Le jour où Antonin Artaud n'a pas pu tuer John F. Kennedy
- Nicolas Villodre
- il y a 9 heures
- 10 min de lecture
Dernière mise à jour : il y a 19 minutes

Dora Maar, « Sans titre » [Main-coquillage], 1934
Halte aux fake news ! Mort le 4 mars 1948 à Ivry-sur-Seine, 51 ans, Antonin Artaud ne peut en aucun cas être suspecté d’avoir assassiné John F. Kennedy, le 22 novembre 1963. De même, il semble que Ranavalona III, la dernière reine de Madagascar, décédée en 1917, n’a pas assisté à la création du Boléro de Ravel en 1928. Et non, mille fois non, Gustave Flaubert n’est pas l’auteur de la brochure De la misère en milieu étudiant, arrivée le 22 novembre 1966 dans la boîte à lettres de Raymond Delacour, militant syndicaliste aux PTT. Avec, en prime, le dernier film de Guy Debord.
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L'IMAGE DU JOUR
En tête de publication : Dora Maar, « Sans titre » [Main-coquillage], 1934. Épreuve gélatino-argentique, 40,1 × 28,9 cm © Adagp, Paris, photo Centre Pompidou.
Dora Maar, pseudonyme d’Henriette Theodora Markovitch, est née à Paris il y a cent dix-huit ans, le 22 novembre 1907.
Main-coquillage est un intrigant et onirique photomontage de Dora Maar, réalisé en 1934 à la chambre photographique dans le studio de photographie de mode qu’elle partage alors avec son associé Pierre Kéfer, et où se croisent les plus grands modèles parisiens. Au premier plan d’une scène minutieusement composée, sans raccord, la main gauche d’un mannequin féminin de prêt-à-porter, surexposée, sort d’une conque enroulée sur elle-même – son majeur, à l’ongle vernis, s’enfonce avec volupté dans le sable. Dans le lointain, en guise de fond, un ciel d’orage menaçant, noir, inquiétant, percé d’une lumière puissante et mystique – sans doute une image glanée par l’artiste.
Dora Maar exerçait comme photographe commerciale pour la mode et l’industrie de beauté dans les années 1930. En 1933, alors qu’elle fait déjà partie du milieu artistique et intellectuel parisien, elle rejoint le groupe surréaliste, dont elle partage tout autant l’engagement antifasciste et politique, que les ambitions esthétiques. (…) Les photomontages surréalistes de Dora Maar se caractérisent par leur effet de réel, tout en convoquant l’iconographie propre aux préoccupations du mouvement ; érotisme, sommeil, œil, inconscient, univers maritime… (…) Main-coquillage est une œuvre tout en contrastes, où les éléments naturels, qui semblent sur le point de se déchaîner, tranchent avec la volupté de cette main manucurée, détachée du corps, symbole de l’indépendance, du geste libérateur. (…) La conque, d’où s’extrait la main, n’est pas sans rappeler la coquille de Triton, dieu romain de la richesse et de l’abondance, ou encore Vénus, déesse de l’amour, de la séduction, de la beauté féminine. Le monde marin que convoque Dora Maar est aussi celui du mystère de l’inconscient. Avec ce photomontage, Dora Maar provoque le trouble ; le fantastique de la représentation d’une part et le réalisme de la composition d’autre part. Elle s’affirme ainsi comme la figure surréaliste incontournable d’une technique en pleine expansion : le photomontage.
(© Pierre Malherbet, pour le Centre Pompidou)
LA CITATION DU JOUR
« La vie est un rêve éveillé, il faut savoir le rêver pleinement. » (Charles Vildrac)
Né Charles Messager il y a cent quarante-trois ans, le 22 novembre 1882 à Paris, Charles Vildrac est un poète, dramaturge, conteur, essayiste et pédagogue libertaire français. Il est surtout reconnu comme un des écrivains de théâtre majeurs des années 1920. Avec Georges Duhamel, il fonde le groupe de l’Abbaye de Créteil, une expérience communautaire artistique en bord de Marne réunissant écrivains et artistes. Son œuvre littéraire est variée : il publie des pièces de théâtre, des poèmes, des récits ainsi que des romans pour la jeunesse. Il défend une poésie rythmée basée sur l’assonance plutôt que sur la rime classique. Pacifiste lors de la Première Guerre mondiale, proche du socialisme et militant dans le mouvement Clarté, il devient un compagnon de route du Parti communiste dans les années 1930 et s’engage aussi dans la résistance littéraire lors de la Seconde Guerre mondiale, sous le pseudonyme de Robert Barade, durant laquelle il est arrêté et emprisonné par la Gestapo. Après-guerre, il reçoit plusieurs distinctions, notamment le Grand prix de littérature de l’Académie française en 1963. Il est mort à Saint-Tropez, le 25 juin 1971.
ÉPHÉMÉRIDES
Ça s’est passé un 22 novembre. Nous proposons ci-après une éphéméride en forme de collage, quitte à quitter l'ordre logique ou chronologique.
1880
On retrouve le manuscrit du roman inachevé de Gustave Flaubert, Bouvard et Pécuchet.
Inachevé pour cause de mort survenue le 8 mai de cette même année 1880.

Gustave Flaubert, manuscrit de Bouvard et Pécuchet. Bibliothèque nationale de France
EXTRAIT
Une petite fille, les pieds nus dans des savates, et dont le corps se montrait par les déchirures de sa robe, donnait à boire aux femmes, en versant du cidre d’un broc qu’elle appuyait contre sa hanche. Le comte demanda d’où venait cette enfant ; on n’en savait rien. Les faneuses l’avaient recueillie pour les servir pendant la moisson. Il haussa les épaules et, tout en s’éloignant, proféra quelques plaintes sur l’immoralité de nos campagnes.
Bouvard fit l’éloge de sa luzerne. Elle était assez bonne, en effet, malgré les ravages de la cuscute ; les futurs agronomes ouvrirent les yeux au mot cuscute. Vu le nombre de ses bestiaux, il s’appliquait aux prairies artificielles ; c’était d’ailleurs un bon précédent pour les autres récoltes, ce qui n’a pas toujours lieu avec les racines fourragères.
— Cela du moins me paraît incontestable.
Bouvard et Pécuchet reprirent ensemble :
— Oh ! incontestable.
Ils étaient sur la limite d’un champ soigneusement ameubli : un cheval que l’on conduisait à la main traînait un large coffre monté sur trois roues. Sept coutres, disposés en bas, ouvraient parallèlement des raies fines, dans lesquelles le grain tombait par des tuyaux descendant jusqu’au sol.
— Ici, dit le comte, je sème des turneps. Le turnep est la base de ma culture quadriennale.
498
Soupape de sécurité : Symmaque et Laurent sont élus respectivement pape et… antipape.
Ce dernier étant choisi par une partie dissidente du clergé souhaitant un rapprochement
avec le patriarcat de Constantinople.

1947
Enregistrement, pour la Radiodiffusion française,
de Pour en finir avec le jugement de Dieu d'Antonin Artaud
J’ai appris hier (il faut croire que je retarde, ou peut-
être n’est-ce qu’un faux bruit, l’un de ces sales
ragots comme il s’en colporte entre évier et
latrines à l’heure de la mise aux baquets des
repas une fois de plus ingurgités),
j’ai appris hier l’une des pratiques officielles les plus sensationnelles des écoles publiques américaines et qui font sans doute que ce pays se croit à la
tête du progrès.Il paraît que, parmi les examens ou épreuves
que l’on fait subir à un enfant qui entre pour
la première fois dans une école publique,
aurait lieu l’épreuve dite de la liqueur séminale
du sperme,et qui consisterait à demander à cet enfant
nouvel entrant un peu de son sperme afin de
l’insérer dans un bocal
et de le tenir ainsi prêt à toutes les tentatives de
fécondation artificielle qui pourraient ensuite
avoir lieu. Car de plus en plus les Américains trouvent
qu’ils manquent de bras et d’enfants,
c’est-à-dire non pas d’ouvriers mais de soldats et ils veulent à toute force et par tous les
moyens possibles faire et fabriquer des soldats
en vue de toutes les guerres planétaires qui
pourraient ultérieurement avoir lieu,et qui seraient destinées à démontrer par les
vertus écrasantes de la force la surexcellence des produits américains,et des fruits de la sueur américaine sur tous les
champs d’activité et du dynamisme possible
de la force.Parce qu’il faut produire,il faut par tous les moyens de l’activité possibles remplacer la nature partout où elle peut
être remplacée,il faut trouver à l’inertie humaine un champ
majeur,il faut que l’ouvrier ait de quoi s’employer,il faut que des champs d’activités nouvelles
soient créés,où ce sera le règne enfin de tous les faux pro-
duits fabriqués,de tous les ignobles ersatz synthétiques où la belle nature vraie n’a que faire, et doit céder une fois pour toutes et honteuse-
ment la place à tous les triomphaux produits
de remplacement
où le sperme de toutes les usines de fécondation artificielle fera
merveille pour produire des armées et des cuirassés.
Plus de fruits, plus d’arbres, plus de légumes,
plus de plantes pharmaceutiques ou non et par
conséquent plus d’aliments,
mais des produits de synthèse à satiété,dans des vapeurs,dans des humeurs spéciales de l’atmosphère,
sur des axes particuliers des atmosphères
tirées de force et par synthèse aux résistances
d’une nature qui de la guerre n’a jamais connu
que la peur. Et vive la guerre, n’est-ce pas ?Car n’est-ce pas, ce faisant, la guerre que les
Américains ont préparée et qu’ils préparent
ainsi pied à pied.Pour défendre cet usinage insensé contre
toutes les concurrences qui ne sauraient manquer de toutes parts de s’élever,
il faut des soldats, des armées, des avions, des
cuirassés.
De là ce sperme auquel il paraîtrait que les gouvernements de
l’Amérique auraient eu le culot de penser.
Car nous avons plus d’un ennemi
et qui nous guette, mon fils,
nous, les capitalistes-nés,et parmi ces ennemis,la Russie de Staline
qui ne manque pas non plus de bras armés.
Tout cela est très bien,mais je ne savais pas les Américains un peuple
si guerrier.Pour se battre il faut recevoir des coup set j’ai vu peut-être beaucoup d’Américains à la
guerre mais ils avaient toujours devant eux d’incommensurables armées de tanks, d’avions, de
cuirassés qui leur servaient de bouclier.J’ai vu beaucoup se battre des machines mais je n’ai vu qu’à l’infini
derrière
les hommes qui les conduisaient.
En face du peuple qui fait manger à ses chevaux, à ses bœufs et à ses ânes les dernières
tonnes de morphine vraie qui peuvent
lui rester pour la remplacer par des ersatz de
fumée,
j’aime mieux le peuple qui mange à même
la terre le délire d’où il est né,je parle des Tarahumaras mangeant le Peyotl à même le sol
pendant qu’il naît, et qui tue le soleil pour installer le royaume de
la nuit noire,et qui crève la croix afin que les espaces
de l’espace ne puissent plus jamais se rencontrer
ni se croiser.
1966
De la misère en milieu étudiant
22 novembre 1966 : la brochure De la misère en milieu étudiant publiée en mars de cette même année 1966, arrive dans la boîte à lettres de Raymond Delacour, militant syndicaliste aux PTT.
De la misère en milieu étudiant est une brochure rédigée par le syndicaliste tunisien Mustapha Khayati sous la direction de Guy Debord. Ce texte dénonce la condition difficile des étudiants, en abordant leur misère considérée sous ses aspects économique, politique, psychologique, sexuel et notamment intellectuel. Il critique à la fois la société de consommation, les bureaucraties syndicales et politiques, ainsi que le système éducatif qui produit des étudiants « incultes et incapables de penser ». Le document appelle les étudiants à dépasser la simple posture de protestation stérile pour redonner à la contestation une dimension festive et révolutionnaire. Cette brochure préfigure les tensions étudiantes majeures qui déboucheront sur mai 1968 en France.
In girum imus nocte et consumimur igni ("Nous tournons en rond dans la nuit et sommes consumés par le feu"), film réalisé par Guy Debord, tourné en 1978 et sorti en salles en 1981. Tout le film (à l'aide des images, mais aussi dans le texte du "commentaire") est construit autour du thème de l'eau. Ainsi, on y cite les poètes du flux de toute chose... qui ont tous parlé de l'eau : c'est le moment. En second lieu, il y a le thème du feu : l'éclat de l'instant : c'est la révolution, Saint-Germain-des-Prés, la jeunesse, l'amour, la négation dans la nuit, le Diable, les batailles et les « entreprises inachevées » dans lesquelles les hommes vont mourir, éblouis comme « des voyageurs qui passent » ; et le désir dans cette nuit du monde ("nocte consumimur igni"). Mais l'eau du temps refoulé emporte le feu et l'éteint. Ainsi, la jeunesse brillante de Saint-Germain-des-Prés, le feu de l'assaut de la « Brigade légère » en feu qui s'est noyée dans les eaux tumultueuses du siècle lorsqu'elle a avancé « sous les canons du temps »... » --- Écrit par Guy Debord le 22 décembre 1977.
Publié dans In Girum Imus Nocte Et Consumimur Igni : Édition Critique Augmentée de Notes Diverses de Guy Debord (Gallimard, 1999).
EXTRAIT. La mise en spectacle de la réification sous le capitalisme moderne impose à chacun un rôle dans la passivité généralisée. L’étudiant n’échappe pas à cette loi. Il est un rôle provisoire, qui le prépare au rôle définitif qu’il assumera, en élément positif et conservateur, dans le fonctionnement du système marchand. Rien d’autre qu’une initiation.
Cette initiation retrouve, magiquement, toutes les caractéristiques de l’initiation mythique. Elle reste totalement coupée de la réalité historique, individuelle et sociale. L’étudiant est un être partagé entre un statut présent et un statut futur nettement tranchés, et dont la limite va être mécaniquement franchie. Sa conscience schizophrénique lui permet de s’isoler dans une "société d’initiation", méconnaît son avenir et s’enchante de l’unité mystique que lui offre un présent à l’abri de l’histoire. Le ressort du renversement de la vérité officielle, c’est-à-dire économique, est tellement simple à démasquer : la réalité étudiante est dure à regarder en face. Dans une "société d’abondance", le statut actuel de l’étudiant est l’extrême pauvreté.
1928
Le Boléro de Maurice Ravel
Cette scie musicale fut commandée à Maurice Ravel par Ida Rubinstein qui la dansa en 1928 à l'Opéra Garnier. La pièce a fait l'objet de nombreuses autres versions depuis. Celle de Maurice Béjart (mort un 22 novembre, en 2007), relativement fidèle à l'originale, dans la mesure où le chorégraphe tint compte des souvenirs de témoins de l'époque, fut créée en 1961 par la danseuse Duska Sifnios. Suivirent d'autres interprétations avec, dans le rôle principal, tantôt un homme (Jorge Donn, par exemple), tantôt une femme, comme Maïa Plissetskaïa ou, ici, Sylvie Guillem (en 2015).
1883
Couronnement de Ranavalona III, reine de Madagascar

Ranavalona III,née Razafindrahety en 1861, fut la dernière reine de Madagascar, régnant de 1883 à 1897 dans un contexte de fortes pressions coloniales françaises. Elle est montée sur le trône le jour de son vingt-deuxième anniversaire, le 22 novembre 1883. Sa politique a cherché à résister à la colonisation en renforçant les relations commerciales et diplomatiques avec les puissances étrangères comme la Grande-Bretagne et les États-Unis. Malgré ses efforts, les forces françaises ont envahi Madagascar, prenant Antananarivo en 1895. La reine fut contrainte à l'exil, d'abord à La Réunion puis à Alger, où elle mourut en 1917. Son règne marque la fin de la souveraineté monarchique malgache et la transformation de Madagascar en colonie française sous l'autorité du général Gallieni.
1963
Assassinat de John F. Kennedy
Selon des archives déclassifiées, Donald John Trump, 17 ans à l'époque (né le 14 juin 1946 dans le quartier de Jamaica, dans l'arrondissement du Queens à New York) ne serait pas responsable de l'assassinat de John F. Kennedy.
Demain sera peut-être un autre jour.
Nicolas Villodre





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