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La chambre et le monde : le banquet de Daniel Conrod

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Illustration en première page du banquet, site internet lancé par l'écrivain et journaliste Daniel Conrod.


GRAND ENTRETIEN C'est dans l'actualité et c'est inactuel : ce 2 décembre 2025, naissance d'un nouveau site, le banquet (.eu). Un site conçu pour y baguenauder à son aise, s'y attarder ou pas et y revenir, les soirs de déprime ou de pleine lune. Rencontre avec son initiateur : l'écrivain et journaliste Daniel Conrod, dont le geste singulier et partageur se trame dans l'exigence d'un "Nous", « un nous venu des péninsules, élargi aux paysages ».


Il faut lire. Il faut lire en général, et en particulier le banquet. Pas celui de Platon, quoiqu'aussi, si l'on veut, mais là, un autre banquet, qui voit le jour ce mardi 2 décembre 2025. Un banquet composé de victuailles littéraires, et pas seulement. Un banquet sr internet : lebanquet.eu.


Aux humanités, on peut se fâcher si on estime que ça ne tourne pas rond, ou si certains cherchent à nous faire prendre des vessies pour des lanternes. Mais il y a un "sentiment" qui nous est totalement étranger, c'est la jalousie, dès lors qu'on objet a priori concurrent nous enthousiasme, et nous donne envie de nous enjailler (1). Au demeurant, avec lebanquet.eu, nous ne parlerons pas de concurrence, mais d'affinités. Pour un journal-lucioles comme les humanités, quel plaisir de lire sur le pas de la porte :


Luciole parmi les lucioles, lebanquet.eu a pour objet initial de rendre accessibles au plus grand nombre la production littéraire et les projets artistiques de l’auteur Daniel Conrod. Au fil du temps et dans la mesure de ses moyens, le site accueille le travail et la démarche d’autres artistes attachés à l’entendement et à l’habitabilité du monde.


Si la famille des lucioles s'agrandit, on ne va tout de même pas s'en plaindre. Et puis le banquet n'est pas un site "d'informations politiques et générales". C'est une bibliothèque vivante, un bruissement de mots. Un site conçu pour y baguenauder, pour y revenir quand ça chante, sans dictature de l'actualité, les soirs de déprime ou de pleine lune. Ou aux petits matins, tout autant.


Son initiateur, Daniel Conrod, écrivain (Moi les animaux, Nelson le Simple et L’Atelier des morts), journaliste, et "critique de danse" comme on ne devrait pas dire, est un ami de date longue. Si l'on taxe l'entretien qui suit de "délit de copinage", on sera contraint de plaider coupable. Mais on a des circonstances atténuantes : vu qu'on n'est pas si nombreux, il n'est pas indigne de se serrer les coudes. Puisque nous en sommes-là, à l'orée d'un "Nous" qui tient menu inaugural du banquet : « nous les ténus de ce temps, les vaincus de ce temps, les réchappés de ce temps, les désarmés de ce temps », mais aussi

« un un nous élargi aux paysages

un nous venu des péninsules

Un nous/maison(s) un nous/lumière ici ailleurs plus loin, dispersées / rattachées ».


J-M. A




TRANSCRIPTION


Jean-Marc Adolphe - Comment faut-il te présenter et te qualifier ? Auteur, écrivain, écrivant, poète, danseur mondain ou, comme avait écrit un critique de danse de Dominique Bagouet, funambule des ellipses ?

 

Daniel Conrod - Je dirais : auteur, tout simplement, avec une petite case poème, poésie, poète. Mais je viens aussi beaucoup du journalisme.

 

Auteur, ça veut dire que tu as une autorité ?

 

Daniel Conrod - Ça peut vouloir dire ça, c'est une lente construction, parce que pour plein de raisons, liées à l'origine sociale, je me suis très tardivement autorisé à être auteur. J'ai passé par toutes sortes de subterfuges, dont le journalisme, pendant une dizaine d'années, où j'ai pu m'esbaudir en cachette, camouflé, d'une certaine façon... Je me souviens que mes premières signatures, en l'occurrence dans le journal Télérama, j'avais presque un sentiment de honte. Par certains côtés, je suis un transfuge de classe. Je n'aime pas trop l'expression, mais je m'y retrouve quand même un peu. Tout ce qui concerne ce que tu appelles la question de l'autorité, la question de la légitimité, tout cela reste toujours très problématique pour moi, même si maintenant, c'est devenu un matériau parmi d'autres.

 

Lorsqu'on s'est connu, tu travaillais déjà à Télérama, mais si je me souviens bien, en tant que documentaliste.

 

Daniel Conrod - Oui. Je tournais autour du pot, d'une certaine façon. Quand je suis arrivé à Paris, j’ai d'abord été employé de bureau, déjà dans un groupe de presse. On écrit des papiers, on remplit des papiers. Ensuite, il y a eu l'iconographie, j’ai longtemps été iconographe. Quand j'ai commencé, je ne savais pas ce que ça voulait dire, mais j'ai bien été obligé de me rendre compte à quoi ça servait et en quoi je pouvais être utile dans la fabrication de journaux, avec l'image. Ensuite, je suis devenu documentaliste texte, on appelait ça comme ça à l'époque. Maintenant, ce sont des métiers qui n'existent plus trop, sauf peut-être dans la recherche, et encore…

Et après, j'ai acquis une espèce d'expertise. J'ai toujours aimé comprendre les processus. J'ai une espèce de vocation d'ingénieur rentré. J'aime bien comprendre comment ça marche. J'aime bien comprendre la société. J'aime bien comprendre les rapports de force. J'aime bien comprendre, quitte à me brûler de temps en temps.

Quand je me suis trouvé documentaliste, je me suis beaucoup intéressé au processus d'informatisation, puisque c'étaient les débuts d'informatisation des bandes de photocomposition : comment on peut récupérer ces bandes de photocomposition pour en faire des successions de bits ?

J'étais donc à cette cheville-là, à cette articulation des choses. Et puis, de fil en aiguille, je me suis intéressé à la manière dont on pouvait directement fournir des informations qui étaient stockées, mais cette fois-ci numérisées, on n’employait pas encore le terme, mais c'était quand même de cela dont il s'agissait, directement sur les postes de travail des journalistes, et j'étais loin d'imaginer qu'un jour, j’en serais moi aussi utilisateur.

Tout ça m'a intéressé. A l'époque, au début des années 1980, dans la période du premier septennat de Mitterrand, a été créée une Agence d'informatique. Jean-Jacques Servan Schreider avait conçu cette institution qui qui finançait des études (2). La boîte où je travaillais avait postulé pour que ces processus d'informatisation puissent faire l'objet d'un financement complémentaire sous forme d'une recherche. Sans être du tout universitaire, je me suis retrouvé à faire cette recherche : comment la manière de redistribuer autrement l'information, comment la manière de la retraiter et qu'elle soit directement à l'usage de l'usager final, pouvait transformer des métiers.

Je me suis retrouvé avec une forme d'expertise en la matière… J’ai été remarqué pour cela, et j’ai été embauché par le Journal Le Monde pour travailler ces mêmes questions dans un contexte spécifique qui était celui d’un journal. De fil en aiguille, je me suis retrouvé à sous-traiter des études d'ingénierie documentaire pour des entreprises. A l'époque, tout le monde cherchait à informatiser ces fonds, et on était encore en quête d'outils, de réflexions, et surtout de méthodologies. Télérama avait besoin de réorganiser son système de numérisation des articles...

 

On ne parlait pas encore de données ?


Je ne crois pas. Pourtant, ce n'est pas si loin : on est alors au début des années 1990. J'ai donc été embauché à Télérama pour résoudre un problème de transformation du stockage des données afin qu'elles puissent être réutilisées de façon plus optimale, directement sur les écrans.


Est-ce que c'est ce côté « ingénieur rentré » dont tu parlais qui t'a conduit, puisque c'est aussi comme ça qu'on s'est rencontrés, à écrire -magnifiquement, d'ailleurs, je le dis sans flagornerie-, sur la danse ?

 

Là, c'est un peu une autre histoire. Peut-être y avait-il dans l'idée de rentrer dans un univers qui ne m'était pas familier, une espèce de "challenge". En fait, c'est une proposition qui m'a été faite à Télérama à un moment où il y a eu une réorganisation du service culture. J'étais toujours chef du service documentation et on cherchait une plume que je ne savais pas être. On cherchait quelqu'un pour écrire sur la danse et la danse n'intéressait pas à l'époque, les hétéros, pour des raisons qu'on imagine, c'est un truc de "pédés". J'étais donc tout désigné pour être compétent sur la danse... Je caricature un peu, mais pas tant que ça.

Et puis, presque parallèlement, j'ai publié mon premier livre chez Gallimard. C'était un énorme paradoxe qui rejoint la discussion du départ, parce que quand ce livre sort, j'ai presque un sentiment de honte. Mais je vois bien que le regard autour de moi, au journal et ailleurs, change. Et moi, je ne réalise pas du tout l'histoire qui est en train de se passer. J'ai presque envie de me cacher dans un trou. C’est vraiment des histoires de transfuge de classe, c'est vraiment typique. Je me souviens très bien arriver au Théâtre de la Ville et longer les murs. Tu ne te projettes pas toi-même comme quelqu'un d'important. Du coup, c'est une espèce de paradoxe, de schizophrénie, d'une certaine façon. Je me disais : "quand même, ce que j'écris, par rapport à tous ces gens qui sont là..." Au fond, on bute sur quoi ? On bute sur la question de la bourgeoisie. Parce que la plupart des gens qui écrivent sur les objets culturels, sur les objets artistiques, écrivent en tant qu'appartenant à une classe sociale.


Ça n'a pas toujours été comme ça, mais la culture institutionnelle, telle qu'elle s'est épanouie, à partir de Jack Lang, a rejeté dans les coulisses tout ce qui provenait de l'éducation populaire…

 

Justement... J'anticipe peut-être sur la suite de cet entretien, mais la culture populaire a été pour moi la ligne de fracture. C'est-à-dire que j'ai retrouvé très vite, en commençant à écrire cela, deux choses. La première, c'est qu'un jour, une amie que je ne vois plus, mais pour qui j'avais un infini respect, me dit : "Quand même, Daniel, tu devrais t'intéresser à la danse classique. Si tu veux comprendre Merce Cunningham, si tu veux comprendre Pina Bausch, il faut vraiment que tu ailles voir un peu de ballet". Elle était très fan de ballets, et je suis un bon petit soldat. Je me suis donc dit : "elle doit avoir raison". J'ai commencé à aller à l'Opéra de Paris et ça m'a beaucoup intéressé de me dire : mais quand même, il y a quelque chose de populaire dans cette affaire.

"La danse m'a à la fois éloigné et rapproché de mon histoire intime"

Ce n'est pas qu'une syntaxe louis-quatorzième, ou post-Ancien Régime. Il y a sans doute une bourgeoisie un peu décatie qui continue de s'intéresser à ça, ou une bourgeoisie du marketing, parce que ça marche aussi très bien, mais il y a quand même quelque chose qui va chercher dans l’imaginaire de mes deux sœurs qui étaient au patronage et qui faisaient des petits gestes et des petits sauts de danse et tout le monde trouvait ça très beau. Donc, ça m'a beaucoup intéressé, et je me suis effectivement rendu compte que ça m'a permis d'entrer plus avant dans l'univers de quelques artistes qui m'ont beaucoup intéressé, Pina Bausch, Merce Cunningham, puis Anne Teresa De Keersmaeker. Dans ces trois cas, la question de la syntaxe est essentielle. On ne peut pas voir ça seulement comme des exercices de style, il y a une grammaire, il y a des règles du jeu...

Petit à petit, cette danse m'a à la fois éloigné et aussi rapproché de mon histoire presque intime, particulièrement Pina Bausch. J'ai pratiquement pleuré dans tous ses spectacles, presque toujours, parce qu'il y avait quelque chose là-dedans de profondément... je ne dirais pas « populaire », parce que ça ne veut rien dire et tout dire à cet endroit-là…

 

Quelque chose de... profondément humain, tout simplement ?


Quelque chose qui allait chercher vers de la simplicité, alors que c'était ultra sophistiqué, mais quelque chose qui allait chercher vers de l'évidence, et vers des réponses, et je te rejoins, vers des réponses profondément humaines.

 

J'imagine que tu as vu le seul film qu'elle ait réalisé, La plainte de l'impératrice. Est-ce que tu te souviens des images qui terminent le film ?

 

Plus trop, non.

 

C’est filmé dans un restaurant, une auberge où la compagnie avait l’habitude d’aller. A la fin, on voit juste, la dame qui tient l’auberge, qui doit avoir 70 ans, qui a le corps un peu empatté ; elle fait quelques mouvements de danse, et c'est la fin du film. Je trouve ça magnifique que Pina ait terminé son film comme ça.

Dernière question, avant que l'on parle du site, si elle n'est pas trop intime : de quelle région es-tu originaire ?

 

Franche-Comté. Mes parents étaient bisontins, et moi je suis arboisien. Je suis d'une famille nombreuse, et je suis le dernier, mes frères et sœurs sont tous nés à Besançon, moi je suis né avant, à Arbois.

"La timeline du site s'intitule « La chambre et le monde ». La question qui m’intéresse depuis toujours, c'est de rassembler ce qui est séparé".

Si j'ai mis tout exprès une petite guirlande en haut de mon écran, c'est que nous sommes le 30 novembre, mais cet entretien va être diffusé le 2 décembre, jour où tu dresses le banquet. Le banquet, le banquet.eu, c'est un site internet, et en disant ça, c'est au fond assez pauvre, parce qu'un site internet ça veut tout et rien dire. Depuis quand ce site couve-t-il ?

 

Il y a eu plusieurs étapes. On a commencé au printemps 2023, avec Isabelle Drubigny (3).  Je cherchais depuis deux ou trois ans un partenaire ou une partenaire de jeu pour engager une réflexion sur l'idée de commencer à rassembler tout ce que, j'ai écrit qui est un peu dispersé : j'ai eu huit ou neuf éditeurs différents, je n'ai jamais été publié deux fois au même endroit. D’une certaine façon, j'avais besoin de les ramener à la maison, de trouver un lieu mental et de les rendre par la même plus facilement accessibles. On a  donc commencé à réfléchir, au printemps 1923, et ça a ensuite été un long processus de réflexion où j'ai retrouvé ces questions, ces problématiques d'ingénierie, dont on parlait tout à l'heure, et puis ce goût du travail à plusieurs, une sorte d'artisanat de de la réflexion en action, et enfin d'essayer de trouver des réponses concrètes à des questions qui sont plutôt abstraites ou qui sont parfois très complexes, ou même des questions auxquelles on n'a pas vraiment de réponses mais en essayant de trouver les outils qui permettent de se rapprocher le plus possible de de ce qui peut faire lien avec le monde.


La timeline du site s'intitule "La chambre et le monde", c'est vraiment comment on peut lien entre le monde même quand il nous échappe de toutes parts (ce qu'il y a maintenant et qui est terrifiant et qui nous apparaît sous son jour le plus détestable) et puis soi-même, c'est ça la poésie d'une certaine façon, comment on peut faire poésie avec ça avec cette espèce d'articulation entre des sphères de la vie qui sont totalement dissociées, désarticulées, et qu'il faut mettre en relation. La question qui m’intéresse depuis toujours, c'est de rassembler ce qui est séparé.


Le premier travail qu'on a fait ensemble avec Isabelle, c'était de collationner. J'ai répondu aux questions qu'elle m'a posées parce qu'elle ne me connaissait pas plus : j'ai passé deux mois au tout début de notre réflexion à retrouver à peu près tout ce que j'avais fait, non pas par compulsion ou par vanité mais tout simplement parce que je me disais : voilà l'occasion de faire le point, de faire le tri, de faire les comptes, de retrouver des choses que j'ai oubliées ou que j'ai sous-estimées notamment des textes qui n'ont pas été publiés, et ça m'a permis de relire des choses, tout ça qui a nourri ce « fleuve écriture »… A partir de là on s'est dit : mais qu'est-ce que ça raconte, quelle est cette galaxie…  Ce qui m'importe c'est de savoir ce qui a eu lieu, ce qui a été fait, ce qui a été écrit ce qui a été dit sur quel support, comment les choses se sont articulées, pas toujours à mon goût, mais ces événements d'écriture ont eu lieu et par quoi ils sont passés.

"Le deuxième enjeu pour moi, c'est de disposer d'un "outil éditeur" qui me permet de publier de la poésie même s'il n'y a que 10 personnes qui la lisent…"

A quoi va ressembler ce site ? A la lumière de ce que tu viens de dire, on pourrait dire que, d'une certaine manière, tu "déposes ton bilan", mais ça n'est pas une faillite. Il y a l’archive, mais comment ce site va répondre au présent (je ne parle pas de l'actualité). Y a-t-il une « ligne éditoriale » ?


Tout ça est très progressif et avance en proportion des moyens dont on dispose. A ce stade, ce qui était déjà important c'était de mettre un petit peu d'ordre dans ces matériaux, encore une fois, de rassembler les choses qui pouvaient l'être. La deuxième grande question, c'est comment produire sans nécessairement s'en remettre aux éditeurs : le deuxième enjeu pour moi, c'est de disposer d'un « outil éditeur » qui me permet de publier de la poésie même s'il n'y a que 10 personnes qui la lisent… Je ne sais pas combien on aura d'abonnés à ce site mais au moins je dispose maintenant d'un outil qui me permet de proposer des textes qui n'ont pas été publiés et pour lesquels je garde beaucoup de ferveur.

 

La question, ensuite, c'est de se dire : voilà, cet univers qui est me mien, il peut faire hospitalité, comment les rencontres vont se faire et comment on va articuler d'autres univers pour arriver à créer cette maison qui serait une espèce de petite maison de la culture, une maison de la culture de village. Peut-être est-ce un fantasme…


Je ne crois pas que ce soit un fantasme. Tu parlais d'outil moi je parlerais plus volontiers d'espace de liberté qui est identifié à partir de ton geste d'auteur mais qui n'exclut pas d'autres écritures, d'autres invitations. Comme disaient les intermittents en 2003 : « Tout seul, je ne suis pas assez nombreux ». Tu as parlé d’Isabelle Dubrinski, mais je sais qu'il y a autour de vous ce que j'appellerais volontiers un « conseil d'admiration », avec des amis, des gens que tu aimes bien… Cela crée déjà ce rassemblement dont tu parles. On pourrait dire que l'écriture est une activité solitaire, parce que quand on écrit on est seul, ou plutôt, on est seul avec l'écriture. Mais je sais que tu as aussi participé pendant quelque temps à un journal de quartier dans le 18èmearrondissement de Paris, donc tu n'es pas un écrivain éthéré dans sa tour d'ivoire, hors sol…


C'est l'histoire de la chambre et du monde. Tu demandais quelle est la politique du site. Peut-être est-ce précisément la chambre et le monde. Une fois qu'on aura mis en circulation ce qu'il y a déjà dans le site, on va forcément continuer à enrichir, à renouveler, etc. Ce site n'aurait pas d'objet s'il restait orphelin, s'il devait rester dans une logique "autorale".  Rien ne dit qu'on doive en faire un lieu strictement dédié à la littérature ; on peut y parler de photographie, de musique, d'architecture ou de design numérique, de philosophie…  Je me plais à espérer qu'on puisse former une "communauté des gentils",  parce que je crois qu'on a vraiment besoin de cette de la bonté-là, parce qu'on est vraiment dans une phase historique, politique, internationale, de sauvagerie :  d'une certaine façon, il n'y a pas de mots pour qualifier ce qu'on ce qui nous entoure et je pense que le geste qu'on peut produire avec nos outils, avec nos espaces, ce sont des gestes de politesse au sens vraiment très fort de "politesse", de gratitude aussi.


En conclusion de cet entretien, Jean-Marc Adolphe lit le texte inaugural, "manifeste", du banquet (avril-mai 2025) :



NOTES


(1). [S'enjailler] est un verbe pronominal familier signifiant s'amuser intensément, faire la fête, se divertir ou passer du bon temps, souvent dans un contexte festif comme en boîte de nuit. Né dans les années 1980 du nouchi, l'argot ivoirien, le terme dérive probablement de l'anglais "enjoy" (lui-même issu du français "jouir") ou d'une altération de "jaillir", transformé en "jailler". Il s'est répandu en France via la jeunesse et les réseaux sociaux, notamment après des chansons populaires.


(2). Jean-Jacques Servan-Schreiber, journaliste et homme politique français (1924-2006), a fondé en 1981 le Centre mondial informatique et ressource humaine (CMIRH), une organisation dédiée à la promotion de l'informatique et des ressources humaines au niveau international. Ce centre visait à anticiper les impacts sociétaux de la révolution numérique et était initialement dirigé par Nicholas Negroponte pendant un an. Il a été dissous en 1986 dans le cadre de la suppression gouvernementale de l'Agence de l'informatique (ADI) et du Centre mondial, avec une fermeture effective en janvier 1987, affectant 115 salariés sans reclassement immédiat. Servan-Schreiber, déjà connu pour son ouvrage "Le Défi américain" (1967), s'est engagé dans l'informatique via ce projet sous l'impulsion de ses idées sur le "Défi mondial", publiées en 1980, qui prônaient une adaptation française à la société de l'information. L'entité a connu une existence courte en raison de changements politiques et budgétaires sous le gouvernement Fabius.


(3). Isabelle Drubigny est cheffe de projets artistiques, responsable éditoriale et rédactrice en chef adjointe au sein d'ARTCENA, le centre national des arts du cirque, de la rue et du théâtre en FrLa timeline du site s'intitule « La chambre et le monde ». La question qui m’intéresse depuis toujours, c'est de rassembler ce qui est séparé.ance. Elle a précédemment occupé le poste de rédactrice en chef adjointe de Stradda, le magazine dédié aux arts pluriels, jusqu'en 2016, et accompagne des projets d'édition sur le cirque et les arts en espace public. 



Poème inaugural du site lebanquet.eu (avril-mai 2025)


Quoi faire, demandent nos cœurs-désarroi

Qui avec nous de ce temps déchiqueté

Nous nos maisons dispersées

Tout ce qui tremble et bruisse en nous

Ce qui a fait un long voyage

Ce qui ne mesure pas le geste ni ne compte le mot

Ce qui se tient debout

Ce qui refuse la force brute

Tout ce qui parle juste et dit vrai

Le fragile, qui ne se rend pas

nous les ténus de ce temps, les vaincus de ce temps, les réchappés de ce temps, les désarmés de ce temps


Pleine lumière visages à découvert

sans embuches ni mensonges

Les pas cyniques, les pas-lassés, les sans-repos/sans-répit

Les / qui font d’la place

Les / qui n’s’accaparent de rien

Les / qui n’veulent pas tout pour eux

Les petits bras/les petites mains

Les / qui n’ont pas autre chose que la langue-archipel

Les / qui chantent encore et encore ce qui vit et se meut

Les / qui se dressent depuis l’en-dedans-des-choses

Les / qui aiment le monde et les gens

Nous tels que nous sommes

Nous qui avons beaucoup perdu

Nous que voilà pour longtemps minoritaires,

Nous d’ailleurs, nous d’avant, nous d’après, nous d’ici

Seuls, vaillants et courageuses, mais seules,

Quelques-uns quelques-unes


Nous nos maisons dispersées

Périmètre restreint, immensités digitales

L’air le souffle dont nous avons besoin

Une table aussi, longue / solide

Patience oh ma patience

Feront cercles et parlements des bancs innombrables sur lesquels nous serrer

Rester groupés, non pas collés-agglutinés,

«Rester-groupés» annonce le jour qui vient

Ta maison ici, ailleurs plus loin ma maison, mais pas si loin


Je dis, nous sommes là, sur le fil, minoritaires, utopiens voie étroite

Je dis ne pas attendre ne pas craindre / il y a de la lumière, la vois-tu


Pas de manifeste

Pas de / que voulons-nous

Pas de leçon carte sur table

Pas de vaines prophéties

Pas de peurs inutiles

Pas de / nous savons mieux que vous

Pas de / nous sommes à l’avant-garde

En lieu et place, un nous élargi aux paysages

un nous venu des péninsules

Un nous/maison(s) un nous/lumière ici ailleurs plus loin, dispersées / rattachées

Rattachés animaux / rassemblés

rattachés le vivant le commun la justice / rassemblés

rattachés océans liberté / rassemblés

rattachés nos frères et sœurs les arbres et les sols / rassemblés

rattachés gris et bleus et mauves et rouges et noirs du ciel / rassemblés

rattachés la nuit le jour ton cœur-désarroi / rassemblés

rattachés ta peau tes yeux l’espoir notre espoir / rassemblés

rattachées les vies humaines nos vies où qu’elles soient / rassemblées réparées


Daniel Conrod

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Jean-Charles Herrmann  / Art + Culture + Développement (2021),

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