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La fatigue d'aimer

Dernière mise à jour : 7 juil.


Helga Guren dans le film Loveable de la réalisatrice norvégienne Lilja Ingolfsdottir.


Dans son premier long métrage, Lilja Ingolfsdottir dissèque l’usure d’un mariage qui croyait pouvoir conjuguer passion et parfaite parité : débordée par quatre enfants, Maria réclame une vraie co‑parentalité à Sigmund, musicien toujours sur la route. Huis clos d’une justesse ibsénienne, Loveable expose la fissure intime du modèle scandinave et révèle la puissance de jeu d’Helga Guren.

 

Dans un pays généralement considéré comme un bastion en matière d’égalité de genre, la cinéaste norvégienne Lilja Ingolfsdottir met en scène, dans le film Loveable sorti en salles ce mercredi 18 juin, un drame de couple à la Ibsen où chacun des protagonistes lutte âprement pour son épanouissement personnel. Les choses avaient pourtant bien commencé. Un court prologue décrit la conquête amoureuse. Maria vient de divorcer et a la garde des deux enfants de la précédente union. En visite chez des amis, elle rencontre Sigmund pour qui elle éprouve un véritable coup de foudre. Lui, un musicien, la remarque à peine. Mais à force d’errer dans des lieux où elle pourrait faire sa rencontre par hasard, Maria parvient à ses fins. Le mariage suit.

 

Sept ans ont passé dont nous ne savons rien. Nous retrouvons Maria dans un supermarché avec deux bambins de plus, les bras chargés de paquets, n’arrivant pas à régler l’addition, ses cartes bleues étant successivement rejetées. À la maison, c’est une mère de quatre enfants turbulents dont elle ne parvient pas à se faire obéir. Sa fille aînée est en conflit ouvert avec elle, lui reprochant son autoritarisme et le chaos qui règne au foyer. On sent que l’adolescente tient à se dégager le plus tôt possible du modèle maternel.

 

Maria est submergée par le quotidien et les tâches prosaïques. Son visage porte les marques de son épuisement. Elle se raccroche d’autant plus à Sigmund qui prend, dès qu’il le peut, la poudre d’escampette. Ses tournées lui en donnent l’occasion. Lorsqu’il revient à la maison après une absence de six semaines, elle l’accueille plutôt froidement. Elle lui fait une remarque acerbe alors qu’il se plaint de l’inconfort de ses nuits à l’hôtel. Elle explose en apprenant qu’il a programmé un nouveau voyage. Nous assistons dans cette séquence centrale à la crise du couple. Les Scènes de la vie conjugale (1974) d’Ingmar Bergman qui reste la référence, se déroulaient sur plusieurs années.

 

Les disputes, qu’elle est la première à déclencher, vont crescendo. Toutes sur le même mode. Maria est meilleure rhétoricienne. Elle revendique la juste répartition des travaux domestiques et de l’éducation des enfants, inscrite dans la loi norvégienne sur la co-parentalité. Elle réclame aussi plus de temps pour elle, faisant allusion à ses propres projets. Sigmund reste fuyant et recourt à l’argument financier. Ne doit-il pas travailler pour la famille dont la situation est précaire ? Ce qui remet Maria, pourtant la forte personnalité du couple, dans la situation traditionnelle. Conscient de ces contradictions mais exaspéré par les récriminations, incessantes, Sigmund laisse entendre qu’il veut divorcer, sans toutefois oser prononcer le mot. Elle le lui fait dire. Elle affronte la situation, après l’avoir convoquée, par lucidité. Avant de s’effondrer en larmes.

 

Intervient alors une séparation provisoire et Sigmund assume le rôle de l’homme à la maison. Maria se réfugie chez une amie. Confrontée à la solitude, elle ne cesse d’appeler son époux sur son portable. Celui-ci est perpétuellement sur répondeur. Avec une thérapeute, Maria est amenée à réfléchir sur la relation, sur ses emportements, son intransigeance. Saura-t-elle s’accepter ou bien se résigner à une situation qu’elle ne peut guère changer ?  Lilja Ingolfsdottir ne laisse entrevoir aucune solution radicale comme ont pu faire les  marxistes ou les féministes des années soixante-dix. Jamais d’ailleurs le terme de patriarcat ne sera prononcé. Le conflit est intériorisé. La cinéaste se limite à la sphère de l’intime, ce que souligne une mise en scène caractérisée par le huis-clos de l’appartement, l’utilisation du gros plan sur les visages et la présence systématique de miroirs. Elle effectue des retours en arrière et nous présente à plusieurs reprises une même scène qui peut s’interpréter différemment. En Helga Guren, qui a joué sur les planches Nora dans Maison de poupée et Hedda dans Hedda Gabler, le film révèle une interprète d’une grande subtilité.


Nicole Gabriel

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1 comentario


Voilà qui donne envie de découvrir le film ! J’ai eu des témoignages directs du modèle scandinave par un cousin qui a épousé une Suédoise. Ils ont 2 enfants et vécu quelques années en Suède, autour de l’an 2000. L’une des premières choses qui l’avaient marqué c’était les séances de cinéma où les jeunes parents pouvaient venir avec la poussette😊

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