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L'Amazonie, plein les yeux (et pas seulement)

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Des œuvres de Paulo Desana, dans l'exposition Amazonia. Créations et futurs autochtones

au musée du quai Branly – Jacques Chirac. Photo Patrícia Moribe / RFI 


"Créations et futurs autochtones". Au musée du Quai Branly, à Paris, mais aussi aux Confluences à Lyon, deux expositions invitent à déconstruire la vision traditionaliste et exotique de la forêt amazonienne, en la présentant comme un monde vibrant, contemporain, pluriel et créatif.


Dans le cadre de la Saison France-Brésil 2025, et à quelques semaines de la prochaine COP30 au Brésil (à Belém, dans l’État du Pará, du 10 au 21 novembre 2025), le musée du quai Branly – Jacques Chirac, à Paris, présente jusqu'au 18 janvier 2026 l’exposition Amazonia. Créations et futurs autochtones qui invite, loin des clichés d’une nature figée et isolée, à découvrir une région habitée, pensée, racontée et constamment recréée par ceux qui y vivent.


Dans l'exposition Amazonia. Créations et futurs autochtones au musée du quai Branly – Jacques Chirac


Le parcours de l'exposition met en effet au centre la créativité et la vision du monde des peuples autochtones. Entre art, histoire et écologie, près de deux cents objets, venus des collections du musée et d’artistes contemporains, forment un vaste récit sensoriel où se mêlent arts matériels et arts immatériels : chants, musique, langues, peintures corporelles, savoirs traditionnels.


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L'anthropologue Leandro Varison, co-commissaire de l'exposition Amazonia. Créations et futurs autochtones,

devant des photographies prises par Iano Mac Yawalapiti dans le Xingu. Photo Patrícia Moribe / RFI


La première section, "Créer la forêt, habiter les mondes", évoque les mythes fondateurs des Iny Karaja ou des peuples du Rio Negro, où la création humaine naît de l’eau et du tonnerre. Plus loin, l’installation immersive du démiurge Kowai fait entendre la forêt elle-même, corps sonore et vivant. Dans la section "Fabriquer les humains"

’autres espaces dévoilent les arts plumassiers, la beauté rituelle des parures ou les urnes funéraires marajoaras, témoins d’un passé précolombien réinventé par le regard d'artistes contemporains.


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Brus Rubio Churay devant son tableau La invitación y llegada con fuerza


Les œuvres de Brus Rubio Churay ou de Clarisse Taulewali explorent la relation à l’autre et la fragile frontière entre le monde visible et celui des esprits. La sections suivante, "Connaître et explorer les mondes", met en miroir les savoirs autochtones et la science occidentale : observation de la nature, rêves, visions et transmissions tissent un modèle de connaissance équilibré où humains, animaux et plantes participent d’un même univers.


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Rember Yahuarcani, Cosmopolita


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Une œuvre de Joseca Mokahesi, 2011


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Uyra Sodoma, Florestas que dormem sob o asfalto, 2021


Enfin, "Multiplier les futurs" expose la puissance critique des artistes actuels, tels Rember Yahuarcani, Joseca Mokahesi ou la performeuse et activiste Uyra Sodoma. Leurs créations alertent notamment sur les menaces environnementales tout en célébrant la vitalité des cultures amazoniennes.


« L’Amazonie, un territoire que tout le monde connaît de nom, mais dont la réalité échappe souvent à la compréhension.… Comment sortir l’Amazonie du cadre réducteur de la nature sauvage et de la tradition, immuable, Dans lequel l’imaginaire occidental l'a confinée ? », écrivent dans le catalogue de l’exposition ses deux commissaires, l’anthropologue Leandro Varison et l’artiste, designer et militant des droits des autochtones brésiliens Denilson Baniwa. « Les récits scientifiques s’accordent d’une certaine façon avec les récits autochtones, dans le sens où ces derniers conçoivent la forêt non pas comme le domaine de la nature, mais plutôt comme un espace social. Même si les cultures autochtones d’Amazonie sont très diverses, elles partagent souvent une conception du monde dans lesquelles les humains, les plantes, les animaux et d’autres agents non humain ont la possibilité d’entretenir des relations sociales. »


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Serpent, de Denilson Baniwa, l'un des deux commissaires de l'exposition au musée du quai Branly.


« Contrepoint de la richesse, biologique, impressionnante de l’Amazonie, la richesse culturelle de cette région est tout aussi immense, bien qu’elle soit souvent méconnue », poursuivent les deux commissaires. « Une forêt vierge habitée par des "Indiens" : voilà la vision simpliste et stéréotypée à laquelle l’Amazonie est souvent réduite. Dans ce scénario, les "Indiens" sont un peuple générique et indifférencié, vivant, ou plutôt survivant, dans un environnement naturel, hostile, auquel ils auraient adapté leur mode de vie "traditionnel". Dépourvus d’histoire, isolés du monde et cantonnés à leurs tradition, ils vivraient en harmonie avec la nature, presque comme s’ils en faisait partie. Ils sont ainsi réduits, pour l’essentiel, au rôle de victimes du progrès prédateur et de la perte de leur culture "authentique". Dans cette exposition, nous souhaitons remplacer l’Indien imprécis par les autochtones réels. »


Entre objets usuels et créations d’art contemporain, outre le riche panorama d'oeuvres qui y sont présentées, l'exposition Amazonia. Créations et futurs autochtones est complétée par une série d'événements à venir courant novembre :


  • le 8 novembre à partir de 20 h, soirée cumbia, un genre musical et une danse traditionnelle apparus au XVIIe siècle sur la côte caraïbe de la Colombie, qui résulte d’un métissage entre les cultures africaines, amérindiennes et européennes. Au Pérou, la cumbia a donné naissance dans les années 1970 à la chicha, genre électrifié, influencé par le rock psychédélique et les sonorités andines. Pour l'occasion les platines de Captain Cumbia se mêleront aux Wembler's de Iquitos, un groupe légendaire originaire d'Iquitos, capitale de l’Amazonie péruvienne, qui a marqué toute une génération et a popularisé le genre au-delà du Pérou avec des classiques comme Sonido Amazónico et La Danza del Petrolero. Ci-dessous : Lamento selvatico (2021)


  • Le lendemain, 9 novembre, à partir de 17 h, place à un autre alliage inédit entre musiques autochtones et sons électro aux accents urbains avec DJ Mam, acteur majeur de la scène musicale brésilienne, le flûtiste et multi-instrumentiste virtuose Carlos Malta, la chanteuse et compositrice et militante du peuple Tikuna, Djuena Tikuna, dont les chants en langue tikuna conjuguent héritage ancestral et engagement politique (ci-dessous, clip Moeütchima patchorü No'e, 2024) et le chœur traditionnel Guarani Tenonderã (ci-dessous Pejukatu Xondaro'i, 2021)


  • Du 12 au 16 novembre, le musée du quai Branly proposera un cycle cinéma (voir ICI) avec une série de cinq long-métrages sélectionnés par Takumã Kuikuro. Cinéaste de renommée internationale, membre du peuple Kuikuro, ayant grandi dans le village d’Ipatse, au coeur du territoire autochtone du Xingu, il explore à travers ses films la culture, la mémoire et la vie des communautés autochtones du Brésil. Premier membre autochtone du jury du Festival de Brasília en 2019, il a fondé le premier festival brésilien consacré au cinéma et aux cultures autochtones, ainsi que le Collectif Kuikuro de Cinéma (Coletivo Kuikuro de Cinema). Parmi ses œuvres les plus reconnues figure As Hiper Mulheres (2011), coréalisé en 2011 avec Leonardo Sette et Carlos Fausto : craignant que sa femme âgée ne décède, un vieil homme demande à son neveu d'organiser le Jamurikumalu, le plus grand rituel féminin du Haut Xingu, afin qu'elle puisse chanter une dernière fois. Les femmes du groupe commencent les répétitions alors que la seule chanteuse qui connaît réellement toutes les chansons est gravement malade. Trailer ci-dessous.



  • Enfin, du 27 au 30 novembre, en partenariat avec le Festival d'automne à Paris, l'excellent Mapa Teatro, seule compagnie de théâtre colombienne à bénéficier d'une diffusion internationale, présentera Le vortex Nukak (La voràgine màs allà), performance mêlant récits, archives et installation visuelle, fruit d’une collaboration avec les Nukak, le "peuple qui marche", dernier peuple nomade de l’Amazonie colombienne. Le spectacle, qui s'inspire d'un roman de J.E. Rivera, La Vorágine (1924), dénonce notamment la violence contre les populations autochtones liée à l’exploitation du caoutchouc.


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Linogravure d’après l’art Nükak pour la projection du théâtre d’ombre © Javier Navarro


  • Amazonia. Créations et futurs autochtones, jusqu'au 18 janvier 2026 au musée du quai Branly – Jacques Chirac, à Paris. https://www.quaibranly.fr 


L'Amazonie s'expose aussi à Lyon


A Lyon, jusqu'au 8 février 2026 au musée des Confluences, l’exposition Amazonies plonge le visiteur au cœur des forêts tropicales d’Amérique du Sud en donnant la parole à ceux qui y vivent : les peuples ashaninka, mebêngôkre (kayapo) et wayana-apalaï. Pensée dans le cadre de la Saison France-Brésil 2025, elle renverse la perspective muséale traditionnelle : ce sont les communautés elles-mêmes qui ont sélectionné les objets, conçu les récits et défini la mise en scène, en collaboration étroite avec l’anthropologue Marie-Paule Imberti.


Le parcours se structure autour de trois « villages » immersifs. Chacun révèle un monde avec ses gestes, ses rituels et ses mythes. Chez les Kayapo se déploie l’art somptueux de la plumasserie, porteur d’une cosmologie où chaque ornement relie les humains aux puissances animales et spirituelles. Les Wayana et Apalaï exposent leur maîtrise du tissage et de la vannerie, où les paniers sont considérés comme des êtres vivants, à manier avec respect. Les Ashaninka, célèbres pour leurs tuniques teintes aux plantes, incarnent une autre alliance entre travail, nature et mémoire collective.


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Nhakti Kayapo peignant sa fille aînée (Mebêngôkre) © musée des Confluences – Serge Guiraud/Jabiru Prod


Au fil de plus de 220 objets – parures, outils, cartes rituelles, photographies, vidéos – l’exposition propose une vision animiste du monde : tout être, humain ou non humain, partage une intériorité commune et participe d’un ensemble interdépendant. Cette approche, inspirée des travaux de Philippe Descola, défie les catégories occidentales séparant nature et culture. Le parcours s’achève sur une carte satellitaire montrant la déforestation et les menaces qui pèsent sur ces peuples.


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