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Le temps du cannabidiol (alias CBD)


Il y eut l’époque du LSD, voici venu le temps du CBD. Mais ce n’est pas du pareil au même. Certes dérivé du chanvre, le CBD n’est pas un psychotrope (sauf pour le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin-de-jardin, qui a voulu en interdire la commercialisation. Le Conseil d’État a heureusement mis le hola. Dans le cadre de la série VU D’EN FRANCES, pour prendre le pouls de la France comment qu’elle va, avec bonheurs et déboires, depuis les territoires voire terroirs, avec le concours de la presse quotidienne régionale, reportage à Reims avec le quotidien L’Union.


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Reportage pour L’Union : Alice Beckel. Photos Remi Wafflart.


Les magasins spécialisés dans la vente de cannabidiol (ou CBD) se multiplient comme des petits pains. Qui sont les clients qui poussent leur porte ? Nous sommes allés à la rencontre des consommateurs de ce dérivé du chanvre.


Les clients des boutiques spécialisées dans la vente de produits à base de cannabidiol (CBD) sont aussi divers que les gammes d’articles proposés dans ces échoppes.

« On a des étudiants ou des curieux du quartier qui viennent acheter par exemple une tisane, des acheteurs de fleurs aux cheveux blancs, des couples qui viennent faire leurs emplettes avec leur bébé ou des jeunes qui amènent leur oncle ou leur tante », liste Axelle Wary, vendeuse passionnée de la toute nouvelle adresse, La Tisanerie à Reims. Bref, « on a tous les profils », résume Cyril Gonzalez, son homologue d’une des deux boutiques Brin d’herbe que compte la cité des sacres [Reims – NdR].

Si leur confrère de la franchise CB D’eau, Jan Targosz, note que les types de produits consommés « varient en fonction de la région », tous s’accordent pour décréter que les fleurs, les huiles et les tisanes forment le podium marnais. En revanche, les modes de consommation seraient difficilement mixtes. « Souvent, ceux qui prennent des fleurs, ne prennent pas d’huile », synthétise Cyril Gonzalez.


Il faut dire qu’en cette période où le pouvoir d’achat de certains ménages est grippé par des hausses de prix successives, la consommation de produits CBD est loin d’être anodine. Les tisanes conditionnées en sachets de 35 grammes sont vendues une dizaine d’euros. Les fleurs se commercialisent autour de 5 à 7 euros le gramme et les flacons d’huile se monnaient entre 20 et plus de 80 euros, selon le pourcentage de CBD qu’ils contiennent.

« C’est un budget, comme pour tout », lance Catherine Delaplace, sans plus épiloguer. Cette pétillante commerçante carbure depuis deux mois à la tisane et au thé CBD, après un essai infructueux avec l’huile. « Je prends deux à trois tasses par jour. Ça provoque un apaisement à l’intérieur », assure celle qui se décrit comme une grande stressée. Ces vertus seraient, selon elle, approuvées par ses vendeuses. « Elles ont remarqué un changement et sont même prêtes à aller m’en racheter quand je suis court », sourit la quadragénaire. Le sujet n’est donc pas tabou pour la Marnaise. « Même ma kiné en parle à ses clients ! »


Tout aussi convaincue par le CBD, Émilie* opte toutefois pour une promotion plus discrète. « La société fait encore beaucoup d’amalgames entre cannabis et CBD. Donc si on prend du CBD, on prend de la drogue. C’est pour ça que je veux rester anonyme. » Des précautions inutiles dans la sphère privée. « Ma mère et mon frère en consomment également », révèle la Rémoise. Si elle a poussé la porte de son fournisseur habituel, c’est en partie pour ravitailler son aînée en tisanes, propices, d’après l’étiquette, au sommeil.

La jeune femme « de nature anxieuse » a semble-t-il trouvé son bonheur dans les fleurs, qu’elles fument, malgré l’interdiction affichée clairement sur le paquet à côté d’un profil de femme enceinte et d’un sigle « -18 ans », également barrés. Bien que non recommandé, ce mode de consommation serait prisé par les 20-30 ans, désireux de se sevrer du cannabis.


À l’image de Mélanie*. Cette ancienne grande fumeuse de cannabis a délaissé cette drogue pour le CBD « car je commençais à avoir de gros troubles de la mémoire », indique-t-elle. Si la Rémoise retrouve des saveurs de son ancienne addiction, elle apprécie « de pouvoir tester et goûter différentes variétés ». Surtout, « on sait ce qu’il y a dedans car on prend le temps de se renseigner, on n’achète pas à la sauvette comme la drogue ». Fumeur quotidien de joints pendant deux ans, Yohan* a découvert le cannabidiol au gré de ses recherches sur le cannabis, une plante qui « l’intriguait ». Le premier essai fut peu concluant. « J’étais déçu car avec le CBD il n’y a pas l’effet défonce du cannabis. » Finalement, ce dérivé du chanvre lui aurait permis de se passer du THC à haute dose. Désormais, « je ne fume plus rien. Je consomme du CBD uniquement en huile car j’ai vu que ça réduisait un peu mon psoriasis (maladie inflammatoire chronique de la peau, NDLR), même si ce n’est pas non plus spectaculaire », confesse-t-il.


* Les prénoms ont été modifiés à la demande des interlocuteurs.

De l’espoir placé dans le CBD

De son propre aveu, Marina Hiégel est une consommatrice de CBD « un peu à part ». Cette Rémoise s’est tournée il y a un peu plus d’un an vers ce dérivé du chanvre en raison de son état de santé : un cancer du sein métastasé. « Il y a quelques années, des amis m’ont transmis une étude sur les effets du CBD sur les métastases (tumeurs cancéreuses qui ont quitté leur emplacement initial, NDLR). » Si les études sont encore en cours, la trentenaire évoque ce sujet avec son oncologue. Après avoir obtenu son aval, elle opte pour de l’huile. « J’ai commencé par des flacons contenant 10, puis 20 et enfin 30 % de CBD. » Chaque soir, elle s’administre sept gouttes sous la langue avant de dormir. Si ce médecin reconnaît qu’il est « impossible de distinguer les effets du CBD des effets des traitements chimiques prescrits en parallèle », elle estime que « ça ne fait pas de mal. Je n’ai pas constaté d’effet secondaire ». Sauf contre-ordre de sa spécialiste, elle continuera à en prendre en espérant ardemment que « les résultats des études sortent prochainement pour valider les effets du CBD sur les métastases ».


Une législation à clarifier

La vente de produits contenant du cannabidiol est soumise à une réglementation encore instable.

Au niveau européen, un arrêté de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), datant de novembre 2020, a ouvert la voie à la commercialisation des produits CBD en France et à la multiplication des points de vente spécialisés.

Cette juridiction avait été interpellée par la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence sur la vente de liquide d’e-cigarette contenant du cannabidiol. L’instance européenne a considéré que le CBD n’était pas un produit stupéfiant. De fait, une nation ne peut interdire sa commercialisation au nom de la libre circulation. Seule exception acceptée : que cette mesure restrictive soit justifiée par un objectif de protection de la santé publique nécessaire et proportionné. La France ne pouvant apporter de preuve suffisante de la nocivité du CBD, la vente est autorisée.

Un an plus tard, le gouvernement français revient à la charge. Dans un arrêté du 30 décembre 2021, l’État interdit la vente des fleurs et des feuilles de chanvre brutes. Raisons invoquées ? Les risques sanitaires provoqués par « la voie fumée » et la difficulté pour les forces de l’ordre de reconnaître du CBD d’un cannabis non modifié. Saisi en urgence par les commerçants du secteur, le Conseil d’État a suspendu provisoirement cette interdiction, le 24 janvier 2022. Le juge des référés de l’institution estimant qu’il existe « un doute sérieux sur la légalité de cette mesure d’interdiction générale et absolue en raison de son caractère disproportionné », peut-on lire sur le site du Conseil d’État. Selon ce dernier, les fleurs et feuilles contenant une proportion de THC inférieure à 0,30 % ne présenteraient pas un degré de nocivité justifiant une interdiction totale. La décision définitive du Conseil d’État devrait intervenir dans plusieurs mois. Interrogés sur l’issue de ce recours, les commerçants rémois affichaient tous leur optimiste. En attendant, une pétition demandant l’annulation de l’arrêté recueillait plus de 40 000 signatures ce 8 février.

Pour l’heure, les commerçants doivent tout de même suivre quelques règles, comme ne pas entretenir la confusion entre CBD et cannabis non-modifié et ne pas revendiquer d’allégations thérapeutiques, sauf si le produit a été reconnu comme médicament par les autorités compétentes. Pour l’heure, seul un médicament à base de CBD est commercialisé dans notre pays : l’Epidiolex®, produit indiqué dans le traitement des convulsions de certaines formes d’épilepsie.


PS - Le Conseil d’État a donc heureusement suspendu, lundi 24 janvier, un arrêté ministériel du 30 décembre 2021 qui interdisait la commercialisation et la consommation des fleurs et des feuilles de variétés de cannabis dépourvues de propriétés stupéfiantes. Dès le 25 janvier, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin-de-jardin, s’est empressé de « regretter » la décision du Conseil d’État : « D’une manière générale, toutes les substances qui relèvent du cannabis, de la drogue, sont très mauvaises pour la santé. On n’a pas augmenté le prix du tabac à 10 euros pour qu’on accepte la légalisation ou la dépénalisation du cannabis. »

Comme la plupart de ses collègues du gouvernement, Darmanin-de-jardin fume la moquette. Et la moquette n’est pas encore considérée comme un psychotrope. Dommage !

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