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Pourquoi Emmanuel Macron devrait être destitué. La faillite de la start-up nation / 04



Quatrième et dernière séquence de "la faillite de la start-up nation". Où il apparaît que la campagne électorale d'Emmanuel Macron, en 2017, a été grandement financée par une entreprise étrangère, ce qui est totalement prohibé et contraire aux principes républicains les plus élémentaires. Aux enquêteurs du Parquet national financier, et aux parlementaires, d'en tirer les conséquences.


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Nous avons déjà conté, dans les premiers épisodes de cette série, les conditions dans lesquelles s’est constituée la "start up nation", et comment elle a réussi une « prise de pouvoir en bande organisée » (ICI). Nous avons vu comment les jeunes gens de cette "garde rapprochée", qui ont réussi le "hold-up du siècle", n’ont cessé de mélanger à leur bon vouloir de golden boys, sens public et intérêts privés, avec un certain talent pour la communication, ou comme on voudra, pour l’enfumage (ICI).


Enfin, nous avons souligné à quel point que le concept de "start-up nation" est un assemblage de bric et de broc, là encore à grand renfort de communication, avec un "écosystème" bancal, même d’un point de vue strictement économique, et sans que cela ne fasse modèle de gouvernance pour un pays, sauf à tordre certaines bases fondamentales de l’éthique publique (ICI). Dans cette dernière enquête, nous avons souligné le rôle joué, entre autres cabinets de conseil, par le cabinet McKinsey. Nous allons y revenir plus en détail.


Levée de fonds

Pour toute start-up digne de ce nom, une étape-clé de survie et d’éventuel développement est celle de la "levée de fonds". La "levée de fonds", c’est un sport sans règles du jeu très précises, où seuls gagnent les plus malins ou, parfois, les plus baratineurs.


La "start-up nation" d’Emmanuel Macron et consorts n’a pas échappé à cette règle de base ; d’autant qu’en avril 2016, lorsque l’ex-ministre de l’Économie de François Hollande déclare officiellement sa candidature à la Présidence de la République, il ne dispose pas, comme d’autres prétendants, du socle d’un parti politique déjà constitué.

Christian Dargnat (à gauche) et Emmanuel Miquel (à droite), respectivement président et trésorier

de l'association de financement d'En Marche! en 2016-2017.


Dès le printemps 2016, comme l’ont révélé les MacronLeaks (1), l’équipe de campagne du candidat d’En Marche s’active sur tous les fronts pour récolter les 22 millions d’euros nécessaires à la campagne électorale (2). Au sein d’En Marche (officiellement créé le 6 avril 2016), une équipe de "fundraising" est chargée d’organiser une série d’événements avec des "gros donateurs" (3), sous la houlette de Christian Dargnat, l'ancien patron de la branche gestion d'actifs de la BNP, devenu président de l’association de financement d’En Marche, surnommé au sein de l’équipe de campagne de Macron « l’homme du coffre-fort » (4). « Pendant des mois », écrivait Mediapart en mai 2017, Christian Dargnat « a multiplié les rendez-vous discrets, les dîners confidentiels et les mails de relance pour les riches donateurs, en plein accord avec l'actuel locataire de l'Élysée. »

Selon le site frustrationmagazine.fr (5), « les gros donateurs ont agi par conscience de classe : ils étaient en droit d’espérer, pour quelques milliers d’euros lâchés et des dîners organisés, faire gagner un président attentif à leurs intérêts, leurs obsessions et leurs rêves ».


Tout en restant apparemment dans la légalité, « l'équipe Macron a "optimisé" la réglementation électorale », écrivait Julie Guesdon pour Radio France en mai 2019 (ICI), après que la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) ait rendu publics les fichiers de dons, cependant anonymisés (6). Contrairement au narratif macronien, qui vantait un financement populaire, Emmanuel Macron a reçu 2,4 millions d'euros de dons en provenance de l'étranger, soit 15 % de sa collecte totale ; et 1,8 million émane de donateurs aisés (264 dons supérieurs à 4.000 euros). « Tout au long de la campagne », écrit Julie Guesdon, « l'équipe d'Emmanuel Macron a noyé dans un brouillard de chiffres sa dépendance aux donateurs fortunés. (…) [Au 18 novembre 2016], sur les 3,6 millions d'euros qu'il a levés, les deux tiers (2,2 millions) lui ont été donnés par 300 personnes. Dans les premiers mois de la campagne, le candidat est totalement dépendant des généreux contributeurs de sa campagne : banquiers d'affaires, gestionnaires de fonds, avocats, entrepreneurs du web… »

Certains de ces "gros donateurs" ont pu verser à deux reprises (en 2016 puis 2017), voire à quatre reprises (séparément au parti En Marche, et à l’association de financement de la campagne), et même à huit reprises (dans le cas de couples), faisant ainsi exploser, mais en toute légalité, les montants de dons théoriquement autorisés (et fiscalement déductibles à hauteur de 66%).


Supputations qataries


Certes, en février 2018, la Commission des comptes de campagne a globalement validé les comptes d’Emmanuel Macron. Sont-ils sincères pour autant ? Dans des propos recueillis par Le Monde et Mediapart, l’ex-rapporteur Jean-Guy de Chalvron évoquait une instance bien mal armée pour détecter les escroqueries les mieux ficelées (comme, par exemple, un « gros » candidat qui tenterait de camoufler des dépenses pour rester sous le plafond autorisé).


Emmanuel Macron et l'émir du Qatar, cheikh Tamim Al Thani, le 15 septembre 2017 à l’Élysée. Photo Ludovic Marin / AFP.


En 2018, plusieurs journalistes ont enquêté sur un possible financement (évidemment totalement illicite) de la campagne électorale de Macron par le Qatar, dont il avait reçu à l’Élysée, sitôt élu, en septembre 2017, l’émir, cheikh Tamim Al Thani, demandant à cette occasion la levée "le plus rapidement possible" des "mesures d'embargo affectant les populations du Qatar". Était-ce un "retour sur investissement" ?


Mais comment diable le Qatar aurait-il pu, ni vu ni connu, participer au financement de la campagne électorale d’Emmanuel Macron ? Le plus simplement du monde.

D’abord, en utilisant d’insoupçonnables "intermédiaires". Les personnes qui ont analysé les comptes de campagne du candidat d’En Marche et les ont comparés avec des éléments contenus dans les MacronLeaks se sont ainsi interrogés sur deux dons, pour un montant total de 12.100 €, effectués le même jour (25 janvier 2017) depuis Tirana, la capitale albanaise, ou encore sur une vingtaine de dons versés peu ou prou à la même date depuis… le Liban (7). Début janvier 2017, lors d'une réunion au QG d’En Marche, réduite à cinq participants, les fidèles d’Emmanuel Macron ouvrent la discussion sur un point « spécifique » : précisément ces donateurs. « Problème traité (identifié) », notent-ils dans leur compte-rendu.


Ensuite, en faisant voyager incognito des valises de billets qui auraient pu permettre de rémunérer directement en cash certains collaborateurs ou prestataires de la campagne, sans la moindre trace comptable. En mars 2017, l’équipe de campagne de Macron réserve ainsi au dernier moment un aller-retour express pour Doha. Dans les MacronLeaks, le nom du voyageur n’est pas indiqué. Selon un informateur qui a demandé l’anonymat, il pourrait s’agir d’Alexandre Benalla, alors "garde du corps" d’Emmanuel Macron, confident parmi les confidents, ultérieurement protégé à l’Élysée par le secret défense. Et s’il y a eu "reçu" de cette éventuelle transaction, peut-être se trouve-t-il dans un fameux coffre-fort qui, mystérieusement, n’a jamais été retrouvé.


En l’état, faute de la moindre preuve, il ne s’agit là que de supputations.


Qui aurait pu mettre en relation l’équipe de campagne de Macron avec le Qatar ? Selon un second informateur, qui a travaillé un temps dans l'entourage d'Emmanuel Macron et qui demande lui aussi l’anonymat, il pourrait s’agir de Renaud Dutreil, ex-ministre de Jacques Chirac, qui a gardé d’excellentes relations au Qatar depuis la visite qu’il y fit du 4 au 7 mai 2003, en tant que Secrétaire d'État aux P.M.E., au commerce, à l'artisanat, aux professions libérales et à la Consommation. Ce voyage avait un double objet : accompagner 80 personnes représentant une cinquantaine de P.M.E. françaises dans le cadre de la rencontre annuelle du club d'Affaires franco-qatarien, et préparer, notamment, l'entretien que devaient avoir ensuite à Paris Jacques Chirac et l'émir Cheikh Hamad ben Khalifa.


Photo ci-contre : Renaud Dutreil, alors Secrétaire d'Etat aux P.M.E., au commerce, à l'artisanat, aux professions libérales et à la Consommation, en compagnie de Cheikh Nawaf Bin Nasser Al THANI, co-président du Club d'Affaires franco-qatarien, à Doha, en mai 2003.


Là encore, pour l’heure, ce ne sont que pures supputations dénuées du moindre élément de preuve.


Mais au fait, que vient faire Renaud Dutreil dans cette histoire ? Curieusement, dans la plus fouillée des enquêtes journalistiques sur le financement de la campagne d’Emmanuel Macron, réalisée en mai 2017 par Antton Rouget, Mathilde Mathieu, Mathieu Magnaudeix et Martine Orange pour Mediapart ("Les secrets d’une levée de fonds hors norme", ICI), son nom n’apparaît même pas. C’est que Renaud Dutreil a surtout payé… de sa personne.

Renaud Dutreil. Photo Sipa Press


Fils d’un entrepreneur lyonnais, Renaud Dutreil est un type brillant, sorti second de l’ENA en 1989, qui a commencé sa carrière comme auditeur au Conseil d'État en 1989, avant d’y devenir maître des requêtes puis commissaire du gouvernement. En 1994, il devient député de l’Aisne (où il n’a pas laissé un souvenir impérissable), à la faveur du décès d’André Rossi dont il était le suppléant. Quelques années plus tard, au début des années 2000, proche de Jacques Chirac, il appartient aux figures montantes de la droite. En 2002, il devient Secrétaire d'État aux PME, au Commerce, à l'Artisanat, aux Professions libérales et à la Consommation, puis ministre de la Fonction publique et de la Réforme de l'État du 30 mars 2004 au 31 mai 2005, puis à nouveau ministre des PME, du Commerce, de l'Artisanat et des Professions libérales jusqu’en mai 2007.


Un an plus tard, après avoir échoué aux législatives à Reims, il se retire (officiellement) de la vie politique pour présider la filiale américaine du groupe LVMH, jusqu’en 2012. De fil en aiguille, cet ancien notable de province prend du galon dans l’univers du business, jusqu’à diriger, à partir de juillet 2017, French Legacy Group, un fonds d’investissement adossé à la banque suisse Mirabaud…


Alors qu’il était au gouvernement, en 2003, Renaud Dutreil, « bienfaiteur des riches », a donné son nom à un dispositif « très largement utilisé par les grandes fortunes », selon La Tribune : le « pacte Dutreil » (8).


A gauche, portrait de Renaud Dutreil (18 juin 2017) sur la page Facebook de « La droite avec Macron » (à droite). Captures d’écran.


En décembre 2016, il a été la première personnalité politique de droite à annoncer son ralliement à Emmanuel Macron, et à battre la campagne sous l’intitulé "La droite avec Macron". Si le site internet créé à cette occasion a été fermé depuis lors, un compte Facebook reste en revanche consultable (https://www.facebook.com/ladroiteavecmacron) . Absolument passionnant. Même si certaines publications ont été supprimées, on peut y suivre, quasiment au jour le jour, les ralliements que Renaud Dutreil parvient à réunir derrière le candidat d’En Marche.


Toujours en décembre 2016, Roland Dutreil est encore à la manœuvre lorsque le candidat Macron se rend à New York pour faire quelques conférences la journée et participer à quelques dîners de levée de fonds le soir. Mettant à profit son carnet d’adresse d’ancien PDG de LVMH États-Unis, Renaud Dutreil organise un dîner de collecte au restaurant Benoît, le très chic restaurant new-yorkais du chef Alain Ducasse. Le "poisson pilote" qui rameute les troupes de donateurs est Christian Déséglise, spécialiste pour la banque HSBC. Une trentaine de New-Yorkais ont été conviés à contribuer financièrement à En marche, selon un mail alors révélé par Libération.


Et McKinsey, alors ?


Chez ces gens-là, le culte de l’entre-soi est une seconde nature. De plus, si Macron se proclame déjà « ni de droite, ni de gauche », en matière de "levée de fonds", c’est quand même beaucoup plus facile à droite qu’à gauche. De ce point de vue, Renaud Dutreil fait figure de "gendre idéal".


Il est un autre domaine dans lequel Renaud Dutreil a été pionnier. Sous la présidence de Jacques Chirac, il a été l’un des premiers ministres à faire appel au cabinet américain McKinsey pour élaborer certaines réformes. Ce rapprochement a été facilité par un trentenaire, François-Daniel Migeon, Polytechnicien, ingénieur des Ponts et Chaussées, qui a commencé sa carrière à la Banque mondiale avant de devenir "associate partner" chez McKinsey & Company, de 1999 à avril 2004, tout en étant simultanément conseiller technique auprès de Renaud Dutreil. Déjà le mélange des genres. En novembre 2004, alors ministre de la Fonction publique et de la Réforme de l’État, Renaud Dutreil l’a fait nommer à 38 ans, par Nicolas Sarkozy, directeur de la Délégation à la modernisation de la gestion publique et des structures de l’État (DMGPSE). Tout un programme !


Père de huit enfants, fervent catholique, François-Daniel Migeon a baptisé son propre cabinet du nom de Saint Thomas More, l’auteur de Utopia (1516) : le "Thomas More Leadership Institute", où il enseigne le "leadership authentique". « La finalité d’une entreprise », déclare-t-il dans une vidéo postée par Famille chrétienne (ci-dessous), « c’est de rendre service : service à des clients qui achètent un service. C’est de servir des fournisseurs, une communauté humaine, ce n’est que du service à tous les étages ». Ça tombe bien : « Le Christ nous dit : "je suis venu pour servir." » Comment résister à de tels auspices ?

François-Daniel Migeon, fondateur du cabinet Thomas More Partners (conseil en développement du leadership),

auteur de Leader Authentique (éditions Eyrolles, 2017), ex-"associate partner" au cabinet McKinsey…

Nicolas Sarkozy lui a confié en 2007, sur proposition de Renaud Dutreil, la Direction générale de la Modernisation de l’État.


Emmanuel Macron n’a donc pas inventé la poudre. Le recours à des conseils privés de management et de consulting a commencé bien avant sa présidence. Mais sous son premier quinquennat, ce phénomène a pris une ampleur inédite, comme s’en est émue la commission d’enquête du Sénat qui a produit, en mars 2022, un rapport de 385 pages sur "l’influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques" (PDF intégral ci-dessous).

rapport sur l'influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publi
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Dans leur rapport, les sénateurs de la commission d’enquête s’étonnent notamment de ce que le cabinet McKinsey ait pu, en France, dégager d’importants bénéfices, sans s’acquitter du moindre impôt, entre 2011 et 2020, alors que « son chiffre d’affaires sur le territoire national atteint 329 millions d’euros, dont environ 5% dans le secteur public, et qu’il y emploie environ 600 salariés » (extrait du rapport sénatorial en PDF ci-dessous).

Extrait rapport du Sénat sur cabinet McKinsey
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Karim Tadjeddine, directeur associé de Mc Kinsey France, lors de son audition par la commission d'enquête du Sénat, le 18 janvier 2022.


Mais, sauf le respect qui leur est dû, les sénateurs de la commission d’enquête ne sont pas allés au bout de leur investigation, et ils se sont laisser "entourlouper" par l’audition, le 18 janvier 2022, de Karim Tadjeddine, directeur associé de McKinsey France, où il dirigeait le l’activité secteur public du bureau parisien. Il est aujourd’hui suspecté de "faux témoignage" alors qu’il a fait sa déclaration devant la commission d’enquête du Sénat sous serment.


Emmanuel Macron et Karim Tadjeddine sont de vieilles connaissances. « Entre McKinsey et la Macronie », écrivait François Krug dans Le Monde du 5 février 2021, « l’histoire a commencé dès 2007. Emmanuel Macron n’est encore qu’un énarque parmi d’autres, un inspecteur des finances de 29 ans. Il devient rapporteur général adjoint de la commission Attali, chargée de proposer des réformes économiques à Nicolas Sarkozy. Le jeune inconnu impressionne la quarantaine de membres, tous grands patrons ou experts influents. Parmi eux, Eric Labaye, alors dirigeant de McKinsey en France, et Pierre Nanterme, son homologue d’Accenture. Les deux cabinets mettent quelques consultants à disposition de la commission, gratuitement. Dans le métier, cela s’appelle du "pro bono" ("pour le bien public") et c’est du classique. Des conseils à une ONG, une analyse de la conjoncture offerte à un think tank… Au nom de l’intérêt général, mais sans perdre de vue celui du cabinet. Dans le jargon interne de McKinsey, on parle aussi de "reputation building" ("construction de réputation"). Une démonstration de talents pas facturée, mais qui paie autrement. Dans l’ombre, les consultants turbinent. "On se réunissait le soir jusqu’à minuit dans une salle du Sénat avec Attali et Macron, se souvient un membre de la commission. Dans les sièges du public, il y avait trois ou quatre jeunes de McKinsey. Ils faisaient des simulations sur Excel. Normalement, les consultants n’avaient pas droit à la parole, mais leur chef était si brillant qu’on l’écoutait comme s’il était membre à part entière." Ce chef s’appelle Karim Tadjeddine. Il a 32 ans à l’époque. »


Jusque là, rien d’illégal. "Pro bono”, c’est “pro bono”, surtout à pas d'heure... .


Là où les choses se gâtent, c’est lorsqu’en 2016-2017, le cabinet McKinsey décide "d’investir" dans la campagne électorale du candidat Macron. Une quinzaine de consultants de McKinsey se pressent au QG de campagne d’En Marche. Avec quel statut ? Mystère et boule de gomme. La direction de la communication d’En Marche déclarait au Monde ne pas avoir fait appel à des cabinets de conseil en stratégie, « ni pour des missions facturées, car nous n’en avons pas les moyens, ni pour des missions "pro bono", car ce serait considéré comme un don d’une personne morale à un parti politique et c’est interdit par la loi ».


Aujourd’hui, comme l’a révélé une récente enquête de la cellule investigation de Radio France (ICI), « une ancienne du cabinet de conseil estime que “leur travail aurait dû être facturé et déclaré" ». Le Parquet national financier a ouvert en octobre 2022 une information judiciaire pour "tenue non-conforme de comptes de campagne" et "minoration d’éléments comptables" concernant les campagnes présidentielles d’Emmanuel Macron de 2017 et 2022. La justice cherche à savoir si McKinsey n’a pas fourni au candidat d’En Marche des prestations qui auraient dû être comptabilisées dans les comptes de campagne. Une autre information judiciaire a été ouverte pour "favoritisme" et "recel de favoritisme" pour déterminer si McKinsey n’a pas obtenu, en échange de ces prestations, des contrats publics de manière indue, une fois Emmanuel Macron au pouvoir. Et de nouvelles perquisitions ont eu lieu le 22 mars dernier dernier au domicile de Clarisse Magnin, directrice générale de McKinsey France et chez un ancien collaborateur du président de la République.


C’est une pratique courante chez McKinsey : nul besoin de facture pour se faire payer a posteriori. L’examen comptable de l’une des entités de McKinsey France éveille de forts soupçons. En 2016, avant l’élection d’Emmanuel Macron, le bilan de la SAS McKinsey & Company fait apparaître un actif net de 1,8 millions d’euros. En 2017, postérieurement à l’élection de Macron, ce même actif net passe à 8,6 millions d’euros, avant de bondir en 2018 à… 22 millions d’euros ! Inutile de chercher plus loin le coût de la prestation de service de McKinsey à la campagne d’Emmanuel Macron. Cela s’apparente à un véritable pacte de corruption.

(Précision : le graphique ci-dessus n'a pas été actualisé, car les comptes de 2020 n'ont été déposés qu'en... mars 2022. Pour 2020 l'actif net est de 21 millions d'euros (dont les 12 millions versés par l’État sur la gestion de la crise sanitaire, sans doute). Idem pour les comptes de 2021, déposés en juillet 2022. L'actif net en 2021 est de 19,5 millions d'euros. Joli bingo pour McKinsey)


Le plus extraordinaire est que, pour réaliser un tel chiffre d’affaires, la SAS McKinsey France ne déclare… aucun salarié. Cette SAS, en fait, est une coquille vide, présidée par un certain Mohamed Jalil Bensouda. Ce dernier est le fils de Mohamed Bensouda, un homme d'affaires marocain qui a fondé le groupe Holmarcom. (9)

Mohamed Jalil Bensouda, président de la SAS McKinsey France


Formé à HEC Lausanne, de 1992 à 1997, Mohamed Jalil Bensouda a ensuite été Corporate Director de la banque d’investissement marocaine Attijariwafabank (1999 à 2004) avant de rejoindre le cabinet McKinsey de 2006 à 2011, puis de 2016 à aujourd’hui, d’abord en tant que responsable du bureau de Casablanca, où il a été désigné pour diriger le développement du secteur de l’énergie en Afrique (il a notamment piloté le Plan Maroc Vert, préconisant le développement d’une agriculture intensive qui a fini par assécher les ressources hydrauliques du Maroc). Il réside aujourd’hui en France, à Divonne-les-Bains.


La SAS McKinsey France, a un associé unique… : McKinsey & Company, Inc. France. Si cette entité a bien une adresse française (90, avenue des Champs-Élysées, à Paris) son siège social est aux États-Unis, dans l’État du Delaware, considéré comme un paradis fiscal aux États-Unis. Ce que faisant, cette entité-là ne déclare aucun compte en France. Et donc, n’y paie aucun impôt. Or, McKinsey & Company, Inc. France facture des prestations de service plus ou moins fictives, en tout cas très largement abusives : ce sur quoi porte principalement l’enquête du Parquet national financier. Car si une telle pratique est légale, elle doit toutefois rester dans les limites de ce qu’on appelle, en termes comptables, un "prix de transfert". (10)


Mais il y plus grave encore que cette auto-exemption fiscale, plus grave même qu’une dissimulation dans les comptes de campagne d’Emmanuel Macron. En effet, il apparaît clairement, au regard de la législation française, que McKinsey est une entreprise étrangère. C’est d’ailleurs ainsi que McKinsey and Company Inc est déclarée en France au Registre du Commerce et des Sociétés : "société commerciale étrangère".


Une élection reste une élection : lorsque McKinsey "investit" dans la campagne électorale d’Emmanuel Macron, c’est sans garantie absolue d’être ultérieurement largement "remboursé" en contrats et missions ultérieurs. De facto, McKinsey a donc financé la campagne électorale d’Emmanuel Macron. Cerise sur le gâteau, les missions ultérieurement confiées au cabinet américain ont porté sur des éléments fondamentaux de la "souveraineté nationale" : éducation, santé et gestion de la crise sanitaire liée au COVID, réforme des retraites, etc. Cela porte un nom : prévarication. Mais dans tous les cas, le financement d’une campagne électorale par une entreprise étrangère est strictement prohibé.


« Si ce que vous dites est confirmé, c’est extrêmement grave », a confié aux humanités le député centriste Charles de Courson, par ailleurs magistrat à la Cour des comptes et spécialiste des conflits d’intérêts.

Eh bien voilà, c’est confirmé. Aux enquêteurs du Parquet national financier, et aux parlementaires, d’en tirer les conséquences.


Jean-Marc Adolphe

Photo en tête d'article : Emmanuel Macron. Photo AFP


NOTES

1. Les MacronLeaks sont une série de piratages informatiques qui ont eu lieu en avril et mai 2017, dans les semaines qui ont précédé l'élection présidentielle française de la même année. Les hackers ont réussi à pénétrer dans les systèmes informatiques de l'équipe de campagne d'Emmanuel Macron et ont volé des milliers de courriels et de documents confidentiels, qu'ils ont ensuite publiés en ligne. Les documents divulgués comprenaient des informations privées et confidentielles sur la campagne d'Emmanuel Macron, y compris des données de campagne, des stratégies de communication, des courriels personnels, ainsi que des documents liés aux financements et aux dons de campagne. Des enquêtes ont été menées par les autorités françaises et des experts en sécurité informatique pour déterminer l'origine des MacronLeaks. Les résultats ont suggéré que les hackers étaient liés à un groupe russe de piratage informatique connu sous le nom de "Fancy Bear" ou "APT28").


2. Limite des dépenses de campagne présidentielle. Le 10 septembre 2016, dans un mail issu des Macron Leaks, Christian Dargnat explique :"Quand on sait que les dépenses de campagne présidentielle sont limitées à 22 millions d’euros et que nous pourrions contracter un prêt bancaire (à hauteur de 9 millions) remboursé si le candidat dépasse le seuil des 5% aux élections, il nous reste donc à 'trouver' 13 millions. Si l’on arrondit à 10 millions le budget à trouver, il faut donc obtenir des dons de 1 333 personnes à 7 500 euros chacune." Entre mars 2016 et décembre 2017, le candidat d'En Marche a finalement récolté 15.994.076 euros.


3. Le maximum autorisé par la loi est de 7.500 € par personne et par an.


4. Selon Mediapart, « dans cette petite équipe soudée, on trouve Emmanuel Miquel, capital-risqueur chez Ardia et trésorier de la même association, mais aussi deux de ses anciens camarades de HEC : Stanislas Guerini, directeur de l’expérience client chez Elis; et Cédric O, un jeune directeur d'usine du groupe Safran, ancien du cabinet de Moscovici à Bercy. Cédric O, garçon discret qui fuit les médias, a endossé le costume de mandataire financier de la campagne, dont il est un des couteaux suisses les plus efficaces).


5. Frustration Magazine, qui se définit comme "le média de la lutte des classes", a été créé par le sociologue et essayiste Nicolas Framont, proche de la France insoumise.


6. Dans de nombreux pays (États-Unis, Royaume Uni, Allemagne…) les dons aux partis politiques sont publiés en ligne quasiment en temps réel et le nom des donateurs est rendu public. En France, malgré quelques tentatives à l'Assemblée nationale ces dernières années, les députés ont toujours refusé la transparence totale du financement politique.


7. En 2017, le Qatar a été l'un des premiers pays à offrir une aide financière et humanitaire au Liban après les inondations qui ont frappé le pays. Le Qatar a également été impliqué dans des projets de reconstruction et de développement au Liban, notamment dans les secteurs de l'agriculture, de l'énergie et de la construction. Les relations entre le Qatar et le Liban ont cependant été affectées par la crise diplomatique dans le Golfe qui a éclaté en 2017. L'Arabie Saoudite, les Émirats arabes unis, Bahreïn et l'Égypte ont rompu leurs relations diplomatiques avec le Qatar, l'accusant de soutenir des groupes terroristes. Le Liban a pris une position de neutralité dans cette crise.).


8. Le Pacte Dutreil, dispositif fiscal qui permet de faciliter la transmission d'entreprise, consiste en une réduction de 75% des droits de donation ou de succession sur les parts ou actions d'une entreprise non cotée, sous certaines conditions. En échange de cette réduction fiscale, le donateur ou le défunt doit s'engager à conserver les titres donnés ou transmis pendant une durée minimale de 2 ans pour les donations et de 4 ans pour les successions, et à respecter certaines autres obligations.


9. Holmarcom est l'un des principaux groupes d'entreprises privées du Maroc, fondé par Mohamed Bensouda en 1969. Le groupe est présent dans différents secteurs tels que l'agroalimentaire, l'industrie et les services. Le groupe est également impliqué dans le secteur de l'immobilier, à travers des sociétés telles que Alliances Développement Immobilier, qui construit des projets résidentiels, commerciaux et touristiques. Enfin, Holmarcom est impliqué dans le secteur financier à travers sa filiale Wafa Assurance, une compagnie d'assurance de premier plan au Maroc, et BMCE Bank of Africa, l'une des plus grandes banques du pays). Les Bensouda sont une famille marocaine très ancienne qui a donné de nombreux hauts fonctionnaires. L'actuel Trésorier Général du Royaume, Nourredine Bensouda, qui fut au Collège royal l'un des condisciples du roi Mohamed VI.


10. Le prix de transfert est le prix facturé pour les échanges de biens, de services ou de propriété intellectuelle entre des entreprises affiliées ou apparentées appartenant à un même groupe multinational. Le prix de transfert est important pour déterminer les bénéfices et les impôts de chaque entreprise impliquée dans ces transactions. Lorsqu'une entreprise vend des biens ou des services à une autre entreprise affiliée, elle doit facturer un prix équitable pour ces produits ou services, similaire à ce qu'elle facturerait à une entreprise non affiliée pour des produits ou services similaires. Si le prix facturé est considéré comme trop élevé ou trop bas, cela peut avoir des conséquences fiscales pour les entreprises impliquées et pour les gouvernements.

Les prix de transfert peuvent être utilisés pour déplacer les bénéfices d'une entreprise à une autre filiale du même groupe multinational, afin de minimiser les obligations fiscales dans certains pays. Les autorités fiscales surveillent donc de près les prix de transfert pour s'assurer que les entreprises ne transfèrent pas leurs bénéfices vers des juridictions à faible imposition pour échapper à l'impôt. Les règles et les exigences en matière de prix de transfert varient selon les pays et les juridictions. Cependant, dans l'ensemble, les entreprises sont tenues de respecter les règles de l'OCDE en matière de prix de transfert et de fournir des informations claires et précises sur les transactions entre les entreprises affiliées.


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