Les crépuscules des dieux
- La rédaction

- il y a 2 jours
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Photo Julia Demaree Nikhinson / AP
En 1928, Jean Epstein, figure majeure de l’avant-garde cinématographique des années 1920, réalisait La Chute de la maison Usher, adapté d'une nouvelle d'Edgar Allan Poe. Près d'un siècle plus tard, c'est un autre Epstein (Jeffrey), qui affole Washington. En attendant la Chute de la maison Trump, on enclenche la machine à remonter le temps, avec Charles Quint, Emiliano Zapata, Hermann Göring et consorts du procès de Nuremberg, et le général Franco. Non sans oublier, pour terminer sur une note plus joyeuse, de célébrer l'illustre Edmond Dédé, dont le ballet Les Faux mandarins fit les délices du Théâtre de Bordeaux en 1863.
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LA PHOTO DU JOUR
En tête de publication : des manifestants brandissent des pancartes lors d'une conférence de presse sur la loi Epstein Files Transparency Act, le18 novembre 2025, devant le Capitole à Washington. Photo Julia Demaree Nikhinson / AP
C’est une furieuse foldingue. Dans le passé, Marjorie Taylor Greene, élue Républicaine de Géorgie, adepte des théories complotiste de la secte QAnon, s’est "illustrée" par d’innombrables déclarations conspirationnistes, racistes, antisémites, etc. Pour ne prendre qu’un seul exemple : les incendies dévastateurs de 2018 en Californie auraient, selon elle, été causés par des « rayons laser juifs » venus de l'espace et manipulés par la famille Rothschild... Cette Marjorie Taylor Greene était, dans le camp MAGA, l’une des plus ferventes admiratrices de Dieu Trump. Mais les vents tournent. La voilà aujourd’hui en tête de gondole anti-Trump sur fond d’affaire Epstein, dont elle réclame avec insistance la publication des pièces. C’est juste « une traîtresse » et « une honte » pour le Parti républicain, a vertement répondu Trump entre deux parties de golf. On ne sait pas si, avec Jeffrey Epstein, comptait aussi les trous. Au golf, on crie "Fore" lorsque la balle risque de toucher quelqu’un. Et en ce moment, ça "fore" pas mal pour Trump.
Le ministère de la Justice dispose désormais d'un délai de 30 jours pour rendre publiques les 100.000 pages du dossier. Toutes ? Que nenni. Le ministère de la Justice pourra s’abstenir de divulguer les informations permettant d'identifier les victimes, les documents relatifs à des abus sexuels sur des enfants et les informations jugées confidentielles par l'administration pour des raisons de défense nationale ou de politique étrangère. Et si ça touche Trump, ça touche forcément à la "sécurité nationale", non ? Bref, on n’a pas fini d’entendre parler de "l’affaire Epstein".
LA CITATION DU JOUR
« Ce maître n’a pourtant que deux yeux, deux mains, un corps, et rien de plus que n’a le dernier des habitants du nombre infini de nos villes. Ce qu’il a de plus, ce sont les moyens que vous lui fournissez pour vous détruire. » (Étienne de la Boétie, "Discours de la servitude volontaire", 1547)
ÉPHÉMÉRIDES
Sauf en années bissextiles, le 20 novembre de notre calendrier tombait au 30 brumaire du calendrier républicain. « Brumaire », on le suppose, en raison des brumes de la saison en certaines régions, mais comme le faisait déjà remarquer en 1795 le député d’Ille-et-Vilaine Jean-Denis Lanjuinais : « Les nouveaux noms des mois sont vérité dans le nord, et perpétuel mensonge au midi… » Qu’en aurait-il pensé sous les lunes déréglées contemporaines, où même les pommiers hésitent à savoir si le temps est venu d’égarer ses feuilles, ou de fleurir ? Quoi qu’il en soit, Bonaparte se chargera de déconstruire le calendrier en question. Le 22 fructidor de l’an XIII (soit le 9 septembre 1805), le calendrier est abrogé et le calendrier romain (grégorien) est rétabli, le 11 nivôse de l’an XIV (soit le 1er janvier 1806). Toujours est-il que le 20 novembre garde sous tous les régimes une allure crépusculaire.
Il y a 483 ans, les "Lois nouvelles" de Charles Quint pour protéger les indigènes des colonies espagnoles d’Amérique des exactions des colons

"Nouvelle description de l’Amérique ou Nouveau Monde" d’après Ortélius, vers 1579. Neatline Antique Maps
Bien avant que les Français se penchent sur les calendriers, des indigènes d’Amérique prenaient les Européens débarqués sur leurs rives pour des dieux. L’Espagne s’était déjà accaparée la quasi-totalité du continent, alors que, le 20 novembre 1542, Charles Quint, roi de Castille et d’Aragon, à l’instigation du « défenseur des Indiens », Bartolomé de Las Casas, promulguait les Leyes Nueves (Lois Nouvelles) visant à protéger les indigènes des colonies espagnoles d’Amérique des exactions des colons. Ce n’était pas la première fois que la couronne espagnole tentait le coup. En 1512, le roi Ferdinand II d’Aragon avait promulgué les Lois de Burgos, visant à encadrer le traitement des populations indigènes, à réglementer leur travail, à interdire les châtiments corporels et, surtout, à abolir formellement l’esclavage des Indiens, en reconnaissant leur statut d’hommes libres. Les Lois Nouvelles de Charles Quint allaient encore plus loin, en prétendant limiter le système des encomiendas, sorte de seigneuries qui fondaient le régime esclavagiste des colonies, en attribuant aux encomenderos un droit de vie et de mort sur les esclaves indigènes employés aux travaux forcés dans les mines et les exploitations, affublé du devoir de les convertir à la religion catholique, qui leur « ouvrait ses portes ». Raison suffisante pour les considérer comme des êtres humains. Mais Charles Quint poursuivait aussi un autre but, bien moins édifiant celui-ci, car les encomenderos des colonies avaient pris beaucoup trop de pouvoir à force d’exploiter le Nouveau Monde, et la chose ne plaisait guère au roi. C’est pourquoi les Lois Nouvelles limitaient les droits de succession des encomiendas, jusqu'alors héréditaires – c’est bien comme cela que naissent les dynasties… Résultat : partout dans l’empire colonial espagnol les encomenderos outrés se soulevèrent et, entre révoltes et tentatives de coups d’état, finirent par mener Charles Quint à mettre de l’eau dans son vin. Les indigènes continuèrent à être exploités, malgré la fervente défense qu’en prit Bartolomé de Las Casas en 1550, dans la fameuse controverse de Valladolid. Il n’empêche que les Lois Nouvelles restent l’amorce d’une première réflexion en Europe sur la légitimité morale du système de l’esclavage et avec lui de l’entreprise coloniale.
Il y a 115 ans, avec Emiliano Zapata, la première révolution paysanne au Mexique

Emiliano Zapata devant ses quartiers, coiffé de son emblématique sombrero (1911).
Quoique réduits en esclavage et convertis de force, les indigènes des colonies espagnoles du Nouveau Monde ne perdirent jamais la titularité des terres à usage collectif appartenant à la communauté, un droit qui fut maintenu, du moins formellement, pendant toute la durée du régime colonial. Certains d’entre eux le perdirent en revanche dans l’une des colonies de l’empire, longtemps après la fin de celui-ci. Le 20 novembre 1910 commençait au Mexique la première révolution paysanne de l’histoire du pays, contre la dictature de Porfirio Díaz, arrivé au pouvoir après un coup d’état en 1876. L’élément déclencheur : l’endurcissement de la Ley Lerdo sur la privatisation des terres, adoptée en 1856 sous le régime libéral de Benito Juárez. La nationalisation des terres appartenant à l’Église et aux communautés villageoises visait à l’origine à bâtir un modèle agricole fondé sur la petite et moyenne propriété. Mais dès l’entrée en vigueur de la loi, les terres nationalisées furent vendues par l’État à des spéculateurs et aux grands propriétaires, en déterminant une extrême concentration foncière. Le Porfiriato exacerba davantage la situation, menant le Mexique vers un système carrément latifundiste, à tout détriment des paysans autochtones, qui se virent privés de tout moyen de subsistance. Au moment où la révolution éclate, près de 11.000 propriétaires terriens contrôlaient 57 % du territoire national, tandis que 95 % des habitants des campagnes ne possédaient aucune terre. D’où la mobilisation massive des paysans, et l’émergence de figures emblématiques telles que celle d'Emiliano Zapata, meneur des insurgés dans le sud du pays, qui est encore aujourd’hui une icône de la lutte pour la reconnaissance des droits des populations autochtones du Mexique et dont les idéaux seront repris, notamment, par les révolutionnaires du Front Zapatiste de Libération Nationale du Chiapas dans les années 1990.
Il y a 80 ans, l'ouverture du procès de Nuremberg

Les accusés du procès de Nuremberg dans leur box.
Au premier rang, de gauche à droite : Hermann Göring, Rudolf Heß, Joachim von Ribbentrop, Wilhelm Keitel.
Au deuxième rang, de gauche à droite : Karl Dönitz, Erich Raeder, Baldur von Schirach, Fritz Sauckel.
Autres lieux, autres dictatures. Le 20 novembre 1945 s’ouvrait dans l’Allemagne occupée par les forces alliées le procès de Nuremberg. Sur le banc des accusés, 24 hauts dignitaires nazis, faute de pouvoir en avoir d’autres -même plus coupables, dirent certains - rendus indisponibles par la fuite ou la mort. 218 audiences, 775 heures de débats, 360 témoins, 2.000 documents, dont des photographies, des enregistrements sonores et des films, pour ce procès fondateur du système de la justice pénale internationale, tel que nous le connaissons aujourd’hui. « Les méfaits que nous avons à condamner et à punir, dira le procureur américain Robert Houghwout Jackson dans son exposé liminaire, font preuve d’une telle vilenie et ont été si calculés, si malveillants et si dévastateurs, que la civilisation ne peut tolérer qu’ils soient ignorés, car elle ne peut survivre à leur répétition. Quatre grandes nations, victorieuses et blessées, ont retenu leur main vengeresse et ont volontairement soumis leurs ennemis captifs au jugement de la loi, ce qui constitue un des plus importants hommages que le pouvoir ait jamais rendu à la raison. » La juriste Mireille Delmas-Marty (*), qui a beaucoup travaillé sur les enjeux de la justice pénale internationale, rappelait souvent l’importance du principe qui fut établi à Nuremberg en 1945 : que les puissants ne sont pas au-dessus de la loi ; et qu’il y a des lois dont le fondement ultime est l’être humain. « Il s’agissait de dépasser la souveraineté absolue des États pour affirmer une responsabilité individuelle, visant à protéger les droits fondamentaux au-delà des frontières nationales, ce qui est une innovation majeure du droit international », expliquait-elle dans un entretien pour Le Monde le 15 avril 2022. Et certes, en 1998 Nuremberg et son exemple étaient bien présents aux esprits des négociateurs du Statut de Rome, portant la création de la Cour pénale internationale, devant laquelle aujourd’hui sont jugés des crimes parmi les plus atroces commis, à différents titres mais avec la même violence aveugle, dans le monde entier. Le seul travers de l’histoire est que le pouvoir n’a pas encore appris à rendre hommage à la raison avant de les commettre.
(*). Voir, sur les humanités, "Zemmour l'a tuer. Hommage à Mireille Delmas-Marty", publié le 13 février 2022. Lire ICI.
Il y a 50 ans, la mort du général Franco

Vue du monument aux victimes de la guerre civile espagnole, dans la Valle de los Caidos
Toujours en matière de crimes et dictateurs, ou de dictateurs criminels déjà qu’on y est, aujourd’hui est aussi l’anniversaire du décès du caudillo Francisco Franco, passé à meilleure vie (de vie à trépas, on veut dire) le 20 novembre 1975. Lui non plus, comme d’autres ayant marqué leur époque par le sang versé - des innocents, pour la plupart - n’a pas trouvé tout de suite le repos éternel. L’Espagne s’est déchirée pendant un demi-siècle sur le sort à donner à sa dépouille, dans une dispute sans fin qui est le miroir de la mémoire tourmentée, et encore aujourd’hui joncée de non-dits, de la guerre civile de 1936 et de son triste épilogue. Au lendemain de sa mort, Franco est transporté dans le mausolée de la Valle des los caidos, que lui-même avait fait bâtir en 1941 à la gloire de son propre régime, par les prisonniers républicains. Le monument était censé abriter les corps des soldats franquistes, mais dans un sursaut d’opportunisme politique, le dictateur y avait fait transférer, en 1959, aussi les corps de ceux que les premiers avaient trucidés en son nom - près de 33.000 victimes. Depuis son trépas, le site n’a cessé d’attirer les nostalgiques, avec un afflux digne de bien d’autres lieux de recueillement. Vécu par les uns comme un hymne à l’Espagne fière et forte que le caudillo incarnait, par les autres comme une insulte à la mémoire de ceux qui avaient lutté pour sa liberté, le mausolée devient vite trop étroit pour que ces deux visions de l’histoire du pays puissent y loger ensemble. Des voix se lèvent pour demander que Franco soit enterré ailleurs, mais l’Espagne est fatiguée de ses blessures, et pendant les années 1980 la polémique cède à la douleur silencieuse, vécue dans l’intimité des familles. À partir des années 2000, grâce aussi à l’œuvre des associations de la société civile qui travaillent à l’identification des milliers des victimes de la guerre civile encore non identifiées, les temps sont mûrs pour une autre approche. Non moins litigieuse, mais du moins plus efficace. En 2007, une loi mémorielle intervient pour la reconnaissance des victimes du franquisme et la réparation, y compris symbolique, des violences du régime ; et en 2018, alors que plus de 2.000 fosses communes sont désormais répertoriées, contenant les restes de 100.000 personnes, le 13 septembre 2018 le gouvernement décrète le transfert de la dépouille du dictateur. En 2019, Franco a été enfin délogé du mausolée qu'il partageait avec ses victimes, et transféré dans un cimetière de la périphérie de Madrid, dans une tombe plus respectueuse de leur mémoire. On ne sait pas s'il y repose en paix.
Il y a 198 ans, la naissance du petit Edmond Dédé

Edmond Dédé, violoniste et compositeur, 1827-1901
Finissons ces éphémérides sur une note plus légère, après tant d’horreurs. Le 20 novembre 1827, à la Nouvelle-Orléans, un couple franco-antillais donnait naissance à un petit Edmond Dédé. Le père, chef d’une fanfare de miliciens, donna ses premières leçons de clarinette au petit Edmond qui travailla ensuite le violon. Le jeune homme s’installa en France, à Bordeaux, publia sa première œuvre, la mélodie Mon Pauvre Cœur, l'une des plus anciennes créées par un musicien créole noir de La Nouvelle-Orléans, et dirigea l’orchestre du café-concert L’Alcazar, puis celui des Folies-Bordelaises. En 1886, le magazine bordelais L’Artiste disait à son sujet : « Il n’y a pas un seul habitant à Bordeaux qui ne connaisse Edmond Dédé et ne l’ait écouté et applaudi. Plusieurs générations ont fredonné ses refrains les plus gais ». Fredonnons donc, sur les airs de son œuvre Les faux mandarins, ballet représenté pour la première fois à Bordeaux le 20 avril 1863.





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