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Photo du rédacteurJean-Marc Adolphe

Parmi des milliers, la "liste des 31", à charge de preuve pour La Haye.


Alors que Maria Lvova-Belova rêve de prolonger en Afrique sa mission "humanitaire", de nouveaux "camps de rééducation" -où sont déportés des enfants ukrainiens- ont été localisés en Biélorussie. El la Croix-Rouge locale participe à cette entreprise criminelle ! Si besoin était, de nouvelles révélations viennent confirmer que ces déportations d'enfants relèvent d'un système planifié et organisé au Kremlin, avec la complicité de "collabos" dans les territoires ukrainiens occupés. C'est ce que montre une enquête sur la "liste des 31", au tout début de la guerre. Enfin, deux documentaires exceptionnels, avec des images inédites et des témoignages bouleversants, démontent la propagande pseudo "humanitaire" de Maria Lvova-Belova et des autorités russes.


Et maintenant, l’Afrique !


Après l’Ukraine, où Maria Lvova-Belova s’est illustrée comme architecte en chef des déportations d’enfants, la commissaire présidentielle russe aux "droits de l’enfant" (sic) s’est trouvé un nouveau terrain de chasse.

L’Afrique, donc. Contre "l’Occident décadent", Lvova-Belova a proposé en février dernier à Poutine ses bons et loyaux services de missionnaire (mariée à un prêtre orthodoxe) : « Dans le cadre de notre stratégie de partenariat avec des pays africains, je voudrais demander votre bénédiction pour mener une mission humanitaire en Afrique ».

« Allez-y », a alors répondu le Führer du Kremlin.

Le patriarche Kirill a lui aussi "béni" l’engagement "humanitaire" de Lvova-Belova.


Vu le sens que donne au mot "humanitaire" cette génocidaire qui tente de se se faire passer pour une dévouée dame patronnesse, ça fait froid dans le dos. Nul ne sait encore la forme que prendra cette "mission", mais le sujet sera bel et bien au menu du sommet Russie-Afrique, qui doit se tenir à Saint-Pétersbourg, les 27 et 28 juillet prochains, où une session doit évoquer, entre autres, « les pseudo-valeurs artificielles et contre-nature qui sont activement imposées » par l’Occident.


Dans une série de 5 podcasts d’Anya Stroganova pour Radio France Internationale, Maxime Matoussevitch, historien et spécialiste de l’Afrique à l’université Seton Hall du New Jersey, souligne que la promotion des valeurs traditionnelles fait partie du soft power russe sur le continent africain : « Lorsque l’on observe ce que la Russie peut offrir à l’Afrique, il n’y a pas grand-chose, mais le peu qui existe est important. Ils exportent des armes : 50% des armes arrivant sur le continent proviennent de la Russie. Pour le reste, ce n’est pas vraiment de l’idéologie, ce sont des idées moralisatrices : la préservation des valeurs traditionnelles, la conception traditionnelle du genre. » (Lire aussi, sur France 24 : "Du KGB de Khrouchtchev à Poutine, les profondes racines de l’influence russe en Afrique")


Toutefois, quel que soit son ardent désir d’aller "humanitariser" l’enfance africaine, Maria Lvova-Belova sera tenue de rester à demeure, dans ses pénates russes. Le mandat d’arrêt lancé à son encontre par la Cour pénale internationale limite en effet considérablement ses possibilités de voyage. Même le Boss, Vladimir Poutine himself, a dû renoncer à se rendre au sommet des Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), en août en Afrique du Sud : il s’y fera représenter par le ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov.


« Bien entendu », écrit Andrew Stroehlein, directeur des relations médias de l’ONG Human Rights Watch en Europe, « le fait que Poutine soit limité dans ses déplacements n'apportera aucun soulagement immédiat aux Ukrainiens qui souffrent de l'invasion de la Russie caractérisée par de nombreuses atrocités. Les missiles de Moscou continuent de s'abattre jour après jour sur les immeubles résidentiels du pays. Il est toutefois encourageant de constater que le fait d'être un fugitif international recherché pour des crimes épouvantables a un prix. (…) Il s'agit d'une nouvelle extrêmement encourageante si l'on considère ce qui s'est passé de manière similaire il y a huit ans. En 2015, Omar Al-Bachir - alors président du Soudan et recherché par la CPI pour génocide, crimes de guerre et crimes contre l'humanité commis au Darfour – avait réussi à se rendre en Afrique du Sud, malgré les pressions énormes faites pour son arrestation. Le fait que le fugitif Poutine soit aujourd'hui incapable de faire ce que le fugitif Omar Al-Bachir a fait il y a huit ans me semble être un progrès pour la justice internationale. »


Loukachenko en ligne de mire


Et la pression sur Poutine et Lvova-Belova risque d’autant moins de retomber, que chaque jour ou presque apporte son lot de nouvelles révélations. S’ils sont les principaux responsable et maître d’œuvre de ces monstrueuses déportations d’enfants, d’autres les rejoindront sans nul doute dans la charrette pour un tribunal international à La Haye. Rappelons que la CPI n’a nulle obligation de rendre publiques les identités de celles et ceux qui feraient l’objet d’un mandat d’arrêt. Il est probable qu’y figurent d’ores et déjà, sur la base de preuves documentées, les noms de certains "complices" (révélés par les humanités dans de précédentes publications).

Alexandre Loukachenko et Vladimir Potine, lors d’une rencontre à Sotchi, le 9 juin 2023. Photo Gavriil Grigorov / Kremlin Pool Photo


C’est au tour du président biélorusse Alexandre Loukachenko, dont le régime ultra-répressif est totalement inféodé au Kremlin, d’être appelé à compléter cette liste de la honte. Jusqu’à présent, on pensait que la Biélorussie s’était "contentée" d’accueillir, pour quelques semaines de "vacances sanitaires", des enfants du Donbass transférés en Russie. Le quotidien britannique The Telegraph vient de révéler, sur la base de documents réunis par l’Administration nationale anti-crise (un mouvement qui regroupe des opposants en exil et œuvre pour un retour à la vie démocratique), que la Biélorussie a pris une part bien plus conséquente dans ce qui apparaît de plus en plus clairement comme un système prémédité de déportations. La ville russe de Rostov-sur-le-Don, à 2 heures de la frontière ukrainienne, faisait office de "centre de tri". De là, certains enfants étaient acheminés en train et en bus jusqu’à Minsk, la capitale biélorusse.

Combien ont été ensuite redirigés en Russie, vers des destinations à ce jour inconnues. Où ? On l’ignore. Mais 2.150 de ces enfants, âgés de 6 à 15 ans, ont été répartis sur le territoire biélorusse, au moins dans quatre camps. Trois d’entre eux sont situés dans la région de Minsk : le sanatorium Ostroshitsky Gorodok, le centre national d'éducation et de santé pour enfants de Zubrenok et le camp pour enfants de Dubrava, qui appartient à l'entreprise publique d'engrais Belaruskali, sous sanctions européennes (1). Le quatrième camp, le sanatorium Golden Sands, est situé dans la région de Gomel, près de la frontière avec l’Ukraine.


Selon l’ex-ministre de la culture biélorusse Pavel Latushka, qui préside aujourd’hui l'Administration nationale anti-crise, Alexandre Loukachenko « a directement donné des instructions sur l'organisation et le financement du déplacement forcé d’enfants vers la Biélorussie. »


L'un des documents envoyés à la Cour pénale internationale est signé par Dmitry Mezentsev, président d'un organisme russo-biélorusse et ancien ambassadeur de Russie en Biélorussie. Il demande la coopération entre les opérateurs ferroviaires biélorusses et russes pour organiser le « transport des enfants du Donbass vers la Biélorussie fraternelle ».

Les soeurs Gruzdev, devant un parterre d'enfants ukrainiens au camp de Dubrava, en Biélorussie


Un autre document joint est une vidéo tournée (à une date inconnue) au sein du camp de Dubrava. On y voit les sœurs Gruzdev, chanteuses pop totalement inféodées au régime de Loukachenko, haranguer un parterre d’enfants ukrainiens : « Pour que nous vivions en paix, pour que Biden meure, Dieu me pardonne, pour que Zelensky meure aussi, et pour que Poutine prospère et prenne le contrôle de toute l'Ukraine ».

"L’accueil" d’enfants déportés dans un camp de rééducation.


De façon générale, les enfants retenus dans ces camps sont soumis à un véritable lavage de cerveau. On leur répète sans cesse qu’ils sont russes, on les force à apprendre l'hymne national russe, on les contraint à dénoncer l'Ukraine… Et ceux qui refusent d’obtempérer sont battus. Les plus âgés sont formés à l’utilisation d'armes à feu et de véhicules militaires, ce qui laisse craindre qu’une fois atteint la majorité, à 18 ans, certains seront vraisemblablement mobilisés dans l’armée russe. Mais l’embrigadement commence très jeune.

Kateryna Skopina et sa fille de 6 ans, Anna-Maria, qui est restée pendant un an en territoire occupé. Photo Yuriy Dyachyshyn / AFP


L’AFP rapporte l’histoire d’une petite fille de 6 ans, Anna-Maria, qui a vécu un an en zone occupée par la Russie. Sa mère, Kateryna Skopina, lieutenant dans une unité médicale, avait dû confier la fillette à ses grands-parents paternels, quand elle et son mari, chauffeur dans un hôpital militaire, ont été capturés en mai 2022 par les forces russes à Marioupol. Elle a été libérée en décembre dernier, à la faveur d’un échange de prisonniers, mais n’a pu récupérer sa fille que tout récemment, en mai dernier. Au départ, celle-ci ne voulait plus parler ukrainien, et demandait à sa mère « qui était l’oncle Vova (abréviation de Vladimir) et pourquoi il était le président du monde entier »...


C’est loin d’être un cas isolé. « Le principal objectif de la Russie est de transformer ces enfants en Russes, de détruire l’identité ukrainienne, et pas seulement de la détruire, mais d’instiller la haine de l’Ukraine », s’inquiète Mykola Kouleba, ex-commissaire aux droits de l’enfant auprès du président ukrainien, qui cherche à ramener ces enfants en Ukraine. Des centaines de milliers d’entre eux « ont déjà accepté la citoyenneté russe et sont d’accord avec l’idée que la Russie est comme un sauveteur et qu’il vaut mieux rester là-bas », dit-elle. « Tous les enfants que nous ramenons, qui étaient dans des camps ou dans des écoles russes, disent avant tout que l’Ukraine n’est pas un État, comme les Russes le leur ont appris… Ils disent que ce territoire fera bientôt partie de la Russie, que des terroristes - des nazis - vivent ici et qu’ils sont venus pour les tuer ».


La Croix-Rouge biélorusse, complice des déportations d'enfants


En Biélorussie, la Croix-Rouge a même activement participé à ces déportations d’enfants, comme l’a benoîtement confessé mercredi dernier son responsable, Dzmitry Shautsou (photo ci-contre), dans un reportage de la télévision publique biélorusse à Lysychansk, ville occupée par l’armée russe dans la région de Louhansk. Invoquant un objectif "d’amélioration de la santé", Dzmitry Shautsou a déclaré, sans fausse pudeur : « la Croix-Rouge biélorusse a pris, prend et prendra une part active à cette opération », ajoutant qu'il travaillait avec une fondation caritative soutenue par l'État pour que « les enfants oublient les horreurs de la guerre et se reposent, qu'ils sentent qu'il y a une île de bonheur ». Face au tollé international que ces propos ont suscité, la Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, à laquelle la Croix-Rouge biélorusse est affiliée, a mollement répondu avoir été informée "par les médias" du voyage dans le Donbass de M. Shautsou, et que la question serait soumise à un "comité de conformité" qui enquêtera sur toute "allégation de manquement à l'intégrité". En attendant, la Croix-Rouge internationale a gentiment "conseillé" à son représentant biélorusse de « cesser toute activité similaire à l'avenir ».


Sur la simple base de ses "aveux" télévisés, ce Dzmitry Shautsou devrait voir son nom ajouté à la liste de la Cour pénale internationale, tout comme… Alexandre Loukachenko. Mardi dernier, la commission des affaires étrangères du Parlement européen a en tout cas formé le vœu que soit inculpé le président biélorusse.


Ces poursuites ne vont certes pas, à elles seules, ramener du jour au lendemain en terre d’Ukraine les enfants qui en ont été extirpés. Comme prévisible, la récente mission papale (lire ICI) n’a visiblement rien donné. Selon le Financial Times, c’est à présent au tour de la Turquie et de l’Arabie Saoudite, avec le concours de l’oligarque israélo-russe Roman Abramovitch, d’annoncer leur intention conjointe de « négocier un accord pour rapatrier les enfants ukrainiens déportés vers la Russie ». Un effet d’annonce, qui n’est pour l’heure assorti d’aucune précision.


La "liste des 31"


Mais déjà, comprendre et décortiquer le mécanisme de ces déportations massives, établir les responsabilités et implications de celles et ceux qui en ont été les complices actifs, afin que le crime ne reste pas impuni. Si les investigations de la Cour pénale internationale ne sont pas publiques, de récentes enquêtes journalistiques permettent d’établir de nouvelles preuves, et de compléter les pièces du puzzle.


Lorsqu’un procès s’ouvrira à La Haye, il sera vraisemblablement question de la "liste des 31", qui vient d’être révélée par l’Organized Crime and corruption reporting project (OCCRP), une plateforme à laquelle participent plusieurs journalistes d’investigation. Cette "liste des 31" a d'abord été établie par Evgueni Mezhevoy, un père célibataire de Marioupol, qui a été séparé de ses trois enfants de 7, 9 et 13 ans dans un "camp de filtration", où lui-même a été arrêté avant d’être détenu pendant 1 mois et demi à la prison d’Olenivka. Son histoire a déjà été largement médiatisée : au prix d’une incroyable détermination, il a réussi à "reprendre" ses enfants dans un sanatorium moscovite, quelques jours avant qu’ils ne soient placés dans un circuit d’adoption. Le témoignage de l’aînée, Sasha, 13 ans, a permis d’identifier les 31 enfants de 6 à 17 ans (15 filles et 16 garçons) du groupe dont elle faisait partie, "évacué" de Marioupol en avril 2022. Sur ces 31 noms, outre les 3 enfants d’Evgueni et un autre adolescent qui a réussi à s’enfuir, 27 seraient toujours en Russie. 14 auraient été adoptés dans des familles totalement inféodées au régime de Poutine : on trouve là une propagandiste active dans certains médias, une ancienne policière, une ex-volontaire de la guerre en Tchétchénie, ou encore un ex-officier des forces aéroportées... Quant aux 13 enfants restants sur cette liste, impossible de savoir ce qu’ils sont précisément devenus.


A partir des informations fournies par Evgueni Mezhevoy, les journalistes ukrainiens des projets "You How" et "Schemes" qui mènent l’enquête, ont pu s’appuyer sur un ensemble de mails issus des messageries de l’administration d’occupation de la "république" de Donetsk, récupérés par KibOrg News, un groupe de hackers. Et là, ça devient intéressant. On apprend ainsi que début mars 2022, au début de l'invasion, les autorités russes se préoccupent déjà du transfert d'enfants en vue de leur adoption. La directrice du service pour les droits de l'administration d'occupation de Donetsk signale alors prudemment qu'en l'état de la législation en vigueur, l'adoption d'orphelins ou d'enfants privés de soins parentaux par des familles étrangères n'est pas possible, « y compris pour des citoyens de la Fédération de Russie ».

De gauche à droite : Valeriy Onatskiy, Tetyana Orskina et Alexei Nikonorov, trois des premiers maillons, en territoires occupés,

de la "chaîne de déportations" mise en place dès le mois de mars 2022.


On sait que fin mai 2022, Vladimir Poutine signait un décret ad hoc pour autoriser de telles adoptions. Mais dès le 26 avril 2022, une réunion est organisée par Maria Lvova-Belova, à quelle assistent d’autres membres de ses services et de l’administration russe, ainsi que des représentants de la "république" autoproclamée de Donetsk. C'est à partir de là qu'est établie cette "liste des 31", qui a été personnellement approuvée et signée par Denis Pouchiline, le chef de cette même"république de Donetsk". Les documents ont été préparés par Valeriy Onatskiy, qui dirige désormais le "département des affaires familiales et de l’enfance" de l’administration d’occupation de Marioupol. Cette liste est alors envoyée par l’assistant de Pouchiline, Alexei Nikonorov, à différents services des territoires occupés. Et la chaîne de déportation se met en place. Les enfants sont d’abord dirigés vars un "centre social" de Donetsk, dirigé par une certaine Tetyana Orskina qui transfère avec son adjoint, Kirill Potylitsyn, la "liste des 31" aux "autorités compétentes". C'est fou ce que la bureaucratie laisse comme traces...


Les enfants peuvent alors être transférés en territoire russe, à Rostov-sur-Don. Puis, de là, acheminés par avion à Moscou. Cet avion, ont découvert les journalistes de "You How" et "Schemes", appartient au détachement des vols spéciaux de la Fédération de Russie, qui dépend du bureau de l’administration présidentielle de Vladimir Poutine. Et à Moscou, ils sont regroupés au sanatorium Polyany, affilié à un "Centre médical pour enfants" qui est sous le contrôle direct du Kremlin.


Outre qu'il ne s'agit là que de 31 enfants, sur des dizaines de milliers, on pourrait se demander ce que ces informations détaillées apportent de plus à ce que l’on pensait déjà savoir, et que les humanités ont documenté sans relâche depuis août 2022. En fait, sous réserve de ce que les enquêteurs de la CPI auraient mis à jour et n’auraient pas encore rendu public, c’est la première fois, avec cette "liste des 31", qu’est établi un cas précis et nominatif de déportations au tout début de la guerre, et qu’est documentée une chaîne de commandement qui, partant directement du Kremlin, implique plusieurs responsabilités en cascade.


Les révélations de l’Organized Crime and corruption reporting project comportent une autre surprise, qui vient confirmer certains soupçons dont nous avions déjà fait état. On sait au moins ce que l’un de ces 31 enfants et adolescents est devenu. La propagande russe en a même fait un symbole de son action de "sauvetage humanitaire" : un adolescent de Marioupol, Filipp, que Maria Lvova-Belova s’est vantée d’avoir elle-même adopté après l’avoir miraculeusement sauvé d’une cave de Marioupol. En fait, il faisait partie des 31. Filipp, de son vrai nom (ukrainien) Pylyp Holovnya, avait, de fait perdu ses parents très tôt, mais il avait, à Marioupol, des parents adoptifs (l’ex-mari de sa mère et sa nouvelle épouse) qui s’occupaient de lui., et qui sont toujours vivants. « Filipp a simplement été emmené de force, comme beaucoup d’autres enfants », témoigne dans The Telegraph le frère de son tuteur, aujourd’hui réfugié à l’étranger après avoir pu s’extraire de Marioupol. La gentille fable à l’eau de rose abondamment mise en scène par Maria Lvova-Belova est donc un gros mensonge de plus.

Un immeuble de Marioupol, avant le siège dont la ville a fait l'objet pendant 3 mois


Deux documentaires exceptionnels


Filipp (ou Pylyp), on le retrouve dans un formidable documentaire réalisé par Oleysia Bida, journaliste à The Kyiv Independant, qui revient, avec des images totalement inédites et des témoignages bouleversants, sur ce qu'ont vécu les enfants de Marioupol pendant les trois mois qu'a duré le siège de leur ville, laissée à l'état de ruine totale par l'armée russe. On y découvre notamment l'histoire de Valya, une jeune fille de 19 ans, qui est allée chercher à Donetsk ses deux jeunes sœurs, Sofia et Anastasia, capturées et enlevées après un bombardement russe où leur mère a trouvé la mort, sous les yeux de Sasha, 13 ans.


C'est un témoignage parmi d'autres. Il y a ainsi le récit de Maksym et d'Ivan, deux adolescents qui avaient entrepris de fuir Marioupol à pied, avec l'objectif de rejoindre Zaporijjia. Arrêtés en chemin, ils ont été emmenés de force dans un hôpital pour enfants de Donetsk, dont ils ont réussi à s'échapper -avant, vraisemblablement, que d'êtres transférés en Russie. Si besoin était, ces récits recueillis par Oleysia Bida montrent que les occupants russes avaient bel et bien mis en place un système de prédation, à mille lieues des arguments "humanitaires" avancés par Maria Lvova-Belova. C'est un documentaire à voir, absolument (sous-titres en anglais) :


Un second documentaire, lui aussi exceptionnel, est à mettre au crédit d'Isabel Yeung, la journaliste de Vice News qui avait déjà réussi à interviewer, sans concession, Maria Lvova-Belova. Là, on ignore comment elle a pu faire, mais elle a accédé, dans les territoires occupés en Ukraine mais aussi en Russie, à certains camps et autres "sanatariums" où sont regroupés des enfants ukrainiens, en plus de photos et vidéos là aussi inédites récupérées sur internet. Elle est "sous surveillance", notamment lorsqu'elle pose des questions à un groupe d'adolescentes. Mais certains non-dits parlent d'eux-mêmes... Et là aussi, toute la propagande de Lvova-Belova est démontée sans fard.


On n'est certes pas au bout des révélations au sujet de ces déportations d'enfants, qui se poursuivent d'ailleurs (lire ICI). Les chercheurs du Conflict Observatory, rattaché à l'Université de Yale, qui avait déjà réussi à localiser, en février dernier, 43 camps de rééducation en Crimée occupée et en Russie (lire ICI), s'apprêtent à publier un nouveau rapport. Le directeur de recherches, Nathaniel Raymond, en a d'ores et déjà dévoilé les grandes lignes. Selon lui, la Russie trie les enfants qu'elle déporte en plusieurs catégories. Il y a les «évacués», selon la terminologie employée par Moscou, c’est-à-dire des enfants handicapés ou aux situations familiales difficiles qui avaient été placés dans des institutions d'État ukrainiennes, et qui ont été transférés dans des familles d’accueil en Russie ; des enfants enlevés par des soldats russes sur le champ de bataille, à Kherson, Kharkiv, ou encore Marioupol ; des enfants séparés de leurs parents dans les points de filtrage où sont triés et potentiellement déportés les habitants des zones occupées par l'armée russe ; et enfin, des enfants originaires de localités occupées dans le Donbass.


On comprend, dans ces conditions, que la Russie refuse d'ouvrir ses registres à la Croix-Rouge internationale et aux Nations Unies, tant cela relève d'un système monstrueusement planifié et organisé. On imagine, en conséquence, que tous les rouages de ce système sont bureaucratiquement consignés, nomenclaturés. D'entre tous les crimes de guerre que la Russie ne cesse de perpétrer en Ukraine, celui-ci est peut-être le plus abject. Lorsque, tôt ou tard, ce crime sera jugé, ce qui restera d'une Russie dé-poutinisée devra ouvrir les yeux sur ce qu'elle aura permis et toléré. Il faudra plus d'une génération. Mais cela n'est rien au regard de ce que doivent vivre, chaque jour, des dizaines de milliers d'enfants ukrainiens pour qui, au traumatisme de la guerre, la Russie ajoute le déracinement et le vol de leur identité.


Jean-Marc Adolphe

Illustration en tête d'article : La "liste des 31". Au premier plan, les 3 enfants d'Evgueni Mezhevoy deviennent des témoins à charge dans la procédure engagée par la Coup Pénale Internationale contre Vladimir Poutine et Maria Lvova-Belova. Photomontage Radio Svoboda.


Notes

1. Belaruskali est l'une des plus grandes entreprises publiques de Biélorussie. Elle est l'un des plus grands producteurs d'engrais potassiques au monde, et une source importante de devises étrangères pour le gouvernement biélorusse. En 2020, quatre mille travailleurs de Belaruskali ont déclaré une grève dans le cadre de manifestations nationales pacifiques de masse qui ont suivi une élection présidentielle controversée, exigeant la démission d'Alexandre Loukachenko et de nouvelles élections démocratiques. Quatre militants syndicaux - Siarhei Charkasau, Pavel Puchenia, Yury Korzun et Anatol Bokun - ont été arrêtés après le début de la grève. 49 travailleurs ont été licenciés pour avoir participé à la grève, et plusieurs ont dû fuir le pays. Le 24 juin 2021, l'Union européenne a introduit des restrictions sur le commerce de la potasse avec la Biélorussie en réaction à " l'escalade des graves violations des droits de l'homme en Biélorussie et à la répression violente de la société civile, de l'opposition démocratique et des journalistes, ainsi qu'à l'atterrissage forcé d'un vol Ryanair à Minsk le 23 mai 2021 et à la détention du journaliste Raman Pratasevich et de Sofia Sapega qui y est liée ". En 2022, le Canada, l'UE et la Suisse ont imposé des sanctions contre Belaruskali, son PDG Ivan Golovaty et la Belarusian Potash Company En janvier 2023, l'entreprise a été inscrite sur la liste des sanctions de l'Ukraine.



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