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Jacques Patarozzi, la fin d’une certaine douceur


S’il n’a jamais eu la notoriété qu’il aurait dû avoir, Jacques Patarozzi, mort à 75 ans, ce dimanche 22 janvier, a marqué la danse de la fin des années 1980 par des chorégraphies lumineuses et sensuelles. Pédagogue hors-pair, il avait aussi dirigé le théâtre de Cognac avant d’être ordonné moine zen. Hommage à un homme qui a su être, dans son art comme dans sa vie, un artisan du sensible.


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C’était un jour d’avril 1985. Un de mes premiers voyages à Paris. J’étais venu en stop, de Montpellier, pour voir un spectacle de Pina Bausch au Théâtre de la Ville. Je ne savais pas qu’il aurait fallu réserver longtemps à l’avance, c’était complet. Tout penaud dans le hall, un sac plastique à la main, je voyais rentrer les derniers spectateurs. J’attendais un miracle, on ne sait jamais. Et puis le miracle est arrivé. Le miracle était reconnaissable à son sourire et son crâne chauve. Il s’appelait Jacques Patarozzi. On s’était connus à Montpellier, avec la chorégraphe Jackie Taffanel. Patarozzi était tout étonné de me retrouver là, dans le hall du Théâtre de la Ville. Je n’avais pas de place ? Il me donnait la sienne… « Mais tu verras, me dit-il, ce n’est pas bien placé. » En effet, ce n’était pas bien placé du tout : je me suis retrouvé sur scène, en quelque sorte faisant partie du spectacle ! La pièce, c’était Walzer, et des figurants étaient assis sur des chaises : Jacques Patarozzi devait être l’un de ces figurants, jusqu’à ce que je débarque.

C’est aussi grâce à Jacques Patarozzi que j’ai pu faire le premier entretien avec Pina Bausch, à Wuppertal, en 1989. C’était après un spectacle, où j’étais allé en compagnie du photographe Guy Delahaye. Dominique Mercy m’avait présenté à Pina comme journaliste de danse, mais surtout comme « ami de Jacques Patarozzi ». Et au seul nom de Jacques Patarozzi, le visage de Pina Bausch s’était éclairé de l’un de ces sourires dont elle avait le secret. Elle m’avait aussitôt proposé d’assister à une répétition le lendemain, et dans la foulée, avait elle-même suggéré l’interview que je n’osais lui demander (à l’époque, en général, elle les fuyait). Tout cela, sans doute, grâce à Jacques Patarozzi, qui fut parmi les premiers danseurs du Tanztheater de Wuppertal, notamment dans Le Sacre du printemps, avant de créer en France sa propre compagnie, Balmuz.


Au-delà de ces souvenirs personnels, le nom de Jacques Patarozzi reste attaché à quelques-unes des plus belles pages de la danse contemporaine de la fin des années 1980 et du début des années 1990. Chacun appelle ou encore Seul, les autres, deux pièces créées au Théâtre de l’Escalier d’Or (un magnifique théâtre parisien, rue d’Enghien, dans le 10ème arrondissement aujourd’hui disparu), restent notamment en mémoire, empreintes d’une poésie sensuelle, à fleur de peau, où la danse, d’une tendre fluidité, se nourrissait des « états intérieurs » et de la façon dont ils formaient la sève du mouvement.

« A la façon Patarozzi, l’effleurement des corps se révèle fragile, toujours intelligemment construit, sans jamais être brutal. On ne s’empare pas d’autrui, on se prépare à le rencontrer », écrivait en 1995 Michel Vincenot, alors directeur d’Espaces pluriels à Pau, à propos d’une autre pièce, Lahire et Judith (lire ICI) : « Quand Patarozzi nous installe dans la lenteur d’un univers en pleine renaissance, on peut se demander s’il n’est pas impertinent de risquer une telle danse des corps à la face d’un monde qui a perdu tout sens de l’altérité. »


La dernière "grande pièce" de Jacques Patarozzi aura été Amossa, des jours et des nuits, créée en 1990 au Théâtre du Lierre (lui aussi disparu), une pièce avec laquelle il renouait avec ses origines corses, en compagnie de chanteurs a capella. « La danse de Jacques Patarozzi est insulaire », écrivais-je alors dans L’Humanité : « son bord ne peut se déporter au-delà du territoire qui l’accueille. C’est dans cet espace, qui s’ouvre en dedans sans jamais se retrancher, que Jacques Patarozzi, intégrant à merveille la présence du chant dans le flux de la danse, trouve, sans jamais la forcer, l’émotion simple et essentielle de la vie qui va. »

Image extraite du film A Mossa, réalisé par le documentariste Jacques Malaterre.

Vidéo disponible sur Numéridanse : https://www.numeridanse.tv/videotheque-danse/mossa


C’est peu dire que Jacques Patarozzi n’a pas eu la notoriété qui aurait du être la sienne. Sans même parler de certaines critiques particulièrement virulentes à son égard (Libération avait même titré un article : "Le petit immonde de Jacques Patarozzi"), le chorégraphe n’était pas dans les canons de l’époque, majoritairement cunninghamiens. Lui venait de la danse jazz, avait dansé pour Felix Blaska et Joseph Russillo avant de partir aux États-Unis danser dans la compagnie de Paul Sanasardo (grâce à qui s’était opérée la rencontre avec Pina Bausch). De retour en France, parallèlement à ses créations, Jacques Patarozzi n’a cessé d’enseigner : de très nombreux danseurs contemporains sont passés par les cours qu’il donnait au studio des Pyrénées, dans le 20ème arrondissement de Paris (un lieu emblématique de la danse des années 1980 et 1990, qui a lui aussi disparu). « Jacques Patarozzi était un pédagogue extraordinaire, important dans mon parcours et dans le parcours de beaucoup de danseurs de ma génération », témoignait Claire Haenni, qui a été l’une de ses interprètes. Elle saluait notamment « son insatiable curiosité des corps et des gens, son intérêt si singulier pour les autres. »

Jacques Patarozzi devant l’Avant-Scène, théâtre de Cognac, qu’il a dirigé de 2009 à 2014


Resté largement hors des réseaux de diffusion et des nominations ministérielles, Jacques Patarozzi avait fini par dissoudre sa compagnie, avant de s’installer en Charente et de créer un festival en milieu rural, le Printemps de la danse, à Villebois-Lavalette. Il avait ensuite été amené à diriger le théâtre de Cognac, scène conventionnée, de 2009 à 2014. Il était resté lui-même : modeste et intègre. En 2010, il avait refusé d’être fait chevalier des arts et lettres. « C'est toujours sympathique d'être reconnu, mais je suis en désaccord profond sur la politique gouvernementale, concernant le social, l'immigration, la sécurité, et bien sûr la culture. On a l'impression que le gouvernement défend une culture du showbizz », déclarait-il alors à Sud Ouest.


Confronté depuis longtemps à des problèmes de santé, qui n'avaient cependant jamais entamé une joie communicative dont témoignent tous ceux qui l'ont connu, Jacques Patarozzi s’était tourné ces dernières années vers la méditation et la philosophie zen. Formé par Jacques Brosse, philosophe français et moine bouddhiste, il avait lui-même été ordonné moine en 2004. Jacques Patarozzi était alors devenu Kan Sin, Cœur Constant.


Jean-Marc Adolphe

Photo en tête d'article : Jacques Patarozzi photographié en 1987 par Jesus Moreno.

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