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Racines sonores et résistances aïnoues

Dernière mise à jour : 8 juil.


Oki, à la Maison de la Culture du Japon à Paris. Photo Maciej Komorowski


Vingt ans après leur dernier passage à Paris, le duo Oki et Repko a électrisé la Maison de la culture du Japon dans un concert rare, vibrant d’héritage autochtone et de modernité sonore. Au cœur d’un été consacré aux Aïnous, cette performance musicale, soutenue par des projections et une exposition, a offert un voyage sensible entre traditions rituelles, engagement culturel et échos contemporains.


Dans le cadre de sa programmation estivale consacrée aux Aïnous, peuple autochtone du nord du Japon ayant ses propres langue(s) et traditions, la Maison de la culture du Japon a présenté un concert du duo, sur scène et à la ville, Oki et Repko qui ne s’était pas produit à Paris depuis vingt ans.

 

Avant cet événement musical, le programmateur maison a fait projeter plusieurs films : Danse traditionnelle des Aïnous et ainupuri (deux courts métrages montrés en boucle), Iyomante, Cérémonie de l’esprit ours (1977), un documentaire de Tadayoshi Himeda sur l’Iyomante, le rituel de sacrifice de l’ours, Ainu Mosir (2020), une fiction de Takeshi Fukunaga avec Oki, Ainu Puri (2024), du même auteur basé à New York, accompagné d’une musique d’Oki, Ainu Neno An Ainu (2021) de Laura Liverani et Neo Sora, dans lequel figure également le musicien. Jusqu’au 31 juillet 2025 se tient une intéressante exposition en accès libre, La Résilience du corbeau, avec des photographies de Lorraine Turci.


Dans une conférence donnée à la MCJP, Taku Osaka, responsable scientifique au Musée de Hokkaido, a apporté des précisions sur la vie ou plutôt la survie du peuple ainou dans plusieurs zones géographiques, certaines bordant la Russie : Hokkaido, ex-Yeso, le Töhoku ou Emishi, Sakhaline, les îles Kouriles, la vallée de l'Amour. Et sur leur migration au cours de l’histoire, suivant les décisions du gouvernement central ou ses accords, à l’ère moderne, avec la Russie comme – celui de 1875 faisant l’obligation aux populations locales de choisir de s’établir au Japon ou en Russie, qui annonce les enjeux, décisions et divisions géopolitiques contemporains en Crimée et en Ukraine. Sur les effets de la colonisation par des Japonais venus du sud et de la politique de défrichement, les conflits entre Ainous et Wajins, les épidémies qui ont contribué à les décimer.


 

L’opérateur Lumière François-Constant Girel tourna en octobre 1897 à Yeso (cité rebaptisée depuis Hokkaido) les deux premiers films qui aient été consacrés aux Ainous : la vue Lumière n° 741, Les Aïnos à Yeso, I  (voir ci-dessus), une danse rituelle exécutée par quatre hommes barbus à l’allure de moujiks, vêtus de kimonos traditionnels aux motifs géométriques ou brodés et de jinbaoris, armés de sabres au cas où, alignés en demi-cercle et la vue n° 742, Les Aïnos à Yeso, II, une danse de femmes supervisée par un homme exerçant, dirait-on, la fonction de chorégraphe. Taku Osaka rappelle que l’opérateur de Louis Lumière qualifiait la première scène de « danse des guerriers ». Le chercheur penche pour un rituel d’offrande aux dieux, comme celui dédié à l’ours. Le port d’arme ayant été interdit aux Ainous au milieu d’u XVIIe siècle, les sabres sont décoratifs ou inoffensifs.


Taku Osaka note que les enfants à l’arrière-plan portent des kimonos japonais et que la construction des habitations avec des murs en planches de bois montre l’intégration de la culture nippone à Yéso. La cinédanse féminine présente huit femmes séparées en deux groupes s’accompagnant en frappant des mains et en chantant. Le film étant muet, il est difficile de connaître le contenu des paroles. Selon Girel, il s’agit d’une « danse des oiseaux », ce qui est fort possible puisqu’il existe encore aujourd’hui des danses inspirées par la grue, l’oie, l’hirondelle et des chansons imitant les chants d’oiseaux.  L’opérateur présageait qu’il prenait des « images d’un peuple en voie d’extinction », sous domination du gouvernement japonais, menacés de disparaître par la modernisation.

Oki et Rekpo. Photo Maciej Komorowski


Revenons à nos moutons : au concert Oki et Rekpo. Bordés de quatre cithares de six cordes, des tonkoris de divers gabarits, des instruments qu’on trouve à Sakhaline et dans une partie d’Hokkaidô. Par voie de conséquence, le cithariste produit des sonorités légèrement différentes. Le couple est soutenu par Takashi Nakajô, un bassiste efficace et stoïque et leur fiston Maraw, batteur hors pair en en gardant sous le coude pour un impressionnant solo en fin de soirée. Le duo de musiciens-chanteurs – Repko étant, qui plus est, danseuse – a réjoui deux heures durant le public d’habitués, d’abonnés de la MCJP, d’étudiants et auditeurs libres de l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco) accourus en grand nombre.


Oki a le double mérite d’avoir électrifié ses tonkoris pour mieux électriser son public. Les rythmes rappellent ceux d’autres peuples, d’Afrique et d’Asie centrale. La décision prise par Oki rappelle celle du groupe Yat-Kha d’Albert Kuvezin, issu de la république de Touva, que nous avions vu à l’œuvre en août 2001, accompagnant le chef-d'œuvre de Vsevolod Poudovkine, Potomok Tchingis-Khana / Tempête sur l'Asie (1928), film tourné en Mongolie, alors république soviétique. Pour justifier son choix instrumental, Oki cite le Moïse noir Marcus Mosiah Garvey : « Un peuple qui ne connaît pas son passé, ses origines et sa culture ressemble à un arbre sans racines ». Ceci dit, le résultat s’inscrit dans la vogue, la mode, le courant dit de la World Music, avec des traces de reggae, de rock progressif et de jazz-rock.


Le programme était composé d’une quinzaine de morceaux : topattumi, ayoro kotan, hekuri sarari, sat cep, kay kay as to, hesikurkatana tana, konkon, ankisma kaa ka, muyso ka, honkaya, yaykatekara, yaykatekara, kane ren ren, sakhalin rock. Le son des instruments était ample, peu déformé malgré les décibels, légèrement réverbéré, mais sans aucun autre effet électronique. Le répertoire est divers et varié, qui va de la poésie lettriste à base d’onomatopées comme dans les joutes verbales en fin de récital kathak, des jeux de société et d’enfants destinés à occuper les soirées d’hiver et autres veillées. Le travail choral est remarquable ; Repko est gracieuse dans sa gestuelle ; tous deux maîtrisent ce qu’il faut la guimbarde ou mukkuri ; Oki alterne arpèges et accords énergiques. Il va sans dire que le quatuor a été longuement rappelé et a gratifié l’audience d’un bonus.


Nicolas Villodre


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