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La maison qui brûle et prend l'eau



Alors que s’approche la COP26, la planète regarde son bulletin de santé, et c’est loin d’être encourageant ! Aux États-Unis, un seul sénateur démocrate fait vaciller les ambitions climatiques de Joe Biden. Le président brésilien Jair Bolsonaro vante sa « chère, riche et désirable Amazonie » (dont il est l’un des principaux fossoyeurs) sous le regard énamouré de son homologue colombien Ivan Duque, lui-même qualifié de «meilleur allié» par le secrétaire d’État américain. Tout baigne, et les multinationales du pétrole et des industries fossiles se frottent les mains… à ceci près qu’elles sont dans le collimateur de plusieurs actions en justice, en France et dans le monde. «Les pétroliers vont-ils devoir payer ?», interroge le magazine Complément d’enquête, diffusé ce soir sur France 2.


États-Unis. Sur le papier, Joe Biden prévoit de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 50 à 52 % d'ici à 2030 par rapport à 2005. Annonce faite le 22 avril dernier lors d’un lors d’un sommet virtuel réunissant 40 dirigeants mondiaux pour lutter contre le réchauffement climatique. Sauf qu’à ce jour, l’accord du Congrès américain est loin d’être acquis.

Le projet de Programme de performance dans le secteur de l'électricité (CEPP), d'un montant de 150 milliards de dollars, se heurte à l’opposition résolue des sénateurs républicains. Et la majorité démocrate est si ténue qu’il suffit de la désertion d’un seul « traître » pour faire capoter les vertueuses intentions de Joe Biden, et l’empêcher de reconstruire la crédibilité des États-Unis en matière de lutte contre le changement climatique, minée par Donald Trump.

Photo J. Scott Applewhite / Associated Press


Ça n’a pas manqué. Le traître en question s’appelle Joe Manchin, 74 ans, sénateur de la Virginie-Occidentale, un État particulièrement riche en charbon. Joe Manchin, qui dirige en outre la puissante la commission sénatoriale de l'énergie, a lui-même fait fortune avec Enersystems, une société de courtage de charbon qu'il a fondée et qui est maintenant dirigée par son fils.

Pour sauver la face, la Maison Blanche s'efforce de trouver des voix alternatives pour obtenir le soutien de tous les démocrates, comme l'introduction d'une taxe carbone ou des crédits d'impôts supplémentaires pour l'énergie propre. Avec ces quelques mesures aménagées, Joe Biden pourra prétendre que c'est « la plus grande législation climatique jamais adoptée par le Congrès. Mais ce sera aussi un échec », estime le journaliste et militant écologiste Bill McKibben, fondateur de l'association 350.org.

Quant à Joe Manchin, il n’en est pas à son premier coup d’éclat. Opposé à l’avortement, ardent défenseur du droit de porter des armes à feu, il fut aussi le seul démocrate à avoir confirmé en octobre 2018 le juge conservateur Brett Kavanaugh à la Cour suprême, alors visé par des accusations d’agression sexuelle. « Je n’ai jamais été de gauche, d’aucune façon », déclarait-il fin septembre. Outre son opposition aux projets climatiques de Joe Bide, ; il rejette également les nouvelles dispositions sur les congés familiaux et médicaux payés que les démocrates tentent d’intégrer dans le volet social du vaste projet de loi "Reconstruire en mieux" ("Build back better").


Ivan Duque et Jair Bolsonaro, à Brasilia, le 19 octobre. Photo Reuters.


Brésil / Colombie. Rencontre au sommet, le 19 octobre, entre deux des principaux fossoyeurs de l’Amazonie, le président brésilien Jair Bolsonaro et son homologue colombien Ivan Duque. Le voyage de ce dernier au Brésil avait essentiellement pour objet de renforcer la coopération économique entre les deux pays, afin de « renforcer la compétitivité de l'agriculture et de faire progresser les projets conjoints dans le domaine des sciences, des technologies et de l'innovation. » Sans rire, il fut aussi question de « la défense de la démocratie dans la région ». Traduction : vouer aux gémonies le régime de Nicolas Maduro au Venezuela (qui n’est certes pas un modèle du genre), obsession quasi-exclusive du président colombien Ivan Duque, qui lui permet de détourner l’attention de ses propres crimes et atteintes aux droits de l’homme.

Enfin, toujours sans rire, Bolsonaro et Duque ont fait assaut d’amabilités avant la COP26. « Notre voix à Glasgow ne consistera pas seulement à travailler pour la transition énergétique, pour une réduction des émissions, mais aussi pour atteindre la neutralité carbone en protégeant nos forêts tropicales et notre Amazonie », a déclaré le président colombien. Et Bolsonaro, encore plus lyrique, d’évoquer « notre chère, riche et désirable Amazonie. » Une Amazonie dont les deux dirigeants ne cessent d’encourager la déforestation !

De retour à Bogotá, Ivan Duque s’est encore entretenu avec le secrétaire d’État américain Anthony Blinken, qui effectue sa première visite en Amérique latine (depuis l’élection de Joe Biden). Là aussi, il fut beaucoup question de l’épouvantail vénézuélien et de crise migratoire (sans un mot pour les « déplacements forcés » à l’intérieur même de la Colombie, lire ICI). Dans une conférence de presse commune, Antoni Blinken a décerné un gros satisfecit à la Colombie : « Nous n'avons pas de meilleur allié sur tous les sujets que nos démocraties affrontent dans la région. » Tout juste a-t-il mentionné, du bout des lèvres, les "violations des droits de l'homme" liées au conflit colombien et, plus récemment, aux manifestations sociales durement réprimées par les forces de l'ordre.

De toute façon, comme l’affirme José Miguel Vivanco, directeur de Human Rights Watch pour les Amériques dans un entretien avec El Pais, « L’administration de Joe Biden n’a aucune politique pour l’Amérique latine. (…) La politique étrangère des États-Unis vers l'Amérique latine est en réalité une politique intérieure et ne concerne que la migration. C'est le seul domaine où vous les voyez se mobiliser et essayer d'influencer l'Amérique centrale, mais ce n'est pas de la politique étrangère, c'est le reflet d'un besoin de politique intérieure. »

Et sur les questions climatiques et de biodiversité ? Motus et bouche cousue. Il faut dire que de puissants intérêts sont en jeu. Pour ne parler que du charbon, la Colombie n’absorbe que 11% de sa production ; le reste est exporté principalement à destination des États-Unis (et de l’Europe).


Les pétroliers vont-ils devoir payer ?


Quand on assemble les pièces du puzzle, avec des multinationales qui iront jusqu’au bout de leurs profits, quitte à dissimuler ou nier les alertes liées au réchauffement climatique (Lire ICI), et des États qui sont loin de respecter les engagements de l’Accord de Paris, on voit mal comment la prochaine COP26 pourrait venir inverser les perspectives désastreuses qui se profilent.

En ultime recours, que peut la justice ? En France, l’État vient d’être condamné pour inaction climatique, mais sans contrainte financière liée à l’exécution du jugement. En Equateur, comme relaté ICI, des communautés indigènes saisissent la Cour constitutionnelle pour empêcher de nouvelles extractions pétrolières et minières…

« Climat : les pétroliers vont-ils devoir payer ? », demande le magazine Complément d’enquête, diffusé sur France 2 ce 21 octobre à 23 h. L’enquête de Sandrine Feydel, Valérie Lucas et Michel Pignard mène de Bize-Minervois, bourg de l’Aude régulièrement dévasté par de graves inondations, aux États-Unis, où les pêcheurs de la côte Ouest voient leur activité réduite à néant. Point commun : la judiciarisation du combat.

En France, la commune de Bize-Minervois, une dizaine d’autres collectivités et quelques associations, ont décidé d’assigner en justice pour "inaction climatique" le groupe Total, qu’elles estiment responsable des avaries subies (Lire ICI et ICI). L’action en justice se fonde sur la loi Devoir de vigilance et demande à l’industriel de se conformer à l’objectif de limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C afin de prévenir un emballement climatique.

A San Francisco, aux États-Unis, les journalistes de Complément d'enquête ont rencontré Larry Collins, pêcheur de crabes depuis 50 ans. Lui aussi est en colère : « A cause du réchauffement climatique, son activité est en crise : les eaux se sont réchauffées, rendant la pêche impossible avant l'hiver et favorisant la prolifération d'un parasite. Résultat : les crabes ne sont plus comestibles. La perte est chiffrée à plusieurs centaines de millions d'euros. » L'association de pêcheurs de la côte Ouest dont il fait partie a décidé de porter plainte contre les sociétés Exxon, Chevron, Shell et aussi Total. Aux Etats-Unis, 24 villes, comtés et Etats ont fait de même, aidés par un groupe de juristes « Carroll Muffett, président du Centre pour le droit environnemental international, est devenu en quelques années la bête noire des rois du pétrole », écrit Complément d’enquête. « Selon lui, des villes côtières comme San Francisco ou Oakland seraient fondées à réclamer des milliards de dollars. Sans parler du coût exorbitant des dégâts provoqués par les tempêtes. »

Dans quelques jours, les patrons d'Exxon, Chevron, BP, Shell, sont appelés à témoigner devant le Congrès américain. Ils vont devoir s'expliquer sur ce qu'ils savaient du risque climatique... Visés au portefeuille, les géants du pétrole vont-ils enfin prendre la mesure du désastre planétaire qu’ils engendrent ?

Et cela suffira-t-il ? La justice est nécessaire, mais la justice est lente, singulièrement quand la maison brûle.


Ce soir à 23 h sur France 2, Complément d’enquête. Climat : les pétroliers vont-ils devoir payer ?


Photo en tête d'article : Inondations dans l’Aude, octobre 2018. Photo Sylvain Thomas, AFP.

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