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Le cinéma (muet) des "effrontées"

Dernière mise à jour : il y a 19 heures

Image issue du film "Breaking Plates", de Karen Pearlman. Photo The Physical TV Company


Le cinéma muet, une affaire d'hommes ? Bien au contraire ! La Cinémathèque vient de présenter un cycle consacré aux « femmes redoutables » ("Nasty women") qui ont marqué les débuts du 7ème art, avant d'être quelque peu oubliées. Souvent, les titres n'indiquent que leurs prénoms : Rosalie, Zoé, Léontine, Cunégonde, Victoire et les autres... Avec un court-métrage réalisé sur mesure, suivi d'une dizaine de films tournés au début du 20ème siècle, les Australiens Karen Pearlman et Richard James Allen ont proposé un programme décapant qui remet quelques pendules à l'heure, non sans irrévérence.


Dans le cadre du cycle Cinema’s First Nasty Women conçu par Maggie Hennefeld, Elif Rongen-Kaynakçi et Laura Horak, qui s'est achevé le 15 juin, la Cinémathèque a présenté le court métrage Breaking Plates produit par The Physical TV Company, la société de Karen Pearlman et Richard James Allen qui ont à leur actif une quarantaine de films de danse (1).

 

Karen Pearlman et Richard James Allen ont présenté, elle en anglais, lui en français, le septième programme de Nasty Women qui avait pour thème Breaking plates & smashing the patriarchy (que l'on pourrait traduire en français par : "casser la vaisselle et briser le patriarcat"). Breaking Plates, réalisé par Pearlman, est multi-genre – pour ne pas dire hybride – puisqu’il relève à la fois du burlesque, de la satire féministe, du coq-à-l’âne surréalisant façon Hellzpoppin’ (1941), du work in progress. Sa mise en scène est aussi en abyme, montrant la cinéaste dirigeant ses comédiennes et comédiens (Richard James Allen grimé d’une fausse barbe, y incarne un des personnages caricaturaux), et montant à vue le film.

 

Les courts extraits de films en noir et blanc tournés autour des années 1910 et les séquences en couleur les pastichant de nos jours sont animés par des gags et des trucages méliésiens, rythmés par des fondus au noir et également des moments chorégraphiques. Ce par quoi l’opus relève de la cinédanse – il a d’ailleurs été coproduit par la Briqueterie du Val-de-Marne et par La Place de la danse toulousaine. Les extérieurs semblent avoir été pris dans la ville rose. Au générique de Breaking Plates figurent quantité de danseurs et de danseuses : Jannah Allen, Jay Bailey, Bárbara Benítez, Coline Bulloz, Laure-Anne Deltor, Evane Duguet, Saskia Ellis, Emma Gautrand, Texas Nixon-Kain, Cassidy McDermott, Olivia Mortimer, Matylda Pioro et Jessica Spies.

 

Une dizaine de films parmi les 83 retenus par Maggie Hennefeld, Elif Rongen-Kaynakçi et Laura Horak (2) ont été projetés à la suite du court métrage de Karen Pearlman et Richard James Allen : Victoire a ses nerfs (1907), réalisateur inconnu, Rosalie et son phonographe (1911) de Romeo Bosetti, Mary Jane’s Mishap (1903) de George Albert Smith, Zoé et le parapluie miraculeux (1913) de Romeo Bosetti, Les Ficelles de Léontine (1910), anonyme, Hypnotizing the Hypnotist (1911) de Laurence Trimble, Cunégonde femme cochère (1911), anonyme, The Boy Detective (1908) de Wallace McCutcheon, Amour et science (1912), anonyme, La Grève des bonnes (1906) de Charles Lépine.


Bande-annonce du cycle "Cinema’s First Nasty Women" à la Cinémathèque française

 

Bien que le contenu l’emporte le plus souvent sur la forme – il faut bien reconnaître que quantité de nanars grossissent le corpus –, les films en question sont dignes d’intérêt. Karen Pearlman qui, rappelons-le, avait auparavant signé Woman with an Editing Bench (2016), un court métrage consacré à Elisabeth Ignatevna Svilova, l’épouse de Dziga Vertov et, par ailleurs, monteuse (non créditée) de L’Homme à la caméra (1929) et de I Want to Make a Film About Women (2020), un hommage aux créatrices de l’avant-garde constructiviste, estime que ces « signes de rébellion, de révolte et de révolution féminine à l’écran » démontrent que les femmes ont refusé de « rester muettes dans le cinéma muet ».

 

La minorité juridique et, comme on dit de nos jours, l’invisibilité des femmes dont les corps crèvent l’écran au temps du burlesque est à rapprocher des Keystone Kids, petits héros de Mack Sennett, enfants du 7e Art, gang de rebelles, canailles et autres racailles (Little Rascals) révélés dès 1914, la génération d’avant Zéro de conduite (1933) de Jean Vigo. Même si la Cinémathèque n’a pas toujours été claire dans le traitement réservé aux femmes dans sa programmation (y compris, du temps de Langlois, à une pionnière comme Alice Guy), elle a commencé à aborder le sujet des « effrontées du cinéma » avec sa rétrospective Mae West, en mai dernier. On peut penser qu’après sa programmation/déprogrammation du Dernier tango à Paris (1972) et la commission d'enquête parlementaire qui a suivi (3), la Cinémathèque soigne ses atours...


Nicolas Villodre

 

Notes


(1). Les films et vidéos de Karen Pearlman et Richard James Allen déposés, au cours des ans, à la Cinémathèque de la Danse, sont conservés au CND.

 

(2). Cf. l’édition en DVD et Blu-ray: https://wfpp.columbia.edu/cinemas-first-nasty-women/

 

(3). Commission d’enquête relative aux violences commises dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité présidée par la députée Sandrine Rousseau en janvier 2025 : https://www.youtube.com/watch?v=o0F36HlCVEY


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