Tissu associatif : l’autre « modèle social »
- Jean-Marc Adolphe

- 11 oct.
- 6 min de lecture

Pourquoi, ce samedi 11 octobre, le "nouveau" Premier ministre a-t-il choisi de rendre visite au commissariat de L’Hay-les-Roses plutôt qu’à la ressourcerie associative d’Arcueil ? Ce jour, pourtant : mobilisation nationale du mouvement associatif, affecté par des restrictions budgétaires sans précédent. La gauche devrait s’en saisir, mais on ne l’entend guère.
On est sauvés ! La France a un nouveau Premier ministre : la « renaissance » est « en marche ». On évitera d’ironiser sur la « nouveauté » d’une nomination qui laisse pantois : d’autres s’en sont déjà chargés. Charge à Sébastien Lecornu, animé d’un admirable sens du « devoir », de réaliser l’oracle de Jupiter, façon méthode Coué : « Je suis le meilleur. J’ai raison sur tout. Je m’obstinerai contre vents et marées à faire de la France cette « start-up nation » dont j’ai rêvé, quoi qu’il en coûte ».
Pour sa première visite « sur le terrain », Sébastien Lecornu a choisi de se rendre au commissariat de L’Hay-les-Roses, dans le Val-de-Marne (avant d’être lui-même, sans doute promptement « envoyé sur les roses ». Nul besoin d’être grand devin pour expliquer les raisons d’un tel déplacement, lorsqu’on sait que la circonscription de L’Hay-les-Roses est le fief électoral d’un député LR, Vincent Jeanbrun, qui s’est félicité de la reconduction de Lecornu à Matignon, affirmant que cela allait donner « une chance à la stabilité » du pays.
C’est une partie de billard à trois bandes : en s’affichant aux côtés d’un député LR chantre du consensus, Sébastien Lecornu adresse un subliminal « Prends ça dans les gencives » à l’adresse de Bruno Retailleau, apôtre d’une « rupture » d’avec la Macronie, qui n’a pas franchement fait florès au sein du groupe des Républicains à l’Assemblée nationale ; les parlementaires concernés craignant fortement de ne pas retrouver leur poste en cas de dissolution. Le grand stratège qui siège à l’Élysée a vite vu qu’il y avait là à fracturer une force politique qui ne pèse pas grand-chose, mais dont il a encore besoin pour maintenir (jusqu’à nouvelle censure ?) l’illusion d’un « socle commun »…
L’Hay-les-Roses, donc, mais aussi un commissariat. Encore une façon subliminale de monter au sieur Retailleau que ses idées et méthodes ne sont pas propriétaires exclusives de l’Intérieur du gouvernement. Certes, ce n’est pas la même circonscription, mais non moins de là, à Arcueil (où la députée de secteur, Sophie Taillé-Polian, membre fondatrice de Génération.s, siège au groupe Écologiste et Social à l’Assemblée nationale, où elle est également membre de la commission des affaires culturelles et de l’éducation), Sébastien Lecornu aurait pu se rendre à la Mine. Ce samedi 11 octobre, par exemple, à La Mine, il y a un atelier sérigraphie, un atelier couture, ou encore un « samedi sonore » « dans l’atmosphère chaleureuse et intimiste du Botanicalm Café ».
Au commissariat de L’Hay-les-Roses, l’ambiance sera peut-être également « chaleureuse et intimiste », mais ce n’est pas pareil. C’est quoi, au juste, La Mine ? Une ressourcerie, gérée par une association à but non lucratif porteuse d'un projet de Tiers-lieu dédié au réemploi et à l'innovation sociale (https://ressourcerie-la-mine.com/).
Des ressourceries et recycleries, il en était question ce matin sur France Inter, dans le journal de 10 h. Plus de la moitié de ces ressourceries et recycleries « dépendent des financements liés à l’insertion par l’activité économique, aujourd’hui menacés », écrit le Réseau Renaître (ICI). « L’autre moitié, même si elles autofinancent une partie de leurs activités, restent dépendantes de subventions publiques locales, elles aussi en forte baisse. À cela s’ajoute la vague de marchandisation qui fragilise depuis dix ans le modèle solidaire du réemploi ».

Carte de mobilisations du Mouvement associatif (capture d'écran)
Et ce n’est qu’un exemple parmi d’autres. L’ensemble du tissu associatif (solidarité, culture, sport, environnement, santé, éducation, etc.) est confronté à des réductions budgétaires sans précédent. Le Mouvement associatif, qui rassemble plus de 700 000 associations nationales, régionales et locales, a appelé à une grande journée de mobilisation ce 11 octobre. Là, « ça ne tient plus ! », écrit sa présidente, Claire Thoury :
« Nous sommes 20 millions de bénévoles, 1,8 million de salariés. Nous nous engageons dans nos associations pour permettre à 67 millions de Françaises et de Français d’accéder aux soins, au sport, à l’éducation, à la culture, aux droits. Nous permettons au plus grand nombre de partir en vacances, nous luttons contre la précarité, contre l’isolement, nous défendons l’environnement etc. Nous sommes partout et agissons dans tous les territoires, du premier au dernier kilomètre dans toutes les sphères du
quotidien.
Et pourtant, nous traversons une crise sans précédent.
Depuis plusieurs années, la situation du monde associatif se dégrade dangereusement, dans un silence assourdissant, malgré nos alertes répétées. Les besoins, quant à eux, ne cessent d’augmenter : 2,4 millions de personnes sont concernées par l’aide alimentaire ; 2159 enfants dorment à la rue, dont 503 ont moins de trois ans ; le taux de pauvreté qui augmente pour la première fois depuis 1996… Les exemples ne manquent malheureusement pas. Dans le même temps, les moyens diminuent. En 15 ans, la part des subventions a baissé de 41% dans le budget des associations et près d’un tiers déclare revoir les activités à la baisse pour survivre.
(…)
Affaiblir les associations n’a pas de sens. Elles sont des espaces puissants qui changent au quotidien la vie des gens. Elles offrent du pouvoir d’agir, construisent des solutions concrètes adaptées aux besoins des populations parce que directement pensées par elles. Elles renforcent les liens sociaux, donnent du sens, permettent de faire collectif, elles sont un remède à la crise démocratique que l’on traverse et méritent mieux que du mépris ou de la défiance. Notre tissu associatif est quelque chose de merveilleux, un bien commun qui nous rend fiers et qui ne doit pas être sacrifié par les coupes budgétaires. »
Le 1er avril dernier (peut-être était-ce un poisson ?), François Bayrou affirmait du bout des lèvres devant le Conseil économique, social et environnemental, troisième assemblée constitutionnelle de la République française, que les associations étaient « le tissu qui permet à la société de tenir ». Les mots, ça ne mange pas de pain. Le Béarnais avait alors promis de « traiter au mieux » les enjeux de financement mais, avait-il ajouté, « avec la contrainte du rééquilibrage des finances publiques ». Force est de constater que les associations, quand bien même elles permettraient « à la société de tenir », sont la dernière roue du carrosse macronien.
On a cherché, dans d’antérieures déclarations de Sébastien Lecornu, la moindre allusion au monde associatif : on n’a rien trouvé. Mieux vaut s’adresser à Dieu qu’à son moine-soldat. On a cherché du côté d’Emmanuel Macron : on n’a guère trouvé plus de grain à moudre, exception faite d’un « plan d’insertion professionnelle par le sport », annoncé en octobre 2023. Le sport, c’est bien. L’économie sociale et solidaire (ESS), c’est moins bien : ce n’est pas suffisamment « Choose France », même si ce « secteur » emploie plus de 2,3 millions de personnes. Reniant des engagements antérieurs, les crédits ministériels consacrés à l’ESS ont été revus à la baisse ou « stabilisés ». Selon David Cluzeau, président de l’UDES (Union des employeurs de l’économie sociale et solidaire), 186.000 emplois sont menacés à brève échéance (lire ICI). Une paille…
En mars 2024, nous alertions déjà sur cette « déglingue », prélude à une « désagrégation sociale » (ICI). Dans les nombreux commentaires qui accompagnent la rémission / reconduction de Sébastien Lecornu, on n’entend guère parler que de la réforme des retraites, qui serait le « point de blocage ». Contre les économistes d’obédience libérale qui prétendent que cette réforme est nécessaire pour « sauver » notre modèle social, c’est au nom de ce même modèle social que les opposants à la réforme réclament sa suspension ou son abrogation. Sur le tissu associatif, censé permettre « à la société de tenir », on n’entend pas grand-chose. Du côté de l’extrême-droite, ce n’est guère surprenant. Mais à gauche, les voix se font rares, tout autant. Être « à côté de la plaque », on ne saurait mieux dire… Même si La France insoumise, le Parti socialiste, Europe Écologie-Les Verts et le Parti communiste se sont solidarisés avec la journée de mobilisation du Mouvement associatif, cette « solidarité » reste pour le moins discrète (au niveau national). Peut-être faudrait-il à la gauche une « ressourcerie » d’un genre nouveau pour lui rappeler, précisément, quelles sont ses ressources.
Jean-Marc Adolphe
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