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"Vierges sous serment" en Albanie, et au Kenya, le village matriarcal d'Umoja

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Judia, 19 ans, est arrivée dans le village d'Umoja il y a six ans, après avoir fui son domicile pour éviter d'être vendue comme épouse.

Photo Georgina Goodwin / The Observer

Depuis trente-cinq ans, au nord du Kenya, Umoja est un village interdit aux hommes, fondé par des femmes samburu victimes de violences sexuelles et conjugales. Né comme un refuge, il est devenu un symbole d’émancipation contre un patriarcat oppressif. D'autres sociétés matriarcales existent dans le monde, et certaines résistances féminines prennent des formes singulières, comme en Albanie où les burrnesha, "vierges sous serment", renoncent à leur identité féminine pour accéder aux libertés réservées aux hommes. Avec, en prime, un petit "tour du jour en 80 mondes" qui passe par l'Eswatini, la République Centrafricaine, les bidonvilles de Nairobi et la Corée du Sud.


Au Kenya, le village interdit aux hommes


Au Kenya, depuis 35 ans, un village unique en son genre est interdit aux hommes. Umoja, qui signifie « unité » en swahili, est un havre exclusivement féminin où environ la moitié de la population locale vit désormais en paix, loin des violences sexistes qu’elles ont trop souvent subies ailleurs. Cette communauté, largement méconnue, a été racontée en 2023 dans un documentaire d’Arte (voir ci-dessous) qui éclaire l’histoire de ces femmes samburu. Elles expliquent pourquoi elles ont choisi ce mode de vie : non par haine des hommes, mais pour échapper à un patriarcat oppressif où règnent la violence conjugale et les abus sexuels – souvent ordonnés comme norme sociale. Une des habitantes témoigne : « Les hommes de notre peuple sont violents, c’est pourquoi nous ne vivons qu’entre femmes. Les veuves et les femmes répudiées viennent se réfugier ici. »


Dans cette société où les hommes mangent en premier et peuvent battre leurs épouses sans contrainte, les femmes se battent pour leur liberté. Umoja devient ainsi une forme de révolte contre les féminicides et un refus clair de la banalisation des violences sexistes. Le village lutte aussi contre des pratiques comme l’excision, un fléau qui frappe durablement dans certaines traditions kényanes.

 

Mais ce village a aussi une histoire qui n’est pas seulement celle des « traditions kényanes »…   De 1970 à 2003, des centaines de femmes du peuple Samburu (communauté semi-nomade vivant principalement dans le nord du Kenya, autour du lac Turkana et dans la région de Samburu) ont été violées par des soldats britanniques dans le nord du Kenya. Accusées d'avoir apporté la honte sur leur communauté, nombre d'entre elles ont été répudiées par leur mari et bannies de leur village. En 1990, une poignée d'entre elles s'unit et fonde le village d'Umoja, qui signifie « unité » en Kiswahili. Certains appellent aussi ces femmes les Tumaï, ou « espoir de vie ».

 

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Seita Lengima, 68 ans, l'une des villageoises d'Umoja. Photo Georgina Goodwin / The Observer


À Umoja, l’objectif est de reconstruire un espace sûr, uniquement entre femmes, loin du modèle patriarcal dominant. La matriarche du village, élue démocratiquement, s’appelle Rebecca Samaria Lolosoli, née en 1965. Excisée à 15 ans, elle a été vendue pour 17 vaches et mariée de force à un homme d'affaires officiel kényan alors qu'elle n'avait que 18 ans. En 1991, elle s'enfuit de chez elle et crée le village d'Umoja avec l'aide de 15 autres femmes violentées. Depuis, elle a présidé de 1995 à 2005 la Maendeleo Ya Wanawake Organization (MYWO), organisation de femmes bénévoles à but non lucratif, qui a pour mission d'améliorer la qualité de vie des communautés rurales en particulier celle des femmes et de la jeunesse kényane. En 2010, elle reçoit un "Global Leadership Award" pour son initiative dans la lutte pour le droit des femmes. La même année, la styliste Diane von Fürstenberg présente une collection de printemps inspirée de vêtements traditionnels du village d'Umoja. L’histoire de Rebecca Samaria Lolosoli a été racontée dans l’ouvrage Vital Voices: The Power of Women Leading Change Around the World (2012) écrit par l’Américaine Alyse Nelson.

 

Umoja compte actuellement 47 femmes et 200 enfants. Bien que les habitants vivent de manière extrêmement frugale, ces femmes et ces filles entreprenantes gagnent un revenu régulier qui leur permet de se nourrir, de s'habiller et de se loger. Les chefs du village gèrent un camping, situé à un kilomètre de là, au bord de la rivière, où séjournent des groupes de touristes en safari. Beaucoup de ces touristes, ainsi que d'autres personnes de passage dans les réserves naturelles voisines, visitent également Umoja. Les femmes demandent un droit d'entrée modique et espèrent que, une fois dans le village, les visiteurs achèteront les bijoux fabriqués par les femmes dans le centre d'artisanat. Les bijoux en perles ornés sont un élément important de la culture Samburu. Les filles reçoivent leur premier collier de leur père lors d'une cérémonie appelée « beading ». Le père choisit un « guerrier » plus âgé avec lequel sa fille contractera un mariage temporaire à ce moment-là. La grossesse est interdite, mais les contraceptifs ne sont pas disponibles. Si l'enfant tombe enceinte, elle est contrainte de se faire avorter par d'autres femmes du village.

 

L'une des caractéristiques uniques de la communauté d'Umoja est que certaines des résidentes les plus expérimentées forment et éduquent les femmes et les filles des villages Samburu environnants sur des questions telles que le mariage précoce et les mutilations génitales féminines.



Nota Bene - il existe plusieurs exemples dans le monde de villages ou sociétés matriarcales, où les femmes occupent des rôles centraux dans la gouvernance, la transmission des biens et la vie sociale :

  • Les Moso (ou Na) en Chine, dans les montagnes du Yunnan, sont une des dernières sociétés matrilinéaires où les enfants portent le nom de la mère et où les femmes dirigent la famille. Elles pratiquent aussi un « mariage libre » où elles choisissent leurs partenaires nocturnes sans cohabitation permanente.

  • Les Minangkabau en Indonésie, la plus grande société matriarcale au monde, sont musulmans et transmettent les biens de mère en fille. Les hommes s’installent chez la famille de leur épouse et les femmes gèrent à la fois finances et décisions sociales.

  • Les Khasis en Inde, dans l’État du Meghalaya, perpétuent la tradition matrilinéaire et matrilocale avec transmission du nom et des biens par la lignée féminine.

  • Les Bijagos en Guinée-Bissau, où les femmes possèdent les terres, prennent les décisions quotidiennes et légales, laissant aux hommes le soin de subvenir aux besoins matériels.

  • Les Guayakis au Paraguay, où les femmes choisissent leurs partenaires et pratiquent la polygamie féminine pour des raisons liées à leur croyance sur la santé des enfants.


En Albanie, les burrnesha, vierges sous serment

 

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En Albanie, une tradition singulière perdure encore dans certaines régions : celle des "vierges sous serment" ou burrnesha. Ce serment consiste pour une femme à renoncer à jamais à son statut féminin, notamment au mariage et à la maternité, afin de jouir des libertés masculines dans une société patriarcale stricte. En devenant burrnesha, ces femmes peuvent porter des vêtements d’hommes, travailler, gérer des biens familiaux et participer pleinement à la vie sociale, ce qui leur est autrement interdit.


Cette pratique ancestrale est une réponse pragmatique aux contraintes écrasantes imposées par le Kanun, un code coutumier encore respecté dans le nord de l’Albanie. Ce code réserve aux hommes l’essentiel des droits civils et sociaux, cantonnant souvent les femmes à un rôle subordonné d’épouses et mères, sans accès à la propriété ou à la décision. Dans ce contexte, devenir "vierge sous serment" est une forme d’émancipation, bien qu’exigeant une chasteté absolue à vie et une rupture avec l’identité féminine.

 

La décision de prêter ce serment est parfois le choix personnel d’une femme en quête de liberté, mais peut aussi être une stratégie familiale pour pallier l’absence d’hommes dans une fratrie ou préserver l’honneur et la continuité économique d’un clan. En consacrant cette femme "homme social", la communauté lui reconnaît un statut unique, lui offrant des droits équivalents à ceux des hommes, jusqu’alors inaccessibles aux femmes.


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Créée en mai 2022 à Pristina (Kosovo), la pièce Burrnesha, mise en scène par Jeton Neziraj, mettait en lumière le phénomène social complexe des burrnesha, en le fusionnant avec des questions plus modernes de commercialisation et de consommation. Au Kosovo, on peut qualifier une fille de "burrnesha" si elle fait preuve de force, de courage et de détermination, toutes qualités supposées être l'apanage des hommes. La pièce était jouée par Tringa Hasani, Kushtrim Qerimi (dans un rôle de drag queen) et Semira Latifi, qui incarnait "Edith" : le nom de son personnage faisait référence à Edith Durham, anthropologue britannique qui a écrit des récits sur les coutumes, les traditions

et la société des hautes terres du nord de l'Albanie au début du XXe siècle. Photo See Stage

 

La situation des femmes en Albanie reste toutefois contrastée et fragile. Malgré les progrès en matière de droits civiques, l’héritage du patriarcat demeure fort. L’accès à l’éducation et à l’emploi progresse, mais la société reste marquée par des inégalités, violences domestiques et une forte pression sociale autour du mariage et des rôles traditionnels. Les burrnesha incarnent à la fois une résistance aux normes imposées et un signe des limites encore très présentes à l’émancipation féminine dans ce pays.



LE TOUR DU JOUR EN 80 MONDES


Eswatini : où sont passé les milliards de Trump ?

Le gouvernement d’Eswatini (anciennement appelée Swaziland, est un petit royaume enclavé d'Afrique australe, bordé par l'Afrique du Sud et le Mozambique) a confirmé avoir reçu 5,1 millions de dollars des États-Unis dans le cadre d’un accord controversé visant à accueillir sur son sol jusqu’à 160 ressortissants de pays tiers expulsés des États-Unis. Cet accord, signé en mai 2025 à Mbabane, la capitale, s’inscrit dans la politique migratoire restrictive menée par l’administration Trump, qui cherche à déporter des migrants vers des pays tiers africains. Le ministre des Finances d’Eswatini, Neal Rijkenberg, a reconnu avoir pris connaissance de cette transaction après coup, précisant que l’argent avait été versé sur le compte d’une agence nationale dédiée à la gestion des catastrophes. Ce flou autour de la destination finale des fonds et de la gestion des migrants soulève de nombreuses interrogations.

 

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Le drapeau de l'Eswatini


Une action en justice a été engagée en Eswatini pour contester la légalité et la constitutionnalité de cet arrangement secret. L’affaire révèle des enjeux éthiques majeurs, tant sur l’utilisation de l’aide financière que sur le traitement réservé aux migrants expulsés. Depuis juillet 2025, l’Eswatini a accueilli et incarcéré quinze hommes expulsés, originaires de plusieurs pays tels que Cuba, le Yémen, le Laos ou le Vietnam. Les autorités américaines qualifient ces personnes d’"étrangers criminels", condamnés pour des délits graves, mais leurs avocats contestent cette classification en affirmant qu’ils avaient purgé leurs peines bien avant leur arrestation par les services d’immigration américains.

 

À l’échelle africaine, l’Eswatini n’est pas un cas isolé : d’autres pays tels que le Soudan du Sud, le Ghana, le Rwanda ou encore l’Ouganda ont également signé de tels accords avec les États-Unis, tandis que certains, comme le Nigeria, ont refusé de s’y prêter.


République Centrafricaine : biodiversité en péril

La Basse-Lobaye, en République centrafricaine, est une réserve naturelle de près de 3 000 km², constituée en grande partie d’une forêt tropicale humide, véritable joyau de biodiversité. Située au cœur du bassin du Congo, cette région est surnommée le « poumon de l’Afrique » en raison de son rôle crucial dans la régulation du climat mondial : elle stocke le carbone, purifie l’air et protège une multitude d’espèces animales et végétales. Mais ce trésor naturel est aujourd’hui en grand danger face à plusieurs pressions environnementales majeures.

 

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Parmi les défis qui menacent la Basse-Lobaye figurent la déforestation accélérée, causée par l’exploitation minière illégale et la coupe de bois, ainsi que le changement climatique qui bouleverse les écosystèmes locaux. Les activités humaines, liées notamment à la pauvreté et à l’absence de mesures de protection rigoureuses, fragilisent cet espace vital. Ce recul forestier engendre une perte de biodiversité alarmante et compromet la capacité de la forêt à jouer son rôle régulateur essentiel sur le climat.

 

Face à cette crise, plusieurs projets de restauration et de gestion participative des paysages forestiers ont été lancés. Ces initiatives visent à restaurer les zones dégradées, lutter contre l’exploitation illégale, et reboiser les terrains pour préserver les écosystèmes. La République centrafricaine figure parmi les dix pays engagés dans des programmes internationaux tels que l’AFR100 et le Défi de Bonn, qui soutiennent la restauration de millions d’hectares de forêts pour assurer la sécurité alimentaire et améliorer les conditions de vie des populations locales.

 

L’agriculture urbaine dans les bidonvilles de Nairobii

Dans les quartiers informels de Nairobi, au Kenya, l’agriculture urbaine s’impose comme stratégie de survie, d’autonomisation et de résilience face aux crises alimentaires récurrentes. Jane Changawa, habitante d’un immeuble précaire du district de Kangware, cultive depuis trois ans un espace de 50 m² sur le toit de son bâtiment, transformé en ferme organique. Elle y fait pousser haricots verts, tomates, patates douces, épinards et chou kale, en alliant pratiques écologiques et astuces anti-nuisibles : plantation d’oignons parmi les choux pour repousser les insectes, utilisation d’urine de lapin diluée comme engrais naturel. La production nourrit en priorité la famille, le surplus générant un revenu modeste d’une quarantaine d’euros par mois, la moitié du salaire minimum kényan. Ces circuits courts profitent également aux vendeuses de rue…


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C’est grâce à l’Association kényane pour la promotion de l’agriculture urbaine (Awak), née pendant la pandémie de Covid-19, que Jane et d’autres femmes ont pu se former aux techniques adaptées au manque d’espace et de ressources. Jardins verticaux, réemploi de sacs usagés ou de vêtements comme contenants de cultures, récupération des eaux grises pour l’arrosage : à Nairobi, chaque centimètre est optimisé, chaque ressource réinventée. Aujourd’hui, plus de 15 000 femmes ont été accompagnées dans cette démarche par l’Awak, portant des initiatives souvent invisibilisées, mais essentielles face à l’urgence climatique et sociale dans les villes africaines. L’agriculture urbaine, depuis les jardins suspendus des toits kényans, incarne une transition nécessaire vers des systèmes alimentaires plus locaux, solidaires et résilients.

 

  • Photo :  Jane Changawa arrose ses plantes avec l’eau de pluie qu’elle récupère sur le toit de son immeuble du bidonville de Kawangware, à Nairobi, au Kenya, en novembre 2025. Photo Gaëlle Laleix / RFI


Corée du Sud : face à la "fièvre de l'éducation"

En Corée du Sud, une crise sociale sans précédent secoue la jeunesse : des centaines de milliers de jeunes, diplômés mais épuisés, arrêtent volontairement de travailler, déçus par des salaires faibles, une pression hiérarchique écrasante et un marché du travail extrêmement compétitif. Cette génération, appelée "N포 세대" (po sedae), renonce à de nombreux aspects de la vie comme le mariage, la parentalité et la stabilité professionnelle, face à un système considéré comme trop dur et inégalitaire.

 

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Leur situation est marquée par une forte hausse du chômage chez les jeunes, aggravée par la pandémie de Covid-19 et la raréfaction des offres d’emploi. Souvent, ces jeunes diplômés investissent de longues années dans la recherche de leur premier emploi, qu’ils perçoivent comme déterminant pour toute leur carrière. Mais faute de conditions décentes, beaucoup préfèrent délaisser le marché du travail, refusant de devenir des "esclaves" soumis à de lourdes heures supplémentaires et à des pratiques traditionnelles de vie d’entreprise, comme les repas sociaux obligatoires. Cette réalité s’accompagne d’un paradoxe lié à « la fièvre de l’éducation » : les familles dépensent des sommes considérables dans des cours privés pour assurer la réussite scolaire, tandis que les jeunes, surmenés et mentalement fragilisés, subissent un taux de suicide élevé, la première cause de mortalité chez les 10-39 ans. Les inégalités salariales restent aussi criantes, notamment entre hommes et femmes, ce qui alimente un climat social tendu et des conflits générationnels.


Compilation : Nadia Mevel, Dominique Vernis

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