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Photo du rédacteurJean-Chistophe Menu

Naufrages, frontières, et un navire pour faire hospitalité



D’un côté, en Méditerranée, un chalutier où s’entassaient 750 "migrants". De l’autre, au sud-est de Terre-Neuve, dans l’Atlantique Nord, la disparition d’un petit sous-marin de tourisme avec 5 personnes à bord, qui souhaitaient voir de près l’épave du Titanic. Pour les humanités, l’éditeur Jean-Christophe Menu revient sur ces deux événements que l’actualité a rapprochés, avec une notable différence de traitement médiatique. Un texte ajouté de quelques compléments de lecture : une petite revue de presse, un extrait de Frontalier, du poète Jean Portante, livré par Jacques Bonnaffé, et des nouvelles hospitalières d’un Navire Avenir.


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COQUES DE NOIX - Personne n’a manqué de faire le rapprochement entre ces deux événements : le 13 juin dernier, un chalutier transportant inhumainement 750 « migrants » fait naufrage aux larges des côtes grecques, on ne repêche que 108 survivants ; le 18 juin, le sous-marin touristique Titan avec à son bord 5 milliardaires partis observer l’épave du Titanic cesse de donner signe de vie.


Un rapide calcul sordide montre que le tourisme capitaliste n’est pas forcément le plus rentable : les cinq passagers du Titan avaient payé chacun 250.000 dollars, soit un total de 1.100.000 €. Les migrants qui tentaient la traversée de la Méditerranée ont dû, pour leur part, débourser une moyenne de 5.000 euros chacun, soit un total 3.750.000 €. C’est ce qu’on qualifie de « marché de la misère ». Au moins le boss d’Ocean Gate [propriétaire du Titan] a-t-il péri avec ses passagers, ce qui n’est sûrement pas le cas des passeurs libyens ou égyptiens : avant d’embarquer les passagers étaient « enfermés dans des hangars par centaines, sans électricité, sans eau chaude » (Le Monde du 21/06/23).


Au-delà de la coïncidence de dates, ce qui choque, c’est évidemment la différence de traitement médiatique entre les deux tragédies. Dans le cas du submersible, on connaît tout de suite les noms. Il y a un milliardaire américain, un scientifique français, un père et un fils d’origine pakistanaise : on dirait un casting pour un scénario de film-catastrophe hollywoodien. Et puis il y a le suspense, savamment entretenu plusieurs jours, avec des moyens considérables déployés pour retrouver le sous-marin, et le dénouement tragique qui lie le destin de ces aventuriers en boîte de conserve à celui des noyés du Titanic de 1912 qu’ils voulaient observer (de manière peut-être un peu obscène ?). Il y a là un certain karma. Il y a même un pauvre ado de 19 ans à mourir, comme 111 ans plus tôt se noyèrent tant d’enfants de troisième classe. Tous les éléments d’un bon film, même James Cameron le dit. C’est donc toute la planète qui s’est passionnée pour le funeste destin de ces cinq aventuriers imprudents.

Lors d’une conférence à Athènes, le 22 juin 2023, pour la Fondation Stabros Niarchos, l’ancien président américain Barack Obama

a regretté la différence de traitement entre la disparition du submersible Titan et le naufrage d’un bateau en Grèce.


Cinq jours plus tôt, c’était donc un bateau surchargé de 750 personnes, dont certaines étaient enfermées dans la cale, qui sombrait en mer dans la quasi-indifférence générale. La responsabilité des garde-côtes grecs, qui auraient tenté de pousser le navire hors de leurs eaux, a été mise en cause : non seulement ils n’ont pas signalé le bateau en détresse mais leur remorquage aurait favorisé le naufrage. Même si plus de 600 disparus sont à déplorer, c’est toujours la même histoire : ces morts ne font que s’ajouter à des milliers d’autres. Ça ne fait pas un bon scénario. Des gens dont on ne veut pas disparaissent, la belle affaire ! Au moins on ne les voit plus. Parfois un corps échoue sur une plage, c’est pas terrible. Ça peut être un enfant, même. Les riverains doivent avoir le même genre de peine quand un dauphin s’échoue à marée basse. Parce que contrairement à nos cinq milliardaires qui ont des noms, des familles et des biographies, les Africains et Pakistanais noyés en Méditerranée sont irrémédiablement anonymes. Ils ne forment qu’une masse informe, non individuée. On dit « les migrants », ce mot si dégueulasse qui a remplacé « réfugié », un peu comme on dirait « les fourmis ». On se rappelle d’ailleurs le bon mot de notre président quand il avait dit dans une ex-colonie française « du Comorien » comme on dit « du poisson ». L’inhumanité et le cynisme de nos dirigeants et de nos médias nous font honte depuis longtemps.

A Mumbai, en Inde, le 22 juin dernier, des étudiants en art ont réalisé une œuvre montrant les cinq passagers du Titan.


On a pu voir et lire, sur les réseaux sociaux, de nombreuses blagues sur le Titan et ses passagers, et on a vu des gens s’en offusquer car cinq personnes sont mortes pour de vrai, peut-être dans d’atroces souffrances. L’énormité de ce « deux poids deux mesures » médiatique, qui renvoie la mort et les probables atroces souffrances de plus de 600 hommes, femmes et enfants à une espèce d’émotion collective animale et abstraite, bref inférieure ; est tellement infâme que cela explique probablement le déchaînement d’humour noir qui s’est libéré pour rire de nos cinq milliardaires dont l’embarcation high-tech ne valait finalement pas mieux qu’un vieux chalutier libyen pourri.


Il est de bon ton de terminer les fables par une "morale"; mais là, une morale, vraiment ?


Jean-Christophe Menu

(Jean-Christophe Menu est fondateur des éditions L'Apocalypse. http://www.lapo.fr/)


Photo en tête d'article : en mai 2016, déjà, le naufrage d’un bateau transportant près de 600 réfugiés et migrants près de la Libye avait fait plus de cent morts,coincés dans la cale du navire.


COMPLÉMENTS DE LECTURE


01 / Revue de presse

« Migrants, nous ne sommes plus humains », titre le 1 hebdo paru le 21 juin.

« Le drame survenu la semaine dernière au large du Péloponnèse, dont les victimes devraient se compter par centaines, est un nouveau signe du durcissement des conditions de traversée de la Méditerranée », écrit dans son éditorial Éric Fottorino. « Un chalutier surchargé, des passagers sans gilets de sauvetage et, une fois encore, des appels de détresse tenus pour nuls et non avenus. Jusqu’à laisser entendre que ces malheureux auraient même refusé d’être secourus… En décrétant trois jours de deuil national, la Grèce a manifesté son émotion et son indignation. Mais que signifie ce deuil pour nous, Européens, sinon la marque d’une impuissance faite de démissions, d’égoïsme, de cynisme et de fantasmes sur la dangerosité présumée de ces étrangers ? (…) En s’accordant le 8 juin sur une nouvelle réforme de la politique migratoire, les vingt-sept ministres européens de l'Intérieur ont montré une fois de plus leurs penchants restrictifs. Reste des morts en mer, si nombreux que le constat se pose : tragédie après tragédie, nous faisons le deuil de notre humanité. »


« Ce naufrage doit nous hanter », poursuit dans ce même numéro du 1 l’écrivaine algérienne Kaouther Adimi, qui vit en France depuis une dizaine d’années, « car ce qui se joue dans la répétition de ces événements funestes n’est rien de moins que notre humanité. (…) Ce naufrage, c’est l’échec de notre civilisation, c’est l’échec de notre capacité à penser le monde autrement que par le prisme sécuritaire et politique. »


Le 1 hebdo, 21 juin 2023, 3,90 €. www.le1hebdo.fr


A lire également dans Le Monde des 25 et 26 juin 2023, « L’Europe fuit ses responsabilités envers les réfugiés syriens », entretien avec Taha Elgazi, cofondateur de la plate-forme pour les droits des réfugiés (Siginmacilar Haklari Platformu), une ONG basée à Istanbul.

Extrait : « Il est navrant que l’UE ait fui ses responsabilités humanitaires. En 2022, Bruxelles a versé 1,2 milliard d’euros à la Turquie destinés, d’une part, à la lutte contre l’immigration illégale et, de l’autre, aux enfants syriens dans le cadre de programmes d’enseignement et d’inclusivité. C’est le premier volet qui a reçu la majeure partie de cette somme, notamment le financement des centres de rétention – des lieux où ni l’UE ni l’Organisation des Nations unies [ONU] n’ont un droit de regard. Raison pour laquelle nous demandons que ce financement soit conditionné à une garantie de respect des droits humains. »


Et dans ce même numéro du Monde, une longue et passionnante enquête de Nicolas Bourcier, Hélène Sallon, Laure Stephan et Majid Zerbouky sur le sort des réfugiés syriens au Proche-Orient : « Des millions de Syriens victimes de la guerre civile ont trouvé refuge dans les pays voisins depuis 2011. Alors que les conditions de leur retour sont loin d’être réunies, Turquie, Liban et Jordanie les poussent au départ. »


02 / Jean Portante, Frontalier

Jacques Bonnaffé a fait parvenir aux humanités l’extrait d’un texte du poète luxembourgeois Jean Portante, Frontalier, qu’il a joué dans une mise en scène de Frank Hoffmann en 2022 au Théâtre National du Luxembourg. Jacques Bonnaffé transportera ce texte dans une "version sauvage", conçue pour des lieux non théâtraux, lors de la première édition du Festival des humanités (31 août au 3 septembre 2023 à Cenne-Monestiés, dans l’Aude. Lire ICI)

Jacques Bonnaffé dans « Frontalier », de Jean Portante, mise en scène de Frank Hoffmann. Photo Gilbert-Scotti


Un mur on construit un mur / on en construit même beaucoup / partout ça pousse / comme si la Terre n’était pas assez parcellisée / découpée en morceaux / jadis on pestait contre un autre mur / celui de Berlin / le rideau de fer / la déchirure de l’Europe / déchirure cruelle disait-on / découpage honteux disait-on / applaudissements de ce côté-ci quand quelqu’un parvenait à franchir le mur / coups de feu de l’autre / partir c’était mourir beaucoup et on partait / rester signifiait mourir beaucoup et on partait / et de ce côté-ci on applaudissait / et de l’autre les fusils crachaient leurs balles / puis le mur s’est écroulé / et maintenant on le reconstruit partout / le mur universel / même la mer est devenue un mur / ce sont ceux qui jadis pestaient qui le construisent / et personne n’applaudit ceux qui parviennent à le franchir / on leur crache dessus / on les traite de tous les noms / on les dédaigne / on ne leur tire pas dessus / pas encore / mais personne n’applaudit / personne n’est du côté d’Enée / tout le monde est du côté d’Ulysse / parce qu’Ulysse a gagné la guerre / et Enée l’a perdue...


La radio ne dit pas ça / la radio dit / par dizaines de milliers des migrants se sont mis sur les routes / et le fils dit c’est Enée qui s’est mis en route / il n’y pas que l’odyssée dans la vie / par dizaines de milliers des murs les empêchent de franchir la frontière / et quand ce n’est pas un mur c’est la mer / une simple voyelle change / mur mer / et c’est la mort qui empêche de fuir la misère / la radio ne dit pas ça / ce ne sont pas ses mots / de mot à mort erre une consonne / elle se perd la consonne et ne restent que les mots / la radio ne dit pas ça / elle dit nous ne pouvons pas accueillir toute la misère du monde / mais si nous ne l’accueillons pas qui le fera à notre place / la radio ne demande pas ça / que la misère reste là où elle est dit-elle / nous on a la nôtre / qu’Enée reste sous les décombres de la ville de Troie ou d’Alep ou de Mossoul / nous on a Ulysse / la radio c’est une voix / et aujourd’hui justement à six heures quarante-cinq / alors que je ne suis plus seul sur la route / et que les arbres se sont réveillés / et avec eux les hirondelles / qui en cet automne se rassemblent sur les fils électriques / prêtes à s’envoler / à entreprendre le voyage vers l’infiniment loin / bientôt il n’y aura plus rien à picorer / bientôt mourront les hirondelles si elles ne partent pas / alors mieux vaut partir mourir ailleurs / dans l’infiniment loin / comme les dizaines de milliers de pauvres âmes qui elles aussi ont entrepris le voyage vers l’infiniment loin / comme papa / comme mon grand-père / car de tout temps toujours on part / loin des bombes loin des décombres loin de la faim / bientôt mourront les migrants / et peut-être que leurs chemins se croiseront / dans le ciel les processions d’hirondelles fuyant le froid / sur les routes les processions des fugitifs fuyant les bombes / ou dans le ciel les âmes des migrants / mais la radio ne dit pas ça / à sept heures moins dix elle dit / le réacteur trois de Cattenom a été mis à l’arrêt / la circulation est dense ce matin dit la radio / il y a un bouchon à trois kilomètres / ça fait frémir la procession d’automobiles qui s’approchent de la frontière / l’angoisse s’installe / tandis que les hirondelles se préparent à partir sur les câbles électriques / et les migrants errent sur les routes et sur les mers / tant de fuite n’émeut personne.


(Jean Portante, Frontalier (extrait). Le texte de Jean Portante a été publié dans la nouvelle collection de textes dramatiques Theatr/e chez Hydre Éditions. https://hydreditions.eu/frontalier-fr/)


03 / Un Navire Avenir

Son nom est Avenir, et c’est un navire, dont le projet vise à changer la donne. Ce sera le premier navire de sauvetage européen spécialement équipé d’un “hôpital”. Un hôpital au sens étymologique de l’hospitalité, fer de lance des activités du PEROU (Pôle d’exploration des ressources urbaines) depuis 2012 (Voir ICI)

Maquette du Navire Avenir (image de synthèse)


Nous reproduisons ici, avec l’aimable autorisation de son auteur, un texte de Sébastien Thiery, coordinateur des actions du PEROU, récemment publié par AOC.


« Décivilisation » en Méditerranée :

il y a urgence à construire des navires pour le sauvetage en haute mer

« Combien de temps, combien de victimes nous faudra-t-il encore compter pour mettre un terme à ce spectacle de décivilisation ? ». Ces mots très récents d’Emmanuel Macron appellent avec force et justesse une insurrection contre tous les projets d’assassinats d’innocents.


La « décivilisation » n’est jamais plus d’actualité que lorsque ces projets deviennent programme de gouvernement. Hier mercredi 14 juin, au large des côtes grecques, des dizaines de personnes sont mortes noyées en raison d’une politique d’hostilité organisée de longue date, et armée de moyens colossaux, par nous autres Européens. L’Europe, ce continent politique construit sur un extraordinaire projet de paix, connaît effectivement aujourd’hui un processus de « décivilisation ».


Certaines et certains d’entre nous ont pris le chemin d’une insurrection nécessaire : des ONG, comme SOS Méditerranée, œuvrent au quotidien pour sauver non seulement des personnes en détresse, mais l’Europe avec. La voie est tracée : au présent, il nous faut les soutenir ardemment, contre tous les vents contraires. C’est pourquoi nous avons décidé de faire inscrire les gestes de ces marins sauveteurs au Patrimoine culturel immatériel de l’humanité. C’est pourquoi nous nous organisons simultanément pour construire le Navire Avenir, premier navire spécifiquement conçu pour le sauvetage en haute-mer, outil pionnier permettant à ces gestes de se déployer demain plus encore. Avec plus de 500 concepteurs, nous dessinons les plans de ce catamaran de 69 mètres de long, et nous écrivons aussi le discours dont nous imposerons la lecture à un.e représentant.e de l’Europe qui inaugurera l’Avenir avec nous, un beau jour de 2025.

Ce discours est un chantier public : lisez-le, éprouvez-le, faites-le évoluer, envoyez-nous vos corrections pour que l’Europe fasse retentir de nouveau une voix de toute beauté. Le Navire Avenir est un chantier public tout autant : rejoignez-nous pour prendre part à l’assemblée bâtisseuse qui organise notamment la levée de fonds nécessaire à son lancement effectif. L’Avenir est à soutenir, tout comme le présent : soutenez SOS Méditerranée comme les autres ONG qui œuvrent en mer Méditerranée, et donnez ainsi plus de force et d’éclat au projet de civilisation qu’elles font tenir, que nous ne pouvons pas ne pas reprendre. Que l’Avenir poursuit.

Mes chères concitoyennes, mes chers concitoyens,

C’est un navire que nous attendions depuis longtemps. C’est un navire de sauvetage en haute mer. C’est un navire emblème.

C’est un navire sur lequel flotte le drapeau de l’UNESCO, parce que les gestes de sauvetage et de soin sont enfin reconnus comme un Patrimoine culturel immatériel de l’humanité. C’est un navire-conservatoire qui, à ce titre, a pour fonction de protéger ces gestes et de les transmettre aux générations à venir. C’est un navire-trésor. C’est un navire pour la beauté des gestes. C’est un navire pour la portée des gestes.

C’est un navire parce qu’il fallait inventer quelque chose de grand. C’est un navire conçu avec des marins sauveteurs, des rescapés, des architectes, des designers, des riverains, des plasticiens, des graphistes, des créateurs sonores, des professionnels de santé, des juristes, des cuisiniers, des écrivains, des étudiants d’Europe entière. C’est un navire conçu avec celles et ceux qui font de l’Europe un continent en voie d’élargissement. C’est un navire pour lequel a été créé, en droit, un pavillon maritime européen. C’est un navire porté par des ressortissants de pays signataires de la convention de Genève. C’est un navire construit pour construire l’hospitalité vive. C’est un navire pour naviguer, sauver, abriter, habiter, partager, raconter, relier, arriver. C’est un navire ami.

C’est un navire constitué de deux coques et surmonté de deux ailes solides permettant qu’un tiers de son énergie de propulsion provienne de la seule force du vent. C’est un navire de 69 mètres de long et de 23 mètres de large C’est un navire qui pèse, pleine charge, 1 750 tonnes. C’est un navire relié à un petit avion, de type Colibri 2, qui assure la recherche des embarcations en péril. C’est un navire qui compte quatre navires annexes : deux de 6 mètres 50, deux de 10 mètres. C’est un navire qui présente, à l’arrière, deux rampes et deux systèmes de treuil, pour faciliter l’accès à bord des rescapés. C’est un navire qui abrite un hôpital, le cabinet d’une sage-femme, un lieu d’écoute psychologique, une cabine de télé-médecine, une cuisine, un refuge pour 372 personnes, une morgue pouvant accueillir 6 corps. C’est un navire qui génère ses propres besoins en oxygène. C’est un navire dont la sirène est faite d’une voix humaine. C’est un navire comme un havre, tout contre le cauchemar. C’est un navire comme une terre, relié à la terre par extension. C’est un navire qui nous est relié, qui nous relie. C’est un navire parce que le naufrage est indivisible. C’est un navire parce qu’il était temps. C’est un navire parce que c’est possible. C’est un navire parce que c’est nécessaire.

C’est un navire à vif. C’est un navire-combat. C’est un navire parce que nos enfants. C’est un navire parce que des frères, des sœurs, des maris, des femmes, des parents ont disparu en mer. C’est un navire parce qu’il va nous falloir beaucoup, beaucoup, beaucoup d’amour.

C’est un navire qui respire, que nous respirons, pour respirer. C’est un navire parce que nous avons besoin de respirer. C’est un navire pour respirer ensemble. C’est un navire où peuvent jouer les enfants. C’est un navire présentant à son bord des inscriptions en arabe littéral, en persan, en ourdou, en farsi, en bengali, en tigrinya, en somali, en anglais, en français. C’est un navire parce que nous avons besoin d’écrire d’autres histoires communes.

C’est un navire en résistance, en lien, en devenir, en vie, encore. C’est un navire qui raconte une autre histoire à venir. C’est un navire comme une arche, sans fin du monde. C’est un navire qui utilise la force là où elle se trouve. C’est un navire à venir, à quai, attendu, tendu vers. C’est un navire qui vient de la transformation de l’impossible en possible joie. C’est un navire qui vient de chacune et chacun d’entre nous, de loin d’entre nos terres. C’est un navire pour cesser de chuter. C’est un navire-souffle. C’est un navire-battement. C’est un navire courageux. C’est un navire à la splendeur de ce qui vient.

C’est un navire comme un pont. C’est un navire conçu comme une place publique méditerranéenne flottante. C’est un navire qui s’avance en mer comme un haut-lieu de l’hospitalité. C’est un navire comme une extension maritime de toutes les institutions culturelles qui se sont rassemblées pour en accompagner la création depuis 2020. C’est un navire-œuvre, un navire qui œuvre, un Really-made pour le XXIe siècle. C’est un navire dont les plans et la maquette finale ont été présentés à la Biennale internationale d’art contemporain de Venise, l’année dernière, en 2024.

C’est un navire construit pour les innombrables jeunes gens qui se lanceront demain sur les mers pour fuir l’invivable et rêver encore. C’est un navire passe-ports. C’est un navire parce que nous étions, nous sommes, nous serons vulnérables. C’est un navire outil. C’est un navire pionnier. C’est un navire qui prend la mer pour prendre soin. C’est un navire qui offre les conditions les meilleures pour que les rescapés retrouvent le sommeil.

C’est un navire imaginé en 2020 par des Européens qui ne savaient pas qu’ils en avaient à ce point le désir. C’est un navire qui relie celles et ceux qui en 2020 ne se savaient pas si profondément reliés. C’est un navire inspirant. C’est un navire-phare. C’est un navire-foyer. C’est un navire fait en bras, en joie, en forces, en blessures, en convictions inaltérables.

C’est un navire pour la Méditerranée qui n’en peut plus d’être le cimetière qu’elle est devenue. C’est un navire prototype d’une flotte entière. C’est un navire conçu pour nouer avec le lointain une relation d’amitié enfin, non pour faire main basse sur le monde, comme le furent les navires armés durant des siècles pour des migrants européens conquérants. C’est un navire qui transporte des êtres humains et une autre idée de l’Europe.

C’est un navire à notre recherche, à la recherche de notre humanité. C’est un navire qui nous sauve toutes et tous. C’est un navire grâce auquel, en sauvant, nous nous sauvons. C’est un navire pour les générations à venir. C’est un navire au beau milieu d’entre nous. C’est un navire conçu pour répondre à la question : « qu’est-ce qu’on met de beau entre nous ? »

C’est un navire situé précisément entre la colère et la joie. C’est un navire avec tendresse.

C’est l’avenir, c’est le Navire Avenir.


NOTA BENE. Pour prendre part à cette aventure, dont les humanités seront partenaire, et rejoindre l’assemblée bâtisseuse de l’Avenir : contact@navireavenir.eu


Les humanités, ce n'est pas pareil. Entièrement gratuit et sans publicité, édité par une association, le site des humanités entend pourtant fureter, révéler, défricher, offrir à ses lectrices et lecteurs une information buissonnière, hors des sentiers battus.

Pour encourager cette aventure, dès 1 € :

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