14 décembre. Jour d'élection, en direct du Chili
- Jean-Marc Adolphe

- il y a 6 heures
- 10 min de lecture

Gael Yeomans, porte-parole de Jeannette Jara, candidate de gauche à l'élection présidentielle au Chili. Photo DR
Avec Victoria Luz, notre jeune et nouvelle correspondante en Amérique latine, et en partenariat exclusif avec un média chilien qui nous ressemble, les humanités se transporte toute la journée et la soirée au Chili pour suivre l'élection présidentielle. En guise de hors d’œuvre à ce fil continu (premiers résultats à 23 h, et d'ici là brèves, articles, analyses inédites, enquêtes, entretiens...) : portrait de Gael Yeomans, la jeune directrice de campagne de Jeannette Jara, la candidate de gauche ; et entretien inédit en français avec Isabel Allende.
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L'IMAGE DU JOUR
En tête de publication. Gael Yeomans, 37 ans, est la porte-parole et directrice de campagne de Jeannette Jara, la candidate de gauche à l'élection présidentielle chilienne.
Née en 1988 à Rancagua (ville chilienne de la zone centrale, capitale de la province de Cachapoal et de la région du Libertador General Bernardo O’Higgins, située à une centaine de kilomètres au sud de Santiago, elle forme aujourd’hui une conurbation avec Machalí, au cœur d’une zone agricole et viticole marquée aussi par l’exploitation du cuivre), Gael Yeomans appartient à cette génération qui a fait irruption en politique par la rue plutôt que par les partis traditionnels. Avocate formée à l’Université du Chili, spécialisée en sécurité sociale, elle s’est imposée comme l’un des visages les plus solides de la gauche issue des mouvements étudiants et féministes. Passée par les Jeunesses communistes puis par des collectifs libertaires, Gael Yeomans participe à la fondation du Frente Amplio avant de devenir la première présidente de Convergencia Social, le parti de Gabriel Boric. Élue députée en 2017 dans un district de Santiago, elle représente les communes populaires du sud de la capitale et voit son score progresser nettement lors de sa réélection en 2021. Au Parlement, elle prend la tête des commissions du Travail puis des Finances, où elle défend des réformes en matière de retraites, de droits des salarié·es et d’égalité de genre. En 2025, elle franchit un cap en devenant cheffe de campagne de Gonzalo Winter, candidat du Frente Amplio à la présidentielle, confirmant son rôle de stratège clé du camp progressiste. Figure féministe assumée, héritière des mobilisations de l’« estallido social », Gael Yeomans incarne une gauche à la fois institutionnelle et de terrain, qui tente de transformer l’élan des rues de Santiago en majorité durable dans les urnes.
LE FAIT DU JOUR : LA MESSE N'EST PAS DITE
Au lendemain du premier tour de l'élection présidentielle au Chili, toute la presse française l'a rabâché sur tous les tons possibles et imaginables (sur la foi d'une dépêche AFP que des rédaction paresseuses qu'ont pas jugé utile de vérifier ?) : l'extrême droite est "aux portes du pouvoir". A contre-courant de ce formidable tsunami médiatique, nous avons été les seuls, de toute la presse hexagonale, à aller y voir de plus près, et à faire entendre un autre son de cloche : "Au Chili, Jeannette tient la corde" (ICI), et "Au Chili, c'est foutu mais pas encore" (ICI). D'ores et déjà, l'actualité est venue confirmer ce que nous pressentions : comme nous l'écrivons dès le 17 novembre, Franco Parisi, le candidat "populiste" arrivé en troisième position avec 19,71% des voix, n'a pas cédé aux sirènes du fils de nazi (et nostalgique de Pinochet) José Kast. Dans un entretien au quotidien argentin La Nación, le leader du "Partido de la Gente" (le Parti des Gens) estime que Kast « n’a pas de plan » crédible, et que Jeannette Jara est « une bonne candidate ». Une partie de ses électeurs va suivre sa consigne de voter nul ; mais beaucoup vont voter pour Jeannette Jara, quand bien même communiste...
La messe est d’autant moins dite que les deux grands débats Kast‑Jara ont sérieusement écorné l’image de favori du candidat d’extrême droite, davantage sur la défensive que porteur d’un projet solide. Lors de leur dernier face‑à‑face télévisé, Kast n'est pas parvenu à inverser la dynamique : le duel a été jugé âpre, confus, et nombre d’analystes estiment qu’aucun « effet Kast » décisif ne s'est produit à quelques jours du vote.
En miroir, Jara a passé une grande partie de cette fin de campagne à donner des gages sur le terrain de la sécurité, thème fétiche de la droite. Elle assume un discours nettement plus ferme sur la délinquance, les « overoles blancos » (1) et les trafics, tout en s’adossant à un arsenal déjà mis en place par le gouvernement Boric : plan « Calles sin Violencia », renforcement des effectifs de Carabineros dans les quartiers populaires, et surtout nouvelle loi de sécurité municipale qui formalise le rôle des villes en matière de prévention, de patrouilles mixtes avec la police, de contrôle de l’espace public et d’appui aux victimes. Autrement dit, loin d’arriver désarmée sur ce terrain, la candidate de gauche peut revendiquer des outils très concrets déjà signés et financés par l’exécutif, là où Kast continue de promettre une restauration autoritaire plus incantatoire que chiffrée.
(1). Les « overoles blancos » sont des groupes de lycéens encagoulés qui se couvrent d’une combinaison blanche de type tenue de protection pour mener des actions violentes dans certains lycées emblématiques de Santiago : ces groupes sont visiblement organisés par l'extrême droite, pour créer un sentiment de peur. Selon les informations des humanités, ce mouvement a été pensé par Alexis López Tapia, dirigeant du mouvement néonazi « Patria Nueva Sociedad » dans les années 2000 et maître d'oeuvre d'une nébuleuse constellation internationale intitulée « Nationalisme et Socialisme », qui a repris à Deleuze et Guattari la notion de « révolution moléculaire » pour créer la panique, avec l'aide des médias cathoques et conservateurs, à partir de pseudo-mouvements insurrectionnels violents qui ont pout but de déstabiliser l'Etat.
LE FIL DU JOUR

Pour suivre au plus près la journée et la nuit à Santiago au Chili, on avait prévu d'y envoyer Victoria Luz, notre nouvelle et jeune correspondante en Amérique latine (hors Colombie, où nous avons d'autres correspondants). Problème : celle-ci est étudiante (en journalisme) au Mexique ; et un voyage Mexico-Santago coûte dans les les 550 € aller-retour (plus menus frais sur place), et ça dépasse de beaucoup nos capacités phynancières. On fera donc journalisme en sources ouvertes comme on a appris à le faire, mais en comptant aussi sur un partenariat exclusif avec un média chilien qui nous ressemble : The Clinic. Ce journal est né comme hebdo satirique anti-Pinochet en 1998, moquant l’arrestation de Pinochet à Londres, d’où son nom, tiré de la London Clinic où était soigné le dictateur. Il est aujourd'hui devenu un pure player d’info politique et société avec une forte tradition d’humour corrosif et de journalisme d'investigation.Son ton reste marqué par l’irrévérence, la caricature et la dérision, mais le site publie aussi des enquêtes, analyses politiques, chroniques et reportages plus classiques, en particulier sur la politique, les mouvements sociaux et les droits humains. La directrice de The Clinic est aujourd’hui la journaliste Pamela Castro (photo ci-contre), et le chef de la rédaction est Maximiliano Chávez, sous la responsabilité éditoriale de Rodrigo Munizaga.
Fil d'actualités, en français et en espagnol
Toute la journée, à parir de 14 h (heure française), il sera possible de suivre sur les humanités un fil d'actualités "en direct du Chili" : les premiers résultats seront donnés et commentés à partir de 23 h. D'ici là, en continu : brèves, articles, analyses inédites, enquêtes, entretiens... Le tout en français, espagnol et anglais.
ICI : https://www.leshumanites-media.com/post/chili-2025-dossier-sp%C3%A9cial-et-fil-d-actualit%C3%A9s
Attention : l'accès à ce fil "Spécial Chili 2025" est réservé à nos abonnés et souscripteurs ("connexion", en haut du menu ; et pour s'abonner, ICI)

Isabel Allende. Photo Sipa Press
LA CITATION DU JOUR
ISABEL ALLENDE, "Par amour, on fait des choses qu'on ne ferait pas par peur"
« Les femmes sont en danger. Il y a un retour à l'extrême droite, au fascisme aussi, qui place les femmes dans un rôle soumis, qui veut les garder à la maison. On parle beaucoup de la femme traditionnelle. Aux États-Unis, après l'assassinat de Charlie Kirk, une cérémonie a eu lieu dans un stade, où la politique et la religion se sont mélangées. Les gens étaient à genoux, les bras levés, comparant Charlie à un prophète, à un martyr, au Christ. Les femmes doivent donc être très prudentes, car toutes les religions sont patriarcales et veulent que les femmes restent soumises. Il est très facile de perdre les droits que l'on a acquis au fil des années de lutte - celles de nos grands-mères, de nos mères - pour obtenir ce que nous avons, ce qui n'est pas encore la fin du patriarcat. Nous continuons à vivre dans un patriarcat. Mais nous pouvons perdre ce que nous avons. Aux États-Unis, le droit à l'avortement, qui était un droit fédéral, a été perdu. Il dépend désormais de l'État et on tente de supprimer les contraceptifs. L'objectif est que les femmes soient enceintes, ignorantes et restées chez elles autant que possible. (...) Le Chili est une démocratie qui dispose d'institutions très solides. Il a une Constitution, bonne ou mauvaise, mais les gens s'y conforment. Il y a des règles claires. Et j'ai une confiance énorme dans le Chili. Je pense que nous sommes un pays du centre, et que chaque fois que nous allons vers un extrême, les choses tournent mal. Nous cherchons toujours à ce que le pendule cesse de balancer autant et se place au milieu, car c'est ce que nous sommes. Et je pense qu'après ce que nous avons subi historiquement, nous prenons grand soin de notre démocratie. (...) J'écris constamment sur le Chili ou sur les gens qui viennent au Chili. Je suis loin de mon pays depuis plus de 50 ans, mais on me demande : « D'où êtes-vous ? ». « Du Chili », je réponds. Pourquoi suis-je chilienne ? Je ne sais pas, je ne suis même pas née ici. Je suis née au Pérou. Et j'ai passé quelques années, quand j'étais petite, ici, dans la maison de mon grand-père. Puis ma mère a épousé un diplomate et j'ai commencé à voyager partout. J'ai ensuite passé quelques années ici, mariée, mais très peu. Puis est venu le coup d'État militaire de 1973. J'ai quitté le Chili, puis je suis devenue immigrante aux États-Unis. Et pourquoi suis-je chilienne ? Je n'en ai pas la moindre idée. Et pourquoi cette terre m'attire-t-elle ? Je ne sais pas. Et la terre qui m'attire le plus est celle du sud, où je me suis le plus rendue. Quand j'étais petite, mon grand-père avait des moutons dans une ferme en Patagonie argentine. Et une fois par an, pour la tonte, il prenait le train vers le sud, jusqu'à la fin de la ligne, puis des camionnettes, puis il traversait la cordillère à dos de mulet et, de l'autre côté, des gauchos argentins l'accueillaient et l'emmenaient dans les fermes. C'étaient des voyages de deux mois. Une année où j'avais souffert d'anémie, je devais avoir neuf ans, mon grand-père m'a emmenée avec lui. Et ce voyage à travers la cordillère, les forêts, les volcans, a été inoubliable. Il m'a marquée jusqu'à aujourd'hui et c'est mon paysage. (...) Quand j'étais petite, nous vivions dans la maison de mon grand-père où il y avait une ligne invisible qui séparait la partie où se trouvait la famille et où l'on recevait les visiteurs, et les cours arrière où c'était une autre planète. Cette division, cette injustice sociale, m'a marquée toute ma vie et me dérange énormément. (...) Je ne peux pas donner d'espoir, car cela ne se donne pas. Mais je peux parler de mon expérience. Je suis née au milieu de la Seconde Guerre mondiale. À l'époque de l'Holocauste, des bombes atomiques. Les droits de l'homme n'existaient pas, les Nations unies n'existaient pas. Il y avait 50 millions de personnes déplacées, rien qu'en Europe. Après toute l'horreur de cette période, ces années effroyables qui ont vu l'émergence du fascisme, du communisme, du nazisme, beaucoup de bonnes choses sont arrivées. Beaucoup de bonnes choses se sont produites après cela, l'humanité a réagi. (...) S'il est vrai qu'il y a des moments comme celui que nous vivons actuellement et comme celui que nous avons connu alors, très graves, très difficiles, qui causent beaucoup de morts, beaucoup de douleur et beaucoup de violence, l'histoire tend vers plus de progrès, plus d'inclusion, plus de démocratie. Nous ne reculons pas. On dirait que nous avançons en cercles, mais nous avançons en spirales. (...) Dans De amor y de sombra, j'ai écrit une phrase que j'ai souvent regrettée : que la peur est l'émotion la plus forte, le sentiment le plus puissant. En fait, je crois que c'est l'amour. Par amour, on fait des choses qu'on ne ferait pas par peur. Et l'amour le plus impressionnant pour moi, depuis toujours, est celui des mères, toutes espèces confondues. Nous n'existerions pas en tant qu'espèce sans cette incroyable capacité d'aimer des mères. » (Isabel Allende, extraits d'un entretien avec Rocío Montes et Andrea Moletto, "El País", 24 septembre 2025)
A 83 ans, Isabel Allende, parente éloignée de Salvador Allende (son père, le diplomate Tomás Allende Pesce, était cousin germain du président chilien assassiné en 1973), est aujourd’hui l’écrivaine de langue espagnole la plus lue au monde, avec des dizaines de millions d’exemplaires vendus et des traductions dans plus de quarante langues. Née à Lima en 1942 dans une famille de diplomates chiliens, elle grandit entre le Pérou, le Chili et divers pays d’Amérique latine, expérience de déracinement qui deviendra l’un des fils rouges de son œuvre.
Journaliste et autrice de chroniques avant de se consacrer au roman, elle est brutalement projetée en exil après le coup d’État de 1973, d’abord au Venezuela, puis aux États‑Unis où elle s’installe à la fin des années 1980. C’est à Caracas qu’elle commence La maison aux esprits, née d’une longue lettre à son grand‑père mourant, et qui devient un succès mondial en mêlant saga familiale, histoire politique chilienne et une pointe de réalisme magique. Depuis, elle n’a cessé d’écrire : de De amor y de sombra à Eva Luna, de romans historiques comme Inés del alma mía aux mémoires de Paula, où la maladie et la mort de sa fille transforment l’écriture en acte de deuil et de survie. Son univers explore la mémoire, l’exil, la condition des femmes et l’imaginaire latino‑américain, dans une langue ample et narrative qui parle autant aux lectrices populaires qu’aux publics universitaires.
Installée en Californie, Isabel Allende revendique une double identité chilienne et nord‑américaine, et un féminisme assumé qui irrigue aussi sa fondation consacrée aux droits des femmes et des filles. À plus de 80 ans, elle continue de publier, de voyager et de commenter l’actualité latino‑américaine, relisant l’histoire – de la guerre civile de 1891 au coup d’État de 1973 – pour éclairer les peurs et les dérives autoritaires du présent.





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