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Vladimir Poutine : tout va bien, façon méthode Coué

Dernière mise à jour : 28 sept.

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Vadimir Poutine lors du sommet avec Donald Trump à la base militaire Elmendorf-Richardson à Anchorage en Alaska,

le 15 août 2025 (vidéo AP / capture d'écran)


En Russie, tout va bien, foi du Kremlin. Stabilité, croissance, confiance dans le « modèle économique » : la propagande officielle ne lésine pas sur les superlatifs. Sauf que la réalité ressemble davantage à une cocotte-minute. Budget plombé par la guerre, pétrole sous pression, inflation galopante, rouble trop fort pour ses exportateurs, PME étranglées par de nouvelles taxes… les « tensions » que Moscou concède du bout des lèvres ressemblent en fait à un effondrement rampant. Mais chut, pas de panique : Vladimir Poutine a trouvé la martingale — une hausse de la TVA et la ponction directe dans la poche des contribuables. L’art de financer l’« opération spéciale » en Ukraine avec le portefeuille de ceux qu’on envoie déjà, au front, comme chair à canon.


François Bayrou aurait peut-être aimé prendre exemple sur la Roussie de Poutine : aux pays des ex-Soviets, le déficit budgétaire, estimé à plus de 60 milliards de dollars, représente 2,6 % du PIB (contre 5,4 % en 2025 pour la France). Il n'empêche, sur fond de sanctions occidentales et de coût de la guerre en Ukraine, ce déficit budgétaire a explosé en Russie, plaçant le pays au bord de la récession. Devant la tribune de l’ONU, mardi dernier, le businessman Donald Trump a évoqué les « gros problèmes économiques » de la Russie. Mais non, tout va bien madame la Marquise, a répondu en substance le Kremlin qui a vanté la « stabilité » de son modèle économique, tout en concédant « des tensions » dans plusieurs secteurs.


Des « tensions », c'est le moins qu'on puisse dire...

Premier souci : le pétrole russe, jadis trésor national, n’est plus le gagne-pain tranquille d’avant. Le prix moyen des exportations est bien en dessous des prévisions budgétaires.

Autre "tension" : le coût de la vie. L’inflation grimpe, particulièrement pour les biens de consommation courante – nourriture, carburant, etc. Officiellement, les augmentations salariales compensent, mais ce n’est pas la même chanson dans toutes les régions, ni pour tous les secteurs. Et les “tensions” dans les secteurs sociaux se multiplient quand les prix montent plus vite que les salaires pour beaucoup. Le prix de l’essence par exemple : les infrastructures pétrolières sont visées par des attaques, les raffineurs peinent à maintenir la production stable. Cela crée des pénuries locales de carburant et des stations-service sans essence dans certaines régions.

Enfin, le rouble s’est renforcé contre le dollar – ceci pourrait sembler bon signe, mais en réalité cela pèse sur les recettes fiscales liées aux exportations en dollars. Si le rouble est fort, les entreprises exportatrices gagnent moins quand elles convertissent, et l’État perçoit moins d’impôts “réels”.


Résultat de tout cela : les économies ne rentrent pas dans les cases du budget. Les dépenses militaires, elles, restent sacrosaintes. Le Kremlin continue à injecter dans l’effort de guerre, quitte à serrer la ceinture ailleurs. Et pendant ce temps, les secteurs non-militaires tirent la langue. Construction, industrie “civilisée”, PME : ralentissement, manque d’investissement, difficultés d’approvisionnement, coût du crédit élevé. Beaucoup ferment boutique ou réduisent leur activité. Cela fait beaucoup de petites fissures dans le parquet du “modèle stable”.


Après le pétrole, le contribuable : nouvelle ressource naturelle de Russie


Pas de souci, Vladimir Poutine a trouvé la parade. Vous pensiez que la guerre se payait avec du pétrole, des oligarques ou des crédits russes à perte ? Eh bien non — la dernière trouvaille du Kremlin, c’est le bon vieux contribuable russe. À compter du 1ᵉʳ janvier 2026, la TVA passe de 20 % à 22 %, pour « renflouer le budget »… et financer le conflit en Ukraine. L’État russe veut tirer 4,4 trillions de roubles (environ 45 milliards d'euros) sur ce nouveau levier durant les trois prochaines années. Les "biens essentiels" (nourriture, médicaments, produits pour enfants) resteront sous un taux réduit de 10 %. Cela sonne bien, mais tout le reste sera désormais surtaxé. Et ce n’est pas tout : pour les petits entrepreneurs, c’est l’hécatombe annoncée. Le plafond de chiffre d’affaires pour bénéficier du régime fiscal simplifié passe de 60 millions à 10 millions de roubles. En même temps, les charges sociales pour le commerce, la construction, entre autres, doublent. Résultat ? Beaucoup vont fermer boutique avant de s’étouffer dans le pseudo-« élan patriotique ».


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Une casquette lors d'une cérémonie commémorative en Bouriatie en l'honneur d'un militaire russe tué pendant la guerre en Ukraine,

le 5 mars 2022. Photo Alexander Garmayev / TASS / Profimedia


Le gouvernement russe affirme que l’inflation ne sera qu’un pic passager. Provisoire, comme devait l'être la mobilisation pour "l'opération militaire spéciale en Ukraine". En septembre 2022, Vladimir Poutine a décrété une « mobilisation partielle » et mobilisé des centaines de milliers d’hommes. Trois ans plus tard, aucun décret n’a entériné la fin officielle de cette mobilisation — pourtant, pour beaucoup de mobilisés, la guerre est devenue une condamnation à durée indéterminée. De leurs téléphones, dans des groupes privés, des soldats mobilisés partagent leurs états d’âme, rapporte Meduza en s'appuyant sur une enquête de Mediazona et BBC News Russian. L’un d’eux, ancien policier, raconte : « On nous a dit que l’on serait affectés à la garde de dépôts près de la frontière pour six mois. Et nous, ces imbéciles, on y a cru. Maintenant, je veux juste rentrer vivant. Je ne suis pas un patriote et je ne veux pas mourir pour prendre l’Ukraine. » Un autre mobilisé soupire : « Au départ, on nous disait trois mois — six mois max. Puis un an. Maintenant, la quatrième année approche, et on pense encore à la démobilisation — mais on y croit de moins en moins. »

 

Chair à canon, jusqu'à quand ?


Parmi ceux qui sont encore en vie, beaucoup ont été confrontés à un choix brutal : signer un contrat à durée indéterminée avec le ministère russe de la Défense, ou accepter d’être affecté à une mission d’assaut : « Ceux qui ne signaient pas étaient envoyés attaquer Malynivka — la plupart sont déjà morts. J’ai signé pour ne pas être jeté dans le hachoir à viande. » Il reste cependant des soldats qui refusent obstinément de céder : « On est cinq dans la brigade encore réfractaires. J’ai trois enfants et une mère de 70 ans — on me pousse à signer, mais je refuse. » Le raisonnement des soldats est brutalement pragmatique : « Le gouvernement a peur que tous ceux qui reviennent posent des questions. Mais ils reviendront de toute façon. »

 

À force de souffrir dans les tranchées, les mobilisés ressentent un fossé grandissant entre eux et les civils restés dans l’ombre : « Le pays, dans son ensemble, ne pourrait pas moins se soucier de notre sort… Ils ne savent même pas où se trouve le front », dit un soldat quand un autre confie : « Je n’ai plus d’amis civils — c’est comme une haine générale autour de nous. Ce n’est pas nous qui sommes devenus ainsi ; ils nous ont transformés. » Un ancien conducteur de minibus, avalant sa colère et sa douleur, résume ainsi : « Je me sens dans Hunger Games (1) — on nous a choisis et envoyés à l’abattoir, tandis que les autres restent chez eux à boire de la bière, à coucher, à ne rien faire. Ils s’en foutent. »


Officiellement, les mobilisés ne seront relâchés qu’une fois les « objectifs de guerre » atteints. Mais pour beaucoup, ces objectifs sont flous, irréalistes, ou déjà dépassés. Certains envisagent un conflit figé à long terme :

« Peut-être qu’on va dessiner une frontière sur le Dnipro et vivre dans un état de guerre perpétuelle ». D’autres, désabusés, ne voient plus de finalité noble : « J’ai 42 ans, j’avais une vie sereine — et j’ai tout perdu, y compris la santé. J’aimais mon pays, mais des gens comme nous sont considérés comme des jetables ».


Depuis la mobilisation partielle décrétée par Vladimir Poutine en septembre 2022, des milliers de Russes ont été envoyés sur le front en Ukraine. Trois ans plus tard, pour beaucoup, la promesse d’un engagement bref s’est muée en une guerre interminable et meurtrière : plus de 15.000 conscrits ont péri, souvent dès la première année. Sur les réseaux et dans les groupes de discussion privés, la lassitude et la colère dominent.


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Des femmes tiennent une photo du soldat russe Alexander Koltsov, tué en Ukraine.

Oulan-Oude, Bouriatie. 9 mai 2022. Photo AP / Scanpix / LETA


En Sibérie, la région d'Irkoutsk et la République de Bouriatie ont à elles seules fourni une bonne partie de ces "jetables" envoyés à l'abattoir. Trois ans plus tard, environ un tiers d'entre eux sont morts ou souffrent d'un handicap permanent. Selon les chiffres officiels, au moins 5.000 hommes de la région d'Irkoutsk et 4.000 de la République de Bouriatie ont été envoyés au front lors de la « mobilisation partielle » à l'automne 2022. Au cours des trois années qui ont suivi, au moins 1.178 d'entre eux ont été tués : 567 de la région d'Irkoutsk et 611 de Bouriatie. Et environ un tiers de tous les hommes mobilisés de la région sont morts ou sont devenus handicapés à vie. Le média indépendant People of Baikal s'est penché sur le sort de ces hommes.


Dans certains cas, les soldats blessés sont renvoyés chez eux, mais cela ne signifie pas pour autant que l'État reconnaîtra toujours leur handicap. L'enquête, dont Meduza publie un résumé en anglais (ICI), fait ainsi état du cas de Konstantin Alexandrov, qui a subi de multiples blessures à la tête, aux jambes et à l'abdomen. Les médecins lui ont retiré la rate lors d'une opération chirurgicale. Une commission médicale militaire l'a déclaré « partiellement apte » au service et l'a renvoyé chez lui. Lorsqu'il a demandé le statut d'invalidité et les prestations qui auraient dû l'accompagner, sa demande a été rejetée. « Les médecins lui ont dit que la rate n'était pas un organe vital, qu'il lui suffisait de faire un bilan sanguin une fois par mois. Mais son système immunitaire s'est effondré : il est constamment malade, souffrant de rhumes et de pneumonies. Il ne peut pas travailler correctement. Il fore des puits. Quand il combattait, l'État avait besoin de lui. Mais dès qu'il est devenu invalide, ils l'ont oublié », déclare sa mère. Konstantin Alexandrov a un fils de six ans, mais dès qu'il a été déclaré inapte au service, sa famille a perdu l'aide financière de l'État pour couvrir les frais de garde d'enfants. Il ne reçoit désormais que 5.000 roubles par mois (environ 60 euros) au titre des prestations d'ancien combattant.

Au moins un soldat mobilisé de la région s'est suicidé. Viktor Petrov était stationné à Louhansk, dans l'Ukraine occupée. Il a raconté à sa mère que la police militaire le frappait fréquemment, lui et d'autres soldats, pour ivresse. « Mon fils m'a dit qu'ils le frappaient avec un pistolet paralysant et des matraques, et qu'ils le suspendaient par les mains au plafond », se souvient sa mère. Lors d'une raclée, il s'est cassé les côtes.

Après avoir quitté l'hôpital, Petrov a été placé dans une caserne de la police militaire. De là, il a appelé sa mère et lui a demandé de l'argent. Le lendemain, son commandant a appelé pour lui dire que Petrov s'était pendu. Lorsque son corps a été ramené à la maison, sa mère n'a pas été autorisée à ouvrir le cercueil en zinc. Elle est convaincue que son fils ne s'est pas pendu, mais qu'il a été tué. Les enquêteurs ont ouvert une enquête pour « incitation au suicide », mais l'ont ensuite classée sans suite.


L'enquête de People of Baikal cite d'autres cas tout aussi édifiants. Et on s'étonne, de loin, que l'insubordination et l'émeute n'aient point encore saisi les rangs de la "grande armée russe". Peut-être cela couve-t-il au fond de la marmite ? Un jour ou l'autre, la révolte des "jetables", combinée à l'exaspération des "vaches à lait" que deviennent les modestes contribuables russes pour financer les oukases patriotico-militaires de leur psychopathe de président (2), pourrait bien conduire soulèvement. Pour l'heure, toute opposition étant sévèrement muselée, c'est de l'ordre du rêve : même pas le moindre "signal faible" à l'horizon. Mais il est souvent dans la nature des soulèvements d'être grandement imprévisibles.


Jean-Marc Adolphe


NOTES


(1). Série de romans dystopiques écrits par l’auteure américaine Suzanne Collins, publiée entre 2008 et 2010. L’histoire se déroule dans un futur totalitaire appelé Panem, divisé en districts soumis à l’autorité du Capitole. Chaque année, le Capitole organise les « Hunger Games », des jeux télévisés mortels où des adolescents doivent s’affronter jusqu’à la mort, sous l’œil d’une société fascinée et soumise à une propagande permanente.


(2). Vicente Garrido, criminologue espagnol, vient de publier en français Le psychopathe intégré (éditions Arpa), où il analyse la figure du psychopathe dans la société contemporaine et consacre notamment une partie à Vladimir Poutine. Garrido dresse le portrait de « psychopathe contrôlé », appliqué à Poutine : il évoque sa capacité à manipuler, agir avec discrétion et brutalité, et son absence de remords. Voir ICI.

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1 commentaire


Cette folie poutinienne devient dantesque! Un cauchemar de fou qui devient celui de milliers d'enfants, de femmes et d'hommes des deux côtés de la frontière, seule la "raison" du cauchemar diffère...! De plus, toutes ces dépenses engrangées dans l'armée ne sont pas des investissements et , donc le manque d' "outils" pour une société russe prospère vole en éclat, empire ou pas!

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