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Quel pardon ? Le pape et les peuples autochtones du Canada

Dernière mise à jour : 29 juil. 2022



Au Canada, jusqu’au 29 juillet, le pape François est en voyage «pénitentiel». Il y a de quoi, en effet, demander pardon aux peuples autochtones pour l’acculturation qui leur fut infligée dans une centaine de pensionnats catholiques où la «foi» se mâtinait d’odieux sévices. Mais alors même qu’elle fut l’instrument d’un colonialisme dévastateur, le pape ne remet pas en cause, en tant que telle, la "politique d’évangélisation" de l’Église.


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La « maison de Dieu » aura été, pour beaucoup, un enfer.

Au Canada, du XIXe siècle aux années 1990, quelque 150.000 enfants autochtones ont été enrôlés dans plus de 130 pensionnats majoritairement catholiques ont été coupés de leur culture et de leur spiritualité. Une dépossession d’identité assortie d’un règne systématique de violences, verbales, psychologiques, physiques voire sexuelles. Un système qualifié de "génocide culturel" par la Commission vérité et réconciliation (CVR), qui a publié, en 2015, un rapport documentant les violences commises dans ces établissements.

Après la découverte, en 2021, de centaines de sépultures anonymes près d'anciens pensionnats, le Premier ministre canadien, Justin Trudeau, avait reconnu la "faute du Canada", treize ans après les premières excuses officielles prononcées par son prédécesseur, le conservateur Stephen Harper.

C’est aujourd’hui au tour du pape François d’entreprendre un voyage « pénitentiel » au Canada. Le 25 juillet, à Edmonton (Alberta), dans un cimetière situé sur le territoire des quatre nations de Maskwacis, le pontife, évoquant les « disharmonies de notre histoire », a demandé « pardon pour la manière dont, malheureusement, de nombreux chrétiens ont soutenu la mentalité colonisatrice des puissances qui ont opprimé les peuples autochtones. »

Des membres de la Nation crie de Mosakahiken se recueillent, le 4 juin 2021, sur le site de l'ancien pensionnat autochtone de Kamloops (Colombie-Britannique, Canada), où les ossements de plusieurs centaines d'enfants ont été découverts. Photo Cole Burston / AFP


Mieux vaut tard que jamais, dira-t-on. Mais visiblement, le pape François n’a pas encore tout compris. Dans un discours, il a opposé deux manières d’évangéliser dans le cadre du « drame de la conquête » de l’Amérique. La première est celle qui contraint les populations locales à adopter la culture des colonisateurs. La seconde consiste, selon lui, à « inculturer » la foi chrétienne en lui donnant les traits des cultures des populations natives. En recourant aux langues locales, a-t-il affirmé, « les missionnaires authentiquement évangélisateurs (…) ont préservé dans de nombreuses parties du monde les langues et les cultures autochtones ». Ce qui, au Canada, fut loin d’être le cas, même si, dans le texte que nous publions-ci-dessous (issu de la page Facebook de René Ricard), l’histoire de ces pensionnats autochtones fut sensiblement différente entre Canada anglophone et Québec.

Quelles que soient les deux « options » proposées par le pape François, pourquoi vouloir à tout prix « évangéliser » des populations qui n’ont rien demandé à personne ? Comme l’écrit Jean-François Roussel, anthropologue à l’Institut des études religieuses de l’université de Montréal, dans une tribune publiée par Le Monde, « le programme annoncé pour la visite papale se déroule dans un cadre catholique qui ne semble pas prévoir d’espace pour que s’y expriment d’autres appartenances, pour qu’elles y soient même reconnues. À Maskwacis, première escale de ce pèlerinage, une femme autochtone vêtue de sa robe traditionnelle a rompu le protocole et longuement tancé le pape devant la foule, avant de se retirer dans un cri de douleur et de colère. Elle incarne ce retour à la spiritualité. (…) L’Autochtone qui a rompu avec le catholicisme et qui suit une autre tradition n’apparaît pas dans le script. Pourtant, la réconciliation espérée ne pourrait qu’inclure de fait et de droit l’autochtone non catholique et non chrétien, comme interlocuteur et partenaire. »

Murray Sinclair, ex- président de la Commission de vérité et réconciliation du Canada, estime que les excuses du pape François « présentent une faille immense en jetant le blâme des pensionnats pour Autochtones sur des individus membres de l’Église et non pas sur l’institution elle-même. C'était plus que l'œuvre de quelques mauvais acteurs, c'était un effort institutionnel concerté pour retirer les enfants de leurs familles et de leurs cultures, tout cela au nom de la suprématie chrétienne ». Il rappelle que « les dirigeants catholiques étaient animés par la doctrine de la découverte, un édit papal du 15e siècle, qui justifiait l'expansion coloniale en permettant aux Européens de s'approprier les terres autochtones. »

Pour beaucoup de celles et ceux qui connu la terrible expérience de ces pensionnats, la demande de pardon du pape ne suffira certainement pas à « réparer » de ce qu’ils ont subi. Il faut écouter, à la fin de cet article, le poignant témoignage d’Ogima Jimmy Papatie, 58 ans, ancien chef de la communauté de Kitcisakik, lui-même victime d’abus dans son enfance au pensionnat Saint-Marc près d’Amos, pour prendre la mesure d’une douleur à jamais incrustée au plus profond.


Jean-Marc Adolphe


Photo en tête d'article : Le pape François ajuste une coiffe traditionnelle qui lui a été remise après ses excuses aux autochtones pour le rôle de l'Église dans les pensionnats, lors d'une cérémonie à Maskwacis, en Alberta, dans le cadre de sa visite papale au Canada, le lundi 25 juillet 2022. Photo Nathan Denette/The Canadian Press via AP


« Tuer l’Indien au cœur de l’enfant »

Les pensionnats autochtones, deux mondes et deux histoires différentes.


"Après avoir commencé à déposséder les Premières Nations de vastes territoires dès la fin du 18ème siècle, le Haut-Canada (l’Ontario) ne tarde pas à procéder à leur assimilation. En vertu de «traités» – escroqueries serait un mot plus juste – par lesquels elles s’approprient à vil prix d’immenses étendues, d’immenses richesses, les autorités coloniales britanniques doivent pourvoir à l’instruction des enfants autochtones. La responsabilité de leur éducation fait partie intégrante des ententes et à cette fin les autorités doivent financer la construction d’écoles, le salaire des enseignants et un per capita pour chaque élève." (Goulet 2016)

Apparaissent ainsi dans le Canada anglais dès les années 1830 les premiers pensionnats (Mohawk Institute, Brantford, Ontario, 1831) qui relèveront du gouvernement canadien après la création de la Dominion of Canada en 1867. Le régime des pensionnats autochtones, dont le fonctionnement de la plupart sera assuré par la collaboration de différentes Églises (anglicane, baptiste, catholique, mennonite, méthodiste, presbytérienne et unie) durera jusque dans les années 1990 (Gordon Indian Residential School, Punnichy, Saskatchewan, 1996). Ce sont 139 pensionnats qui ont officiellement été répertoriés par le Canada, dont 12 au Québec, où 4 seulement auront été francophones : Fort George (aujourd’hui Chisasibi, 1930 à 1980, francophone à compter de 1967), Sept-Îles (Malioténam, 1952 à 1971), Amos (Saint-Marc-de-Figuery, 1955 à 1973) et Pointe-Bleue (Mashteuiatsh, 1960 à 1973). Notons que le La Tuque Indian Residential School qui opéra de 1963 à 1978 était une école anglicane anglophone qui passa sous administration fédérale non confessionnelle à compter de 1969. Il ne s’y donna un enseignement en français que dans ses toutes dernières années d’opération. En fin de compte, plus de 150.000 enfants autochtones (Bousquet 2018) auront fréquenté les pensionnats au Canada, dont environ 5.000 dans les pensionnats francophones du Québec.

Durant une centaine d’années, il n’y eut donc pas de pensionnats autochtones au Québec, son territoire n’ayant pas fait l’objet de traités avec les Premières Nations. La situation change à compter de 1920 lorsque la loi fédérale sur les Indiens rend l’école obligatoire pour tous les enfants autochtones de 7 à 15 ans. Les quatre pensionnats catholiques et francophones du Québec s’implantent tardivement et durent peu. Ils sont tous les quatre administrés par les pères oblats de Marie-Immaculée dont le mandat explicite dès 1841 est d’œuvrer auprès des citoyens les plus pauvres, notamment les Autochtones. Les oblats se présenteront bientôt «comme les seuls derniers défenseurs du mode de vie traditionnel des Indiens». À cet égard, ils seront continuellement en porte-à-faux avec l’administration fédérale canadienne qui, elle, prône l’assimilation pure et simple de tous les Autochtones dans les meilleurs délais.

Voyons ce que l’on peut trouver à propos de la mission des oblats dans le récent ouvrage de l’historien Henri Goulet, Histoire des pensionnats indiens catholiques au Québec : "[…] leur travail se distingue des Églises protestantes qui, de leur côté, sont moins réticentes à l’idée de l’assimilation des Indiens à la société dominante canadienne anglaise, surtout à une époque où le «britannisme» domine dans le Dominion du Canada. Les oblats cherchent plutôt à maintenir une certaine distance entre les Indiens et les Blancs. Ils considèrent que le contact entre les deux civilisations est néfaste pour les Indiens, d’où leur insistance pour obtenir des écoles et des hôpitaux confessionnels séparés.

Les pères missionnaires doivent apprendre les langues indiennes, ils doivent pouvoir transmettre leurs croyances religieuses dans les langues autochtones et, dans la mesure du possible, produire des manuels d’instruction dans leurs langues. Ainsi, on peut formuler l’hypothèse que les oblats, dans une moindre mesure que les Églises protestantes et anglophones, se montrent toujours plus réticents au projet d’assimilation des Indiens à la culture dominante tel que l’envisage le département des Affaires indiennes. Nous laisserons donc à l’Indien l’usage de sa langue maternelle ; nous l’encouragerons à s’en servir. C’est un principe de droit naturel. C’est aussi une force non négligeable pour le missionnaire qui sait s’en servir, pour l’éducation."


Des élèves de l'École Brocket, en Alberta, en 1930. Photo : Archives provinciales de l'Alberta.


Par contraste, comment s'y est pris ce régime d'assimilation au Canada anglais ? Il s'est agi simplement de tuer l'Indien au cœur de l'enfant (to «kill the Indian in the child», expression empruntée par l’administration canadienne à un officier militaire étatsunien). Voyons comment s’exprimait encore en 1907 le chef des missions de la Methodist Mission Society de l’Église méthodiste du Manitoba: «Cette race misérable est vouée à l’extinction, et la main de la Providence intervient afin de confier à des êtres plus méritants ce pays magnifique et fertile.»

Par force de loi même, on a donc séparé de leurs parents, tantôt violemment, les jeunes Autochtones, parfois dès l'âge de trois ans. Puis, dans ces pensionnats, on les a empêchés de parler leur langue. On les a empêchés de se référer à leur culture. Ils ont souvent été négligés, même abusés. Ils sont nombreux dans ces pensionnats à avoir subi des sévices physiques, sexuels ou psychologiques. Plusieurs sont morts dans ces pensionnats, certains dont la famille ne connaît même pas encore aujourd'hui le lieu de sépulture. Ce seraient plus de 4.300 enfants qui seraient morts dans les pensionnats autochtones des Canadas depuis 1831. Seulement pour les années 1867 à 1996, le rapport déposé en décembre 2015 par la Commission de vérité et de réconciliation du Canada fait état de 3.125 enfants qui sont morts de tuberculose, de malnutrition et d’autres maladies résultant de conditions de vie pitoyables… dont 38 (trente-huit) dans les douze pensionnats du Québec.

On notera par ailleurs que les présumées découvertes en mai et en juin 2021 de dépouilles supplémentaires sur les sites des anciens pensionnats autochtones de Kamloops (1890-1977) et de Marieval (1898-1997) dans l’Ouest canadien n’ont toujours pas été vérifiées et pourraient s’avérer fausses selon ce que rapportait en janvier 2022 le journal The Dorchester Review. C'est ainsi que ces institutions britanniques puis canadiAn, dûment établies par une loi fédérale, ont décimé les familles autochtones du Canada et ont procédé à leur génocide culturel (ethnocide), selon l’accusation même, en 2015, de la juge en chef de la Cour suprême du Canada, Beverly McLachlin.


René Ricard


Un témoignage : Ogima Jimmy Papatie


La voix de Si Pih Ko

Elle s’appelle Si Pih Ko. C’est une femme Ogichidaa Kwe.

Et ce n’était pas prévu au protocole. Lundi à Maskwacis, à 70 kilomètres au sud d’Edmonton, là même où se tenait l’un des sinistres « pensionnats autochtones », elle a laissé éclater sa couleur et sa douleur, alors que le pape revêtait une coiffure amérindienne, après qu’il ait demandé pardon aux peuples autochtones.

D'abord, elle a dit au pape d'enlever la coiffure, avant de chanter une chanson de prière, une chanson qui parle de l’espace sacré des étoiles auquel nous sommes connectés. A la fin de la chanson, elle a quelque chose comme : prenez vos hommes et rentrez chez vous et réparez les torts du passé... elle dit aussi que la terre était propre et pure avant que les colonisateurs et l'église n'arrivent. Elle demande enfin que le pape dénonce la doctrine de la découverte.

k ītas ōnam ākiyik kekway kak ī-kisk ītam īk (vous devriez savoir mieux que d'accorder/partager quelque chose)

niyan ān k īci-okam āskwesis (nous sommes la royauté)

ik ī-k īcitip īthimisow āk (nous étions souverains / nous avons fait nos propres lois)

m ōtha kohtak ōta kak ī-p īcik ātew owathasowewin (il ne peut pas y avoir d'autre loi ici)

kek ā k īci-wathasowewin (ce n'est pas la grande/vrai loi)

k ī-nawas ōn āwak k īci-okim āwak (les grands dirigeants ont été sélectionnés)

kawathasowestam āsow āk (pour que nous puissions faire nos propres lois / être souverain)



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