Pour faire oublier l’affaire Epstein, guerre au Venezuela
- Jean-Marc Adolphe

- il y a 2 jours
- 4 min de lecture

L'armée américaine débarque au Venezuela... Image générée par l'intelligence artificielle
En pleine tourmente politique et médiatique autour de l’affaire Epstein, Donald Trump semble prêt à allumer un nouvel incendie géopolitique pour détourner l’attention : après avoir désigné Nicolás Maduro comme chef d’un "Cartel de los Soles" largement fantasmé, le président américain transforme une construction médiatique en menace terroriste. Une réalité alternative qui pourrait, du jour au lendemain, justifier frappes ciblées, opérations clandestines et emballement militaire en Amérique latine.
Dernier rebondissement en date : après avoir accusé le président colombien, Gustavo Petro, d’être « un baron de la drogue », Donald Trump franchit un cran supplémentaire : le président vénézuélien Nicolás Maduro (par ailleurs éminemment contestable) serait le chef d’une organisation de narcotrafiquants, le "Cartel de los Soles" (en français, le cartel des soleils) ; fissa désignée comme « organisation terroriste étrangère ». Contre le « terrorisme », tous les coups sont permis, non ?
Peu importe que ce "Cartel de los Soles" n’existe pas. En tout cas, pas vraiment (1). Un ancien haut fonctionnaire du gouvernement américain déclare que le "Cartel de los Soles" est « un nom inventé [par des journalistes] utilisé pour décrire un groupe ad hoc de fonctionnaires vénézuéliens impliqués dans le trafic de drogue à travers le Venezuela. Il ne possède pas la hiérarchie ni la structure de commandement et de contrôle d'un cartel traditionnel. » Trump n’est pas du gente à s’embarrasser de fioritures. Pour Brian Finucane, ancien avocat du département d'État spécialisé dans les questions relatives aux pouvoirs de guerre, l'administration Trump « invente un ensemble de faits » et « crée une réalité alternative » afin de pouvoir présenter sa politique envers le Venezuela comme une campagne antiterroriste.
Envers le Venezuela ? Peut-être pas seulement. Lui-même fils d'immigrants cubains, le secrétaire d’État Marco Rubio ne cache pas sa volonté de renverser d'abord le gouvernement de Nicolás Maduro au Venezuela, pour ensuite affaiblir et faire tomber le régime cubain. Mais il y a encore autre chose. En pleine tempête judiciaire et médiatique autour de "l’affaire Epstein" (2), Donald Trump pourrait trouver une issue à la mesure de son talent pour la mise en scène : déplacer le chaos ailleurs.
Politique-fiction
Voilà ce qui pourrait se passer, dans quelques jours : Washington découvre un matin qu’un escadron de drones a frappé des positions « terroristes » à la frontière entre le Venezuela et la Colombie. L’opération, baptisée "Freedom Storm", promet de « restaurer la démocratie dans l’hémisphère sud ». Peu importe que dans les coulisses, les analystes y voient surtout un écran de fumée, les chaînes conservatrices s’embrasent : « L’Amérique d’abord, encore une fois ! »
En Amérique latine, la stupeur domine. Le président brésilien, soucieux de maintenir ses équilibres commerciaux, joue la neutralité prudente. À Bogotá, les faucons réclament vengeance ; à Mexico, les diplomates appellent à la désescalade. Sur les réseaux, les hashtags #YankeesGoHome et #JusticeForEpstein se mêlent dans un étrange télescopage… Les marchés s’affolent, le baril grimpe. Dans les couloirs du Congrès, certains élus dénoncent un « conflit de diversion » destiné à noyer les révélations sur le dossier Epstein. Mais l’opinion, lassée des scandales et fascinée par le spectacle guerrier, rechute dans l’illusion de puissance retrouvée.
Quelques semaines plus tard, un rapport confidentiel du Pentagone fuite : aucune preuve tangible ne liait Caracas aux attaques frontalières. Trop tard — les premières troupes sont déjà déployées en Guyane, et les caméras suivent Trump en uniforme de commandant en chef. Parfois, la guerre sert moins à conquérir un territoire qu’à effacer une mémoire encombrante…
Jean-Marc Adolphe
NOTES
(1). Ce nom est apparu dans les années 1990, après que des généraux et des commandants vénézuéliens – qui portaient des insignes en forme de soleil sur leurs épaulettes – aient fait l'objet d'une enquête pour trafic de drogue et crimes connexes, selon le groupe de réflexion InsightCrime. Ce nom s'est répandu et a été fréquemment utilisé, en particulier à partir du milieu des années 2000, lorsque plusieurs membres de différentes branches de l'armée ont joué un rôle plus actif dans le trafic de drogue, a déclaré InsightCrime dans un rapport récent.
(2). De nouveaux courriels attribués à Jeffrey Epstein ont été publiés récemment par des élus démocrates, suggérant que Donald Trump aurait été informé des agissements de trafic sexuel et d’exploitation de mineures liés à Epstein. Dans un de ces mails, Epstein affirmait que Trump lui avait demandé de démissionner concernant une victime, ce qui alimente les spéculations sur la complicité ou la connaissance préalable de Trump des réseaux du financier prédateur sexuel. Face à la pression grandissante, Trump a opéré un virage stratégique : après avoir tenté longtemps de bloquer la publication intégrale des dossiers judiciaires, il soutient désormais un vote à la Chambre des représentants pour la mise à disposition complète de ces documents, tout en dénonçant une manipulation des démocrates pour l’attaquer. Et hier, le Congrès américain a approuvé une proposition de loi visant à contraindre le gouvernement, dans de brefs délais, à rendre public son dossier sur le criminel sexuel Jeffrey Epstein, mort en 2019 avant son procès. Questionné sur sa relation avec Jeffrey Epstein vendredi dernier par Catherine Lucey, correspondante parlementaire de Bloomberg News, Donald Trump a perdu patience et insulté la journaliste : « Silence, la cochonne » (« Quiet. Quiet, piggy »).
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