía.
Nicolas Villodre
Bonus - Pour voir le documentaire évoqué par Nicolas Villodre en fin d'article : https://www.rtve.es/play/videos/imprescindibles/israel-galvan-hombre-no-queria-bailar/16783933/ (il faut au préalable ouvrir - gratuitement- un compte sur le site de la Radio-Télévision Espagnole)
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Un danseur de grand talent que mon fils a eu l'occasion d'admirer à Charleroi danse! Dommage, mais l'art n'est pas prévisible, c'est ce qui fait sa beauté!