Madagascar, journal d'une Révolution / 01, par Elie Ramanankavana
- Jean-Marc Adolphe

- 3 nov.
- 31 min de lecture

Photo Iako Randrianarivelo
Iako Randrianarivelo est un photographe et photojournaliste malgache né en 1986 à Ambodintsiry (Antananarivo), reconnu pour son engagement dans la photographie documentaire, notamment sur les crises environnementales,
sociales et humanitaires à Madagascar. Il a fondé en 2020 le collectif Mira Photo, qui valorise l’égalité
entre photographes et propose des événements tels que les "Kozy Sary" pour sensibiliser au regard documentaire. http://www.iako-randrianarivelo.com/
Comment écrire une Révolution ? Comment écrire une Révolution quand on est en plein dedans ? A Madagascar, un jeune poète de 30 ans, Elie Ramanankavana, s'y emploie depuis le début du soulèvement Gen Z. S'y emploie ? Evidemment, il n'est pas payé pour ça, poète, ce n'est pas un métier, même si ça prend tout votre temps. En tout cas, fort rares sont celles et ceux qui en vivent. Elie Ramanankavana a quand même trouvé un éditeur : Facebook. C'est là qu'il publie ses chroniques quasi-quotidiennes. Il nous a semblé nécessaire de les reprendre et de les rassembler (pour commencer, chroniques du 27 septembre au 9 octobre). Pour Madagascar / Gen Z, pour nous, pour ne pas désespérer sans fin, et aussi pour l'Histoire.
Madagascar : une Révolution s’écrit. Nous n’avons pas été les derniers à s’en apercevoir, quand d’autres parlaient de "coup d’État". Dès le 28 septembre, dans une chronique de Michel Strulovici, "Révolte à Madagascar : qu'est-ce que le mouvement Gen Z ?" (ICI), nous expliquions les raisons profondes du soulèvement qui avait débuté trois jours plus tôt. Et nous avions d’emblée cette première chronique par deux autres publications signées Nadia Mevel, "Madagascar, au regard de ses artistes" (ICI) et "Jean-Joseph Rabéarivelo, Jean-Luc Raharimanana, Na Hassi et Elie Ramanankavana, voix malgaches" (ICI). Dans cette dernière publication, nous avions donc distingué Elie Ramanankavana, 30 ans, jeune poète et journaliste (dernier ouvrage paru : Encre et Lumière, un recueil de 18 poèmes édité aux éditions Mpariaka Boky).
Depuis lors, nous sommes restés en contact avec Elie Ramanankavana, et avons suivi les chroniques qu’il publie quasi quotidiennement sur Facebook, dont l’une que nous avons d’ores et déjà relayé, avec la charte du mouvement Gen Z, curieusement omertée par TOUTE la presse française, ICI. Ce n’est pas fini : avant entretien vidéo à suivre dans les prochains jours, il nous a semblé pertinent (et important) de rassembler les chroniques qu'il a écrites au fil des jours (pour commencer, chroniques du 27 septembre au 9 octobre, précédées par un incipit d’un autre écrivain ami des humanités, Jean-Luc Raharimanana). Pour maintenant, et pour l’Histoire, car oui, ces chroniques resteront dans l’Histoire.
« Depuis le début de ce que j’ai qualifié de révolution, un proverbe malgache guide ma plume, “Ny amisavisana ny ratsy hiavin’ny tsara” ou “Se projeter dans les abimes pour mieux atteindre les sommets” », écrit Elie Ramanankavana dans une chronique que nous publierons ultérieurement : « ces chroniques quotidiennes (…) ne relèvent pas du journalisme, non. Ce sont les notes d’un écrivain, d’un jeune poète qui voit se réaliser devant lui ses propres angoisses ». Aux humanités, c’est bien cela que nous aimons (c'est même pour cela, entre autres, qu'existe ce journal-lucioles) : cette chair donnée aux événements. Au-delà des flashes d’info, ces événements prennent consistance. Bonne lecture.
Jean-Marc Adolphe
3 novembre 2025

Illustration : NTNL
MITSANGANA, se mettre debout,
par Jean-Luc Raharimanana
(2 novembre 2025)
Le Cameroun, la Tanzanie, le Soudan, la Côte d'Ivoire, bientôt les élections en RCA, en Guinée. Nous sommes auteurs, nous sommes artistes, nous sommes médecins, nous sommes architectes, nous sommes marchands, nous sommes marcheurs, nous sommes fous, nous sommes paysans, nous sommes gardiens de zébus, nous sommes riziculteurs, nous sommes dentistes, nous sommes sages, nous sommes avocats, nous sommes douaniers, nous sommes ce que nous sommes dans nos sociétés, vendeurs au bord de la rue.... à chaque endroit où nous sommes, nous avons la possibilité de nous mettre debout.
Mitsangana comme nous disons à Madagascar. Mitsangana, c'est se mettre debout, dans la belle posture de soi, dans le refus de se plier, dans la dignité également. Mitsangana, c'est inciter à ce que les autres fassent de même, se mettre debout. Et devenir chacun un pilier.
Mitsangana, c'est la première posture pour observer, puis esquisser un pas, marcher. C'est laisser derrière soi la peur et la lâcheté, c'est ne pas accepter la corruption et l'injustice.
Et à Madagascar, ce sont les jeunes de GEN Z qui nous l'ont rappelé. Un régime corrompu est tombé, mais ce n'est pas le moment pour s'asseoir et se reposer. Un gouvernement est formé pour apporter de réels changements, pas seulement dans notre société dans l'île, mais aussi dans notre rapport avec le monde, dans notre rapport avec l'exploitation de nos terres, de nos populations, de nos sols par les dominants de ce monde.
Nous ne permettrons pas à ce gouvernement de tenter de nous mettre à genoux et à dévier de la route convenue ensemble : le bien de Madagascar, la dignité de l'être humain.
Car si les armes parlent sur le continent africain, si des tyrans s'accrochent à plus de 90 ans au pouvoir, c'est parce qu'ils sont en train de dépecer la proie que nous sommes pour tendre et partager nos morceaux à d'autres prédateurs. Alors, il faut se mettre debout, ne pas se coucher comme une victime qui attend le tranchant de la lame. Se mettre debout dans la dignité, et ne jamais trahir, car ces dernières décennies, nous en avons vu de la trahison. Des belles paroles qui sont devenues nos plaies. Se mettre debout n'est pas seulement dans la posture. C'est dans nos pensées. C'est dans nos droitures. Et laisser cette terre, plus belle encore que lorsque nous en avons eu l'usage, que dire, lorsque nous en avons eu le passage.
Je vous salue jeunes gens! Et merci!
Jean-Luc Raharimanana
Jean-Luc Raharimanana, né à Madagascar en 1967, est un écrivain, poète et dramaturge majeur de la scène francophone contemporaine. Après des études à la Sorbonne et à l’INALCO, il s'impose par des textes puissants qui interrogent la mémoire, la colonisation et l’identité malgache. Auteur de romans comme Nour 1947 (2001) et Revenir (2018), d’essais, de poésies et de pièces de théâtre, il défend une littérature engagée et multiforme, mêlant récit, musique et photographie. Il a reçu en 2023 le Prix Benjamin Fondane pour l’ensemble de son œuvre.
Chronologie des principaux événements depuis les premières manifestations du mouvement Gen Z,
du 25 septembre au 14 octobre 2025
25 septembre 2025 : Début des manifestations
Des milliers de jeunes descendent dans la rue, dénonçant les coupures d’eau, d’électricité et la corruption. Les protestations débutent à Antananarivo, puis s’étendent à d’autres villes.
La répression est violente, avec usage de gaz lacrymogènes et, dans certains cas, de balles réelles. Plusieurs morts et blessés sont signalés dès les premiers jours.
28 septembre 2025 : Après une première brève dès le 27 septembre (ICI), premières publications sur les humanités. Dans « Révolte à Madagascar : qu’est-ce que le mouvement Gen Z ? », Michel Strulovici chronique une « révolte inédite, horizontale et connectée, sous l'étendard du "Jolly Roger," le drapeau pirate tiré de la série One Piece » et analyse : « derrière ces revendications immédiates se profile une colère plus profonde, nourrie par la pauvreté endémique et l’exploitation minière qui enrichit des intérêts étrangers tandis que la population reste démunie » (Lire ICI). Deux autres publications en complément : « Madagascar, au regard de ses artistes » (ICI) et « Jean-Joseph Rabéarivelo, Jean-Luc Raharimanana, Na Hassi et Elie Ramanankavana, voix malgaches » (ICI).
29 septembre : Dissolution du gouvernement
Sous la pression, le président Rajoelina limoge le Premier ministre et tout le gouvernement, annonçant vouloir répondre aux demandes de la jeunesse. Le mouvement, cependant, ne faiblit pas et élargit ses revendications à la lutte contre la corruption et la pauvreté.
Début octobre : Extension de la mobilisation
Les manifestations, animées par la jeunesse urbaine connectée et appuyées par les réseaux sociaux, continuent malgré le couvre-feu instauré. Les revendications se radicalisent : les manifestants réclament désormais la démission du président et dénoncent la répression armée qui aurait causé environ 22 morts.
8 octobre : Rejet du dialogue
Le président invite les jeunes et des groupes civiques à dialoguer. Les manifestants refusent, jugeant le gouvernement illégitime en raison de la violence de la répression.
11-12 octobre : Rebellion militaire
Une unité militaire d’élite, menée par le colonel Michael Randrianirina, rejoint les manifestants et refuse d’obéir à l’ordre de réprimer le mouvement. Le chef de l’unité appelle à la démission du président, qui ne réagit pas publiquement.
14 octobre : Fuite du président Rajoelina
Randrianirina prend le contrôle des forces armées après avoir nommé un nouveau général accepté par le ministre de la Défense. Le président Rajoelina est destitué et s’enfuit ; les manifestants fêtent la chute du régime mais restent méfiants vis-à-vis des putschistes qui tentent de s’approprier leur victoire.
Elie Ramanankavana, chroniques
Adresse à la Gen Z : "vous pouvez décider aujourd'hui de l'avenir de votre pays"
27 septembre 2025
Il faut que la génération Z prenne conscience de ceci et très vite. Ce mouvement, le vôtre, est POLITIQUE. Politique ne veut pas dire aligné. C'est le seul mouvement qui ne s'aligne ni du côté du pouvoir, ni du côté de l' "opposition". C'est une force nouvelle qui s'est créée dans la foulée d'un Baba et de Clémence et de leurs revendications initiales, mais qui s'est élevée vers un ordre autre, jusqu'à échapper complètement à ces deux personnalités.
Pour la génération Z, vu la réaction suscitée par votre mouvement, le moment est venu d'assumer pleinement cette force Politique. C'est l'instant zéro où vous avez la main, vous pouvez décider aujourd'hui de l'avenir de votre pays. Le monde sait, a vu, a entendu, a senti tout ce poids politique que ni l'opposition, ni les tenants du gouvernement ne peuvent ignorer.
Le moment est venu d'assumer cette force POLITIQUE. Vous êtes descendus dans la rue. Vos actes ont eu des conséquences... dont le tremblement de tout un système. Assumez vos actes. Structurez votre mouvement avec un leader ou un porte-parole. Imposez-vous... Avant que les corbeaux ne viennent crever vos yeux... Et qualifient vos idéaux de "débordement inutile".
Légitimité contre légalité
28 septembre 2025
L'HISTOIRE EST CE QUI ARRIVE
ET LA VÉRITÉ EST À PARTAGER
L’histoire ne commence pas, elle recommence.
Elle n’est pas mémoire du passé mais écriture de l’avenir. Et puisque l’instant exige la clairvoyance, puisque tous tremblent devant l’inconnu des lendemains, écoutons l’oracle qui ne ment jamais : l’histoire.
Elle dit ceci. À chaque crise (1972, 1991, 2002, 2009, 2018) deux portes s’ouvrent toujours. La dissolution ou le remaniement. La première avale le président et son gouvernement, livrant les clés à l’armée ou au Sénat. Mais aujourd’hui, le Sénat est dirigé par un homme que le peuple vomit : sa nomination enflammerait la rue. Alors la seconde porte s’impose : un gouvernement de transition, arraché par la force des rapports.
Le cœur de cette lutte, c’est la Gen Z. Elle seule peut imposer sa voix. Son pouvoir c’est le peuple, ni avec le régime, ni avec l’opposition. Légitimité contre légalité. Face à elle, un pouvoir usé qui ne tient que par la répression, et une opposition éparse qui rêve de récupérer la vague.
La Gen Z devra s’asseoir à la table des pourparlers, non comme supplétif, mais comme puissance. L’armée, les partis, tous devront entendre. Et si cette génération sait peser de tout son poids, alors l’histoire qui se répète trouvera enfin son dénouement ? Heureux ou pas ? L'avenir nous le dira.
Le mot « coup d’État »
Le mot « coup d’État » n’est pas un mot comme les autres. C’est une condamnation, une fosse. Il peut, d’un claquement sec, enterrer un mouvement entier. La Gen Z a vu le piège. Elle a refusé que son combat social (eau, électricité, parole) se transforme en accusation de putsch.
En visant le gouvernement et non le président, elle a gardé la pureté de sa cause. Elle a gardé la loi, la rue, et la raison.
Le président, lui, n’a pas su éviter ce mot durant son ascension. La jeunesse, elle, l’a esquivé. Et dans cette esquive se trouve sa force, la légitimité morale intacte, la capacité de rassembler, la protection contre la disqualification politique.
Que l’on prononce « coup d’État » sans y réfléchir, et tout s’abîme. Que la Gen Z continue d’éviter ce fossé, et alors son mouvement restera debout, implacable, clair, inattaquable.
Choisir de viser le gouvernement et non le chef de l’État, est dès lors une décision fine. Car demander la chute du président, ce serait offrir au régime un mot fatal COUP D’ÉTAT.
En plaçant le gouvernement dans sa ligne de mire, la Gen Z reste fidèle à ses revendications. De l'autre coté le gouvernement a échoué. Il doit tomber. Le président, lui, a été élu. Quelles qu’aient été les circonstances, il a le droit de finir son mandat. Le respecter, c’est rester dans la légalité. C’est protéger l’identité du mouvement non-partisan, social et constitutionnel.
Ce choix n’est pas anodin. Le président qui termine son mandat ne pourra plus se représenter.
Reste une arme supplémentaire. Pousser à la dissolution de l’Assemblée nationale. Le président se retrouverait isolé, prisonnier d’un parlement hostile, réduit à un pantin accroché à son fauteuil. La flèche tirée aura touchée sa cible...
29 septembre 2025

Sur le terrain, le temps et la légèreté sont nos armes.
Près de 2 milliard d'Ariary par jour de déploiement. Voilà le coût de la répression (armes, munitions, logistique, communication) pour la gendarmerie seulement. La Gen Z, elle, fait avec tout ce qu’elle trouve. L’écart économique est donc abyssal.
C’est un avantage stratégique énorme. Une semaine de manifestations suffira à perturber les comptes de l’État. Plus la lutte durera, plus la pression deviendra intenable ; la machine répressive craquera de l’intérieur, non par manque de volonté, mais parce qu’elle repose sur un calcul froid. Des agents qui regardent avant tout leur paie. Déjà, des signes de tension apparaissent dans le déblocage des fonds. La Gendarmerie nationale n’est pas préparée à soutenir ce rythme.
La réalité est simple. La force matérielle a un coût, la détermination populaire non.

Photo Zo Andrianjafy/Reuters
S'adresser au peuple ?
Tuer la parole d'un homme, c’est lui retirer la vie sans verser le moindre sang. Car qui parle et qui n'est pas écouté, qui, au moindre mot, se fait insulter, est un mort en sursis, en somme le dernier des hommes. Un homme qui, à la moindre apparition, reçoit en pleine face les pires vulgarités. Un homme qui est obligé de payer ceux qui l'écoutent, prouvant que sa parole n'a plus la moindre importance en troquant la valeur de ses propos contre le prix de ses mensonges. Un homme, censé diriger un peuple, qui a fini en décharge de grossièreté. C'est un homme qui, même s'il prétend encore s'asseoir sur un trône, n'a plus qu'un tas d’immondices pour se reposer.
Qui est donc cet homme ? À qui doit-il sa fin ?
À lui-même. Lui, qui a pendu sa langue à la corde de ses mensonges, est le seul et unique responsable de son humiliation et de l'enterrement expéditif de toute son autorité.
S'adresser au peuple ? Avec des paroles qui ne valent même plus le chant du coq le matin ? Autant piailler.
À chaque allocution, tout ce qu'il dit est sujet au doute. Car dire quoi après avoir menti et menti encore ? Dire quoi après avoir promis de sauvegarder la parole de tous, en inventant le « Kianjan'ny démokrasia », pour ensuite tuer tous ceux qui osent élever le moindre mot contre lui ?
Cet homme dont je vous parle n'est même plus un homme. Il n'est plus que honte, la honte de tous les hommes. Peu importe ce qu'il dit, il est condamné au silence.
Dites-moi, s'il vous plaît, qui est cet homme dont le nom est synonyme de mensonge.
La leçon de dignité et d’humanisme de la Génération Z, Madagascar,
par Rakotoson Michele, Johary RavalosonJohary Ravaloson, Raharimanana Jean Luc
en PDF, ci-dessous
L'insubordination est en marche
(30 septembre 2025)
Les dés sont jetés. Le hasard semble dicter le jeu politique. Pourtant, l'histoire demeure, non pas comme un passé enterré, mais comme un avenir probable.
L'oracle a parlé et il dit ceci.

Durant la période de suspension où le gouvernement perd de sa légalité et de sa légitimité, soit à cause des exactions commises (tuerie, répression disproportionnée et autres), soit par le limogeage ou la démission du gouvernement, les forces de maintien de l'ordre (l'armée et la gendarmerie surtout) tombent dans un dilemme où les rivalités sont rois. Que ce soit en 1972, en 1991, en 2002 ou en 2009, le scénario est le même. Actuellement, assurant les "affaires courantes", même démissionnaires, le Premier ministre, le ministre de la Défense ou le secrétaire d’État à la Gendarmerie peuvent encore donner l’ordre de répression. Mais même si cet ordre est juridiquement valide uniquement parce qu’ils assurent la continuité de l’État, il est politiquement très fragile. C'est que les forces de maintien de l'ordre sont touchées en plein cœur. Le plus haut commandement (Le Ministre de la défense et le secrétaire d'État à la gendarmerie) a été limogé par la rue, le Président de la République, sommet du commandement, n'a plus aucune légitimité. Dès lors, l'insubordination des forces de l’ordre elles-mêmes est plus que jamais en marche. Les signes sont clairs. Alors que tous recevaient les mêmes ordres hier, les forces dans les autres régions ont déjà plié devant la rue. La porte est plus ouverte que jamais à un possible directoire militaire.
Rappelons tout de même qu'alors que le Colonel Ratsimandrava a reçu les pleins pouvoirs des mains du Général Ramanantsoa, le 5 février 1975, il a été assassiné 6 jours après. Emmenant avec lui l'espoir d'un changement de paradigme.
Photo : le colonel Ratsimandrava Richard (1931-1975)
Note de la rédaction - Né à Tananarive (Antananarivo) dans une famille merina, Ratsimandrava étudie à l’École spéciale militaire de Saint-Cyr en France et sert d’abord dans l’armée française, notamment au Maroc et en Algérie. De retour à Madagascar après l’indépendance, il intègre l’armée malgache et atteint le grade de colonel. Il commande la gendarmerie nationale et prend part au rétablissement de l’ordre dans les périodes troublées du début des années 1970. Ministre de l’Intérieur sous le gouvernement militaire de Gabriel Ramanantsoa, il prône un retour aux valeurs du fokon’olona (assemblée villageoise traditionnelle), pour réconcilier les fractures internes du pays et poser les bases d’une gouvernance décentralisée.
En février 1975, Ramanantsoa démissionne et Ratsimandrava prend la tête de l’État le 5 février. Le 11 février, six jours à peine après sa prise de pouvoir, il est assassiné alors qu’il rentrait chez lui. Les circonstances de sa mort restent entourées de zones d’ombre et ont failli plonger Madagascar dans la guerre civile. Il demeure une figure tragique et marquante du nationalisme malgache, porteur de projets de rénovation politique et sociale. Sa volonté de mettre en avant les structures locales et un mode de gouvernance enraciné dans la culture malgache influencent encore certains débats sur la société et l’administration du pays.
Déchéance
(1er octobre 2025)
Quand l’une des têtes du commandement n’est plus qu’un fantôme errant, réduit à écumer les rues pour quelques grossièretés ; quand le président du Sénat, censé incarner la loi, se met à hurler comme un fou à lier sur une rue vide pour mordre un peu de respect ; quand les ordres s’écrasent, se chevauchent et se déchirent ; quand les forces de l’ordre visent à l’aveugle, frappent des journalistes, blessent des nouveau-nés ; quand une place symbolique tombe, ne serait-ce qu’un instant ; quand les fonctionnaires eux-mêmes menacent de lâcher leurs postes, alors l’édifice entier vacille : Sénat, Présidence, Gendarmerie, fonction publique. L’État malgache est humilié. Son visage est celui du président du Sénat, vêtu de blanc au bal de la déchéance, l’homme qui jurait de mourir en fonction et qui, après un an, se retrouve traîné dans la boue.
Ne vous laissez pas tromper. Ne vous dispersez pas. Les signes sont clairs : les forces armées perdent pied. En face, la Génération Z doit garder la tête froide. Pas de clan, pas de piège du « lui est avec nous / lui non ». Seulement vigilance. Seulement lucidité.

Illustration Jz Rabibisoa
Comprendre un pays et son peuple
(2 octobre 2025)
Pour comprendre un pays et son peuple, il faut parler sa langue.
Pour appréhender la situation qui sévit à Madagascar, il nous faut comprendre le terme "génération Z", le cœur même des évènements qui secouent actuellement le pays, dans une optique purement malgache, en interrogeant avant tout les mots. Quel mot pour dire Génération Z en langue Malgache ?
Pour trouver la réponse, il faut saisir la société malgache non pas suivant un raisonnement générationnel, qui ne touche pas son essence, mais suivant un raisonnement lignager. La société malgache peut se diviser en trois : les "razana" ou les ancêtres, les "ray-aman-dreny" ou les "parents" et les "zanaka" ou les "enfants". Ces derniers eux-mêmes se divisent en deux générations qui sont les "zoky" ou "ainés et les "zandry" ou " cadets". Les "zandry", comme le "Z", dernière lettre de l'alphabet latin, sont donc les derniers de la lignée. En partant de ce raisonnement, la "génération Z" est la génération des "zandry" ou "cadets".
Le statut et le rôle des "zandry" peuvent être cristallisés par un proverbe malgache qui dit "Manan-joky afaka olan-teny, manan-jandry afaka olan'entana" ou "Qui a ainé ne souffre nulle parole, qui a cadet ne souffre nulle fardeau". De sorte que le cadet, le "zandry", ne doit jamais prendre la parole devant "l'aîné", le "zoky" , au risque de réveiller le "tsiny", sorte de malédiction qui n'a pas son équivalent en Français. Ce "tsiny" il se conjure par une formule. Avant de prendre la parole, le "zandry", le "Z" doit dire ceci : "Miala tsiny, Miala fondro", et dès que le "zoky" la lui concède, le "tsiny" disparait, sinon il retombe et fissure non seulement le zoky mais toute la société par le "fifanomezantsiny" ou les accusations.
On touche alors au cœur du problème.
Sur le terrain, voici ce que répètent les manifestants de la Gen Z, ce qu'ils supplient à genoux : "Omeo falalahana izahay hiteny", ou "cédez nous la parole s'il vous plaît", une manière pour eux de se réapproprier et d'élever à un rang jamais encore égalé le "fialantsiny", la formule pour se prémunir du "tsiny". Le "tsiny" devrait disparaitre, mais des ainés refusent de céder la parole à tort, pire des "ray-aman-dreny", des parents, monopolisent la parole. Pire, des « ray-aman-dreny », et « zoky », des aînés répondent par la violence, par l’envoi de groupes meurtriers. La malédiction tombe, en nous acculant aux accusations les plus incisives, le tsiny divisent la société. Le "fifanomezantsiny" menace de nous réduire en miette.
Comment s'en sortir ? Faire taire les plus jeunes, en espérant museler les accusations et risquer de raviver le "tsiny"? Il faudrait plutôt que les "zoky" et les "ray aman-dreny" fassent preuve de sagesse et d'humilité. Il faut qu'ils écoutent leurs cadets et alors, alors seulement, le "tsiny" disparaîtra. Eux qui ont le " olan-teny", le devoir de parole, des "zoky" et des "ray aman-dreny" incarnés par les politiciens, par la présidence, le sénat, les officiers, ect, jouent-ils réellement leurs rôles ? Le déséquilibre n’est-il pas de trop, leur "teny" devenu tyrannique et l’entana des zandry devenu infernal ? D’où provient en réalité le « tsiny », de la prise de parole « non-autorisée » (manifestations interdites) des zandry, ou de l'abus d’imposition de la parole des "zoky" et "ray-aman-dreny » ? Jusqu’au silence, jusqu’aux larmes des bombes lacrymogènes ?
Tout cela ne se résoudra que si le "hasin-teny" ou l'ordre de la parole et de l'écoute se rétablit. Alors seulement, le "tsiny" disparaîtra.
Pour conclure, je me dédis et j'affirme que le mouvement de la Gen Z est bel est bien une révolution pour le cas de Madagascar. Une révolution au sens strict, c'est à dire un tour complet qui part de soi et qui revient sur soi. Car ce mouvement nous oblige à nous regarder en face ? Épreuve de lucidité, la crise actuelle nous demande si nous sommes prêt à assumer qui nous sommes.

Une œuvre de Joel Andrianomearisoa
Portant un héritage littéraire éternel
Le "nofy", le rêve, cher à Jean Joseph Rabearivelo
À qui va toutes mes pensées.
Nota bene - Joël Andrianomearisoa (né en 1977) est un artiste contemporain majeur originaire d’Antananarivo, Madagascar , qui vit et travaille entre Paris, Antananarivo et d’autres villes du monde. Formé à l’École spéciale d’architecture de Paris, il développe une œuvre pluridisciplinaire — installations, textiles, vidéo, sculpture, artisanat — caractérisée par une poétique de l’abstraction, l’ambivalence émotionnelle et des constructions aux matériaux variés. Son travail s’inspire d’expériences sensibles, de réflexions sur la mémoire, l’identité, et le tissu social malgache, tout en tissant un dialogue constant entre traditions artisanales et contemporanéité. En 2025, trois de ses œuvres emblématiques sont entrées dans la collection permanente du Metropolitan Museum of Arts à New York.
En 2020, Joël Andrianomearisoa a créé à Antananarivo un espace indépendant dédié aux artistes avec la complicité de son ami Hasnaine Yavarhoussen : Hakanto Contemporary incarne l’engagement de l’artiste envers la scène créative de son pays natal.
Site internet : https://studiojoelandrianomearisoa.com
"La passion et les rêves sont comme le temps, rien ne peut les arrêter, et il en sera ainsi tant qu’il y aura des hommes prêts à donner un sens au mot « LIBERTÉ »"

Illustration Mat Li (Mathieu Li Cho Hsien)
Le Fanany, l'hydre de la Gen Z
(3 octobre 2025)
Dans le bestiaire des animaux mythologtiques du Sud-Est malgache, le Fananim-pitoloha, hydre à 7 têtes, ressemble à s'y méprendre à la Gen Z. Une hydre insaisissable, démesurée, une bête qui échappe et déborde ses adversaires. Le régime croit pouvoir la tuer : il coupe une tête, deux repoussent. Il en tombe des milliers, des millions, des milliards. Et bientôt les têtes du Fanany rivaliseront avec les zéros qui s’empilent sur le compte en banque de Pierre Bleue.
Le régime tranche la tête estudiantine ? Aussitôt, il réveille la tête rurale. Les manifestants gonflent les rangs, débordent les cordons de répression, occupent, fût-ce un instant, la place de la démocratie. Le régime sème le désordre, mais récolte la structuration jusque dans les arrondissements du Grand Tàna. Il croit diviser ? En face, les lignes s’assemblent et se raffermissent plus que jamais.
Au lieu d’abattre le Fanany, c’est le pouvoir qui perd la tête. Nommer un Premier ministre et attiser la colère de la rue ? Courir derrière des alliés qui se dérobent, sans même savoir qui commande ni où frapper ? C’est la débandade. Le Parlement se déchire. Le Sénat n’est plus qu’un vulgaire étal de rue. La gendarmerie est schizophrène : une voix à Tàna, une autre ailleurs. Les militaires se retirent. Les fonctionnaires grondent, menacent de grève. Les têtes de l’hydre se multiplient, jour après jour, comme une fièvre qui gagne tout le corps.
Le régime s’essouffle. Sa tête vacille. En face, le serpent aiguise son venin, mord, et vise là où ça fait le plus mal.
Jusqu’à quand ce pouvoir moribond tiendra-t-il ? Est-il prêt à entraîner une société entière dans la ruine, quitte à régner sur un charnier de squelettes ?
Interroger par les journalistes, leurs représentants bredouillent plus que jamais (Patrick Rajoelina sur TV5 monde en difficulté) car tout simplement leur position ne se tient pas... Le venin du Fanany est déjà dans leurs veines.
Et si tout cela n'était qu'une partie d'Échec, la Gen Z dirait alors :
ECHEC AU ROI, PREZIDA

"Déclaration du président de la republique de Madagascar durant son allocution à 13h sur son compte Facebook officiel, ce 3 octobre, après nous avoir fait écouter du Poopy, habillé pour un concert funky: "Derriere la GenZ ce trouvent des robots [...] Ce sont ces robots qui leur donnent des ordres . "
Sérieusement, il faudrait envisager une consultation psychiatrique du Président Andry Rajoelina. Le président de la République Malgache est en train de perdre la tête. En plus d'une mythomanie sévère le président est en train de traverser une crise de schizophrénie sans précédent!
PS: Un diagnostic à confirmer au prêt des professionnels de la santé... (Qui menacent de faire grève à cause de ces mêmes robots?)"
Ce sont là les propos d'un robot
L’histoire ne ment jamais
(3 octobre 2025)

Hier encore, elle nous murmurait, sans qu’on l’écoute, qu’un directoire militaire était plus que jamais possible. Alors je vous pose ces questions :
Qu’advient-il d’un pays lorsque les menaces extérieures se multiplient et que la situation échappe au régime en place ?
Qu’advient-il lorsqu’une « milice armée d’origine étrangère » menace la sécurité nationale ?
Le scénario qui, dès le départ, était le plus probable revient aujourd’hui au premier plan.
L’allocution du président ? Elle trahissait la panique : improvisée, le micro faiblard, une bande-son recyclée et hors de propos, une tenue inadaptée. Rien qui ne ressemble aux manières d’un chef d’État.
Hier, sur TV5, son porte-parole jurait qu’il ne démissionnerait pas. Aujourd’hui, impossible pour lui de se dédire, impossible d’affronter une contre-déclaration. Il prépare le terrain. Pour quoi ? Pour qui ? L’avenir le dira.
Mais l’histoire, elle, ne laisse aucun doute.
En 1972, Tsiranana balayé par la rue, l’armée contrainte de reprendre le pouvoir.
En 1991, Ratsiraka assiégé par la foule, l’armée encore, qui refuse de tirer, et qui choisit le camp du peuple.
En 2002, le duel Ravalo–Ratsiraka paralysant le pays, l’armée bascule, et le pouvoir change de main.
En 2009, Rajoelina lui-même porté par la rue, l’armée ouvrant le chemin, encore et toujours.
Chaque fois, c’est au moment où le gouvernement n’avait plus qu’un statut d’« affaires courantes », où la légitimité était perdue, que l’armée a cessé d’obéir.
Chaque fois, l’histoire a répété sa leçon.
Aujourd’hui, les signes sont les mêmes :
- un président enfermé dans ses contradictions,
- une parole qui n’a plus de poids
- des forces de l’ordre divisées
- une rue qui tient le tempo.
Ce qui se joue n’est plus seulement politique, mais historique.
La précipitation, l’amateurisme, la décomposition du pouvoir, tout converge vers la même issue : le vide sera comblé, et l’histoire ne connaît qu’un seul paravent à ce vide – le directoire militaire.
Le scénario se précise.
L’oracle a parlé.
Illustration : le général Gabriel Ramanantsoa, président du directoire militaire après Tsiranana.
Nota bene - Le général Gabriel Ramanantsoa (1906-1979) fut un haut militaire et homme d’État malgache, figure majeure de la transition politique du pays dans les années 1970. Né à Antananarivo dans une famille merina, il intègre l’École spéciale militaire de Saint-Cyr en France, effectue l’essentiel de sa carrière dans l’armée française, puis rejoint l’armée malgache lors de l’indépendance de Madagascar en 1960, où il devient rapidement chef d’état-major général des armées. En 1972, à la suite de protestations politiques massives contre le président Philibert Tsiranana, celui-ci lui confie les pleins pouvoirs et Ramanantsoa devient Premier ministre et chef d’État, inaugurant une période de transition militaire dite de « malgachisation » de la société et de l’économie. Face à la montée des divisions internes et l’échec de la réconciliation politique, il démissionne le 5 février 1975 et cède le pouvoir au colonel Richard Ratsimandrava. Après son retrait, Ramanantsoa s’éteint à Paris en 1979 ; son décès donne lieu à des funérailles nationales à Madagascar.

Photo Rijasolo
Les cinq phases des soulèvements populaires malgaches
(4 octobre 2025)
L’histoire des grands soulèvements populaires à Madagascar prouve une chose. L’engouement du peuple n’est jamais linéaire. Il se déploie par vagues, comme une marée qui avance, recule, pour revenir plus forte jusqu’à tout emporter.
Les soulèvements populaires malgaches connaissent cinq phases. D’abord l’étincelle. Une injustice, une répression, une décision incomprise, et la foule jaillit dans la rue. En 1972, c'était lles étudiants. En 1991, la colère contre Ratsiraka. En 2002, une élection volée. En 2009, une télévision fermée. Aujourd’hui, ce sont les problèmes de fourniture d'eau et d'électricité qui les premiers jours ont embrasé les rues.
Puis vient le temps du sang. La répression frappe, les balles tuent, les lacrymogènes brûlent. Une partie du peuple recule, par peur, par fatigue. Mais cette peur se transforme en colère. Car le sang versé ne fait pas taire, il hante la mémoire. Les martyrs deviennent les étendards de demain.
Alors survient la lassitude. Les manifestations quotidiennes diminuent, les foules se clairsement. Les adversaires jubilent, croyant la lutte enterrée. Mais c’est une erreur. Car dans l’ombre, le mouvement se structure, les quartiers s’organisent, les régions s’éveillent. L’engouement se cache, il ne disparaît pas. Il s'agit de la phase la plus dangereuse en ce qu'elle porte en elle les germes de la radicalisation. La répression nourrie la haine et la haine engendre le sang.
C'est après cette phase qu'arrive le moment de bascule. L’armée hésite. La gendarmerie ne veut plus tirer. Les forces de l’ordre obéissent à moitié. L’histoire est claire (1972, 1991, 2002, 2009), à chaque fois, le basculement a surgi de là. Et c’est à ce moment précis que l’enthousiasme populaire revient comme une vague immense.
Enfin, l’instant de chute. Le régime s’effondre, la foule explose de joie, mais aussi d’épuisement. Car la victoire n’est jamais un point final, seulement le début d’une autre épreuve. La reconstruction... Réussie ou non.
Aujourd’hui, la Génération Z est engagée dans ce cycle. L’étincelle est derrière elle. Le temps du sang est là. La lassitude menace, alors que le mouvement gagne l'administration publique étouffant la machine administrative de l'intérieur. L’histoire l’enseigne : ce n’est pas la fin, seulement la phase où le mouvement se renforce en silence. Le point de bascule viendra, tôt ou tard, lorsque l’armée ne voudra plus obéir à un pouvoir qui chancelle. Alors, l’engouement reprendra, et l’histoire écrira une fois encore la même leçon. Aucun régime, si fort qu’il se croit, ne résiste au peuple lorsqu’il a décidé de se lever.
Niöva Rano!
Tout ce que nous voulions au départ c était la base les plus élémentaires de nos droits citoyens : de la lumière (que nous payons d'ailleurs d'une façon ou d'une autre, à la Jirama), et de l'eau propre (vitale, mais tellement inaccessible). Mais les choses ont évolué. La lutte continue, et elle est maintenant pour la Liberté, le bonheur, l'éducation, la santé , la sécurité... Pour un meilleur système qui ne privilégiéra plus une certaine catégorie sociale ou une ethnie quelconque. Juste une equité pour les Malagasy, pour la postérité surtout. Nos Zandry, Nos Cadets, mais aussi nos aînés, toute génération confondue. Il est temps que nous ne fassions qu'un : un peuple, les Malagasy qui veulent retrouver leur dignité et la justice, toute génération confondue. Notre volonté sera plus forte que n'importe quel type de répression, de l'interne ou d'ailleurs. C'est maintenant la mutation de ce que nous avions comme étincelle d'espoir en un brasier de réalité. Une réalité de lutte pour le bonheur de la majorité.
Signé : Zahay Jiaby

Elie Ramanankavana au micro de la radio 2424.FM, le 5 octobre au matin.
L'urgence de l'information
(5 octobre 2025)
Alors que le chaos règne, le régime et les politicards font de la désinformation leur principal allié. Entre des milliers de comptes fake qui saturent les réseaux d’infox, et un président qui crie à la cyberattaque sans apporter la moindre preuve, niant les bilans des organisations internationales, occultant les preuves sur le terrain de l’emploi de moyens disproportionnés contre les manifestants, ou niant la réalité de la pauvreté, un rappel s’impose.
Nous, journalistes, analystes, économistes, politologues, sociologues, juristes, historiens, médecins, militaires et autres, avons une obligation sacrée et c'est ’information. La Constitution malgache du 11 décembre 2010 garantit à l’article 10 que « Toute personne a droit à l’information. L’information sous toutes ses formes ne peut être soumise à aucune restriction, sauf celles nécessaires au respect des libertés et droits d’autrui, et à la sauvegarde de l’ordre public. » Cette garantie nous place face à une mission d'une importance plus que jamais capitale : partager l’information (je dis bien information) auprès des journalistes chargés de la traiter, de la vérifier, de la structurer et de la rendre accessible à tous.
Quand le régime déclare que « ces chiffres sont faux », il nous faut enquêter pour confirmer ou infirmer ces dires. C’est là que l’investigation et le fact-checking deviennent cruciaux. Il faut, et il faut vite, discerner le vrai du faux. Si l’information reste indistincte, toute pensée rationnelle reposant sur le réel devient impossible.
Y a-t-il eu cyberattaque ? Y a-t-il eu tirs à balles réelles ? Qui a donné l’ordre de tirer ? Les 22 morts sont-ils confirmés ? Nous devons travailler pour confirmer ou infirmer ces éléments. Ces informations seules permettront de prendre des décisions éclairées et lucides, afin de ne pas reproduire les mêmes erreurs.
Elles sont indispensables aux enquêtes judiciaires. Pour que les véritables responsables de chaque mort, de chaque commandement abusif, de chaque pillage soient identifiés et condamnés ; pour que, pour la première fois dans l’histoire de ce pays, les coupables ne demeurent pas impunis.
Ils font de la désinformation leur force mais l’information est notre métier. Le mensonge est leur arme ; la vérité est notre mission.
Plus la qualité de l' information est bonne plus les décisions des citoyens seront éclairées.
Apportons ensemble cette lumière nécessaire pour que le pays ne sombre pas.
Courir pour briser leur ligne
(5 octobre 2025)
Courir, c’est briser la peur.
Chaque fois que la foule se met à courir, la ligne de répression recule. Ce n’est pas la vitesse qui fait fuir les forces, c’est le courage. C’est ce pas en avant qui inverse le rapport de force.
À Diego hier, à Tana aujourd’hui, c’est le même souffle qui traverse la foule : celui d’un peuple qui n’a plus peur. Et quand le peuple n’a plus peur, c’est le pouvoir qui tremble.
Les forces de l’ordre reculent parce qu’elles sentent ce que tout régime redoute : la fin du consentement. La matraque ne sert plus, le gaz s’épuise, les ordres ne portent plus. Face à la course, elles découvrent ce que les siècles d’oppression avaient oublié : la peur change de camp.
Courir, ce n’est plus fuir.
C’est charger. C’est dire, sans mot, que la rue n’appartient plus à ceux qui la gardent, mais à ceux qui la traversent.
La communication pathologique
(6 octobre 2025)

L’un des principaux problèmes du régime actuel, c’est qu’il commence et se termine par la communication. Tout, absolument tout, s’y réduit. La gestion des conflits, la politique de développement, la diplomatie, la gouvernance, tout n’est qu’affaire d’image, de mise en scène, de projecteurs.
Cela s’explique aisément. Andry Rajoelina n’est pas un homme d’État, c’est un entrepreneur de la publicité. Président-fondateur d’INJET, il a fait de la communication visuelle la source de sa fortune, et de l’État malgache une vitrine géante. Chaque ministère, chaque projet, chaque discours n’est qu’un panneau publicitaire où le mot d’ordre est simple : séduire le regard, non servir le peuple.
Pourquoi un téléphérique plutôt que plusieurs groupes électrogènes ? Parce que c’est clinquant.
Pourquoi une autoroute plutôt que la réhabilitation de la RN2 ? Parce que ça brille.
Pourquoi repeindre des écoles et des hôpitaux en violet et fuchsia plutôt que d’en assurer le fonctionnement ? Parce que la couleur se photographie mieux que le contenu.
Ainsi, les “Sekoly Manarapenitra” et “Hopitaly Manarapenitra” n’ont de modernes que leur peinture. Le reste, le manque d’enseignants, le manque de médecins, le manque de consommables, ne compte pas, car rien de cela ne se voit à la caméra.
Ce trait principal du régime Rajoelina, la communication comme système de pensée, est devenu aujourd’hui sa tombe.
Alors que la rue s’embrase, le président multiplie les « coups de com’ ». Une rencontre ici, un communiqué là, des promesses en cascade. Mais le cœur du problème, ou de la solution, la Gen Z, est soigneusement ignoré. Pourquoi ? Toujours la peur de l’image.
Rencontrer cette génération, c’est admettre l’échec. Et cet homme, prisonnier de son propre miroir, préfère mourir étincelant que vivre terni.
Publicitaire jusqu’à la moelle, Andry Rajoelina est condamné à ne jamais toucher l’essentiel.
Et dans ce jeu d’ombres et de reflets, il s’enterre lui-même, lentement, sous les décombres de sa propre mise en scène.
Illustration : NTNL
Un schisme au sein de l'armée
(6 octobre 2025)

Incongru. Alors qu’un général de division est nommé à la tête du gouvernement ce 6 octobre, aucun militaire n’est présent dans la salle, ni même à l’extérieur. Personne, sauf les députés.
Connaissant la solidarité au sein de l’un des corps les plus soudés de Madagascar, ce désert total d’officiers et de généraux n’est pas anodin. C’est un détail d’une importance capitale. Il pourrait bien être le signe avant-coureur d’un schisme, préparant le terrain aux rivalités qui annoncent le fort probable directoire militaire, si l’on en croit l’histoire.
Scénario ou délire ?
Depuis une semaine, le nom d’un général circule. Après consultation de l’armée, trois noms sont proposés pour remplacer Christian Ntsay. Pourtant, le nom du Premier ministre entrant n’a jamais été entendu nulle part. Après plus de trente minutes de retard, le nouveau chef du gouvernement, issu de l’armée, est nommé. La cérémonie brille par l'absence des hauts gradés qui auraient pu pourtant conférer une certaine autorité qui n'est pas de refus au vu des circonstances.
Que se passe-t-il au sein de l’armée ?
Précipitation, fracture, début de tension ? La question demeure entière, mais une chose est certaine. Cette désertion silencieuse des hauts gradés, au moment même où le nouveau gouvernement est censé rétablir l’ordre, est un signe. C’est un indice clair de l’atmosphère qui règne dans les casernes. La loyauté vacillerait-elle? L’unité serait-elle au bord de la rupture?
Quoi qu’il en soit, un gouvernement dirigé par un militaire rend la présence massive de ministres issus des forces de l’ordre, surtout de l’armée et de la gendarmerie, pratiquement certaine. Cette situation rappelle le gouvernement du directoire militaire dirigé par Gabriel Ramanantsoa, qui a vu plus tard l’émergence du capitaine de frégate Didier Ratsiraka et l’assassinat du colonel Ratsimandrava. Les rivalités explosent toujours lorsque le pouvoir devient un enjeu. Tous savent que ce directoire plane sur toutes les têtes.
Généalogie d'un hymne révolutionnaire
(7 octobre 2025)

Une banderole durant le mouvement populaire de 1972.
C’est une chanson de flamme.
Héritée de l'hier, plus que jamais au cœur de la lutte. Un chant toujours présent, jamais trahi.
Née en 1975, cette chanson c’est « Ampitapitao », composée par Tsilavina Ralaindimby, ancien ministre de la Culture visionnaire, et portée par le groupe Jomak’Ampama/Hazo Midoroboka.
Dès les premiers sifflements de ce chant guerrier, le dirigeant malgache tremble : il sait que son heure est venue. Car cette lutte ne date pas d’hier. Elle s’est enracinée dans la culture populaire, nourrissant le temps lui-même des germes d'une révolte ou d'une révolution. Pendant que les dirigeants se succèdent, les chansons, comme Ampitapitao, demeurent éternelles. Elles sont là pour montrer du doigt le dictateur, le mauvais gouvernant, pour rappeler l’injustice, pour rappeler que le peuple a toujours le dernier mot. La chanson le dit :
“Ampitapitao amin’ny namako any,
Ataovy mazava,
Fa ny vahoaka no tompony.”
“Faites passer, mes amis,
Faites que ce soit clair,
Que tout appartient au peuple.”
Aujourd’hui, Ampitapitao résonne avec une colère plus sourde, plus vaste. Les idéaux qu’elle portait, justice, dignité, liberté, ont été trahis, dissous dans les compromissions et les promesses creuses. Ce qu’il en reste, c’est l’écho d’un espoir meurtri, la braise d’un renouveau qui continue de se transmettre dans les rues, dans les chants, dans les cris. Le message ne se transmet plus seulement comme une parole d’unité, mais comme un cri de rupture, un refus viscéral de la trahison.
Cette transformation se manifeste jusque dans le langage populaire. Le Ampitapitao d’autrefois s’est métamorphosé en un « Miala p*ry Rajoelina », qui n’est pas une parodie, mais une transmutation. L’esprit reste le même, faire passer la parole, faire circuler la vérité. Mais la douceur du message a laissé place à la rage. Là où le peuple chantait pour unir, il crie désormais pour expulser. Ce glissement révèle la maturité tragique d’un peuple. Celui qui, après avoir cru au dialogue, choisit le cri comme ultime forme de vérité.
L’esprit est là. Le patrimoine demeure. Transformé, vivifié par la créativité et le feu du contexte. Et en cela, « Miala p*ry Rajoelina », hymne de la lutte d’aujourd’hui, prolonge fidèlement la vision de « Patrimoine et Créativité » formulée par le défunt Tsilavina Ralaindimby.
Pour conclure, une seule chose, la lutte culturelle est plus importante que toute lutte politique. Elle seule permet aux idéaux de renaître et de survivre au-delà des contingences socio-historiques. Car demain nos enfants et les enfants de nos enfants se lèveront encore contre l'injustice et les dirigeants sans scrupules. Ils écouteront, chanteront, danseront, eux aussi sur "Ampitapitao". Le titre de la chanson est prémonitoire.
Barricadé, l’État met les bottes
(8 octobre 2025)

Photo Iako Randrianarivelo
C’est désormais confirmé.
Avec la nomination de quatre ministres issus des forces de l’ordre, le 7 octobre, Andry Rajoelina signe l'un des gouvernements les plus militarisés depuis son premier mandat en 2018. Il consacre ainsi le basculement de l’exécutif dans une logique de commandement, où l’État ne se gouverne plus mais se garde. Ce renforcement du poids militaire dans l’appareil politique arrive à un moment critique.
Le président, dans son discours du 7 octobre, l’a dit en négatif : « Tâchez de ne tolérer aucune tentative de semer le désordre, de transgresser la loi et l’indiscipline.». Il faut entendre par là, car la mission est de rétablir, que le désordre est là, que la transgression des lois aussi, mais surtout, chose qu'on apprend, l’indiscipline, qu’on pourrait même nuancer par un mot plus juste, celui qu’il n'a pas prononcé : l’insubordination.
Nommer plus de généraux au gouvernement n’est pas un signe d’autorité, mais de crainte.C’est le réflexe d’un pouvoir qui cherche à acheter la loyauté des armes et à se barricader. Le lieu de la déclaration, Iavoloha, est une barricade en soi.
Chaque nomination d’un officier à un poste civil éloigne un peu plus le gouvernement de sa légitimité populaire et rapproche le pays d’un directoire militaire de fait. L’histoire malgache l’a déjà écrit. En 1975, Gabriel Ramanantsoa avait tenté d’équilibrer le pouvoir civil et militaire avant que les rivalités internes n’ouvrent la voie à Ratsimandrava, puis à Ratsiraka. Aujourd’hui, la même mécanique se répète, dans un contexte où la jeunesse insurgée, la Gen Z, tient la rue, les réseaux et l'opinion publique, d'ici et ailleurs.
Questions. Est-ce encore un gouvernement ou déjà une garde prétorienne ? Un cabinet de survie, peut-être, dont chaque décision s’inscrit dans la peur du renversement?
Mais une chose. Cette peur, comme toujours dans l’histoire malgache, ne précède jamais de très loin la fin. Une fin aux allures de malédiction, inscrite dans la génétique même des dirigeants de ce pays.
Changer le terme "fanjakana" et faire révolution
(8 octobre 2025)

Le palais de la Reine et le palais présidentiel d'Iavoloha côte-à-côte. Le deuxième est une réplique du premier.
Un mot suffit pour dire toute l’illusion et saisir la confusion d’aujourd’hui. Il résume à lui seul l’histoire de l’instabilité et de toutes les guerres de succession à Madagascar. Ce mot, c’est "fanjakana". Au sens strict, il désigne le royaume, mais depuis la Première République il sert à nommer l’État. Par son usage quotidien, il témoigne d’une continuité. Si jadis tout était étalé au grand jour, aujourd’hui le terme s’est chargé d’une mascarade corrosive. Le royaume d’hier est le même qu’aujourd’hui. Les courtisans sont là. Les "tsy maty manota" sont là. Les cartes se jouent toujours et tout est dirigé par un roi, un roi déguisé en président de la République.
Tout tourne autour de ce mot. Le fonctionnaire, mot français dont la racine renvoie à la fonction et donc à l’exercice d’un service public pour l’intérêt général, est dans l’univers malgache un employé au service du royaume ou "Mpiasa-mpanjakana". Il sert d’abord les intérêts du roi président. Le mot "fanjakana" nous rappelle que l’instabilité politique ne date pas d’hier. Il est évident dans l’histoire de la République malgache que tout grand soulèvement, populaire ou militaire, nous fait passer systématiquement d’une République à une autre. De Tsiranana à Rajoelina, la mécanique se répète. Rare sont ceux qui savent toutefois que ces guerres de succession remontent aux royaumes.
Raombàna raconte que les pays merina connaissent leur premier soulèvement sous le règne du roi Andrianjakatsitakatrandrina, quatorzième souverain de l’Imerina. Ce roi a été évincé par Andriamapandry, roturier rusé qui, par une stratégie fine, a fait se soulever le peuple au profit du frère cadet du roi, Ralambo’Andriantsimitovy. Celui-ci est devenu Andriamasinavalona, le roi qui réussit l’unification du royaume et dont le règne a été donné comme l’âge d’or de l’Imerina.
La deuxième révolte a éclaté sous Andrianjafinandriamanitra, dix-huitième souverain de l’Imerina. Elle a été menée par Imboasalama, futur Andrianampoinimerina, qui ne pouvait pas légitimement prétendre au trône mais qui a fini par s'y asseoir après avoir fait assassiner d’Andrianjafinandriamanitra. Imboasalama devient alors le plus célèbre des souverains merina, le légendaire Andrianampoinimerina, le régicide, aussi baptisé "l'usurpateur" par Raombàna.
Le troisième "soulèvement" ou révolte, mais plutôt militaire, est survenu à la mort de Radama I, vingtième souverain de l’Imerina et premier roi de Madagascar. Elle a été fomentée par Imavo, future Ranavalona I, et par l’officier Andriamambavola. Leur objectif était de placer Imavo sur le trône en évinçant l’héritière désignée par Radama, Raketaka.
Ces faits historiques révèlent une chronique d’instabilité qui prend racine bien avant l’époque républicaine. Et le cœur de tout cela est le mot fanjakana.
Pour conclure, il nous faut penser l'après, convoquer ce futur pour le bâtir. Et en cela, je me rappelle de cette formule combien juste qui dit "Évoquer c'est invoquer". Pour qu’une réalité nouvelle advienne, il faut d’abord la nommer. Le mot choisit fonde le monde qu’on veut construire. Changez « fanjakana » en « andrim-bahoaka » par exemple, ou en tout autre nom qui place le peuple au centre, et vous aurez déjà commencé la révolution. Ne bricolez pas les apparences : il faut frapper le langage au cœur, arracher la racine du pouvoir et en poser une autre. Faites en sortes que personne ne puisse plus parler en roi pour parler en peuple, c’est inverser l’ordre des choses. La révolution commence par un mot, que ce mot soit le signe d’un choix irrévocable. Sans cette rupture sémantique, rien ne changera. Avec elle, tout devient possible.
Scène de répression
(9 octobre 2025)

A suivre...
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